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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Capital et idéologie / Thomas Piketty

26 Mars 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #note de lecture, #agora

le groupe informel Penser l'avenir après la fin des énergies fossiles, se réunissant tous les deux mois, le dimanche de 17 à 19 H, salle des mariages du Revest, avait mis ce livre à l'étude; la Covid a empêché les réunions de se tenir depuis avril 2020

le groupe informel Penser l'avenir après la fin des énergies fossiles, se réunissant tous les deux mois, le dimanche de 17 à 19 H, salle des mariages du Revest, avait mis ce livre à l'étude; la Covid a empêché les réunions de se tenir depuis avril 2020

Capital et idéologie  

Toutes les sociétés humaines ont besoin de justifier leurs inégalités : il faut leur trouver des raisons, faute de quoi c’est l’ensemble de l’édifice politique et social qui menace de s’effondrer. Les idéologies du passé, si on les étudie de près, ne sont à cet égard pas toujours plus folles que celles du présent. C’est en montrant la multiplicité des trajectoires et des bifurcations possibles que l’on peut interroger les fondements de nos propres institutions et envisager les conditions de leur transformation.
À partir de données comparatives d’une ampleur et d’une profondeur inédites, ce livre retrace dans une perspective tout à la fois économique, sociale, intellectuelle et politique l’histoire et le devenir des régimes inégalitaires, depuis les sociétés trifonctionnelles et esclavagistes anciennes jusqu’aux sociétés postcoloniales et hypercapitalistes modernes, en passant par les sociétés propriétaristes, coloniales, communistes et sociales-démocrates. À l’encontre du récit hyperinégalitaire qui s’est imposé depuis les années 1980-1990, il montre que c’est le combat pour l’égalité et l’éducation, et non pas la sacralisation de la propriété, qui a permis le développement économique et le progrès humain.
En s’appuyant sur les leçons de l’histoire globale, il est possible de rompre avec le fatalisme qui nourrit les dérives identitaires actuelles et d’imaginer un socialisme participatif pour le XXIe siècle : un nouvel horizon égalitaire à visée universelle, une nouvelle idéologie de l’égalité, de la propriété sociale, de l’éducation et du partage des savoirs et des pouvoirs.

Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et professeur à l’École d’économie de Paris, Thomas Piketty est l’auteur du Capital auXXIe siècle (2013), traduit en 40 langues et vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires, dont le présent livre est le prolongement.

Pour un Socialisme participatif à l’échelle mondiale

Les 2 défis majeurs du XXIème siècle sont le réchauffement climatique et la remontée des inégalités.

L’idéologie de la mondialisation est actuellement en crise et en phase de redéfinition. Les frustrations créées par la montée des inégalités ont peu à peu conduit les classes populaires et moyennes des pays riches à se défier de l’intégration internationale et du libéralisme économique sans limites. Ces tensions ont contribué à l’émergence de mouvements nationalistes et identitaires qui pourraient alimenter une fuite en avant vers la concurrence de tous contre tous et le dumping fiscal et social vis-à-vis de l’extérieur, le tout s’accompagnant à l’intérieur des États par le durcissement identitaire et autoritaire à l’encontre des minorités et des immigrés, de façon à souder le corps social national face à ses ennemis déclarés.

Une grande partie du livre est consacrée à l’étude des régimes inégalitaires de par le monde et aux leçons qui peuvent en être tirées pour s’orienter vers un socialisme participatif à l’échelle mondiale et créer une société juste, à savoir une société qui permet à l’ensemble de ses membres d’accéder aux biens fondamentaux les plus étendus possible. Parmi ces biens fondamentaux figurent notamment l’éducation, la santé, le droit de vote, et plus généralement la participation la plus complète de tous aux différentes formes de la vie sociale, culturelle, économique, civique et politique.

 

T. PIKETTY propose un faisceau de pistes profondément étudiées.

 

Y’a plus qu’à trouver les hommes politiques pour avoir le courage de s’en emparer !

 

1- Partager le pouvoir dans les entreprises

 

Afin de dépasser le capitalisme et la propriété privée et de mettre en place le socialisme participatif, il est possible en faisant évoluer le système légal et fiscal d’aller beaucoup plus loin que ce qui a été fait jusqu’à présent, d’une part en instituant une véritable propriété sociale du capital, grâce à un meilleur partage du pouvoir dans les entreprises, et d’autre part en mettant en place un principe de propriété temporaire du capital, dans le cadre d’un impôt fortement progressif sur les propriétés importantes permettant le financement d’une dotation universelle en capital et la circulation permanente des biens.

