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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

sur le printemps des comédiens/sur l'art et la culture

10 Mars 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

oeuvre de l'artiste mexicaine Ana Leovy

oeuvre de l'artiste mexicaine Ana Leovy

Cher Jean Varéla, vous qui dirigez la programmation du vénérable Printemps des Comédiens à Montpellier, festival de référence sur la création contemporaine depuis plus de 30 ans, je tenais à ne pas vous féliciter pour l’honneur que vous faites cette saison à la création exclusivement masculine. Création qui a sans doute tant besoin d’être remise à l’honneur depuis qu’elle est entravée par ces drôles hargneuses qui revendiquent on ne sait quoi alors qu’elles manquent sans doute juste de talent. Vous parlez, en présentant votre programmation, de l’importance de mêler le Régional au National et à l’International pour que TOUS se rencontrent… un tous exclusivement masculin, exclusivement blanc aussi. Est-ce à dire que dans ce tous de la création mondiale, il n’y a vraiment pas UNE femme dont la création mérite d’être rencontrée ? Partagée ? Êtes-vous de ceux qui pensent que puisque la création de la femme réside naturellement en la procréation, la force de sa proposition artistique ne peut décemment pas égaler celle de l’homme qui se nourrit, lui, de sa frustration à ne pouvoir engendrer ? Non. Vous ne pensez certainement pas ça. Comme nous ne pensez certainement pas non plus à la place des femmes dans votre programmation - et à regarder vos dernières programmations, cette question n’a jamais vraiment été, pour vous, un sujet. Pourtant, en cette ère où il a été reconnu que la création féminine manquait de visibilité puisque leurs représentantes se situaient en dessous du seuil dit de visibilité, où nombreux de vos collègues se réveillent enfin pour équilibrer à minima leur programmation, conscients soudain que les femmes ne manquaient pas dans la création contemporaine mais qu’elles manquaient simplement de cette visibilité, vous vous érigez, vous, en maître pour nous rappeler sans y penser que la création – soyons sérieux, c’est une histoire d’hommes. Pourtant, votre devoir de programmateur, comme notre devoir d’artistes, EST de penser. Et le résultat de cette pensée EST ce que nous proposons aux publics de partager. C’est donc bien ce qu’il y a de reprochable dans cette non pensée qui mène à la bêtise : celle de penser (ou de laisser penser) que la création des femmes n’est pas à la hauteur de celle des hommes, alors que votre programmation n’est que la conséquence d’années d’entre-soi, d’acoquinage, et d’un manque de curiosité de votre part. Et c’est bien cette non-pensée qui est, aujourd’hui, insultante, méprisante, annihilante.

A moins que cette programmation soit un fait exprès, ce qui serait encore plus insultant, une façon assumée de dire que ces bonnes femmes pourront bien continuer à batailler comme des poules dans des cours à leur échelle, elles ne vous intéressent pas. 
Cher Jean Varéla, je ne vous félicite pas, non, pour votre programmation qui ne prône l’échange qu’au sein d’un repli patriarcal quand hommes et femmes engendrent pourtant le monde ensemble. Qu’il n’y a pas de singularité de genre au sein d’un processus de création artistique, seulement des individus singuliers qui proposent leur regard sur le monde, mais que ces individus, pour les entendre, il faut d’abord les rencontrer, tous.
Mais qui suis-je donc, moi, pauvre femme autrice et simplement frustrée penserez-vous peut-être, de ne pas faire partie de votre programmation… Je suis de celles justement, que vous ne connaissez pas et n’avez sans doute pas envie de connaitre. Tant pis pour moi, tant pis pour vous, tant pis pour le régional, le  national et l’international. Votre violence, évidemment, triomphe.

