10 propositions pour l'école/Simone Balazard
Dix propositions pour l'Ecole
1) Ecole fondamentale de 5 à 13 ans : maths et français le matin, activités sportives ou culturelles l'après-midi (facultatives). Déjeuner pris à l'école et préparé par les enfants à partir de 10 ans. A partir du même âge, apprentissage d'un métier manuel l'après-midi. Un certificat d'études est remis à chaque élève à la fin de sa scolarité, qui doit être normalement être réussie, la notion d'échec scolaire étant inacceptable. Une petite fête serait bienvenue pour saluer l'entrée des adolescents dans la vie responsable .
2) Avant cinq ans, jardin d'enfants centré sur le jeu + une initiation aux langues étrangères avec des personnes d'origine – étudiant-e-s par exemple, mais également adultes ou enfants.
3) Collège ouvert de 13 à 17ans : les cours sont remplacés par des stages de durée variables devant permettre à l'élève de connaître les principaux rouages de la société : administratif, politique, industriel, agricole, culturel, religieux, associatif, selon un parcours individualisé mené en accord avec un ou plusieurs tuteurs. Des périodes d'échanges sont souhaitables, entre jeunes du même groupe de base.
4) Université ouverte à tous à partir de 17 ans. Une année de mise à niveau est possible mais non obligatoire.
5) Fonction enseignante développée dans toutes les couches de la société : chacun doit pouvoir transmettre son savoir.
6) Et réciproquement, les enseignants spécialisés ne sont pas forcément attachés à un lieu mais peuvent fonctionner dans d'autres instances ( musées, bibliothèques, théâtres, cinémas, entreprises,associations...)
7) Chaque élève a un tuteur, une tutrice ou les deux, avec qui il évalue ses progrès, ses connaissances et réfléchit sur ses objectifs.
8) L'écrit est développé tout au long de la formation et notamment pendant la période « collège ouvert » où l'élève est encouragé à écrire non seulement des rapports de stage mais des articles pouvant être lus par d'autres et éventuellement conservés.
9) La prise de parole en public doit aussi être développée.
10) Cela n'empêche évidemment pas la recherche de la maitrise des divers moyens modernes de communication ( internet etc)
Ces dix propositions sont destinées à combattre les maux de l'école actuelle :
- La sélectivité et la concurrence des enfants qui n'a pas lieu d'être
- La relégation des plus faibles aboutissant parfois à la déscolarisation
- L'infantilisation des jeunes alors que la responsabilisation et la formation des citoyens est non seulement souhaitable mais tout à fait possible si tout le monde s'en occupe
- La violence qui n'est souvent que la contre-violence d'êtres qu'on force à une soumission absurde à un système auquel ils ne peuvent rien comprendre et qui convient à très peu de personnes
- La ridicule longueur, qui ne fait que s'allonger, des études primaires ( nous voulons dire par là avant l'activité sociale), alors que ce qui nous paraît souhaitable c'est la prise de conscience de l'importance du savoir et de la connaissance selon les désirs et les intérêts de chaque personne. Cet approfondissement des connaissances doit pouvoir se faire tout au long de la vie.
- L'ignorance de la réalité sociale et de la diversité des conditions et des personnes
En supprimant la concurrence entre élèves, l'obligation d'une scolarité fondée sur la passivité et l'irresponsabilité, l'éducation que nous souhaitons serait à même de développer la liberté, l'égalité et la fraternité, belle devise de notre république, dont la réalisation ne dépend que de nous.
Simone Balazard
Ex prof en IUFM ( philosophie)
écrivaine, éditrice ( Le Jardin d' Essai)
Et plus largement
Programme pour le président
Mettre en pratique la devise de la République :
liberté, égalité, fraternité
1) Allocation universelle permettant de vivre, à réévaluer régulièrement.
2) Service civil pour les jeunes des deux sexes
3) Le collège/lycée est remplacé par « connaissance des milieux sociaux et naturels » de 13 à 17 ans
4) Université ouverte à toute personne à partir de 17 ans et sans limite d'âge
5) Alternative à la prison
6) Développement de l'autonomie alimentaire ( jardins potagers), médicale ( connaissance du corps) mécanique( arts ménagers, bricolage, réparations)
7) Responsabilité partagée des enfants et des vieux même s'ils ne sont pas de la famille : parrainage etc
8) Développement des services de proximité dans les villages, immeubles, quartiers
9) Statut des politiques : provisoire, non cumulable et tournant
10) Parité homme/femme en tout domaine
Commentaire
Je reprends vite un point soulevé par Simone Balazard : l'ignorance entretenue des conditions sociales et des milieux
qu'elles forment, donc des personnes dans leur diversité.