Il faut en finir avec une action = une voix et généraliser la cogestion dans sa version maximale, avec la moitié des droits de vote pour le personnel dans les conseils d’administration ou de direction de toutes les entreprises privées, y compris les plus petites mais en limitant drastiquement le pouvoir de ceux qui apportent du capital (plafonnement des droits de vote pour tous les apports en capital supérieurs à 10 %). On pourrait faire des observations similaires pour des organisations dans les secteurs de la santé, de la culture, des transports ou de l’environnement.

 

2- Réforme de la fiscalité

 

  • La concentration extrême de la propriété dans la plupart des sociétés jusqu’au début du XX siècle, avec généralement autour de 80 %-90 % des biens détenus par les 10 % les plus riches n’avait aucune utilité du point de vue de l’intérêt général. Afin d’éviter qu’une concentration démesurée de la propriété ne se reconstitue de nouveau, les impôts progressifs sur les successions et les revenus doivent être complétés par un impôt progressif annuel sur la propriété, lequel a en outre l’avantage de s’adapter beaucoup plus vite à l’évolution de la richesse et de la capacité contributive des uns et des autres. Par exemple, on ne va pas attendre que Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos atteignent 90 ans et transmettent leur fortune pour commencer à leur faire payer des impôts.

 

  • En revanche, la diffusion de la propriété ne s’est jamais véritablement étendue aux 50 % les plus pauvres (dont la part dans le patrimoine privé total s’est toujours située autour de 5 %-10 %) qui n’ont ainsi jamais eu que des possibilités limitées de participation à la vie économique, et en particulier à la création d’entreprises et à leur gouvernance.

 

Multiple du patrimoine moyen

Impôt annuel sur la propriété

Impôt sur les successions

 

Multiple du revenu moyen

Taux effectif d’imposition y/c cotisations sociales et taxe carbone

0,5

0,1%

5%

 

0,5

10%

2

1%

20%

 

2

40%

5

2%

50%

 

5

50%

10

5%

60%

 

10

60%

100

10%

70%

 

100

70%

1.000

60%

80%

 

1.000

80%

10.000

90%

90%

 

10.000

90%

 

 

L’impôt annuel sur la propriété et l’impôt sur les successions rapporteraient au total environ 5 % du revenu national. Il permettrait de mettre en place un système de dotation en capital équivalant à 60 % du patrimoine moyen versée à chaque jeune adulte (par exemple à l’âge de 25 ans).

Exemple : dans les pays riches, le patrimoine privé moyen est à la fin des années 2010 d’environ 200 000 euros par adulte. Dans ce cas, la dotation en capital sera donc de 120 000 euros. De facto, ce système aboutirait à une forme d’héritage pour tous alors qu’actuellement, les 50 % les plus pauvres ne reçoivent quasiment rien (à peine 5 %-10 % du patrimoine moyen) et que les 10 % des jeunes adultes les plus riches héritent de plusieurs centaines, voire de millions d’euros.

S’agissant des taux d’imposition applicables aux plus hautes successions et aux plus hauts revenus, il faudrait qu’ils atteignent des niveaux de l’ordre de 60 %-70 % au-delà de 10 fois la moyenne des patrimoines et des revenus, et de l’ordre de 80 %-90 % au-delà de cent fois la moyenne (voir tableau)

Par comparaison à l’actuel système d’imposition proportionnelle de la propriété immobilière en place dans de nombreux pays, ce barème entraînerait une réduction fiscale substantielle pour les 80 %-90 % de la population les moins riches en patrimoine et faciliterait donc leur accession à la propriété. À l’inverse, l’alourdissement serait conséquent pour les plus hauts patrimoines. Pour les milliardaires, le taux de 90 % reviendrait à diviser immédiatement leur patrimoine par dix et à ramener la part des milliardaires dans le patrimoine total à un niveau inférieur à ce qu’elle était au cours de la période 1950-1980.

N.B : Il est essentiel que l’impôt progressif sur la propriété et sur l’héritage envisagé ici porte sur le patrimoine global, c’est-à-dire sur la valeur totale de l’ensemble des actifs immobiliers, professionnels et financiers (nets de dettes) détenus ou reçus par une personne donnée, sans exception. De la même façon, l’impôt progressif sur le revenu doit porter sur le revenu global, c’est à-dire sur l’ensemble des revenus du travail (salaires, pensions de retraite, revenus d’activité des non-salariés, etc.) et du capital (dividendes, intérêts, profits, loyers, etc ).