 
Thierry Falvisaner Catherine Verlaguet, on peut souscrire de manière large à ton propos et le défendre avec énergie que l'on soit femme, homme ou autre d'ailleurs mais le "exclusivement masculin" est faux, en tout cas si on s'en tient au près-programme sur le site...Cela ne change pas le sens mais pour éviter les malentendus il est préférable de dire exactement les choses pour ne pas permettre justement à ces énergumènes de jouer sur les mots et se cacher devant la représentation de quelques unes au milieu d'un ensemble masculin...Le théâtre est tout de même un milieu extrêmement conservateur , avec beaucoup d'indignation, de poings levés, de postures, de cris d'orfraies, et de volonté de préserver ses positions voire sa rente de situation.. Cela se vérifie largement dans le peu de cas que de nombreux lieux font au non public de théâtre, les 5% de la population qui se rendent au spectacle suffisent au bonheur, et suffisent à donner le sentiment de parvenir à la mission émancipatrice dont se flattent les directeurs/rices/experts: chargés de missions...Alors rien de nouveau et malheureusement certaines femmes qui ont maintenant un peu de pouvoir, jouissent aussi mal du pouvoir que les nombreux hommes qui l'ont gardé et le conserve précieusement...Mais allons-y, foutons un grand coup de pieds dans cette mélasse infâme et sans indignation mais avec une colère juste et légitime car pour reprendre la formule de Bernard Noël absolument nécessaire : " L'indignation bavarde, la colère agit"…Amitiés
 

Christian Benedetti / candidat FI européennes 2019

« Aujourd’hui, Michel Simonot, écrivain et sociologue, répond à notre questionnaire. Après Krystian Lupa et Arpad Schilling, metteurs en scène , Lancelot Hamelin, écrivain et Robert Guédiguian, cinéaste»
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A la conférence de presse de notre liste du 14 janvier, j’annonçai qu’aux douze combats de la liste je m’en rajoutai un treizième : celui de l’art et de la culture.
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Parmi les initiatives que je prends, je pose trois questions à des artistes français et européens : 1-Qui êtes-vous ? 2-Quelle ambition voudriez-vous que portent votre pays et l’Europe dans le domaine des arts et de la culture ? 3-Selon vous, quelles sont les combats prioritaires dans ce domaine dans lesquels devront s’engager les futurs parlementaires européens ?
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L’ensemble de ces réponses servira de matériau pour élaborer une charte d’engagement des élus européens de la France Insoumise et des partenaires de « Et maintenant le peuple » sur l’enjeu de l’art et de la culture. 
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Chaque jeudi, ici, vous pourrez lire les réponses d’un artiste à ce questionnaire. En attendant la Charte…
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Aujourd’hui, nous publions la réponse de Michel Simonot. Vous connaissez peut-être ses coups de gueule contre la casse de l’art ou sur les rapports entre art et politique, publiés régulièrement dans la presse. Mais Michel est aussi un auteur de théâtre, seul avec Delta Charlie Delta ou Le but de Roberto Carlos ou en bande organisée avec ses amis du groupe Petrol. Je ne saurai trop vous recommander son dernier ouvrage : La langue retournée de la culture, un dictionnaire critique de la déconstruction des politiques culturelles par le néolibéralisme ( Decitre ).
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Merci Michel de cette contribution forte.
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Christian Benedetti, metteur en scène, candidat aux Européennes de la France Insoumise. 
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Christian Benedetti : Qui es-tu ?
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Michel Simonot : Je suis écrivain pour la scène et sociologue de la culture. Je dis « écrivain pour la scène » plutôt qu’auteur dramatique car, pour moi, l’écriture est le fondement de mon travail. Je considère que c’est dans l’écriture que la représentation scénique puise les bases de la spécificité de son langage, de ses langages. 
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Dans le même temps, mes préoccupations sont les enjeux sociaux et politiques de l’art, de la culture. Je porte attention, en permanence, aux questions actuelles de la vie artistique et culturelle. J’ai été et suis présent, engagé, dans les débats concernant les politiques culturelles, les rapports de l’art et de la politique.

