identité toi-même

Ma seule contribution, cher Benoist, va porter sur deux choses, mais d'abord merci pour ces Echos logiques (et très raisonnables...).
1. L'expression "fier d'être français" témoigne de la part de celui qui l'utilise de son ignorance du sens des mots en langue française, ce qui serait savoureux si ce n'était surtout grotesque ; on ne peut être "fier" que de ce dont on est, au moins partiellement, responsable : je peux être fier d'avoir tenu un engagement difficile, d'avoir réussi une épreuve quelconque grâce à mes efforts, etc. ; en aucun cas, je ne peux être "fier" d'une situation (être français) qui n'est que le résultat d'une très longue série de causalités (ce qu'on appelle le hasard) qui m'échappent complètement. Certes, quand je regarde les conditions d'existence de l'immense majorité des hommes et des femmes de cette planète, je suis plutôt content d'être français, mais je ne saurais en aucun cas en être fier.
Paradoxalement, et c'est ce que ne voient pas nos ignorants grotesques du sens des mots, les seuls qui peuvent légitimement se dire "fiers d'être français" sont tous ceux qui ont réussi, voulant échapper à la misère, aux persécutions de dictatures, aux tortures, et au prix de souffrances et d'épreuves considérables (les trois jours et quatre nuits passés par le père kurde d'un de mes élèves coincé sous la banquette arrière d'une camionnette sans boire ni manger pour traverser clandestinement les frontières et échapper aux geôles turques...) : effectivement, ceux-là, oui, peuvent être fiers d'être devenus français et d'avoir réussi à assurer un avenir à peu près correct à leurs enfants (Yavuz, le fils, bac avec mention, aujourd'hui informaticien).
2. Mon nom me trahit : DEFRANCE, descendant des envahisseurs immigrés de l'est, il y a déjà quelque temps, installés initialement dans la plaine de France au nord de l'actuel Paris, libres par rapport à l'empire romain ("francs") ; et je suis, disons... plutôt content de porter ce nom, (France était le prénom d'une de mes grands-mères : France Langhade épouse, Defrance) parce qu'il rassemble en lui seul les deux concepts de vérité (quelqu'un qui dit la vérité est qualifié de "franc") et de liberté (ce qu'on retrouve dans "commerce en franchise", "Franche-Comté", etc.) : il n'y a pas de liberté sans vérité, ni de vérité sans liberté - vérité et liberté piétinées par l'innommable Besson, mais qui n'est en lui-même qu'un épiphénomène dérisoire et grotesque (mais aussi malfaisant).
Seule ombre au tableau à propos de ce patronyme : s'il se rencontre le plus fréquemment dans l'Yonne (mon grand-père était d'Auxerre), c'est parce que, à une époque où il n'y avait pas encore de nom à proprement parler mais des prénoms, on appelait souvent les gens par leur origine provinciale (Lebreton, Picard, Lelorrain, etc.), et ces gens avaient au moment de la guerre de Cent Ans fait le choix des Bourguignons et des Anglais contre le roi de France et s'étaient exilés en Bourgogne : ils venaient "de France" ; et c'est ainsi que ceux qui portent ce nom descendent donc de "traîtres" à la "nation française" ! Vous avez dit "identité française" ?
Une troisième remarque pour finir et qui n'a aucun rapport avec ce qui précède : il est amusant (?) de noter que le convoyeur de fonds parti avec quelques millions d'euros ne risque que trois ans de prison : vol seul et sans violence ; en revanche deux gamins qui s'associent pour piquer le portable d'un troisième risquent sept ans de prison : vol en réunion avec violence... Qui vole un boeuf ne vole pas toujours un oeuf ! (c'est Jean-Pierre Rosenczveig qui a trouvé cette formule aujourd'hui pour souligner le paradoxe).
Je transfère message et réponse à quelques amis...
Bernard Defrance
Si pour un peuple, pour se sentir uni dans une nation, il a besoin d’éliminer une partie de ses citoyens, il prend une posture funeste et macabre.
Le peuple français en ayant voté majoritairement Sarkozy ou Le Pen croit encore « sauver son âme » en déportant une grande partie des citoyens étrangers. Le peuple suisse avec Blocher et son parti l’UDC (entre l’UMP et le Front national), en a fait le parti le plus représenté électoralement de ce petit pays.
