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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Le Nouveau Monde/Gilles Cailleau/Attention fragile

24 Juillet 2018 , Rédigé par grossel Publié dans #spectacle, #J.C.G., #cahiers de l'égaré

Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets
Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets
Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets
Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets
Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets
Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets

Le Nouveau Monde, le livre aux Cahiers de l'Égaré, photos de Catherine Briault, la mini tornade du 20 juillet 2018 et ses effets

Dimanche 5 février 2017, dernière représentation de la création du Nouveau Monde de et par Gilles Cailleau, une histoire "poétique" du XXI° siècle, sous le chapiteau de Attention fragile à La Valette.

Le dossier de presse, riche, révèle les intentions de Gilles Cailleau, qui est sur ce projet depuis 2008, avec des intermittences, du coeur peut-être.

"L’histoire mouvementée de cette création fait partie de son ADN, parce qu’on ne peut pas raconter une histoire titubante et encore inconnue sans ces tatonnements et cette fragilité d’équilibriste. En tous cas ces embûches, ces volte-face, ces grains de sable dans la mécanique m’ont appris une certitude : je n’ai pas d’autre nécessité aujourd’hui que de raconter l’histoire générale, poétique, inquiétante et inachevée du XXI° siècle.

C’est un spectacle d’enfant qui ne comprend pas le monde et joue à la poupée pour essayer de se dépatouiller de ce qui lui tombe dessus. Il joue aux marionnettes, aux petits avions, il fabrique des bateaux en papier. Il cloue des planches, il les attache avec des ficelles, il joue avec des couteaux, il se déguise, il essaye, il tombe, il réessaye, il fait des échasses, il fait de la magie, il veut épater ses parents, ses copains, ses copines. Il fait semblant d’être mort, d’être un héros, d’être une star, il aime les berceuses, danser, chanter à tue-tête, c’est un garçon il aime les drapeaux, compter, écrire des poésies. Quand il tombe devant les autres il est vexé comme un pou, des fois aussi il s’en fout.

Le monde qui vient est si sauvage, si nouveau, et par tant d’aspects si insupportable et révoltant, qu’il faut à nouveau jouer à la poupée pour le comprendre. Mais quelles poupées, mais quelles histoires ? Je n’en connais, au début de ces répétitions, que quelques lueurs fragmentaires, mais je sais au moins une chose. Le cirque, à moi vieil acrobate devenu depuis longtemps acteur, doit remplacer le langage habituel du théâtre pour essayer de donner un corps, une chair à mes questions et à mes inquiétudes.

Je me demande si ça n’a pas commencé en 1984, avec l’isolement du virus du Sida et ce que ça a peu à peu transformé en nous, qui sommes passés de la confiance à la méfiance, avec cette peur commune à tous qu’il fallait faire taire dans l’œuf l’envie de se donner sans limite, qu’il fallait faire attention à l’autre (faire attention à l’inverse de porter attention, comme on dit à son gosse – fais attention, méfie-toi), qu’il fallait avant tout se protéger de celui qu’on aimait, de celui dont on avait envie. Je me demande si ça n’a pas commencé ce jour-là, le nouveau siècle, je me demande si ce n’est pas ce jour-là que la sécurité a gagné la guerre qui l’opposait à la liberté. Je me demande si tout ce qui a suivi depuis ne vient pas de là. Évidemment ce siècle qui vient est plus compliqué : il y a la haine d’un Occident qui n’a pas tenu ses promesses, les territoires bientôt engloutis, la planète irrespirable, et aussi l’espoir balbutiant d’un autre monde possible. Mais on se barricade... Avec nos richesses, avec nos familles, avec nos ethnies, nos croyances, nos illusions.

La méfiance est le premier pollueur de la planète.

C’est un spectacle qui sera fait de disciplines traversantes, mais ces disciplines n’en seront pas. Ce n’est pas vraiment une discipline de s’accrocher à des planches, ce n’est pas une discipline de sauter à mains jointes dans le trou d’un grillage éventré, ni même de lancer des couteaux sur des poupées qui brûlent ou de marcher sur un fil les pieds nus au dessus de tessons de bouteilles. Je ne convoque pas des outils mais des armes.

Le XXe siècle était vertical, le XXIe siècle est horizontal.

