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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Pour une refondation de l'école

Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #J.C.G.

Préambule

 
Il y a paraît-il des rumeurs concernant une refondation de l'école. Il serait temps. En 2004, j'éditais Pour une école du gai savoir, un livre qui débloque. Il a été communiqué en 2007 à tout un tas de ministres, ex-ministres, ministres putatifs ... Aucun usage n'en a été fait. Il en sera de même cette fois pour cette refondation de l'école voulue par l'actuel Président de la République et le Ministre de l'Éducation nationale. Je vais leur faire parvenir l'ouvrage, ainsi qu'à leurs conseillers, sans illusion. Propositions trop osées. Et qui bloque ? D'abord les usagers comme on dit de l'école, élèves, parents, enseignants. Les mentalités sont bloquées sur des pratiques et des comportements. Par suite, en haut, il est difficile d'agir. Une refondation décrétée d'en haut sans un large consensus est impossible. Il faut donc une enième consultation comme l'avait faite Philippe Meirieu mais trop orientée à mon avis. Des États-Généraux de l'école, des Cahiers de doléance, pourquoi pas. Ça peut partir d'en bas ou du milieu. Pour irriguer le haut. En 2007, avec sa démocratie participative, Ségolène Royal avait obtenu nombre de synthèses sur l'école. Regardez où on en est aujourd'hui après Sarkozy et avec Hollande.
 

 

JCG


Pour une école du gai savoir,
édité par Les Cahiers de l'Égaré en 2004
(propositions pour les Présidentielles 2007, 2012 et Aujourd'hui)


En finir avec l’encyclopédisme
qui fait de chacun un nul
par rapport à ce qu’il y a à savoir

Si l’on est convaincu que la plupart des savoirs transmis sont disqualifiés parce que non vérifiables, non prouvables, ce qui fait de l’école, une église où l’on croit sur parole le maître, alors on peut tailler dans les programmes sans mauvaise conscience.
Si l’on est convaincu que ce n’est pas par l’encyclopédisme – illusion d’universalisme – que l’on formera un citoyen, « un honnête homme qui, quelle que soit sa place dans la société, peut y agir dans l’intelligence de ce qu’il fait, se situer dans l’histoire des hommes et mesurer les enjeux des positions qu’il prend » (consultation nationale de 1998), mais par une pédagogie du projet, alors on peut tailler dans les programmes sans mauvaise conscience.
Une sensibilisation réussie vaut mieux qu’un apprentissage laborieux, ennuyeux où le par cœur, la pompe, le pifomètre, le collage, le copiage et le copillage, se substituent à la compréhension et à l’intelligence.
Avec les moyens dont nous disposons aujourd’hui, internet, télévision, radio, il est possible de mettre en relation les meilleurs spécialistes – vulgarisateurs pédagogues – d’un domaine et des millions d’élèves. La médiation des enseignants « spécialistes », des manuels individuels, n’est pas nécessaire. Et qu’on ne nous présente pas les savoirs transmis comme des fondamentaux. Ce sont le plus souvent des savoirs obsolètes et mal transmis puisque mal reçus, mal compris, mal utilisés, comme le montrent avec insistance, copies du baccalauréat, mémoires d’étudiants, copies d’agrégation.
On a développé la télévision scolaire. La radio scolaire nous semble négligée. L’éducation rabelaisienne était fondée sur l’oralité. L’enseignement est oral même si les élèves prennent des notes. Et même, s’il faut revaloriser l’écrit. L’enseignement est oral : le maître parle, affirme, argumente, démontre, répète ; l’élève questionne, répète ; maître et élève dialoguent. Comparez ce qui se passe au théâtre quand un grand texte est bien joué : la communion scène-salle, à ce qui se passe au cinéma où on mange du pop-corn, ou devant la télé où on zappe.
Un texte bien lu est mieux compris qu’un texte bien expliqué. Un texte bien lu implique le corps, le cœur, l’esprit, synthèse ou harmonie sans théorie mais supposant une pratique constante. De beaux textes et toutes sortes de textes bien dits à la radio vaudraient plus pour des millions de jeunes que les fastidieuses explications de textes mobilisant des milliers d’enseignants qualifiés. Que des acteurs initient élèves des écoles et des collèges, jeunes des lycées à la lecture à voix haute : lecture expressive, lecture blanche… !
Car si on se pose la question de l’utilité, question posée par les élèves et les parents, mais occultée par les maîtres du jeu, ou récusée au nom de la gratuité des disciplines, que peut-on répondre ? La plupart des savoirs dispensés ne servent à rien dans la vie quotidienne. Pas tellement plus dans la vie professionnelle. Et bien sûr, ils ne servent ni à la formation de l’être ni au développement des facultés : jugement, esprit critique, sens de l’argumentation, sens du dialogue… Il suffit là encore de consulter les copies ou d’assister à des épreuves orales.
Considérons donc les disciplines enseignées comme des spécialités et non comme des disciplines générales. Elles sont alors l’affaire de spécialistes et non de tous. L’encyclopédisme, c’est de la mauvaise démocratisation de contenus, ruineuse en personnels et en manuels, et qui n’a qu’une fonction : infantiliser, donner à chacun le sentiment qu’il est un nul par rapport à ce qu’il y aurait à savoir.
La pédagogie du projet que nous préconisons est une méthode permettant d’en finir avec l’encyclopédisme, avec le baccalauréat, avec les manuels, avec les faux-semblants et de réconcilier les jeunes avec le lycée devenu enfin démocratique : lieu de la liberté permettant de faire et de réaliser, de commencer à se réaliser.
Et ceux qui, pendant les trois années de projets, se découvriront une vocation d’historien, de géographe, de mathématicien,… ils auront deux années de mise à niveau dans le supérieur. Nul doute que motivés, leur mise à niveau sera performante.
Nous ne souhaitons pas de l’élitaire pour tous ni de l’élitisme pour quelques-uns. Nous souhaitons que le temps du lycée soit le temps de la plus grande individualisation pour que chacun trouve sa voie d’exigence, sa voix d’excellence.