 

Conclusion : l’accumulation de biens est toujours le fruit d’un processus social, qui dépend notamment des infrastructures publiques (en particulier du système légal, fiscal et éducatif), de la division du travail social et des connaissances accumulées par l’humanité depuis des siècles. Dans ces conditions, il est parfaitement logique que les personnes ayant accumulé des détentions patrimoniales importantes en rendent une fraction chaque année à la communauté, et qu’ainsi la propriété devienne temporaire et non plus permanente.

 

 

L’impôt progressif sur le revenu (dans lequel ont également été incluses les cotisations sociales et la taxe progressive sur les émissions carbone), rapporterait autour de 45 % du revenu national. Il permettrait de financer toutes les autres dépenses publiques, en particulier le revenu de base annuel à hauteur de 5 % du revenu national et surtout l’État social (y compris les systèmes de santé et d’éducation, les régimes de retraites, etc.) à hauteur de 40 % du revenu national.

Par exemple, une version relativement ambitieuse du revenu de base, telle que celle indiquée sur le tableau, pourrait consister à mettre en place un revenu minimum équivalant à 60 % du revenu moyen après impôt pour les personnes sans autres ressources, et dont le montant versé déclinerait avec le revenu et concernerait environ 30 % de la population.

N.B : Les prélèvements sociaux s’apparentent de fait à une forme d’impôt sur le revenu, dans le sens où le montant prélevé dépend des revenus, parfois avec des taux variables suivant le niveau de salaire ou de revenu. La différence essentielle est que ces prélèvements sont généralement versés non pas dans le budget général de l’État, mais dans des caisses sociales dédiées par exemple au financement de l’assurance-maladie, du système de retraite, des allocations-chômage, etc. De tels systèmes de prélèvements dédiés et de caisses séparées devraient continuer à s’appliquer. Compte tenu du niveau global très élevé des prélèvements obligatoires, il est capital de tout faire pour favoriser une meilleure appropriation citoyenne des impôts et de leurs usages sociaux, ce qui peut passer par des caisses séparées pour différents types de dépenses, et plus généralement par la plus grande transparence possible sur l’origine et la destination des prélèvements.

 

N.B : Au sein des pays d’Europe occidentale, où les prélèvements obligatoires se sont stabilisés autour de 40 %-50 % du revenu national dans les années 1990-2020, on constate généralement que l’impôt sur le revenu (y compris l’impôt sur les bénéfices des sociétés) représente autour de 10 % - 15 % du revenu national, alors que les cotisations sociales (et autres prélèvements sociaux) peuvent atteindre environ 15 % - 20 % du revenu national et les taxes indirectes (TVA et autres taxes sur la consommation) autour de 10 % - 15 % du revenu national.

 

Les ordres de grandeur sont importants. Ils expriment l’idée que la société juste doit se fonder sur une logique d’accès universel à des biens fondamentaux, au premier rang desquels la santé, l’éducation, l’emploi, la relation salariale et le salaire différé pour les personnes âgées (sous forme de pension de retraite) et privées d’emploi (sous forme d’allocation-chômage). L’objectif doit être de transformer l’ensemble de la répartition des revenus et de la propriété, et par là même la répartition du pouvoir et des opportunités, et pas simplement le niveau du revenu minimum. L’ambition doit être celle d’une société fondée sur la juste rémunération du travail, autrement dit le salaire juste. Le revenu de base peut y contribuer, en améliorant le revenu des personnes trop faiblement rémunérées. Mais cela exige aussi et surtout de repenser un ensemble de dispositifs institutionnels complémentaires les uns des autres.

Idéalement, le retour de la progressivité fiscale et le développement de l’impôt progressif sur la propriété devraient se faire dans le cadre de la plus grande coopération Internationale possible. La meilleure solution serait la constitution d’un cadastre financier public permettant aux États et aux administrations fiscales d’échanger toutes les informations nécessaires sur les détenteurs ultimes des actifs financiers émis dans les différents pays.

Avec un tel système, la seule stratégie d’évitement possible pour les détenteurs de biens résidentiels ou professionnels basés en France serait de quitter le territoire et de vendre les actifs correspondants. Face à cela, des mesures de type exit tax pourraient être appliquées. En tout état de cause, il faut souligner que cette stratégie d’évitement impliquerait de vendre les biens (logements et entreprises), de sorte que les prix de ces derniers baisseraient et pourraient ainsi être achetés par tous ceux qui resteraient dans le pays.