Le peuple croit s’unir avec cette mise à part, mais il retranche une partie de sa vitalité, il croit renforcer son image, mais il la dénature par son rejet de l’Autre. Il se confine dans une forteresse qu’il croit assiégée et au-delà de ses murailles dans un désert d’horizon, il y invente des mirages terrifiants. Bientôt son cœur et son entendement s’emprisonne dans la pierre, il devient sourd au Monde.
Il a abreuvé ses sillons de sang dans la colonisation et maintenant, il croit trouver une identité dans cette posture de repli et de rejet. Un citoyen peut avoir ses pieds ancrés dans une terre « son pays », mais son imaginaire doit s’imprégner des musiques lointaines, s’enrichir des langues et connaissances multiples et engager des rencontres. Ce mélange, comme un arbre qui s’enracine et laisse en même temps son feuillage fleurir aux caresses des vents, ce mélange terrien et culturel devient le ciment d’un peuple ou d’une citoyenneté toujours en mouvement, toujours prête à regarder l’Autre ou l’étranger avec des yeux d’enfants, ceux qui cherchent à découvrir avec passion les secrets et les bonheurs du Monde.
Cela ne vous regarde pas»
philosophe, enseignant, et membre de la revue "Vacarmes"
Eric Besson a annoncé, le lundi 26 octobre, le lancement d’un grand débat national sur l’identité du même nom. Mobilisant préfets et sous-préfets (ceux-là même qui, depuis deux ans, ont été dotés de marges d’initiatives accrues afin de décliner sur leurs territoires respectifs la politique de reconduite aux frontières impulsée par le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale), le débat devrait solliciter les «forces vives de la nation» autour de la question suivante : «Qu’est-ce qu’être français ?»
Une telle initiative, intervenant à quelques mois avant les élections régionales et quelques jours après l’expulsion de plusieurs migrants vers un pays en guerre, devrait assez logiquement susciter dans l’opinion des réactions variées. Gageons d’ores et déjà que certaines d’entre elles consisteront à tenter de retourner la question contre son initiateur : être français, rappellera-t-on, c’est hériter d’une tradition d’accueil, d’hospitalité et d’ouverture, tradition à l’évidence incompatible avec la politique d’immigration actuellement menée ; c’est se reconnaître dans une citoyenneté définie non par l’origine géographique ou culturelle, mais par la défense et la promotion commune des droits humains partout où ceux-ci sont niés - conception de la citoyenneté inconciliable, tant avec les dérives xénophobes dont a fait régulièrement preuve le précédent ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, qu’avec son action et celle de son successeur. Etre français, arguera-t-on en bref, c’est être en tout point opposé à l’horizon de fermeture, de surveillance, de délation réciproque et de contrainte par corps, d’opportunisme et de xénophobie aujourd’hui symbolisés par l’existence d’un ministère de l’Immigration, et incarné par Eric Besson avec un dévouement dans la duplicité qui ne laisse pas d’impressionner.
Une telle réplique est juste et sensée, et elle a pour elle l’évidence ; mais elle est trop évidente, justement, pour n’être pas prévue dans la question elle-même, question construite pour faire de ce genre d’objections autant de répliques, aux deux sens du terme : au sens où répliquer, c’est répondre, mais aussi répéter, reproduire ou propager cela même qu’on entend combattre. Le piège tient à ce que, posant la question «Qu’est-ce qu’être français ?», le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale n’entend évidemment pas faire l’éloge dans les mois qui viennent d’un nationalisme étroit, fondé sur la communauté de l’ethnie ou du sang (de cela, d’autres se chargeront au fil des débats, ce que la synthèse finale ne manquera pas de cautionner comme «une préoccupation», «une légitime inquiétude des Français face à la mondialisation», etc.)