Pour des petits guides : les fondamentaux

Apprendre à chercher, apprendre à situer, à se situer c’est apprendre à aller à l’essentiel d’abord puis à s’immerger dans une époque, un milieu, une œuvre, une théorie, une découverte, une invention, une technique…
Pour transmettre l’essentiel, des petits guides : Les fondamentaux sont nécessaires et suffisants.
On peut prendre pour modèle Les petits guides des éditions AEDIS : L’univers, La Terre, La France, L’évolution des espèces, Les climats, Le paléolithique, Le néolithique… Le corps, Le cerveau… Le moteur à explosion, Le pétrole, L’énergie électrique…
En un petit guide, par pays, on aura sous forme de tableaux avec dates, événements, hommes célèbres, l’histoire des vingt-cinq pays européens, engendrant des livres-gigognes…
Avec ces guides synthétiques, faciles à réactualiser, on va à l’essentiel. Celui qui a un tel petit guide entre les mains (et ils devraient être distribués gratuitement à toutes les familles), le feuillette, accroche ou pas. S’il accroche, il n’hésitera pas à y revenir puis ira vers un livre-gigogne ou consultera un site internet ou écoutera une émission radio…
Ces petits guides : Les fondamentaux sont destinés à l’école primaire et au collège, lieux du savoir commun. Bien sûr, ils ne se suffisent pas à eux-mêmes. Ils sont faits pour susciter des questions, des étonnements, des recherches, des approfondissements, des exercices, des pratiques…
J’imagine aussi des guides de sagesse, à base d’aphorismes, de petits contes… Ils peuvent être plus utiles que toute une panoplie de thérapies ou une pharmacopée de tranquillisants.
Si quelques-uns de ces petits guides n’existent pas, tu te les fabriques toi-même. Savoir chercher pour savoir se situer, savoir faire, savoir être.