 

3- La taxation progressive des émissions carbone

 

La condition absolue pour qu’une taxe carbone soit acceptée et joue pleinement son rôle est de consacrer la totalité de ses recettes à la compensation des ménages modestes et moyens les plus durement touchés par les hausses de taxes et au financement de la transition énergétique. La façon de faire la plus naturelle serait d’intégrer la taxe carbone - progressive - dans le système d’impôt progressif sur le revenu, comme cela a été fait sur le tableau.

 

4- Un système éducatif juste

 

  • De façon générale, l’émancipation par l’éducation et la diffusion du savoir doit être au coeur de tout projet de société juste et en particulier du socialisme participatif.

L’investissement éducatif public total dont auront bénéficié au cours de l’ensemble de leur scolarité (de la maternelle au supérieur) les élèves de la génération atteignant 20 ans en 2018 se monte en moyenne à environ 120 k€ (soit approximativement 15 années de scolarité pour un coût moyen de 8 k€ par an). Au sein de cette génération, les 10 % des élèves ayant bénéficié de l’investissement public le plus faible ont reçu environ 65-70 k€, alors que les 10 % ayant bénéficié de l’investissement public le plus important ont reçu entre 200 k€ et 300 k€. (les coûts moyens par filière et par année de scolarité s’échelonnent dans le système français en 2015-2018 entre 5-6 k€ dans la maternelle-primaire, 8-10 k€ dans le secondaire, 9-10 k€ à l’université et 15-16 k€ dans les classes préparatoires aux grandes écoles).

En ce qui concerne la répartition de l’investissement éducatif public observée dans un pays comme la France, une norme de justice relativement naturelle consisterait à faire en sorte que tous les enfants aient droit à la même dépense d’éducation, qui pourrait être utilisée dans le cadre de la formation initiale ou continue. Autrement dit, une personne quittant l’école à 16 ans ou 18 ans et qui n’aurait donc utilisé qu’une dépense éducative de 70.000 euros ou 100.000 euros lors de sa formation initiale, à l’image des 40 % d’une génération bénéficiant de la dépense la plus faible, pourrait ensuite utiliser dans le cours de sa vie un capital éducation d’une valeur de 100.000 ou 150.000 euros afin de se hisser au niveau des 10 % ayant bénéficié de l’investissement le plus important. Ce capital pourrait ainsi permettre de reprendre une formation à 25 ans ou 35 ans ou tout au long de la vie.

 

 

  • Un objectif raisonnable serait d’une part de faire en sorte que la rémunération moyenne des enseignants cesse d’être une fonction croissante du pourcentage d’élèves favorisés dans les collèges et les lycées, et, d’autre part d’accroître réellement et substantiellement les moyens investis dans les établissements primaires et secondaires les plus défavorisés, de façon à rendre plus égalitaire la répartition globale de l’investissement éducatif par génération.

Cette politique d’affectation prioritaire des moyens doit aussi être complétée par une prise en compte des origines sociales dans les procédures d’admission et d’affectation dans les lycées et dans l’enseignement supérieur. En France, les algorithmes utilisés pour les admissions aux lycées et dans l’enseignement supérieur restent dans une large mesure un secret d’État.

Enfin, il est indispensable que les établissements privés (qui bénéficient généralement de financements publics) fassent l’objet d’une régulation commune avec les établissements publics, à la fois pour ce qui concerne les moyens disponibles et les procédures d’admission, faute de quoi tous les efforts faits pour construire des normes de justice acceptables dans le secteur public seront immédiatement contournés par le passage dans le privé.

 

5- Vers une démocratie participative et égalitaire

 

Il est un autre aspect du régime politique auquel il est urgent de s’intéresser : celui du financement de la vie politique et de la démocratie électorale qui a montré ses limites et son incapacité actuelle à faire face à la montée des inégalités.