La parole gouvernementale, subtilement relayée au fil des échanges par de multiples canaux, consistera au contraire à faire constamment valoir l’ouverture, l’égalité des droits et le pacte républicain, le refus des discriminations de races et de sexes comme autant de composantes de l’identité française. A les faire valoir, désarmant l’adversaire, non seulement dans la dimension neutralisée de l’échange d’idées, mais comme autant de motifs d’isoler et d’exclure, autant de raisons pour justifier la reconduite aux frontières. Invoquerez-vous le pacte républicain ? Mais «le pacte républicain suppose le respect des lois». Rappellerez-vous l’hospitalité ? Mais «l’hospitalité suppose d’avoir les moyens d’accueillir dignement».
Dans ce jeu de dupes, surtout, l’ouverture, la tolérance et l’égalité, constitutives de notre identité nationale, seront présentées et utilisées ainsi qu’elles le sont depuis deux ans : comme autant de valeurs fragiles qui exigent une sélection d’autant plus sévère de ceux qui, présents sur notre territoire, pourraient être suspects de ne pas les partager. Déjà, dans le même entretien où il annonce le grand débat national, le ministre Besson réitère son refus de la burqa - pratique certes ultraminoritaire, mais symbolique de la nécessité où nous serions, face à des étrangers si proches à chaque instant de verser dans l’intolérance et l’oppression, de discriminer pour sauvegarder notre sens de l’égalité, et de fermer les frontières de notre identité pour la conserver si ouverte.
C’est pourquoi, à la question «Qu’est-ce qu’être français ?» posée par le ministère de l’Immigration, il ne saurait y avoir dans les mois qui viennent qu’une seule réponse, endurante, ressassée, monotone, obstinée : «Cela ne vous regarde pas». Vous avez perdu le droit de poser cette question au moment même où, liant identité nationale et contrôle de l’immigration, vous avez aménagé le renversement systématique des composantes de la citoyenneté en autant de critères d’exclusion. A cette captation, il ne saurait y avoir de réponse qu’en acte ; libre à vous, lorsque ce temps viendra, d’interpréter la violence de notre refus comme une composante de la «francité».
2 millions de Gaulois assassinés par les Romains ;
Des millions de morts lors des croisades, des pèlerinages armés et dévoyés, durant la Guerre de cent ans et au fil d’innombrables guerres de religions ;
10 à 40 millions de Chinois massacrés par les Mongols au XIIIe siècle ;
Le peuple de Tasmanie liquidé par les Britanniques lors du génocide "le plus parfait" de l’histoire ;
Des centaines de milliers d’Aborigènes australiens décimés par les mêmes colons britanniques ;
L'extermination de 20 à 60 millions d’Amérindiens, depuis la "découverte" espagnole, l'évangélisation et la colonisation, jusqu'à la Conquête de l'Ouest ;
Les traites négrières (orientale, intra-africaine et atlantique) totalisèrent plus de 50 millions de victimes ;
1.200.000 Arméniens périssent dans le premier génocide du XXe siècle ;
40 millions de morts lors de la Première Guerre mondiale et 65 millions durant la Seconde (dont les 5 millions de la Shoah) ;
Le démocide stalinien : 43 millions de morts ;
Le démocide de Mao : 30 millions de victimes et des famines à la chaîne ;
La terreur sanguinaire de Paul Pot : 1.500.000 Cambodgiens.
Rajoutons le million de victimes du Biafra, les 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi, ayant trouvé la mort durant les trois mois du génocide au Rwanda, sans omettre les 300 000 morts et les 3 millions de déplacés de la guerre au Darfour.
Depuis l'esclavage du peuple Noir jusqu’au Nouvel Ordre mondial, soit de 1900 à l’aube du troisième millénaire, en passant par la guerre au Vietnam, le capitalisme porte à lui seul la responsabilité d'un bilan de quelque 100 millions de morts.
S'interroger sur " l'identité nationale ", c'est présupposer que la question pourrait se poser en ces termes. Or, la notion d'identité tend fortement à exclure ou à subsumer toute différence significative à soi et à donner toute autre identité dans les mêmes conditions et comme irréductiblement différente de la précédente. Le principe d'identité absolue que connote cette notion, entraîne immanquablement celui de contradiction absolue. (Si, comme B à B, A est identique à A, il est absolument impossible que A soit aussi B et que B soit aussi A.)