Pour une utilisation à grande échelle
des médias

À côté des trente guides, Les fondamentaux, distribués gratuitement à toutes les familles : la bibliothèque de base ou la bibliothèque du savoir commun (il faut aussi un dictionnaire au moins par famille), l’école, du primaire au lycée, fera le plus grand usage des médias qui permettent des regroupements très variés.
Une vidéo-conférence sur grand écran peut être montrée à deux cents-trois cents jeunes en même temps dans un amphithéâtre ou un auditorium. Idem pour un film de cinéma, une émission de télévision scolaire.
Une émission de radio scolaire : théâtre radiophonique, roman-poésie lus à voix haute, questions sur l’actualité, le téléphone sonne… rassemblera plutôt une dizaine de jeunes.
L’ordinateur sera à usage individuel ou duel. Les CD, DVD scolaires seront à usage collectif ou individuel.
Il s’agit, avec tous ces médias, faisant appel aux meilleurs spécialistes-vulgarisateurs, aux meilleurs journalistes, aux meilleurs artistes…, de mettre les jeunes en relation quasi-directe avec l’excellence, avec l’excellence vivante (il est important que les jeunes puissent poser des questions en direct), avec l’excellence modeste, interrogative… Les excellents n’étant pas nombreux, ils produiront à l’usage de tous, les un-deux-trois objets (film, interview, expérience…) largement diffusés ensuite.
Même en philosophie, on n’hésitera pas à utiliser de tels médias en mettant en jeu de grands philosophes vivants, des artistes pour interpréter des dialogues de Platon, de grands lecteurs pour faire entendre Montaigne, Lucrèce, Épicure…
Pour compléter ce dispositif, une liste de 100 livres pour la vie, de 50 disques pour la vie, de 30 films pour la vie, de 100 chefs-d’œuvre pour la vie, de 100 poèmes pour la vie sera proposée.
En sachant que les textes formateurs, les œuvres formatrices sont pour chacun, en très petit nombre. On comprend à ce propos que, sauf cas unique, cent pour cent des titres publiés aujourd’hui par des auteurs et penseurs vivants n’ont pas de fonction formatrice. On trouvera dans ce livre, la plupart des textes ayant contribué à ma formation au sens de Montaigne : « le gain de notre étude, c’est en être devenu meilleur et plus sage ».
Montaigne fit graver cinquante-sept sentences dans sa librairie. Marcel Conche s’est forgé trente-cinq convictions vécues.1 Pierre Hadot nourrit son sentiment de l’existence – sentiment cosmique – avec quinze pensées.2
En sachant enfin que les grands penseurs, auteurs, créateurs… construisent leur œuvre sur une idée, une intuition, une trouvaille.