Il faudrait développer l'idée d'une école actuelle qui cultive conjointement la connaissance et l'ignorance, qui cultive une connaissance pour l'ignorance et une ignorance pour la connaissance.
Notamment, qui garantit énormément l'étanchéité de ces milieux, leur incompréhension et souvent leur fantasmatisation réciproque. Comme le suggère Simone, il ne suffit pas d'enquêtes sur ces
milieux, il faudrait que chaque élève, et au-delà, y aille de sa personne et ait affaire à des personnes, il faudrait qu'il puisse faire l'expérience des choses en train de s'y faire et pas
seulement des choses faites. Il ne suffit pas du tout d'aller y suivre des stages utililaires de formation. Il les faudrait d'exploration, où les jeunes auraient à élaborer, non sans dicussion
critique, non sans droit à l'incertitude, leur idée de ces fonctions, de ces statuts, de ces modes de vie, de ces gens, et non se contenter d'en recevoir des images plus ou moins déformées. Cela
impliquerait un décloisonnement de tous les milieux, une lutte des ouvertures, suffisantes (sans être totales, il ne faut pas rêver) pour se substituer à la lutte des classements. Il y aurait là
tout une conception à renouveler du voyage, non seulement géographique, mais social, humain, au contraire de toute une sédentarisation quasi taxinomique à laquelle contribue fortement
l'école.
Plus largement, tout investissement privé (au-delà du fric) devrait avoir son envers civil, et réciproquement. Etc.
Gérard L.
Un autre point à questionner, c'est l'aspect programmatique du métier de professeur. Un programme concernant ce qui est prévu d'avance, cela, appliqué à la lettre, revient à fabriquer des
gens prévus d'avance à partir de quelqu'un de tout à fait prévisible, donc morne (pour rester poli). Le meilleur de l'enseignement s'apparente plutôt au jazz : il y a plus ou moins un thème, plus
ou moins une grille d'accords, mais toujours une part d'improvisation partagée, pour éprouver et apprendre par cette épreuve qu'il s'agit de rapports vivants en devenir (ce que cela peut bien
être) et non d'un enregistrement ou tout comme. La seule chance et une leçon d'un professeur, c'est d'être plus leste, plus jeune d'esprit que la plupart de ses élèves, et cela non pas pour faire
le malin mais à leur service. Il ne s'agit pas seulement de les recadrer, mais aussi de réussir à décadrer significativement leurs décadrages, de manière à les relancer ; de faire travailler leur
souplesse d'esprit à grand angle et pas seulement d'affermir des principes. Un jeu qui cherche ses règles est plus riche que des règles qui compriment leur jeu.
G.L.
Oui à l’enseignement de la morale laïque/Yvon Quiniou
Oui à l’enseignement de la morale laïque !
Moi qui suis plutôt dubitatif sur la dynamique progressiste de notre gouvernement socialiste, j’approuve pleinement la décision de V. Peillon d’enseigner la morale laïque à l’Ecole, telle qu’il la présente. Car il s’agit bien d’enseigner non une morale ou des morales , mais la morale laïque, à savoir un corps de valeurs universelles indépendantes de toutes confession religieuse comme de toute option métaphysique particulière : nous savons bien, depuis Kant, que si l’on devait fonder la morale sur la religion, on tomberait dans le relativisme et les athées en seraient dispensés ! Il suffit donc de la garantir par la raison humaine telle qu’elle s’est constituée dans l’évolution naturelle (voir Darwin), puis dans l’histoire avec la Déclaration des droits de l’homme de 1789 dont la matrice normative est la liberté et l’égalité de tous : qui donc pourrait désormais se soustraire à ce principe ?
