La mécanique du hasard / Théâtre du Phare
un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
La mécanique du hasard
Théâtre du Phare-Olivier Letellier
d'après Holes (Trous)-Le Passage
de Louis Sachar (1998)
adaptation Catherine Verlaguet
La mécanique du hasard, durée une heure, vu à la Maison des Comoni au Revest, le 5 novembre à 19 H 30, dans le cadre de la Saison Jeune Public du Pôle (scène conventionnée d'intérêt national arts et territoires), est un fabuleux spectacle d'une précision et d'une fluidité qui nous captent du début à la fin. Heureusement, si on décroche, impossible de raccrocher, de se raccrocher tellement cette histoire est multiforme, riche d'informations qu'il faut engranger et relier, une histoire de malédiction (l'emploi de ce mot mériterait attention car il est du registre performatif : une malédiction est un énoncé agissant dans le temps, à l'insu de la victime = quand dire c'est faire, or aujourd'hui, le langage performatif est celui de tous les manipulateurs aux pouvoirs, on ne parle pas pour dire le vrai ou la (sa) vérité, on parle pour agir sur le réel, pour qu'il se conforme à ce qu'on en dit ; Jupiter en est un exemple vivant) traversant 4 générations (une discipline étudie ces transmissions, répétitions inconscientes, la psychogénéalogie transgénérationnelle de Anne Ancelin Schützenberger ou la métagénéalogie dont Alejandro Jodorowski est l'inventeur = de l'importance de construire son arbre généalogique), malédiction partant de Lettonie, passant par Las Vegas, s'arrimant dans le lac vert, aujourd'hui asséché, autrefois terre fertile, devenu camp de redressement pour adolescents délinquants.
Stanley Yelnats = Stanley à l'envers, est un ado envoyé dans ce camp pour creuser des trous au fond du lac. Mais ce sont les héritages familiaux qu’il va déterrer : l’histoire de son horrible-abominable-vaurien-d’arrière-arrière-grand-père qui avait volé un cochon à une tzigane unijambiste qui s’était vengée en lui jetant un mauvais sort, la malédiction. Mais aussi celle de son père inventeur de génie qui s’acharne à recycler les vieilles baskets qui puent grâce à un spray. Ou encore celle de son arrière-grand-père dont la diligence a été dévalisée par la redoutée « Embrasseuse ». Une puissante histoire d’amitié entre ados (lui et Zéro, oui, Zéro, un zéro disent les autres, un héros à sa façon) va se construire sur ce fond de légende héréditaire. Des histoires parallèles, à un siècle d’intervalle, que l’on découvre étrangement liées par des indices savamment distillés tout au long du récit, porté par deux comédiens (Fiona Chauvin, Guillaume Fafiotte) multifonctions, narrateurs, personnages, dont la partition corporelle, gestuelle est comme une chorégraphie avec pour tout accessoire, mais quel accessoire, un frigo (symbole autrefois de la société de consommation) qui est tout, barque, trou, désert, montagne à gravir, lieu du trésor de l'embrasseuse (l'institutrice du village de jadis) qui tue pendant 30 ans les égarés dans le désert pour se venger de la mort de son amant noir par le shérif.
Comment le Stanley de la 4° génération réussit-il à un moment donné à ne plus être au mauvais endroit au mauvais moment, à rompre le cycle de la répétition du pas de chance ?
C'est à travers des épreuves terribles et des signes semés par les prédécesseurs qu'il reconstitue ou fabrique son histoire (à trous sans doute) liée à celles de ses ancêtres dont il ne sait quasiment rien; ce faisant, il se trouve, s'identifie, devient lui et capable de décisions, ça commence par NON et par j'y arriverai; se mettent en place des séries non prévisibles mais qui vont jouer leur rôle de libération de la malédiction : manger des oignons, trouver un tube de rouge à lèvres, rencontrrer des lézards jaune-vert qui cessent de mordre pour tuer...
Quand on est embarqué dans ce genre de cheminement libérateur, aujourd'hui on parle de lâcher-prise, ne pas chercher à comprendre, à dominer la situation, accepter ce qui vient, ne pas faire le tri, les indices, les coïncidences, les opportunités, les synchronicités s'offrent et c'est enfin l'éclaircie, la lumière se fait ; quelque chose de l'inconscient, de l'inconscient personnel mais surtout de l'inconscient collectif, celui mis à jour par Jung, agit : « en plus de notre conscience immédiate, il existe un second système psychique de nature collective, universelle et impersonnelle qui est identique chez tous les individus. Cet inconscient collectif ne se développe pas individuellement, mais est hérité. Il se compose de formes préexistantes, les archétypes, lesquels donnent un sens aux contenus psychiques ». Pour Jung, reconnaître l'existence et l'influence de l'inconscient collectif, c'est reconnaître que « nous ne sommes pas d'aujourd'hui ni d'hier ; nous sommes d'un âge immense » (je dirai immémorial, l'inconscient collectif, à travers les archétypes, c'est l'éternité au présent, c'est l'infini en nous : tout est lié, relié, tout est déjà là)
La musique, les lumières, le fond du lac-le désert qui a la forme d'une coupe d'arbre centenaire, le frigo font partie intégrante du déroulement du récit avec un moment particulièrement fort, émouvant, la montée de la montagne. Création lumière Sébastien Revel / Création sonore Antoine Prost / Scénographie et Régie Colas Reydellet.
Le public, très varié, avec beaucoup de jeunes, collégiens, lycéens, particulièrement à l'écoute, a fait une ovation méritée à l'équipe du Théâtre du Phare-Olivier Letellier qui sait fouiller coins et recoins des jeux de l'inconscient.
Le livre Holes (Trous) de Louis Sachar est paru en 1998, très apprécié comme livre jeunesse. Il est paru en français sous le titre Le Passage en 2000.
Le roman a été adapté en film en 2003 par Walt Disney Pictures, sous le titre La Morsure du lézard
Louis Sachar a écrit une suite Manuel de survie de Stanley Yelnats
Alors, toi aussi tu as échoué dans un centre d'éducation pour jeunes délinquants ? Si tu es ici, c'est parce que tu as fait une bêtise et la justice t'a condamné à creuser des trous pendant plusieurs mois. Tu viens d'arriver et tu as peur, n'est-ce pas ? Tant mieux, car la peur maintient en alerte. Tu te sens probablement très seul. Et tu l'es, malgré les six conseillers d'éducation et les trente-quatre pensionnaires qui vivent avec toi dans le camp. Ne baisse pas les bras. Ce manuel de survie peut te venir en aide.
Stanley Yelnats en est l'auteur. Il sait de quoi il parle, il est passé par là lui aussi. Tu peux lire son histoire dans « Le Passage ». Quand il a appris qu'on allait ouvrir dans tout le pays des centres pour jeunes délinquants, garçons et filles, sur le modèle du camp du lac vert, il a écrit ce guide. Un guide qui peut te sauver la vie : il t'apprendra à éviter les pièges du désert, à différencier une tarentule d'un scorpion, à découvrir le règlement secret du centre, mais surtout, tu sauras que pour t'en sortir, mieux vaut jouer au plus malin que jouer les gros durs.
L'adaptatrice du roman Holes (Trous), Le Passage de Louis Sachar est une varoise Catherine Verlaguet; j'ai trouvé très efficace ce texte : on ne perd pas une miette de l'histoire.
Jean-Claude Grosse, le 7 novembre 2019
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La nuit où le jour s'est levé / Théâtre du Phare - Blog de Jean-Claude Grosse
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