Pour une pédagogie du projet
comme levier d’une renaissance
des lycées généraux

Dans le savoir commun enseigné au collège : savoir se situer, savoir chercher, savoir faire, ce dernier apprentissage relève d’une pédagogie du projet.
Le savoir-être est mis en œuvre au lycée, en relation avec les deux gais savoirs que nous proposons : gai savoir de lucidité et gai savoir de singularité. Le savoir-être, dans la perspective de l’homme de la grande responsabilité qui devient cause de lui-même, relève donc en partie d’une pédagogie du projet.
Dans cette perspective, le lycée serait facultatif. Les élèves désireux de rentrer au lycée en feraient la demande motivée, seraient reçus par une commission d’admission, signeraient un contrat d’obligations et d’objectifs.
Les trois classes du lycée laisseraient la plus grande initiative aux jeunes. Ce ne seraient plus des élèves mais des jeunes élaborant des projets, les réalisant, les évaluant. Lycées techniques, lycées professionnels, lycées agricoles fonctionnent déjà en partie sur des projets d’élèves. Des initiatives comme Lycée +, le Clept (Collège-lycée élitaire pour tous) ouvrent la voie en réintégrant, autrement, par la confiance, par le projet, des élèves décrocheurs, des cancres.
Les projets seraient individuels et pourraient être de tous types : projets scientifiques, techniques, artistiques, sportifs, humanitaires, projets citoyens de proximité (soutien scolaire au collège ou à l’école primaire, soutien scolaire de quartier, aide aux vieux...), projets citoyens du monde (forage d’un puits, construction d’une école...), projets de découverte (la prison, l’hôpital, l’hôpital psychiatrique, l’entreprise, la justice, la police, l’armée,... les towns-chips du Cap, les favellas de Rio,...).
Une méthodologie des projets serait proposée en amphithéâtre pour toutes les 2e du lycée. Des mémoires seraient présentés ainsi que des films sur des projets réalisés. Des témoignages seraient sollicités.
L’élaboration des projets : type, objectifs, moyens, délais, serait individuelle. Les projets rédigés seraient présentés à des groupes de dix jeunes. Jeunes et accompagnateurs des projets évalueraient leur pertinence, leur faisabilité. Les projets pourraient être retravaillés ou abandonnés.
La recherche des moyens serait individuelle. Banques et assurances, entreprises, collectivités territoriales, ministère de la jeunesse, ministère des sports, ministère de l’éducation nationale, ministère de la culture, associations sportives, culturelles..., mettraient des moyens au service des projets qui seraient présentés à des jurys, genre Bourses Défis Jeunes. Les projets non retenus seraient retravaillés ou abandonnés. Partenaires des projets et jurys seraient attentifs et justes.
Les projets retenus seraient réalisés avec les moyens attribués, dans les délais prévus. Ils seraient ensuite présentés, évalués (résultats/objectifs ; bilan financier...) devant les jurys des partenaires des projets. Un mémoire, un film, toute autre trace, serait produit. Et présenté au groupe des dix.
En trois ans, les jeunes réaliseraient trois projets de types différents, dont ils tireraient le plus grand profit. Se faire confiance, gagner la confiance des autres, être responsable et maître d’œuvre du début à la fin, être polyvalent, résister à l’adversité (en cas de rejet, motivé, du projet)...
Le baccalauréat serait supprimé. Il y aurait des enseignements modulaires en lien avec les projets. Il y aurait de la philosophie.
Il y aurait un enseignant-accompagnateur par groupe de dix projets. Cet accompagnateur de projets serait plus un homme de ressources que de compétences. Il devrait lui-même avoir quelques réalisations à son actif, ce dont les enseignants actuels sont capables.