Christian Benedetti : Quels sont les enjeux de l’art et de la culture, nationalement et en Europe ?
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Michel Simonot : Au premier plan, je dirais que c’est la destruction des politiques publiques, et pour nous, celles de l’art et de la culture. Ce qui m’inquiète -et m’effraie, d’une certaine manière- c’est l’accélération incroyable de ce qui est une liquidation. 
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C’est particulièrement vrai en France. Il est compliqué d’isoler la culture car cela concerne la totalité des politiques publiques. C’est un mouvement général, inséré dans une évolution autoritaire, antidémocratique dans toute l’Europe. Nous vivons, de fait, un contrôle idéologique de plus en plus efficace, même s’il n’apparaît pas toujours explicitement, par exemple en France. Encore que… 
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Il est difficile de se battre sur un front, l’art et la culture, tant le mouvement concerne tous les secteurs, soumis à une logique de néolibéralisation accélérée. Comme j’en donne l’illustration dans mon dernier livre, c’est la langue même des politiques culturelles qui est détournée, retournée pour, insidieusement, pénétrer nos consciences de logique libérale, capitaliste. Contrôler la langue, décider de la façon de nommer, c’est un « classique » des politiques autoritaires. Les milieux, culturels, artistiques et intellectuels qui, par définition, devraient être sensibilisés à l’usage de la langue ne le sont pas suffisamment. D’où une difficulté politique. Mais aussi artistique. 
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Par rapport à l’Europe, ce qui est terrible c’est que la France a été pionnière en matière de politique publique de la culture. Et, d’une certaine manière, c’est elle qui, aujourd’hui, donne l’exemple du recul, de la livraison de la culture publique aux intérêts privés, commerciaux, du conformisme moral, etc. Des pays comme l’Espagne, l’Italie etc., qui ont mis beaucoup de temps à se construire un minimum de politique publique, en s’inspirant de la France, reculent en courant. Ne parlons même pas des pays fascisants comme la Pologne ou la Hongrie. 
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En France, ce sont, par exemple, des groupes privés marchands, d’envergure nationale ou internationale, qui prennent la gestion ou rachètent à grande vitesse les théâtres publics des villes, par exemple. Ils maîtrisent les réseaux de diffusion. (Donc, de fait, d’une part de la création). Quel silence face à cela ! Y compris dans les milieux concernés de la culture, des artistes, des militants culturels...et des élus territoriaux, les premiers concernés !!! Cela m’inquiète au plus haut point. En réalité je sais que beaucoup ont réellement conscience de ce qui se passe. Mais en privé. Pourquoi ce silence ? Pourquoi ce peu de mobilisation ? Est-ce que la nécessité de vivre ou survivre neutralise à ce point l’expression de la critique ? 
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Un autre exemple : l’acceptation sans critique, sans discernement, du développement du « crowd founding », de l’appel à des fonds privés, particuliers, pour pallier la diminution, voire la disparition, des subventions publiques. C’est redoutable. Je prends à dessein certains exemples les moins « politiquement visibles »… et, donc, d’une efficacité redoutable. C’est dangereux. Je ne suis pas pessimiste : je suis inquiet. Surtout si l’on rapporte cela à l’évolution en Europe. 
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Christian Benedetti : Quels sont les combats prioritaires à porter par nos futur députés

