Rencontre avec Fabrice Melquiot
Rencontre avec Fabrice Melquiot
Soirée de très grande tenue au Télégraphe à Toulon le lundi 24 juin de 19 à 21H, avec Fabrice Melquiot, auteur et directeur de théâtre, sous l'égide de la Bibliothèque Armand Gatti à La Seyne et du Pôle au Revest représenté entre autres par Cyrille Elslander
- d'abord, environ 1H d'entretien avec Hélène Megy et Georges Perpès; Fabrice Melquiot est là parce qu'il rencontre sur deux jours les collégiens qui ont choisi sa pièce, Les Séparables. Fabrice Melquiot a donc remporté le Prix de la pièce de théâtre contemporain pour le jeune public pour la deuxième fois ; la première fois, c'était en 2006, avec Albatros.
Les Séparables (L'Arche, 2017) raconte l'histoire d'amour de deux enfants de neuf ans, Romain et Sabah, qui voudraient à jamais rester ensemble mais leurs parents en ont décidé autrement : cinquante-six ans après, la guerre d’Algérie n’en finit plus de finir…
En 2019, Les Séparables, a également obtenu le Grand prix de littérature dramatique Jeunesse, et a été nominé pour les Molières du meilleur auteur francophone vivant.
Fabrice Melquiot nous parle de son travail d'auteur avec authenticité, c'est une forme de sport, très physique, entraînements, répétitions qui font de ce praticien un athlète de l'écriture engageant le corps (qui est bien plus qu'une enveloppe) et cet engagement rejaillit sur le "style", l'écriture; il ne fait pas œuvre, ne cherche pas à faire œuvre, il écrit comme un seul et grand texte avec ses 60 pièces publiées plus les jetées, les en attente, les textes repris et réédités en versions différentes; il y a un déclencheur, tantôt externe par vécu (ce qu'il a vécu comme coup de poignard dans l'école de sa fille pour l'histoire des Séparables, un racisme d'adultes, entre adultes venant polluer l'histoire d'amour entre deux enfants « différents »), observation qui donne envie ou plus, comme un éclair qui l'a traversé et dont l'écriture doit garder la brûlure et la mémoire (Roberto Juarroz, Poésie verticale), tantôt une cicatrice, une blessure, un trauma qui demandent à prendre la parole comme ce qu'a soudain fait surgir la remarque d'une petite fille lors d'une rencontre : pourquoi tu tues toutes les petites filles dans tes pièces ? incroyable, il ne s'en était pas encore rendu compte, un point aveugle, inconscient ; il ne sut pas répondre mais la question s'était plantée en lui; travailleur acharné, il n'a que le souci de se mettre au service de ses pulsions, de ses étonnements et de laisser du blanc, du silence pour ceux qui viennent après, metteur en scène, acteurs, spectateurs... car le théâtre c'est une chaîne, y compris de production. Et de nous raconter la commande de ce qui est devenu J'ai pris mon père sur mes épaules.
Comme directeur du Théâtre Am Stram Gram depuis 2012, il a évoqué sa conception de la gouvernance du lieu, collégiale avec les membres de son équipe et avec des jeunes fréquentant assidûment le théâtre, associés aussi à la rencontre des artistes venant défendre leurs projets. Voilà un homme qui ne se situe pas sur le terrain de la compétition car dit-il, en fin de compte et sur tous nos parcours, nous sommes des perdants, des perdants qui apprenons de nos pertes, qui nous grandissons de nos pertes. Il a aussi évoqué sa place de spectateur de ses pièces, dans les coulisses, comme un pompier de service pour appréhender de biais et pas de face et ce qu'il pense devoir être le travail du spectateur pendant et après, bien après le spectacle car il n'écrit pas pour le public, une entité dont il ne sait pas ce que c'est (les communicants des théâtres semblent le savoir et inondent le public d'infos et d'images) mais pour le spectateur, celui qui va accepter d'être interpellé par la pièce, le film, qui va accepter d'être mis en mouvement dans ses désirs d'action, dans ses rêves, dans un travail sur soi. Très haute conception du spectateur renvoyant à une très haute conception du théâtre comme médium de changement, hier on disait de catharsis. J'ai eu cette conception aussi du théâtre. Dois-je le dire ? Le milieu culturel ne me semble plus animé que par des questions de nombre, de visibilité d'où surenchère ou débauche de programmes et autres documents. Et j'en suis arrivé à cette conception : chacun doit prendre en charge son chemin spirituel, en lien avec sa vie (les pertes, par exemple, pour moi, le fils, comédien, metteur en scène et écrivain, à 30 ans, le 19 septembre 2001, l'épousée-la mouette à tête rouge qui m'a mise en chemin avec cette question le 29 octobre 2010, un mois avant son passage : je sais que je vais passer, où vais-je passer ?, les parents; d'où la catégorie FINS DE PARTIES sur mes blogs ), avec certaines coïncidences ou synchronicités, en comptant sur son intuition, cette boussole qui pointe à l'ouest (les grands espaces intérieurs à découvrir). Pas de maître, de gourou, d'exemples, d'incitations, stimulations extérieures ou pas trop, quelques lignes d'un livre, une métaphore, un tableau, un chant..., se faire confiance même dans les égarements, amoureux par exemple, j'ai connu, je souhaite que ça soit terminé à presque 79 ans mais faut que je me protège de moi, d'une part que j'apprends à gérer. As-tu, oui ou non, le désir impérieux de te connaître ? De devenir ce que tu es ? De trouver ta juste place avec, parmi les autres, dans le monde, la nature, l'univers ? Te sens-tu co-responsable de ce qui advient ?