Les projets les plus remarquables seraient présentés et récompensés à l’échelon du lycée. Il pourrait y avoir jusqu’à une reconnaissance nationale en passant par l’académique, du genre aides à la 1ère création d’entreprise, aides à la 1ère invention technologique, aides à 1ère recherche scientifique, aides à la 1ère création artistique...
La pédagogie du projet que nous proposons nous semble résoudre positivement plusieurs problèmes :
– la suppression du baccalauréat, examen coûteux, dévalorisé, « dénivelé », pièce maîtresse du dispositif pyramidal des diplômes, entretenant la diplômania et engendrant la pratique néfaste du diplôme-rente à vie
– la mise en place du système (très ouvert) que nous décrivons dans ses grandes lignes affirmerait on ne peut plus clairement la confiance que nous accordons à nos jeunes (ils ont 16 ans, ils sont sortis de l’obligation scolaire, ils sont aptes à faire, à projeter, à réaliser, à évaluer). Confrontés à leurs motivations ou absence momentanée de motivations (travail sur soi-même), à leurs capacités ou difficultés (travail sur soi-même pouvant être soutenu par l’accompagnateur), à la solitude relative du concepteur, du créateur, confrontés aux autres (jeunes et adultes) pour la réalisation d’un projet qui leur tient à cœur – pour lequel ils ont les mains libres, tout en mettant la main à la pâte, nos jeunes – pris comme ils sont, sur lesquels on ne projette ni attentes ni modèles – se prendront en mains, vaincront leur ennui (l’ennui dans lequel nous les enfermons avec les distractions – divertissements que nous leur proposons hors-classe, avec les savoirs gratuits, inutiles que nous leur distillons en classe) et leurs appréhensions, mobiliseront leurs énergies qu’ils ne demandent qu’à dépenser. Par l’individualisation des démarches, on favorise leur construction comme cause d’eux-mêmes, ils prennent ainsi de la distance avec la commerie (phénomènes de bandes-groupes et de modes), on favorise leur insertion, nullement précoce, dans le monde du travail et des adultes auquel ils apporteront leur fraîcheur, leur enthousiasme, leurs idées. On en finira ainsi avec les jeunes se cocoonant chez leurs parents jusqu’à 30 ans. Nos jeunes dont beaucoup choisiront des projets nobles c’est-à-dire à valeur universelle œuvreront librement dans les faits pour plus d’égalité et de fraternité (ils travailleront dès 16 ans contre le travail des enfants de la misère,...)
– la suppression des savoirs ou pseudo-savoirs spécialisés c’est-à-dire de l’encyclopédisme, plaie de notre système où le jeune est considéré comme une oie à gaver. La complexité de notre monde, la quasi-invérifiabilité des savoirs dispensés, des informations diffusées, des affirmations affirmées disqualifient ce qui se présente comme transmission des savoirs. La complexité de notre monde exige des regards neufs, des questions neuves. Nos jeunes, capables, alors que tout est fait pour les cadenasser, les maintenir en état de dépendance, d’inventer, dans les marges et parfois en pleine page, des phénomènes de société – contre-culture ou culture underground des années 60-70 qui n’a pas arrêté d’inventer jusqu’à aujourd’hui : rap, slam, hip-hop, techno,... et même si nous pensons que pour l’essentiel cette contre-culture a nourri la culture de mort diffusée planétairement par l’industrie du divertissement américain – nos jeunes donc sauront apporter leurs questions et réponses à ce monde précarisé par les prédateurs. Bien sûr, il y aura à permettre aux enseignants des lycées, à devenir accompagnateurs de projets.
La discipline à développer en la renouvelant car elle est essentielle au savoir-être, c’est la philosophie parce que justement, elle est interrogative. Nourrissant et nourrie de l’étonnement, faisant la différence entre notre enseignement et celui des autres nations parce qu’enseignée en terminale, elle serait mise en œuvre dès la 2e (4 h/semaine), en 1ère (4 h/semaine), en terminale (4 h/semaine).