Michel Simonot : Le premier point, incontournable, est que les forces politiques de gauche, des élus puissent « porter politiquement » la question de la culture, de l’art, de la littérature, de la vie intellectuelle, scientifique à l’échelle européenne. Il est plus qu’urgent qu’ils affirment clairement la nécessité d’une politique publique de la culture, donc qu’ils en formulent les fondements les principes, les valeurs et les conditions. Depuis maintenant vingt ans, ces élus ou responsables politiques ont, progressivement, par leur silence, quasiment déserté cet enjeu. Il faut des élus ayant une pensée, une conception, une parole publique construites et fortes concernant la culture. Voilà la condition première.
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Cela suppose, évidemment, d’élaborer et formuler une conception de la culture, de l’art, de la littérature, de la pensée dans la société. Je constate une « peur » toujours présente, des politiques, de s’engager dans cette élaboration, hormis… en terme de culture utilitariste, donc sans contenu. On affirme volontiers des exigences concernant les « effets » (sociaux, éducatifs…) ce qui évite de dire de quelle culture il s’agit et pourrait elle aurait ces « effets »… et de justifier les raisons d’une telle exigence.
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Les dispositifs publics actuels font que les jeunes générations, qui s’engagent aujourd’hui dans la vie artistique, expriment une peur d’être instrumentalisés par les politiques publiques, une peur de perdre leur indépendance artistique. On sous-estime dangereusement cette situation. Du coup, ils préfèrent, à raison, s’inscrire de plus en plus hors des politiques publiques. Ils préfèrent la débrouille personnelle ou collective. Voire leur précarité. Cela ne témoigne pas du tout d’une dépolitisation, bien au contraire : ils revendiquent leur indépendance et en construisent les moyens. Le combat politique premier est, donc, d’expliquer que la responsabilité d’une politique publique est de construire et préserver les « conditions » matérielles, politiques, organisationnelles de leur indépendance sans ingérence dans les démarches intellectuelles et artistiques. Ce qu’elle n’est plus, après l’avoir été durant plus de 40 ans, (même si cela avait des limites). Cela leur paraît invraisemblable ! Il y a un véritable travail politique, pédagogique à faire en direction des jeunes générations. Sinon on ne pourra pas convaincre d’un projet démocratique de société !
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Concernant les contenus, je me limite, ici, citer quelques points. Il faut redonner du sens. Ainsi :
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- la culture comme « intérêt général » : expression qui est devenue décrédibilisée, quasi honteuse, qui disparaît et qu’il faut ré-imposer, re-légitimer, aussi bien dans le monde politique européen que dans les milieux culturels. C’est ce qui doit permettre d’imposer dans le débat la nécessité d’une politique publique dans tous les domaines de la production et de la circulation de la pensée, de l’imaginaire. Mais aussi de l’éducation, de la santé…C’est le plus difficile, car cela est le fondement. « L’intérêt général » est devenu un « gros mot ».
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- il faut redonner une légitimité aux mots « création », « pensée », « art ». En effet, les critiques (parfois pertinentes) à l’égard des « Artistes », des institutions culturelles, artistiques, ont contaminé la question même de la « création » et de la « pensée », c’est-à-dire de la production du « symbolique », de l’imaginaire et de leur circulation. Depuis 30 ans on part « des artistes » pour aborder l’art, alors qu’il faut faire l’inverse : c’est à partir de la conception que l’on a de l’art que l’on doit penser ce que peuvent être des artistes, leur place, leur statut…Ceux qui détiennent le pouvoir ont intérêt à rendre suspect les mots « artistes », « création », etc., car, ce faisant, ils font obstacle à une réflexion sur ce que doit être l’autonomie  intellectuelle, économique, politique et sociale de la production et de la circulation des biens symboliques. Ils opposent autonomie et responsabilité sociale, voire économique. On a réduit, depuis 3 décennies, la culture à « du lien social », alors que c’est le lieu de « la circulation du sens ». Les députés européens auront, en la matière, une très grande responsabilité. ils ne sont pas les seuls.
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- la question de la « démocratisation » de la culture, ou du « partage », de « l’éducation artistique », etc., peu importe les expressions, est devenue une fin en soi. Pourtant, si on ne définit pas en préalable ce qu’il faut démocratiser ou partager, je vois pas très bien ce qu’il y a à mettre en commun, à socialiser, à démocratiser…. Il faut renverser la pensée politique : le responsable politique doit oser donner un contenu préalablement à l’imposition d’un objectif d’utilité sociale (ou économique). Sinon, la politique culturelle devient vide et n’est plus qu’une culpabilisation de ceux qui « ne partageraient pas ». Mais partager quoi ? La plupart des artistes se précarisent tout en ayant de plus en plus le sens de leur responsabilité sociale, on le voit dans les jeunes générations, comme ailleurs.
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- A partir de là, et seulement à partir de là, il conviendrait de réfléchir à ce que sont, aujourd’hui les conditions publiques de la production des biens symboliques, cette production n’étant plus réservée à quelques-uns, mais socialisée. Responsabilité artistique et responsabilité sociale ne peuvent être opposées, comme c’est le cas. Et on ne peut leur opposer la « responsabilité économique » telle que l’impose la logique néolibérale. 

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Relire la réponse de Krystian Lupa : https://www.facebook.com/cbenedettiFI/posts/682459588818433?__tn__=K-R •

Relire la réponse de Lancelot Hamelin : https://www.facebook.com/cbenedettiFI/posts/686446391753086?__tn__=K-R •

Relire la réponse de Arpad Schilling : https://www.facebook.com/cbenedettiFI/posts/690711427993249?__tn__=K-R •

Relire la réponse de Robert Guediguian https://www.facebook.com/cbenedettiFI/posts/694860250911700?__tn__=K-R