Je le dis tout net, je trouve ce type de questionnement chez les Gilets Jaunes que je fréquente, pas dans le monde de la culture ni chez les artistes, désolé.
- ensuite, lecture magistrale pour la 1° fois de son texte "DEAR (Découvre. Emporte. Aime. Renonce.)", texte inédit, livret de l'opéra autour de la philosophe Simone Weil qui sera mis en scène par Roland Auzet, en 2021, avec Sandrine Bonnaire dans le rôle de la récitante.
DEAR met l'accent sur certains détails biographiques (la rencontre avec Trotsky, ça me parle bien sûr), sur une notion, celle d'obligation de chacun envers chacun, envers tous, envers tout ce qui existe, notion personnelle, intime conviction qui oblige sans discussion peut-on dire et qui est hors-champ du politique, du droit. J'ai évoqué après coup avec Fabrice Melquiot, la possible proximité avec Le fondement de la morale de Marcel Conche. Le philosophe Yvon Quiniou a lui aussi ce fort souci de morale (universelle, pas la morale sociale, propre à chaque société) qu'il croit nécessaire dans la réflexion et l'action politiques. Chez Simone Weil, une forme d'injonction s'impose : je ne veux plus faire le mal, de mal. Chez Simone Weil, l'identification à la condition ouvrière, à la condition des plus faibles, des plus souffrants l'a conduit peut-être à l'épuisement, à l'anémie, elle meurt à 34 ans.
François Cheng parle très bien de Simone Weil dans le chapitre 6 de son livre De l'âme, livre dont j'ai rendu compte et à relecture, je ne change rien à mes propos (voir le lien).
Fabrice Melquiot a été amené à dire presque à la fin que la question du temps l'occupait de plus en plus, lui prenait du temps. Il faut prendre son temps avec le temps. À l'impatience du jeune homme Cyril G. qui voulait vivre sa vie en partant en mobylette pour le port de Marseille et grimper sur un bateau en partance, j'avais répondu quand les gendarmes nous l'avaient ramené comme tu ne sais pas ton temps de vie, fais comme si tu avais tout ton temps, éloge de la lenteur en quelque sorte. J'ignore comment Melquiot aborde la question du temps. En ce qui me concerne, c'est en écrivant Tourmente à Cuba, devenu L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto que j'ai été saisi par ce que j'ai appelé les évidences du temps. Chaque moment passe et ne reviendra jamais, never more, mais il sera toujours vrai que ce moment passé a eu lieu, for ever. Ainsi donc s'écrit notre livre d'éternité (une métaphore) du premier cri à notre dernier souffle, unique, non écrit d'avance, non destiné à un jugement dernier. Où passe donc le passé qui ne s'efface pas, ce livre d'éternité, infalsifiable ? Écriture qui m'a pris de 2001 à 2014 et je suis encore en chemin car me voici aux prises avec le passage, qu'est-ce que passer ? trépasser ? passage impensable qui a pourtant lieu. Effaré de découvrir la médiocrité de notre conception matérialiste de la mort, poussière tu redeviens. L'abaissement que cette vision réductrice, non prouvée, entraîne. Mais qui arrange sans doute les gens, va savoir pourquoi, sans doute des histoires de sous, d'héritage. Faut vraiment qu'il soit définitivement passé, corps et âme, rendre l'âme, vous comprenez. Évidemment, ce fut ma conception d'athée, ce ne l'est plus. Sans qu'elle soit encore éprouvée, il s'agit d'immatérialité, de souffle, de présence, de Vie qui donne vie, donc cachée comme la Nature créatrice (donc cachée) engendre la nature qu'on voit avec la participation de mémoires incroyables (l'ADN, mémoire de toute l'évolution, agissante en moi, à chaque instant, avec très peu d'erreurs, je peux écrire pendant que tous les programmes agissent dans tous mes organes).
une femme ayant perdu son fils : la mort est sans pudeur.