Comment former
dans l’enseignement supérieur
des femmes et des hommes
de la grande responsabilité ?

On peut penser qu’après trois années consacrées à des projets, à des enseignements librement choisis et à la philosophie, comme art de nous faire libre, auxquelles peut s’ajouter un an au service du monde des enfants en souffrance, nos jeunes savent faire, savent chercher, savent se situer, sont responsables, au sens de la grande responsabilité, ont un sens aigu de la morale universelle, celle des droits de l’homme, se soucient de leur bonheur, en lien avec celui des autres, savent ce qu’ils veulent être, savent ce qu’ils veulent faire pour donner du sens à leur vie, car ils ont déjà démarré. Certains ont déjà créé leur entreprise, d’autres sont engagés dans des démarches artistiques. Autrement dit, tous ceux qui peuvent se faire eux-mêmes et le veulent, poursuivent. Entrepreneurs, créateurs, le supérieur ne les attire pas.
Les grandes écoles, renaissantes dans leurs contenus et leurs méthodes, accueilleraient les jeunes ayant réalisé les meilleurs projets. L’admission se ferait sans concours, sur présentation des réalisations et sur motivation motivée. Le parcours serait de 4 ans dont 2 ans de « mise à niveau », et 2 ans de « hausse de niveau ». Pas de classement de sortie. Pas de rente à vie. Pour que ces futurs « cadres » sachent comment cadrer, c’est-à-dire apprennent à être au service, ils seraient constitués en brigades pour intervenir dans les collèges et dans les écoles primaires, là où s’apprennent « les fondamentaux » et le savoir commun. Ils y interviendraient quinze jours par trimestre pendant les 4 années.
– S’ils font HEC (renaissante), ils travaillent à un projet d’Organisation Mondiale du Commerce Équitable et sont missionnés pour présenter et défendre ce projet auprès des gouvernements riches, émergents, pauvres…
– S’ils font ENA (renaissante), ils travaillent à des projets d’Organisations des Nations Unies à l’échelle continentale (Amérique centrale et du Sud) (Afrique) (Asie du Sud-Est) (Eurasie) et à l’échelle mondiale ; ils proposent des constitutions, des modes démocratiques de représentation, des contre-pouvoirs… et sont missionnés pour présenter et défendre ces projets auprès des gouvernements…
– S’ils font des études d’économie et de droit, ils se demandent comment lutter et luttent effectivement contre la bulle spéculative, le blanchiment d’argent sale, contre les ventes d’armes, les trafics de drogues, d’enfants et de femmes ; comment mettre en règlement judiciaire les créances douteuses ; comment annuler la dette des pays pillés ; ils se demandent si le libéralisme (le capitalisme parasitaire) n’est pas une idéologie, si un autre mode de production moins gaspilleur, plus respectueux de la nature et des hommes est possible, quel système monétaire et financier mettre en place pour remplacer l’actuel système devenu prédateur ; comment discréditer définitivement le FMI, la BM, la Réserve fédérale, la BE ; comment relancer l’économie physique et donc la recherche…
Les responsables de ces grandes écoles seraient vigilants. Ayant à former des femmes et des hommes de la grande responsabilité, ils combattraient toutes les dérives individuelles vers le carriérisme, la manipulation, le cynisme…
L’accueil à l’université se ferait également sur présentation des réalisations et sur motivation motivée. Parcours de 4 ans et plus… Contenus et méthodes seraient remis à plat, dans le même esprit de service d’autrui et non de soi. Le service d’autrui (pour un docteur, c’est chaque patient, pour un psychologue, chaque personne, pour un enseignant, vingt-cinq élèves tous différents…) ce n’est plus le service public méprisant le public, c’est le service public à l’écoute du public (les services publics ont fini par engendrer un grand mépris chez ceux qui étaient censés servir pour ceux qu’ils étaient censés servir ; corriger cela suppose changer les esprits donc éduquer, former et faire travailler autrement les fonctionnaires).

