Galino de Sabine Tamisier/Atelier d'écriture
Sabine Tamisier
Galino
Éditions Théâtrales, avril 2013
64 pages, 14 €
Le contexte : l'auteur a perdu son père qui ne peut plus parler, atteint d'un cancer qui le mine depuis deux ans ; elle tente de le faire parler au moment où. Le monologue de Galino est une tentative particulièrement émouvante d'amour, d'empathie de la part de l'auteur qui se met à la place de son père, muet.
Galino est un monologue à plusieurs voix dans lequel Galino, 74 ans, se restitue moments présents (19 et 20 août 2009) et souvenirs dans le massif du Mont Blanc (février à août 1967), alors qu'il va rendre le dernier souffle, lui l'ancien tuberculeux, sauvé là-haut, 42 ans plus tôt, et rattrapé par un cancer du poumon depuis déjà 2 ans. Ce monologue est vidé de la présence, de la menace de la mort. Comme si une stratégie d'évitement était mise en place: il ne faut pas l'affronter, la voir en face, il faut se remplir d'autre chose, de choses et gens agréables. Galino est plein de ceux qu'il aime, qui l'aiment, maintenant, hier, la famille, plein de moments d'amitié, plein de paysages sublimes. Ses allers-retours entre sa chambre aujourd'hui, chez lui et sa chambre de sanatorium, hier, sans doute le calment. Il n'a qu'une attente, une seule chose doit advenir avant qu'il passe : que sa fille arrive pour qu'il parte tranquille; et il part tranquille en quelques lignes tranquilles; c'est simple finalement de partir tranquille, du moment que l'amour réciproque a pu se manifester. Le coeur plein d'amour, on n'a pas l'angoisse du néant, de l'absurde de la mort, de l'injustice de la mort, de son arbitraire.
L'auteur donne à la scène 13, scène finale, ce titre : Villelaure. Jeudi 20 août 2009. Au moment où.
Pas de point de suspension. Un point, le point final, le dernier souffle avec une consigne de Galino pour ceux qui restent, ne me rejoignez pas trop vite, apportez-moi des fleurs. C'est simple. La mort n'est rien qu'un passage, un bref moment, elle est annulée, elle n'existe pas, elle n'est source de questionnement ni pour le mourant ni pour les aimants. C'est l'innommée, l'innommable, l'étrangère. De la part de l'auteur, c'est peut-être pudeur, respect du mort, le père, peur de l'évoquer, elle l'insaisissable qui nous saisit, crainte de toucher à un moment "sacré", sacré parce que mystérieux : on sait d'où on vient, la vie, on sait qu'en un instant, on passe, on est mort mais où passe-t-on ? Religions et métaphysiques se font la guerre à nous proposer des réponses qui nous dispensent de penser par nous-mêmes.
Galino est un homme simple, il n'aime pas trop lire, quelques BD ou un livre sur l'exploit de Jacques Balmat, le 8 août 1786, avec le docteur Michel Paccard, la première ascension du Mont Blanc. Galino vise un passage tranquille et pour cela il a mis en place une stratégie impensée, instinctive : se remplir d'amour. Il n'y a pas de place pour le passage lui-même ni pour l'après-vie. Après sa chambre, c'est simple, c'est le cimetière: "je m'en vais vers mon Mont Blanc à moi, là, à flanc de colline, au-dessus du château". Galino a une mort simple comme sa vie. Et c'est une belle façon de mourir, plein d'amour, sans s'inquiéter sur le moment où, sur après. Galino n'a pas voulu méditer, penser sa mort.
Montaigne par exemple écrit un essai célèbre "Que philosopher c'est apprendre à mourir". Ce titre est à entendre comme philosopher = vivre vraiment = apprendre à mourir, vivre vraiment = vivre dans la vérité (on est mortel, on ne peut pas échapper à la mort dont on ne connaît pas le sens et qui ne peut donner par suite son sens à la vie; la vie, grâce à la mort, a une valeur et c'est nous qui lui donnons librement sa valeur) et pas dans l'illusion, se croire immortel, croire à une vie éternelle avec la résurrection ou la réincarnation; vivre dans la vérité supposant que le passage qui dure un instant soit pensé.
Galino me laisse donc sur ma faim, ma soif de pensée. Je reçois l'émotion véhiculée par une écriture maîtrisée. J'aimerais passer tranquille, en douceur, sans douleur. Mais je ne me refuse pas à la pensée de la mort. Me manque après la lecture la pensée de l'insaisissable instant, le passage du souffle au non-souffle.
Je suis tellement dans ce questionnement qui est préparation à la mort pour vivre vraiment, mais elle me surprendra bien sûr, que j'ai lu Galino avec mes questions et réponses, avec ma culture, mes essais d'écriture, de pensée.
Je suis content d'avoir rencontré ce texte qui m'a permis une lecture agréable, documentée, émouvante ... Elle m'incite à insister sur ce moment, le passage de la vie à quoi ?, par le moment, l'instant de la mort.
L'atelier d'écriture
J'ai beaucoup aimé l'atelier d'écriture théâtrale animée par Sabine Tamisier, le samedi 10 mai à Saint-Maximin-La Sainte Baume. Nous étions 11. Voici les consignes données étape après étape avec à chaque fois, lecture et retours
1 - prendre 3 livres dans les 40 amenées par l'animatrice. Je choisis: La mastication des morts de Patrick Kermann, Le voyage de Penazar de François Cervantes, The Ballad of Lucy Jordan, Autour de ma pierre il ne fera pas nuit de Fabrice Melquiot. Mes choix sont motivés.
