Lettre ouverte à Laurence Parisot, présidente du Medef
Lettre ouverte à Laurence Parisot, présidente du Medef,
Madame,
Vous avez déclaré le 30 août 2005, déclaration reprise par Le Figaro, il y a quelques semaines:
« La vie, la santé, l’amour sont précaires.
Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
Je n’ai nullement l’intention de m’adresser à vous mais à tous ceux qui ont pu lire ou entendre cette déclaration, expression de la plus grande confusion et indigence intellectuelles.
Pour eux et non pour vous, je vais tenter de distinguer ce que vous vous ingéniez à mettre sur le même plan. L’inconsistance « philosophique » de votre proposition n’en apparaîtra que mieux. Et montrera le contenu exclusivement idéologique de votre propos, au service de la politique d’austérité et de régression sociale réclamée par le Medef aux hommes politiques de ce pays de droite comme de gauche.
La vie est-elle précaire ?
Je dirai d’abord que toute vie est vouée à la mort, certaine quant à la fin, incertaine quant aux modalités, ( personne ne connaît le moment, les circonstances, les causes de sa mort et même si nos grands assureurs tous risques font toutes les études statistiques possibles pour mettre en équation les sujets à risques qui paieront plus cher que les sujets normaux, la mort de chacun quoique certaine, reste notre plus insaisissable et angoissante inconnue).
Je dirai ensuite que toute vie est une chance, un don, que toute vie est fragile et exige, mérite attentions, précautions, que généralement le collectif (y compris chez les animaux) se met au service de la vie toujours singulière, unique, pour lui permettre de s’épanouir, de grandir, de s’autonomiser. Même l’enfant sauvage de l’Aveyron a trouvé dans une espèce animale de louve ce qu’il n’aurait pas trouvé avec une espèce humaine comme vous qui auriez réagi ainsi : tu es un enfant abandonné, je t’abandonne donc à ton destin ; la vie est précaire : apprends-le à tes dépens ; je ne suis pas là pour te venir en aide, venir à ton secours, t’apprendre à lire pour te socialiser. Non, je te montre dans un cirque, je fais de l’argent avec toi, elephant man.
Évidemment, imaginer qu’une société puisse permettre à chacun de développer le meilleur de lui-même, son potentiel créateur en particulier, chacun pouvant donner ainsi à sa vie la plus grande valeur, n’est pas l’objectif du Medef qui préfère nous installer dans l’insécurité, le nihilisme, le cynisme.
Honte sur vous pour oser développer une telle « philosophie naturelle » : l’homme est un loup pour l’homme et le darwinisme social est la « loi naturelle » du fonctionnement social. Réjouissez-vous, d’autres, plus « performants », produisent d’autres « philosophies naturelles », créationnistes par exemple. Vous en viendrez là bientôt, suivistes des américains et des anglo-saxons. Les religions et les neuro-sciences comme outils de contrôle social des corps et des esprits ? Mais déjà plus de 156.000 personnes ont signé la pétition : pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans !
La santé est-elle précaire ?
Je dirai d’abord que la santé est une conquête collective supposant des recherches, des gens compétents, des chercheurs, des moyens.
Et ensuite qu’elle relève de la responsabilité de chacun même si je n’ai aucune garantie qu’une saine hygiène de vie me garantira à 100% la santé, car de nombreuses conditions interviennent favorisant ou défavorisant le potentiel de santé de chacun. Il y a bien inégalité des chances quant à la possibilité pour chacun d’être et de rester en bonne santé (conditions de logement, environnement, conditions de travail, épidémies, pandémies, patrimoine génétique). S’il y a un grand héros de l’humanité, pour moi, c’est bien Pasteur. Lui, a travaillé pour tous, sans distinction de classe, de race, de sexe, de religion, d’idéologie. Vous lui devez peut-être d’être née parce qu’on avait appris à se laver les mains. Même s’il avait su que vous tiendriez un tel propos, il aurait rendu publics, les résultats de ses recherches et n’aurait jamais dit que la santé est précaire. Il a tout fait pour que le vœu que chacun formule en début de chaque année : la santé d’abord, devienne réalité. Ne le formulez-vous donc pas pour vous-même et vos proches ?
L’amour est-il précaire ?