Cette morale n’a pas à intervenir dans le domaine des choix de vie individuels et dans les valeurs qu’ils impliquent – ce que j’appelle avec d’autres, comme Habermas ou Conche, le domaine de l’éthique – et c’est même un de ses axiomes que d’interdire de s’en mêler. C’est pourquoi elle n’a rien à voir avec ce qu’une droite bornée, malhonnête et revancharde, croit pouvoir appeler un ordre moral (à la Pétain de surcroît !) ou un moralisme qui s’immiscerait dans nos préférences existentielles. Elle ne légifèrera que sur nos rapports avec autrui, ce qui constitue sa spécificité puisqu’un homme seul, tel Robinson sur son île, n’a pas besoin de morale. Car ces rapports ne sauraient être abandonnés au seul caprice individuel et à l’égoïsme qui le sous-tend la plupart du temps, comme le libéralisme nous en offre le triste spectacle. Et ni la société telle qu’elle est précisément, ni les familles telles qu’elles ne sont plus ou telles qu’elles ne sont pas du fait des inégalités socio-culturelles ou des identités religieuses, souvent rétrogrades, qui les marquent, ne sauraient y suffire : c’est bien à l’école de la République, que tous fréquentent, de prendre le relais de ces instances en crise ou défaillantes.
Quel doit être alors son rôle ? D’abord de rappeler, contrairement à une mode cette fois-ci libertaire qui rejoint sans le savoir le libéralisme économique, que nous n’avons pas seulement des droits qui nous concernent, mais aussi des devoirs à l’égard des autres. En ce sens, il s’agira de susciter ou de ressusciter, par divers moyens dont avant tout la réflexion à la fois instruite et personnelle, le sentiment de l’obligation de plus en plus absent d’une société où l’individu narcissique est roi. Il faudra donc enseigner en premier lieu les règles du vivre-ensemble qui imposent le respect intellectuel de chacun, de ses croyances ou de son incroyance pour autant qu’elles s’accordent avec la liberté de tous, mais aussi le respect pratique d’autrui dans l’existence quotidienne – et cela commence, eh oui ! par la politesse dont on a pu dire que, si elle n’est pas tout, elle n’est pas rien et peut être le commencement du reste.
Mais il conviendra d’aller bien au-delà, et c’est sur ce point que le projet de V. Peillon me semble nouveau et fort, quitte à ce que j’extrapole un peu à la lumière de mes idées. La morale ne saurait être enfermée dans la bulle des rapports inter-subjectifs comme l’a voulu un certain « retour de la morale » bien désuet ; son champ d’application authentique ce sont les rapports sociaux, donc notre existence proprement collective. De ce point de vue, c’est dans ce domaine qu’il faut effectivement rappeler d’une manière intransigeante (mais sans dogmatisme aveugle) qu’il nous faut œuvrer partout pour la liberté et l’égalité : refus du moindre racisme, même verbal, respect des différences sexuelles, combat impératif contre les discriminations dans les rapports hommes-femmes, dans le travail, etc. Tout un chantier est ici ouvert, qui peut s’appuyer sur l’histoire, le droit mais aussi sur les grandes œuvres philosophiques qui sont traversées par cette exigence et l’ont théorisée ou précisée : Kant, Rousseau, Marx, Jaurés, les penseurs de la paix, etc.
Doit-on faire plus et indiquer par exemple que la morale nous conduit à des choix politiques visant à combattre la domination politique, l’oppression sociale et l’exploitation économique ? Je suis convaincu de ce dernier point, mais on n’aura pas à l’enseigner au sens propre sous peine d’endoctrinement, même si on peut le suggérer et rappeler que ceux qui veulent séparer la morale et la politique « n’entendront rien ni à l’une ni à l’autre » comme l’a dit l’auteur de l’Emile : c’est à chacun, avec son libre arbitre personnel, d’effectuer ou pas la transposition politique des valeurs morales. Car c’est d’abord cela la laïcité : la formation de l’esprit critique et de la liberté du jugement, ce qui implique que l’enseignement ne se substitue pas à ceux-ci et laisse les élèves choisir ultimement, mais en raison et non sur la base de l’ignorance ou de préjugés. De ce point de vue, c’est aussi une préparation vivante à la démocratie.
Yvon Quiniou, philosophe.
Auteur en particulier de
L’ambition morale de la politique. Changer l’homme ?
(L’Harmattan, 2010).