Elle transforme l'être le plus vivant, le regard le plus enluminé, la peau la plus soyeuse, les cheveux les plus moirés la chair la plus tendre la langue la plus prolixe les muscles les plus affûtés le sang le plus vif les organes les plus sains le visage le plus doux le plus aimé le plus choyé l'être le plus aimable et les méchants et les aigris et les odieux et les jeunes et les nourrissons et les vieillards et les jeunes filles aux seins légers et les mères aux seins torturés en chairs putrides puantes gluantes en chairs ensevelies ou brûlées disloquées puantes carbonisées bouffées par la vermine vouées à la disparition pourrissante et un jour désincarnées.
Les orbites évidées, ongles et cheveux résistants au temps,
les os blanchis les lambeaux putréfiés de chair la langue ne pouvant plus dire le coeur exsangue.
Et une seule envie, vous liquéfier à votre tour pour glisser imperceptiblement et irrévocablement dans le même cercueil.
Et ne plus exister.
JCG : je veux vous dire juste ceci qui est mon interrogation existentielle du moment : et si la mort était passage dans la Vie, était résurrection, sortie de la mort charnelle, passage dans l'éternité du Souffle; j'essaie de le dire pour le moment avec les mots d'un autre, JY Leloup; et je constate l'extraordinaire paix qui commence à m'habiter; aucune colère contre le monde qui pourtant fait mal, compassion oui et à ma façon, actions diverses (pas d'indifférence mais ne pas me laisser affecter, agir en faisant ma part sans haine ou agressivité); ma fille m'a montré son scénario sur donner la vie, donner la mort, comment elle a donné naissance, donné la vie donc en même temps donné la mort en sursis après deux fausses couches très douloureuses car le bébé mort ne fait aucun travail, un scénario qui prend aux tripes; elle en est là où vous en êtes, une vision réaliste, matérialiste du cadavre et de la mort donc dégradation, défiguration du vivant, du vif, images souvent insoutenables sans doute parce que nous n'apprivoisons pas la mort, ne la méditons pas assez, nous la concevons comme état, un état, on passe d'un état à un autre état alors que la nature nous donne à voir autre chose avec le cycle des saisons.
J'ai signalé à Fabrice Melquiot que Jean-Baptiste Sastre travaille aussi en ce moment sur Simone Weil, création au Liberté du 11 au 15 octobre, Plaidoyer pour une société nouvelle.
Jean-Claude Grosse, 25 juin 2019
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"Les Séparables" présentation par Fabrice Melquiot
"Les Séparables" de Fabrice Melquiot, L'Arche Éditeur, finaliste du Grand Prix de Littérature dramatique Jeunesse 2018. Fabrice Melquiot revient sur l'origine de son texte "Les Séparables", pub...
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J'ai pris mon père sur mes épaules - Fabrice Melquiot - theatre-contemporain.net
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De l'âme/François Cheng - Blog de Jean-Claude Grosse
couverture du livre De l'âme de François Cheng De l'âme François Cheng Albin Michel, 2016 De François Cheng, j'ai lu un roman, L'éternité n'est pas de trop, les Cinq méditations sur la mort...
http://les4saisons.over-blog.com/2017/02/de-l-ame/francois-cheng.html
François Cheng et Simone Weil
L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto/J.C.Grosse - Les Cahiers de l'Égaré
après 13 années de quel travail, L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto est sorti, 4 ans jour pour jour après une entrée à l'hôpital où l'épousée restera jusqu'au 29 novembre 2010, date d'...
http://cahiersegare.over-blog.com/2014/10/l-eternite-d-une-seconde-bleu-giotto-j-c-grosse.html
cette pièce est épuisée et ne sera pas rééditée
Dans quelle étagère: Partager les petits trésors de ma bibliothèque
Eds. Les cahiers de l'Égaré Un jeune homme une jeune femme un amour une promesse... Le temps passe, quelques trente années plus tard, les mêmes qui ont arpenté les chemins de vie, un homme, un...
http://caronlouise.blogspot.com/2015/02/dans-quelle-etagere-partager-les-petits.html
un retour très précis de Louise Caron sur L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto
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L'insolite traversée de Cyril Grosse (13/4/1971-19/9/2001) - Blog de Jean-Claude Grosse
Réalisation d'un court documentaire d'archives photos et vidéos sur l'insolite traversée de Cyril Grosse (1971-2001). Au piano et au chant, Dasha Baskakova. hommage à Cyril Grosse réalisé par...
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