« Aujourd’hui : Krystian LUPA, metteur en scène polonais répond à notre questionnaire »
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A la conférence de presse de notre liste, le 14 janvier, j’annonçai qu’à nos douze combats je nous en rajoutai un treizième : celui de l’art et de la culture.
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Parmi les initiatives que je prends, je poserai, toute cette campagne, trois questions à des artistes français et européens :
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1-Qui êtes-vous ? 2-Quelle ambition voudriez-vous que portent votre pays et l’Europe dans le domaine des arts et de la culture ? 3-Selon vous, quelles sont les combats prioritaires dans ce domaine dans lesquels devront s’engager les futurs parlementaires européens ?
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L’ensemble de ces réponses servira de matériau pour élaborer une charte d’engagement des élus européens de la France Insoumise et des partenaires de « Et maintenant le peuple » sur l’enjeu de l’art et de la culture. 
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Chaque jeudi, ici-même, vous pourrez lire les réponses d’un artiste à ce questionnaire. En attendant la Charte…
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Aujourd’hui, nous publions la réponse de mon ami Krystian LUPA, metteur en scène polonais. Krystian n’a pas souhaité en passer par les 3 questions, Voici donc à la place son Manifeste.
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Et puisqu’il n’y dit pas qui il est, faisons le nous-même. Krystian Lupa est un artiste dont les œuvres sont présentées sur les plateaux du monde entier. Dans son pays, c’est une figure de la Résistance au pouvoir ultra-conservateur dans le domaine économique, social et sociétal. La justice, la presse la culture y sont violemment attaqués, à Varsovie le pouvoir a nommé un acteur de téléréalité directeur du Teatr Polski, des acteurs ont été renvoyés, des mises en scène interrompues et censurées, des œuvres retirées du répertoire.
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Christian Benedetti, metteur en scène, candidat aux Européennes de la France Insoumise. 
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MANIFESTE – Krystian Lupa - Traduction Agnieszka Zgieb 
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Comment exprimer cette peur ? 
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Un sentiment croissant d’étrangeté... 
Une difficulté à comprendre de plus en plus grande... 
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Je peux bien sûr essayer... 
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Essayer de prendre part dans des polémiques hasardeuses 
De formuler des jugements... Mais je ne crois pas que ce soit là le moyen de comprendre quoi que ce soit. 
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Ou d'aider quiconque à comprendre. 
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Ce que je pense – et ce que je dis – me semble de plus en plus étranger à moi-même... 
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Est-ce que cela a un sens de partager ce sentiment d’étrangeté et d'incompréhension ? 
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Dans cette situation, l’artiste est-il encore d'une quelconque utilité ? 
Ou moi-même, en tant qu'artiste... Etc. 
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Quelqu’un de plus en plus étranger. 
Quelqu’un de plus en plus en désaccord. 
Le scandale d’une contestation totale semble être le seul moyen possible... 
« Golgota Picnic », par exemple... 
Quelque chose de cet ordre-là... 
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En disant « je ne comprends pas votre monde », je le sais, je ne fais que me plaindre... 
M'apitoyer sur moi-même... 
Cette réflexion, cet aveu ne vous est d'aucune utilité... À quoi bon un tel aveu ? 
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Malgré tout je ressens le besoin de l’exprimer 
Sinon, je ne peux pas aller plus loin... 
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Je dis VOUS 
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Mais au fond, je ne sais pas ce que cela veut dire... 
Vous signifie-t-il vous qui êtes en train de regarder ? 
Puisque vous êtes là, vous attendez quelque chose, 
Vous attendez quelque chose de l’art... 
Vous attendez quelque chose de l’artiste... 
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Quoi ? 
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Une vérité ou juste une habitude ? 
Mais là encore, ce n’est pas tout à fait ce que je veux dire... 
Je risque d’être mal compris... 
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Et voilà à nouveau cette peur lâche et infâme 
De ne pas être bien compris 
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Je veux dire que le rôle de l’artiste s'amenuise, pris dans le courant inerte du monde 
Dans ses capacités spirituelles, ses énergies, ses valeurs... 
Dans les capacités créatrices de nos consciences. 
Et même... 
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Je ne sais pas... 
Le sens même de ces consciences. 
Parce qu’en fait je crois que le rôle de notre âme change, 
Nos âmes ne sont plus utiles à personne... 
Parce qu’en fait le rôle et le sens de nos consciences et de nos vérités 
Sont probablement en train de disparaître. 
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Nos vérités ne sont plus utiles à personne. 
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Peut-être que le rôle de nos visions créatrices est de plus en plus restreint 
Dans ce que produit le carnaval fou furieux 
Des réalités politiques... 
Le cabaret de la société et ses tourbillons de bla bla 
Ou encore une certaine habitude de fréquenter l’art. 
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J’ai le sentiment que nous répétons cette habitude 
D’une manière de plus en plus automatique, comme dans un rêve. 
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Cela ne produit rien d’essentiel. 
J’ai l’impression qu’au fond nous avons tous déposé les armes 
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Nous avons accepté notre défaite face au monde 
Depuis un certain temps déjà nous sentons bien que c’est au-delà de nos forces, 
de continuer à nous battre, 
de poursuivre une réflexion, 
De bâtir comme des maisons les plus petites constructions de la volonté... 
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Et une fois de plus, nous allons accepter quelque chose de terrifiant, 
Et une fois de plus, nous allons accepter quelque chose de monstrueux... 
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Je dis, « nous ». 
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Mais peut-être n'est-ce là que mon problème à moi... 
Non ! 
Je persiste à dire NOUS. 
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Nous nous sentons trahis... La démocratie ne nous protège pas des démons des médiocres, de ce marché monopolisé par des roublards qui exploitent la peur des médiocres, le ressentiment, la haine, la frustration, qui s’appelle le génie politique. 