Les jeunes au service du monde

Le monde est complexe. Difficile à comprendre, puisque presque tout ce qu’on nous en dit relève de l’opinion, invérifiable. La raison mise au défi est quasi-impuissante. Elle ne peut que se concentrer sur les questions essentielles. Philosopher est ce qui lui reste à faire et c’est ce qu’elle peut faire si la personne le veut. Le monde est complexe. La vie y est difficile, même pour les prédateurs jamais sûrs de leurs rentes à vie parce qu’il y a des contestataires, des résistants, des opposants, des hommes et femmes politiques de caractère et progressistes… La vie y est difficile pour tous, surtout pour les pauvres, les plus nombreux. Mais ils aiment la vie, ils s’y accrochent, ils savent encore sourire et rire. Ils sont moins abattus, moins déprimés, moins tristes que les gens moyens des pays civilisés, sécurisés, conformisés, confortisés. Ils sont moins frivoles, moins superficiels, que les mondains s’offrant en spectacle aux rêves d’ascension des gens moyens. Le monde est complexe. La vie y est précaire, pas seulement à cause des abominables conditions de vie / de survie de la majorité (3,3 milliards sur 6 milliards vivent avec 1 à 2 euros par jour) mais parce qu’il y a la mort. La mort naturelle, à n’importe quel âge, plus jeune pour les pauvres. La mort accidentelle, à n’importe quel âge, plus fréquente pour les jeunes. La mort donnée à petite échelle, à grande échelle, par des bombes humaines, par d’énormes bombes nommées « big mother », par des machettes (un million de massacrés à la machette en cent jours au Rwanda).
Nos jeunes, déconnectés de la commerie et de la connerie par les projets individuels réalisés à partir du lycée, et dont certains seront déjà allés à la découverte du monde, auront la possibilité, au sortir du lycée, soit d’élaborer et de réaliser un projet au service du monde, soit d’intégrer un projet – un programme d’ONG, d’association au service du monde. Au service du monde consiste à aller sur le terrain, à écouter, à enquêter, à faire connaître.
Pour vivre heureux, vivons cachés dit un proverbe. Dans notre monde, l’isolement, le silence autorisent trop d’abominations (nourrissons enfermés dans des jarres jusqu’au cou, en Inde, pour en faire ensuite des « monstres » apitoyant le touriste ; enfants vendus auxquels on prélève des organes...). Nos jeunes, sillonnant le monde, non en touristes défigurant le monde, mais en investigateurs, surtout s’ils sont nombreux et même s’il y a des risques, apporteraient une aide précieuse à celles et ceux qui partout dans le monde essaient de lever le voile sur la souffrance des enfants du silence plus lourd que la chape de plomb des médias qui ne veulent pas que les tempêtes sortent du verre d’eau. Au service du monde serait donc prioritairement au service des enfants du monde, des enfants pauvres du monde pauvre. Les millions d’enfants qu’on fait travailler, les enfants esclaves, les enfants livrés aux pédophiles, les enfants mutilés volontairement, nous leur devons aide et assistance. Parler en leur nom parce qu’ils n’ont pas droit à la parole, parce qu’ils ne peuvent pas prendre la parole, c’est apprendre le devoir de substitution et réellement leur tendre la main de la fraternité.