2 - choisir au hasard 10 mots dans les 3 livres; je choisis : mastication, mort, vieux, os, pierre, nuit, balade, voyage, Lucy, Penazar, mots quasiment pris dans les titres
3 - choisir 10 expressions dans les 3 livres; je choisis : moi, j'étais fidèle pour toujours/vous donnez du goût à mon existence/quand on est fantôme, le plus dur c'est le début/les morts, ça vit dans le luxe/le cimetière en début de cette nuit-là/entre les tombes, un cortège/la mort est-elle fin de tout ?/qu'advient-il de notre pensée ?/la mort ouvre-t-elle sur le néant ?/la vie commence-t-elle après la mort ? J'ai déjà décidé que la mort serait mon thème, tout m'y mène.
4 - choisir un court extrait à lire; je choisis le passage avec les questions métaphysiques posées dans La mastication des morts.
5 - synopsis; il faut 3 personnages pour un texte de 10 minutes
6 - monologue d'un des personnages
7 - monologue d'un 2° personnage
8 - dialogue entre les 3 personnages
9 - scène finale
Mon synopsis : Lucy est en fin de vie. Elle a du mal à respirer. Cancer des poumons, elle est sous assistance respiratoire. Elle a 31 ans ; Elle sait que c'est une question de jours, d'heures. Penazar aime Lucy, sa Lucy qui porte le nom de l'ancêtre des humains et qui va mourir jeune. Comment l'aider, l'accompagner, faire le voyage vers la mort avec elle ? Penazar accomplit deux actes : bouche à bouche, inspirer, aspirer ce qui tue à petit feu Lucy, expirer, insuffler son amour, son souffle purifié, balade dans la Rift Valley où on mastiquait les morts – cannibalisme – pour qu'ils ne pourrissent pas. Ils ne redevenaient pas pierres, poussières mais nourriture vivifiante. Le chef de service, prévenu, a une sévère explication avec Penazar. Lucy passe sans un ultime réconfort de Penazar.
À bout de souffle
Premier monologue
Lucy, haletant bruyamment – Penazar Penazar, pourquoi t'es pas là ? Je m'étouffe. Quand j'ai besoin de toi. Je m'étouffe. Penazar Penazar. Viens, fais-moi oublier mon souffle. Tes mains, tes mains là là. Penazar Penazar ton regard sur moi, tes caresses là là. Penazar ta bouche là là. Penazar Penazar.
Deuxième monologue
Penazar – Lucy, ma Lucy, qu'est-ce qui t'arrive, qu'est-ce qui nous arrive ? Je suis paumé. Je ne veux pas que tu t'en ailles. L'autre dit que tu es condamnée, question de jours. Je veux continuer à donner du goût à ton existence. Les morts, ça vit dans le luxe. Se fatiguent pas à respirer. Nous les vivants c'est toujours à bout de souffle, toujours à reprendre le souffle jusqu'au dernier soupir mais pas à 31 ans ma Lucy. La mort est-elle fin de tout ? La mort ouvre-t-elle sur le néant ? C'est pas le moment de ces questions ? T'es là, encore là, toujours là, avec ta respiration haletante. Je vais t'aider à respirer. J'arrive Lucy. (Il expire bruyamment)
Scène 1
Penazar – Lucy, ma Lucy
Lucy – vite ta bouche bouche à bouche amour
Penazar – oui oui voilà mais pas goulue ma Lucy
quand j'inspire, tousse, crache tout ce que tu peux
moi, j'essaie de purifier mon souffle pour expirer de l'amour,
mon amour,
tout l'amour possible
pas mes peurs
allez j'inspire
crache
allez j'expire
prends
la musique des mots c'est avec de l'expir
la musqiue des baisers avec de l'inspir
la musique de la vie c'est inspir expir
il n'y a pas de musique de la mort,
c'est silence
allez j'inspire
crache
allez j'expire
prends
Scène 2
Le médecin – Monsieur Penazar, ce n'est pas possible. On ne fait pas de bouche à bouche dans un hôpital. On a tous les stimulateurs nécessaires
Penazar – Vous n'avez pas à me dicter ma conduite dans les circonstances actuelles. J'accompagne Lucy pour qu'elle respire mieux, qu'elle souffle enfin, qu'elle reprenne souffle, qu'elle retrouve son souffle
Le médecin – Le masque à oxygène est plus conseillé que votre souffle nécessairement vicié
Penazar – et l'amour que je lui souffle, il est dans votre oxygène ?
Le médecin – on va la mettre sous respiration artificielle
Penazar – Je vous signe une décharge. Je la ramène à la maison
Le médecin – Pendant que nous... madame Lucy...
Penazar – Vous m'avez privé de son dernier souffle, de notre dernier bouche à bouche. Veuillez me laisser seul avec elle. J'ai à lui parler, à l'embrasser, à la caresser
L'Hôpital – La vie n'a pas de prix. Sauver ou pas une vie a un coût. La dette de madame Lucy s'élève à 32989 € et 99 centimes d'€, remboursable par la sécurité sociale
Jean-Claude Grosse, 14 mai 2014