L’amour, le vrai, est la plus belle chose qui puisse nous arriver et je regrette pour vous, mais l’amour, le vrai, résiste à toutes les vicissitudes. Il faut vouloir bestialiser les humains pour leur dire que l’amour est précaire. Honte à vous de développer une telle « philosophie » : « moi, présidente du Medef, je vous dis que l’amour ne dure pas, ne peut pas durer parce que les rapports homme-femme ne sont que des rapports de force. C’est à qui baisera l’autre à tous les sens du verbe. On retrouve en amour, dans un couple, la « loi naturelle » : l’homme est un loup pour la femme et vice-versa. J’en sais quelque chose, comme femme, comme mère, comme présidente. »
L’amour est la plus belle chose qui puisse nous arriver mais il lui faut pour durer, des conditions nécessaires comme des conditions de vie et de travail décentes dont un travail stable correctement rémunéré, même si ces conditions ne sont pas suffisantes : il faut aussi, en effet, être éduqué au respect, à l’écoute, au dialogue, à la résistance au manque, au désir de fusion, aux tentations, être éduqué à tout ce qui fait que d’une personne, on dit : c’est une belle personne. Mais votre société de services et de divertissements ne peut pas aimer l’amour. C’est une société de la séduction, forme soft mais terrible de la force. Dommage qu’une majorité de gens croient que c’est le chemin vers l’amour. Vous avez réussi à les polluer mentalement.
Pour en finir, de quelle loi parlez-vous?
présidente du capital français, si peu convaincant et si peu conquérant sur le plan mondial?
À preuve, par petitesse, votre consoeur, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, N° 1 mondial du nucléaire civil, a perdu l’appel d’offres lancé par la Chine pour la fourniture de ses 4 premiers réacteurs nucléaires de 3° génération, au profit de Westinghouse, racheté par Toshiba.
Vous présentez l’idéologie et la pratique capitalistes comme étant une « loi naturelle ».
Je ne vous ferai pas l’affront de vous renvoyer à vos livres d’histoire du temps de votre lycée:
il n’y a pas toujours eu travail d’abord ;
il y a eu différents régimes de travail ensuite ;
le travail salarié exploité par le capital est la forme du travail depuis deux siècles au maximum ;
grâce à leurs luttes, les travailleurs ont obtenu des acquis que vous voulez supprimer parce que le capital d’aujourd’hui est devenu pour l’essentiel, spéculatif, parasitaire, engendrant une société de services et de divertissements, incapable d’investir dans la recherche, l’éducation, la santé, le logement, dans des projets d’infrastructures, des grands travaux vers l’Eurasie, vers l’Afrique, permettant d’offrir des conditions de vie décentes à tous, permettant l’égalité des chances pour tous, une société préférant entretenir la guerre de tous contre tous, de chacun contre chacun.
Mais je vous le dis, Madame, les pauvres, les exclus ne se laisseront pas affamer, bafouer. Ni ceux que vous voulez jeter dans la précarité de la vie, de la santé, de l’amour et du travail. Ils ont souvent relevé la tête : ça a commencé en 1789, il y eut des têtes au piquet.
Ne poussez pas le bouchon trop loin car vous êtes minoritaires malgré tous vos moyens, y compris l’appareil répressif de l’État et malgré votre « philosophie naturelle » pour nous faire accepter avec joie d’être des précaires de la vie, de la santé, de l’amour et du travail.
Ce serait si simple pourtant de préférer et de vouloir des conditions moyennes pour tous par une politique de développement mutuel, que des inégalités et des injustices à l’intérieur de chaque pays et entre les pays et les continents, sources et germes d’affrontements, de malheurs, de souffrances et de guerres.
Marx aurait-il raison qui disait que le capital naît de sang et de boue des pieds à la tête et qu’il porte en lui la guerre comme les nuées portent l’orage ?
Je ne puis vous rassurer, madame : la Chine et l’Inde sauront vous mettre, chers (en coût social) capitalistes français, peu performants malgré vos énormes bénéfices, en situation de précarité, sous peu.
Nous, on saura déjà (certains, de plus en plus nombreux, le savent depuis belle lurette) ce qu’est la précarité de la vie, de la santé, de l’amour et du travail.
Sauf à combattre votre politique sans relâche, à refuser votre monde et à en construire un qui fasse confiance aux hommes et aux femmes, à leur puissance créatrice, à leur capacité d’amour et de beauté.
Ce qu’ont magnifiquement prouvé les Français, ce 28 mars 2006, avec des Espagnols venus exprès d’Espagne, au milieu d’eux. Ce qu’ont prouvé aussi les Anglais, mobilisés contre le projet blairiste de « réforme » des retraites. Ce qu’ont prouvé aussi les étudiants hispaniques américains, mobilisés pour la légalisation de l’égalité des chances à l’université, le même jour que nous.
Ce n’est qu’un début c’est-à-dire la suite.
Jean-Claude Grosse, ce 28 mars 2006
Ya Basta!
réponse de Jolie Môme à Laurence Parisot
Paru, le 13 avril 2006,
aux Cahiers de l'Égaré
DISCOURS D'INVESTITURE
DE LA PRÉSIDENTE
DES ÉTATS-UNIS
de Roger Lombardot
réponse cinglante, non préméditée,
à une présidente précaire.
Création de la pièce,
du 20 au 23 avril 2006,
au Théâtre de Vals-les-Bains (Ardèche)
Le Discours a été offert à
Ségolène Royal
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