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Alors qu'il n’y a même pas eu 10% d'électeurs pour voter pour un progrès humaniste ? 
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Il faut exprimer cette peur. C’est la prescription de Thomas Bernhard ! Nous en sommes aujourd'hui à ce stade. 
Thomas Bernhard l’a appelé nazisme. 
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C'est la majorité, cette majorité décisive qui permet à ceux qui véhiculent le ressentiment d’accéder au pouvoir, ceux qui, quelles que soient leurs déclarations, seront les exécutants d’une pensée étroite, d’une voie égotiste et immature, les ennemis du progrès humain cachés sous le manteau de Dieu. 
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Le refus de vivre là où vit un tel peuple – quelle que soit la signification que l’on puisse donner à ce mot... 
Le refus... 
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Aujourd’hui, les jérémiades de tous ceux qui ont peur semblent naïves. 
Mais il y a un sens, dans ce que répètent de toute part des êtres isolés, des individus qui se retrouvent tout à coup isolés : je veux partir, je ne veux pas vivre là où les gens font un tel choix. Comment peut-on rester indifférent ? C’est inconcevable... 
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Parmi ceux qui parlent de fuir, chacun se sent tout à coup atrocement seul. 
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Soudain désorienté, trompé. Soudain... 
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Qu’appelle-t-on aujourd’hui nation ? 
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J’ai peur du drapeau blanc rouge. Vous réalisez ce que cela veut dire ? 
Alors, je suis resté seul, en effet... mon désir était de partir, je suis resté seul... Je ne me sens pas Polonais, comme Thomas Bernhard à la fin de sa vie souffrait d’un irrésistible besoin de fuir le lieu où il était obligé d’être Autrichien. 
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Il y a chez les gens quelque chose face à quoi je me sens de plus en plus étranger. 
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Il ne suffit pas d’avoir un travail, un appartement et de ne pas avoir de problème d’argent. 
Je ne peux pas être en paix avec l’idée que je suis là fixé comme une plante, là où les gens choisissent l'option étroite de la régression, qui s’y enferment et ferme la voie au Rêveur du progrès humaniste. 
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Vivre quelque part... ailleurs... C'est vrai, je ne peux pas vivre là où prolifère le fascisme. En Autriche, on l’a appelé ainsi. Mais qu’est-ce que le fascisme ? 
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On s’indigne ici devant l’usage du mot « fascisme », et on se moque facilement de celui qui le lance dans la solitude et le désespoir, qui en use d’un air impuissant car c’est un mot qui suscite un grand effroi comme une grande condamnation. 
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« Vous ne savez pas ce qu’est le fascisme ? Plongez dans l’histoire. », disent les cyniques. Vous, les historiens cyniques, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Je dis « fascisme » parce que je ne connais pas d’autre mot. Ce que j’appelle fascisme, c’est cette conspiration de l’étroitesse (de l’esprit), cette communauté qui fait de sa haine un critère de supériorité, qui expédie l’autre dans un camp de concentration. 
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Le fascisme a toujours existé. Mais notre société se précipite à nouveau vers cette nouvelle ère obscure, la  distille et la fait ressurgir. 
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Le fascisme est tout ce que je fuis, cet air empoisonné par une communauté haineuse et étriquée. C’est la nationalité dénaturée dans une époque où la nation devient quelque chose d’incompris et d’anachronique. La nationalité en tant que maladie, la nationalité en tant que réceptacle du ressentiment, la communauté qui exclue l’autre, indépendamment des critères par et pour lesquels il devient justement l’autre. 
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Le fascisme est la religion d’un Dieu devenu négatif – c’est la religion du bouc émissaire immolé au nom de Dieu, du culte de sa propre supériorité instituée par le sacrifice du bouc émissaire... 
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Dieu s’efface de l’horizon de la pensée humaine, il s’efface impitoyablement de l’horizon de la pensée humaine, il n’est plus visible que par l’apparition de l’ennemi... 
L'ennemi masqué qui se présente aujourd’hui, c’est la Guerre de Religion... La peur et le besoin diffus de partir viennent-ils de là ? 
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Impossible de rester dans une communauté qui fait ces choix-là. Je refuse de me réveiller dans un pays où l'on arbore le drapeau blanc et rouge. 
La concentration de haine ressentie de tous côtés m’empêche de respirer... 
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Cette cage où à cause de mes rêves possibles sur un progrès possible de l’être humain, j’ai été distillé en tant qu’étranger. 
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Le fascisme c’est la distillation de l’Autre en ennemi, la voie très ancienne de la communauté des médiocres. 
Le fascisme c’est la religion des médiocres... Cette peur indéfinie qu’éprouvent les esseulés, encore plus esseulés parce que cernés par une conspiration secrète. 
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Rue Bracka, on brûle des voitures, cela n’intéresse personne... ce ne sont pas eux qui ont mis le feu. La communauté a choisi le droit de détruire, de liquider la différence, de fermer tous les chemins qui ouvrent vers l’extérieur... De barrer tous les chemins qui conduisent à des réflexions et à des questionnements sur ce que peut être l’homme. Voilà ce que le médiocre craint le plus. La démocratie contrôlée par les médiocres se transforme en fascisme. Le fascisme est cet espace fermé où la médiocrité des nôtres devient la valeur suprême. 
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Un besoin incompréhensible mais irrésistible de fuir l’endroit où cela se passe, où on brûle les voitures en guise de sacrifice religieux... 
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La Place des Héros, c’est là où un homme a parlé et a entériné le culte de la religion de la haine. 
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Zut ! Plus de télé ! La télé est en panne ! C’est peut-être bien qu'elle soit cassée ! Bien que cela soit aussi une raison diffuse de partir d’ici. Parce que nous sommes les victimes de la pornographie des journalistes... Ce sont eux les responsables de ce cirque, de ce massacre des critères, de la pornographie politique qui efface tous les chemins de possibilités spirituelles, et efface l’idée même de ces chemins. La pratique d’un divertissement quotidien au moyen d’une bonne dose quotidienne de divertissement politique narcotique. (Même une soirée électorale se transforme en un divertissement politique narcotique pour abrutis.)