Langue française et langues étrangères

La langue française est phagocytée par les anglicismes. Elle est revivifiée, bousculée, par les jeunes de nos quartiers. Nos académiciens sont très en retard par rapport à l’état de la langue. Nos dictionnaires suivent plutôt bien son évolution. Alain Rey (et son mot du jour à France-Inter : dans 200 ans, il aura fait un grand tour dans la langue de France) sait marier étymologie et usages d’aujourd’hui : il est un bel exemple d’érudition à la portée du plus grand nombre ; la langue avec lui est vivante.
Qui enseigne sait les difficultés d’expression et les incorrections dont sont capables nos jeunes. Pour ma part, je tenais ce raisonnement à mes élèves : je suis votre professeur, pas votre patron et pas votre ennemi. Vous pouvez compter sur moi pour vous aider à vous améliorer. Je ne suis pas là pour vous enfoncer. Donc, déjà écrivez de façon lisible, proprement, que je puisse vous lire facilement. Ensuite, tenez compte de mes remarques en marge. Corrigez les fautes soulignées. Et quand j’ai mis àdm ou àda et jamais md (mal dit, à dire autrement, à dire mieux), reprenez le passage. Ce travail de correction des devoirs était fait à la maison et vérifié en classe. Chaque élève devait avoir son dictionnaire et je sollicitais fortement cet outil. Je faisais en sorte que pour chaque mot visité (de dix à vingt par cours), ce soit un élève différent qui lise la définition, et pas toujours le plus rapide. Quand nous pratiquions des jeux d’écriture, j’individualisais au maximum mes remarques : telle faute d’orthographe était corrigée mais servait de rebond pour une exploitation homophonique, tel néologisme incongru était utilisé pour en faire une série. Il s’agissait d’un côté d’apprendre à respecter la langue, de l’autre de se servir des maladresses pour innover sans lendemain. Bien sûr, on essayait de nommer les figures utilisées soit spontanément, soit directivement. Un travail très poussé était effectué sur certaines métaphores comme L’aurore aux doigts de rose, Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie, L’éternité c’est la mer allée avec le soleil. Quant aux lieux communs inventoriés dans le dictionnaire, ils étaient questionnés pour trouver des idées.
L’enseignement de la langue ne doit pas hésiter à utiliser tous les « réservoirs » possibles. Pas seulement la littérature, mais aussi les parlers typiques : il y a une tournure d’esprit marseillais (rien à voir avec l’accent !) ou méridional différent de la tournure d’esprit parisien. Les pratiques des quartiers : verlan, slam (qui se relie facilement à la poésie.) Les usages populaires : lieux communs, proverbes (ma méthode de recherche d’idées par les lieux communs incitait mes élèves à s’en faire un répertoire)… Un commentaire savoureux de supporter de l’OM fera rire les élèves dans un 1er temps. Son analyse dans un 2e temps vaut toute explication de texte. L’enseignement de la langue doit intégrer La misère du monde, c’est-à-dire les façons dont les gens d’en bas évoquent leur situation. Les interviews peuvent être un formidable réservoir (je me souviens des paroles d’un immigré qui, à 32 ans, a voulu sortir de l’illettrisme ; c’est comme si, aveugle recouvrant la vue, il découvrait et me faisait redécouvrir le monde ; ça vaut Balzac).
L’enseignement de la langue française doit être dissocié de celui de la littérature française. La littérature doit servir de « réservoir » d’exemples. Étudiée pour elle-même, elle convainc assez peu les jeunes de lire et de poursuivre par eux-mêmes. Si l’enseignement de la langue est nécessaire (au collège) avec le double objectif : de respect de la langue et de travail de la langue (on est alors dans un rapport d’amour à la langue parce que rapport actif), l’enseignement de la littérature relève de l’encyclopédisme et est plutôt stérile car partisan en ignorant la littérature européenne et mondiale.
Pour revivifier l’enseignement de la langue, il faudrait mettre l’accent sur les « techniques » d’écriture et susciter des écritures dramatiques, poétiques, filmiques… et pas seulement des commentaires composés, des dissertations, des résumés de textes. Le jeune mesurerait l’écart entre son « écriture », souvent banale, et l’écriture « originale » d’un écrivain. Il comprendrait, s’il en a la passion, le chemin à parcourir de l’écrivant qu’il est à l’écrivain qu’il sera peut-être.
La littérature romanesque française semble en panne d’ampleur. La surmédiatisation de nos « vedettes » n’est sûrement pas étrangère à cette panne. On sait que communication et expression sont en rapport inverse. Pour communiquer beaucoup, il faut en exprimer le moins possible, le vide est même l’idéal.1 Plus on exprime, moins on communique : on peut même être seul à se parler. Grands tirages et médiatisation supposent la pauvreté de l’expression. Il suffirait peut-être que nos maisons d’édition renoncent au théâtre ou à la foire des rentrées littéraires pour qu’un jour on ait à nouveau un roman à l’américaine, c’est-à-dire à la française du xixe siècle et même début XXe.
Quant aux langues étrangères, il faut, parce que l’Europe se construit, favoriser l’apprentissage des langues de l’Europe : l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, le russe ou le polonais et nécessairement l’anglais. Il faut favoriser la circulation de nos jeunes (collèges-lycées) en Europe et inversement, favoriser l’accueil des jeunes de l’Europe, mais aussi de ceux qui ne nous apprécient pas : Américains, Anglais, Australiens…
Enfin, la francophonie doit être revitalisée comme projet et comme réalité.

Jean-Claude Grosse

Ce livre a été communiqué à pas mal de personnalités politiques, y compris récemment, à Ségolène Royal qui en a accusé réception, à DSK et Fabius qui n'ont pas répondu.

 
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