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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Journal de deuil / Roland Barthes

1 Janvier 2014 , Rédigé par grossel Publié dans #note de lecture

Journal de deuil / Roland Barthes / Seuil, 2009

Les fêtes sont l'occasion de découvertes au travers des cadeaux offerts et qu'on se montre. Je suis ainsi tombé sur le Journal de deuil de Roland Barthes, paru en 2009. Roland Barthes dont j'ai lu la plupart des livres jusqu'en 1980 environ (dernier lu : Fragments d'un discours amoureux) et perdu de vue depuis. Je ne serais même pas capable de dire aujourd'hui ce que Mythologies ou Système de la mode m'ont apporté. Racine, oui. Quel enseignant de lettres n'a pas fait appel à ce livre ?

Journal de deuil commence le lendemain de la mort de sa mère, mam., le 26 octobre 1977. Elle est donc morte le 25 octobre 1977, le jour de mes 37 ans, découverte d'une coïncidence pétrifiante, sans incidence, si ce n'est que ce qui se dégage de Rachel à travers le journal me parle et me touche, femme à sa place, bonté absolue, qui ne lui a jamais fait une observation, qui articulait éthique et esthétique de façon empirique, sans théorie, femme « naturelle », un beau portrait qui n'est pas un « monument ». Il faut lire tout le journal pour en voir l'intérêt parce que pendant une bonne partie du livre, Roland parle beaucoup de son deuil, de son chagrin (il finit par préférer ce mot), du caractère discontinu de ce chagrin et paradoxalement de l'impossibilité de le dépasser ce qui n'est pas son désir. Il voit se développer, s'accentuer des traits qui ne lui plaisent pas : égoïsme, sècheresse de cœur, impossibilité de construire une amitié, un amour, irritabilité, désinvestissement du monde perçu dans sa vanité « mondaine ». Des questions comme celle-ci page 78 : Pouvoir vivre sans quelqu'un qu'on aimait signifie-t-il qu'on l'aimait moins qu'on ne croyait... ? Il ne sait à qui la poser avec espoir de réponse. Évidemment c'est à lui qu'il doit la poser. En fait il y répond. Photo qui va donner La chambre claire, en 1980, l'année de sa mort, un 25. Souvenirs, rêves, lieux, moments, tout un tas de repères ou de balises sans superstition, non ritualisés, jalonnent ses jours et ses nuits. Mam. est toujours là, absente et présente, ce qui l'amène à dire l'imbécilité du matérialisme qui nie l'immortalité de l'âme. Les passages où Proust vient au secours du déprimé, avec ses pages sur la mort de sa grand-mère et de sa mère sont particulièrement intéressants : deux écritures différentes dont l'une est criante de justesse et de vérité. Sauf cette vérité d'après moi : « c'est une douceur de savoir qu'on n'aimera jamais moins, qu'on ne se consolera jamais, qu'on se souviendra de plus en plus » (lettre à Georges de Lauris qui vient de perdre sa mère, 1907, page 182). Ce qui vaut pour l'un ne vaut pas pour l'autre. Comment chacun d'entre nous vit la perte d'êtres chers ne peut être théorisé. Le travail de deuil dont parle la psychanalyse certes renvoie au cheminement de chacun mais avec la tentation de généraliser, par exemple Winnicott avec la peur de ce qui a eu lieu. Roland vit fortement ce paradoxe bien mis en évidence par Kierkegaard : « dès que je parle, j'exprime le général, et si je me tais, nul ne peut me comprendre » (y a-t-il donc impossibilité d'exprimer l'intime ?). Ce qui me semble le plus juste dans ce journal c'est la découverte avec la perte que l'on est mortel, déjà mort, qu'aucune trace ne restera, qu'un « monument » est dérisoire, que vouloir passer dans la postérité est insignifiant, que la solitude est notre lot, que le monde est vain, mondain, qu'aucune retraite ne comblera le chagrin, que le chez toi-chez moi est finalement le lieu le plus apaisant, le plus reposant (Roland a vécu sa vie avec sa mère et reprend sa vie chez eux, son chez toi devenant son chez moi où il retrouve du quotidien d'habitudes venu de sa mère).

Un conseil aux lecteurs possibles de ce journal, le lire jusqu'au bout, ne pas se laisser ennuyer par ce qu'il y a d'ennui dans ce journal. Il y a des pépites. Mais pas la réponse à la question : tout ce que tu as été mam. a eu lieu et pour toujours, non effaçable. Où va se loger cette mémoire éternelle, indépendante de nous, mortels, oublieux ou soucieux de faire durer les disparus ?

Que l'année 2014 vous apporte le meilleur qui dépend pour l'essentiel de vous.

À Le Revest, le 1/1/2014 Jean-Claude Grosse, épitaphier

Solitude = n’avoir personne chez soi à qui pouvoir dire : je rentrerai à telle heure ou à qui pouvoir téléphoner (dire) : voilà, je suis rentré. 11 novembre 1977, page 54.

Solitude = n’avoir personne chez soi à qui pouvoir dire : je rentrerai à telle heure ou à qui pouvoir téléphoner (dire) : voilà, je suis rentré. 11 novembre 1977, page 54.

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A
Bonne année Jean-Claude !<br /> Des racines jusqu'à la pointe des Elles.<br /> Aïdée
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G
j'accepte de telles racines d'elles; merci