Le Manifeste est publié chez Actes Sud en annexe du livre Utopia


 Lors du grand débat sur la culture qui a eu lieu aux Beaux-Arts le 5 mars, les patrons de gros musées, opéras ou théâtres ne sont pas venus,       déplore Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde » dans sa chronique.

 

 

 

 

Chronique. Un des maux du monde culturel est de cultiver l’entre-soi. Rester au chaud dans sa famille. Il n’y a pas mieux pour évacuer les questions qui fâchent, pas pire pour se couper de la population. Le grand débat né de la crise des « gilets jaunes » a justement pour but d’écouter les invisibles. Ceux qui ne parlent pas. Or pour ces derniers, c’est la culture qui est invisible. Pas étonnant que le sujet soit absent du million de contributions enregistrées à ce jour.Pas étonnant,car la grande majorité des Français ne met jamais les pieds dans les musées, théâtres, opéras ou salles de concerts. Ils n’y pensent pas ou pensent que ce n’est pas pour eux. Et puis, pourquoi écrire une doléance sur un sujet auquel Emmanuel Macron ne consacre pas un mot dans sa Lettre aux Français ? Peut-être n’a-t-il pas voulu ouvrir une boîte remplie de serpents, comme cette question : faut-il donner autant d’argent, pris sur nos impôts, à des théâtres qui ne nous intéressent pas ? Mais en fermant la boîte, le président a oublié que la culture croise tant d’atouts – éducation, imagination, initiative, émotion, confiance en soi – qu’elle est un marqueur social.

Bourde présidentielle

Afin de rattraper la bourde présidentielle, un débat sur la culture a eu lieu le 5 mars à l’Ecole des beaux-arts de Paris, à l’initiative de Beaux Arts Magazine et de la Fondation du patrimoine. Que des emblèmes culturels organisent un débat au cœur de la capitale (Saint-Germain-des-Prés) et dans un lieu d’élite est une autre bourde. Car, évidemment, la France muette n’est pas venue. Ni le « non-public » évoqué dans l’instructif recueil de textes « Non-public » et droits culturels (éd. La Passe du Vent, 204 p., 13 €). Ni même tous ceux qui fréquentent un peu musées ou théâtres.