Au XXe, on veut aller haut, on conquiert le ciel, l’espace, on construit des tours, le pouvoir est dictatorial, vertical aussi, Staline, Hitler, Pinochet, Mao sont en haut, leur pouvoir descend de marche en marche.

Le XXIe commence par casser 2 tours, son avenir est lié à l’océan plat, des gens se déplacent en tous sens vers un horizon, les villes s’étalent, les frontières dessinent des plans, le pouvoir se ramifie, se dilue, en tous cas il essaie... Après s’être occupé du ciel, on sait qu’il faut s’occuper de la surface de la terre. Il faut faire un spectacle horizontal. Il faut zébrer l’espace vide de la piste avec des traversées périlleuses, avec les jets horizontaux des couteaux, démesurer les distances, il faut arpenter la piste.

Première image naïve : arriver avec de hautes échasses instables, faites de carreaux de verre. S’arrêter, en descendre. Fabriquer deux avions en papier, les lancer sur les échasses. La collision enflamme les avions, les échasses explosent. Dans ce spectacle, je suis déséquilibriste. Casser des briques sur mon front en émettant des hypothèses.

Au bal du XXIe siècle, la peur est la reine de la promo." Gilles Cailleau

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Gilles Cailleau se donne à fond dans cette fresque éclatée en préparant minutieusement et rapidement (à la limite de la frénésie, avec donc des ratés, des échecs, des reprises ce qui peut mettre mal à l'aise; est-ce un manque de maîtrise des disciplines circassiennes et autres, utilisées ?) ses images (son histoire inachevée du XXI° siècle, il la raconte avec 4 images "poétiques", peut-être 5, l'image des tours qui s'effondrent, l'image des bombardements sur des populations de poupées qui brûlent, l'image des victimes choisies pour grimper dans un bateau de migrants qui va lui aussi brûler, la traversée, le débarquement, (ici peut-être l'image du Roi qui va renoncer à une parole de pouvoir), l'image de l'arche de sortie du cirque, (belle métaphore), en préparant ses musiques avec divers instruments, accordéon, violon et des outils d'amplification, réverbération, en disant au micro, au mégaphone ses mots, ses poèmes. Effondrement des tours: cartons empilés percutés par des avions en papier, massacre de playmobils brûlant dans une barquette alimentaire en alu, traversée d'une planche qu'il peint en bleu pour le radeau de la Méduse transportant des migrants se noyant en cours de traversée encalminée, ou noyé échouant sur une plage, ou survivants débarquant dans un des ports d'Europe du Sud, dans un brouhaha sonore à la limite du supportable... Le temps de préparation de l'image précède l'image, nous faisant participer à l'écriture du récit. La musique préparée se joue ensuite toute seule, lancinante. Travail trépidant de "déséquilibriste", revendiqué comme tel et donc dérangeant pour certains, cassant notre place de spectateur, travail tentant l'horizontalité de l'échange, du partage (on est en empathie avec cet énergumène qui se démène, qui s'interroge: quand a commencé ce XXI° siècle ? c'est quoi la modernité ? et après la tentative vaine de faire intervenir deux drones, il choisit un hoverboard, énergumène qui exprime ses peurs, ses cauchemars : je ne veux pas choisir les victimes et d'inviter une fillette à le faire, la maman acceptant, la petite fille aussi, ce qui est particulièrement révélateur et gênant; j'espère que j'aurais su dire non), refusant la verticalité de la communication depuis sa place de Roi sur un empilement de chaises évoquant un trône instable dont il descend pour nous inviter à inventer la fin du siècle, du nouveau monde en répondant à 3 questions: j'ai peur de..., je voudrais pas crever sans..., ça va finir..., réponses mises en boîte et dans l'arche voguant vers la sortie du cirque (métaphore belle)... image finale.
Ma petite fille, Rosalie, a répondu aux 3 questions: j'ai peur d'oublier la vie, je voudrais pas mourir (elle n'a pas employé le verbe crever, bravo) sans avoir ressenti le bonheur des autres, ça va finir où ça commence.

Moi: ça va finir par un rire hénaurme.

Beau travail qui peut déranger, AMEN
comme est dérangeant ce siècle, AMEN
et tous les siècles des siècles, AMEN
et comme devrait être dérangeant tout art et tout artiste, AMEN
et comme nous-mêmes le sommes, dérangés dérangeant, AMEN.

Les Cahiers de l'Égaré ont édité le texte fin juin 2017.

 

 

 

 

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