 

Des « bons pour l’égalité démocratique » :

 

L’idée serait de donner à chaque citoyen un bon annuel d’une même valeur, par exemple 5 euros par an, lui permettant de choisir le parti ou mouvement politique de son choix. Le choix se ferait en ligne, par exemple au moment où l’on valide sa déclaration de revenus et de patrimoine. Seuls les mouvements obtenant le soutien d’un pourcentage minimal de la population (qui pourrait être fixé à 1 %) seraient éligibles. S’agissant des personnes choisissant de ne pas indiquer de mouvement politique (ou de celles indiquant un mouvement recueillant un soutien trop faible), la valeur de leurs bons annuels serait allouée en proportion des choix réalisés par les autres citoyens. Le système de bons pour l’égalité démocratique s’accompagnerait par ailleurs d’une interdiction totale des dons politiques des entreprises et autres personnes morales.

 

Concrètement, le régime actuellement en vigueur en France revient à consacrer environ 2-3 euros par an et par citoyen au financement officiel des partis, et à ajouter à cela des réductions d’impôt allant jusqu’à 5 000 euros pour subventionner les préférences des plus riches. Les bons pour l’égalité démocratique permettraient de supprimer totalement les réductions d’impôt liées aux dons politiques et de réutiliser l’ensemble des sommes d’une façon égalitaire.

La logique des bons pour l’égalité démocratique pourrait également être appliquée pour d’autres questions que le financement de la vie politique. En particulier, un tel dispositif pourrait remplacer les systèmes existants de réductions d’impôt et de déductions fiscales pour les dons. Ce mécanisme offre également une piste pour repenser la question épineuse du financement des cultes.

Si les sommes en jeu représentaient une fraction importante des prélèvements obligatoires, alors il s’agirait d’une forme élaborée de démocratie directe, permettant aux citoyens de décider eux-mêmes d’une part substantielle des budgets publics.

Il s’agit là d’une des pistes les plus prometteuses conduisant à une réappropriation citoyenne d’un processus démocratique qui apparaît souvent peu réactif aux aspirations populaires.

 

6- Repenser le social-fédéralisme à l’échelle mondiale

 

  • L’une des contradictions les plus évidentes du système actuel est que la libre circulation des biens et des capitaux est organisée d’une façon telle (via la mise en place de structures offshore) qu’elle réduit considérablement les capacités des États à choisir leurs politiques fiscales et sociales.

Il faudrait donc pouvoir déléguer à une Assemblée transnationale (par exemple une Assemblée européenne) le soin de prendre des décisions communes concernant les biens publics globaux, comme le climat ou la recherche, la justice fiscale globale, avec notamment la possibilité de voter des impôts communs sur les plus hauts revenus et patrimoines, sur les plus grandes entreprises et sur les émissions carbone. Dans le cas européen proposé, il y aurait intérêt à développer une souveraineté parlementaire s’appuyant à titre principal sur les souverainetés parlementaires nationales, de façon à impliquer les députés nationaux dans le processus politique et à éviter qu’ils ne se réfugient dans une posture de protestation qui pourrait finir par mener à l’effondrement de l’ensemble.

 

  • Ce modèle de démocratie transnationale décrit à l’échelle de l’Europe pourrait également s’appliquer à une échelle plus large. Compte tenu des liens de proximité liés à des échanges humains et économiques plus importants, le plus logique serait que des ensembles régionaux se forment et collaborent entre eux, par exemple entre l’Union européenne et l’Union africaine.

 

  • On vient de décrire un scénario coopératif et idéal (voire idyllique) permettant de conduire à une vaste démocratie transnationale de façon concentrique, et menant à terme à la mise en place d’impôts communs et justes, à l’émergence d’un droit universel à l’éducation et à la dotation en capital, à la généralisation de la libre circulation, et de facto à une quasi-abolition des frontières.

Entre la voie de la coopération idéale menant au social-fédéralisme mondial et le chemin du repli nationaliste et identitaire généralisé, il existe naturellement un grand nombre de trajectoires et de bifurcations possibles. Pour avancer en direction d’une mondialisation plus juste, deux principes paraissent essentiels. Tout d’abord, s’il est clair qu’un grand nombre de règles et de traités organisant les échanges commerciaux et financiers doivent être profondément transformés, il est important de s’astreindre à proposer un nouveau cadre légal international avant de les dénoncer ( cf Brexit).

La course-poursuite vers la non-imposition des bénéfices des sociétés constitue sans nul doute le risque le plus lourd que court actuellement le système fiscal mondial. À terme, si l’on ne prend pas des mesures radicales de ce type pour l’arrêter, c’est la possibilité même de prélever un impôt progressif sur le revenu qui est en cause.

Jean-Pierre Grosse, Marrakech, le 26 mars 2021

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