Dans cette école de jeunes sont venus beaucoup de seniors passionnés de culture, souvent du métier. Des « gilets jaunes » de l’art. Des soutiers précieux, militants associatifs, artistes de terrain, qui vont au charbon dans les écoles, les banlieues, les petites villes. Avec un salaire aussi modeste que leurs subventions.

Ils ont raconté leur lutte contre la ségrégation culturelle. Ils ont raconté leur action, lancé une idée, espéré plus de moyens. Un vieux monsieur a alors douché la salle : « Tout ce que vous proposez, ça fait trente ans que je l’entends, et ça n’a pas marché. » La culture est en effet le secteur où on organise le plus de débats – souvent autour de la culture pour tous. Il en ressort plaintes et autopromotion. Ce n’est pas le cas du Studio Théâtre de Stains (Seine-Saint-Denis), qui a organisé deux débats similaires, à lire sur leur site, et en annonce un troisième le 13 mars.

On ne se mélange pas entre riches et pauvres

Pour susciter des questions inédites, dérangeantes, transgressives, il faut échapper à l’entre-soi. Parler des exclus de la création avec eux. Les écouter. Pas simple, alors qu’au sein même de la famille culturelle on ne se mélange pas entre riches et pauvres. Ou plutôt les riches dialoguent peu avec les pauvres. Aux Beaux-Arts, la plupart des patrons de gros musées, opéras ou théâtres ne sont pas venus – il n’y avait que des coups à prendre.

Même absence du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), qui réunit 400 entreprises subventionnées dans le spectacle, qui avait jugé déplacée une réunion tenue à Paris. Cette bouderie est une hypocrisie, a écrit Jean-Marc Adolphe, fondateur de la revue culturelle Mouvement, dans un post de blog du 8 février. Pour ce dernier, le Syndeac tient un discours militant en faveur d’une culture pour tous, mais dans les faits s’en fiche complètement, préférant passer son temps à « réclamer du pognon pour la création ».

Brimade et hypocrisie

De cela, le public des Beaux-Arts n’a pas parlé. Nos « gilets jaunes » de la culture, contrairement à ceux des ronds-points, rouspètent sans renverser la table. Il est vrai que porter un coup à la famille se paie parfois d’une brimade. Ils sont pourtant victimes d’une autre hypocrisie : l’Etat dit se préoccuper de « culture pour tous » depuis vingt ans, mais, dans le même temps, il a passé au sabre l’éducation populaire (MJC, centres de rencontre, associations diverses, pratique amateur), qui, souvent, constitue le premier contact de millions de gens avec la création.

L’Etat sabre parce qu’il méprise le « sociocu » – il est structuré pour défendre le grand art. Il ajoute que c’est le boulot des maires. Or, les villes font pareil : elles reportent souvent sur la culture de proximité les réductions de la dotation de l’Etat et elles reprennent en main, en réduisant la voilure, cette éducation populaire, jugée trop gauchiste et indépendante, à travers leurs services municipaux.

L’art d’enrober les choses

Ce constat n’a pas empêché Franck Riester, le ministre de la culture, présent aux Beaux-Arts, d’interpeller l’assemblée : « C’est vous, sur le terrain, qui avez les solutions. » Il fallait oser. Il est vrai que M. Riester a l’art d’enrober les choses, ce qui devrait lui permettre de durer. Il ne dit rien, car il n’a pas d’argent à donner à la culture pour tous. Il lance : « L’Etat ne peut pas tout. »

C’est vrai, mais il peut ceci : prendre de l’argent aux riches institutions pour le donner à l’éducation populaire, ou alors leur demander de consacrer une très grosse part de leur budget à des actions de terrain hors leurs murs. Cette option fut évoquée par des intervenants aux Beaux-Arts et serait en bonne place parmi les propositions postées sur la plate-forme (granddebatculture.fr). Pas sûr que M. Riester aille dans ce sens. Car il lui faudra affronter nos phares de la création, qui estiment que ce n’est pas leur job.

Même chose pour l’éducation artistique à l’école. Tout le monde en convient, c’est « le » sujet-clé. Après deux heures de débat et de jolis poncifs, c’est l’ancien ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, qui a dit l’essentiel : l’Etat met 149 millions d’euros dans ce secteur, or il faut 1 milliard pour que ce soit efficace. A ce moment, Franck Riester n’était pas encore dans la salle.

Michel Guerrin

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