A la limite (effleurée), s'il y a une identité nationale française, il n'y a plus dans ce pays aucune différence qui demeure significative (il y a donc homogénéité) et toute autre identité " nationale " peut seulement être conçue comme une identité irréductiblement différente (donc déjà hostile).
Si l'on ne veut pas arbitrairement gommer les différenciations et les dédifférenciations qui font un pays comme la France, si l'on refuse de poser l'étranger comme un " pur " étranger, c'est en d'autres termes qu'il faut poser la question. Le recours à la " nation " (civilisation, religion, voire " race " ?) n'est évidemment pas neutre non plus. Il est aujourd'hui, notamment de la part de " mondialisateurs " sans scrupules, particulièrement paradoxal.
C'est bien plutôt sur fond de désidentification nationale et, à l'intérieur du pays comme au plan international, de stérilisation des différences prometteuses en termes de dépassements féconds, que vient se greffer un tel débat institutionnel très intéressé. Toutes souples qu'elles paraissent, les divinités " hypermodernes " cherchent toujours à tirer parti d'un éveil " maniable " des lourds démons du passé - preuve, s'il en était besoin, qu'il entre dans l'identité de tout un hypermodernisme d'être à l'occasion conciliable avec la pire réaction ou du moins ses confins.
Le but d'un tel débat, c'est (au minimum) un gain d'embrouillamini.
G.L.
Maths et crise boursière
Maths et crise boursière, l'avis de Jean-Pierre Bourguignon
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Ce colloque va permettre deux jours de débats sur cette discipline «au cœur de la science contemporaine, mais aussi à la base d’innombrables réalisations technologiques et processus industriels ; (et qui) fournit des outils de modélisation et de prévision qui jouent un rôle croissant dans la conduite des affaires du monde» comme l'affirment ses organisateurs. Il sonne comme un écho au colloque Mathématiques à venir tenu en 1987 et qui déboucha sur des mesures en faveur des mathématiques. Dans cette interview, Jean-Pierre Bourguignon revient sur le rôle des mathématiques dans la crise boursière, qui déclencha la crise économique en cours. Il y voit «un déséquilibre entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Il aurait fallu se pencher sur ces outils utilisés par les banques, les confronter aux données financières et économiques globales, étudier la stabilité du système financier mondial… Ce qui était impossible puisque les banques gardaient pour elles les données qu’elles collectaient dans un contexte de compétition féroce, d’égoïsme, et aussi d’aveuglement idéologique, d’absence de réflexion épistémologique et éthique. Bref, pour anticiper la crise au plan mathématique, il aurait fallu un partage des connaissances, une vue d’ensemble et la construction d’un sous-bassement théorique sérieux comme bien public. En résumé, une bonne recherche fondamentale.» Voici l'interview de Jean-Pierre Bourguignon (photo ci dessous) en intégralité. A quoi rêvent les matheux ? Nous ne poursuivons pas une sorte de Graal, comme les physiciens des particules qui sont partis à la Prenons l’exemple de la géométrie non commutative. Le rêve d’Alain Connes, son fondateur, fut annoncé dès sa leçon inaugurale du Collège de France, en 1986. Aujourd’hui plusieurs centaines de matheux se sont joint à ce rêve dont la réalisation a conduit à créer de nombreux concepts nouveaux, à tisser des liens inattendus avec la théorie des nombres ou la physique des particules. Peut-on parler de ce que font les mathématiciens aux non mathématiciens? Souvent, le grand public assimile maths et calcul. C’est très réducteur. Les objets manipulés par les mathématiciens ce sont certes des nombres, mais tout autant des formes, des processus : de façon lapidaire, les maths sont la science des structures. Faire des maths c’est donner le même nom à des choses différentes disait Henri Poincaré. Car on observe, ou l’on démontre, que la manière dont des choses ou des processus très différents s’organisent suit les mêmes principes. Cette démarche débouche sur des processus d’abstraction de plus en plus profonds, qui relient nombres, structures, formes, topologies, hasard, probabilités… Les maths nous parlent-elles vraiment de la Nature selon le propos de Galilée ? Grand débat qui peut se poser ainsi : le mathématicien découvre t-il ou invente t-il ?{SH : lire ici et ici une interview d'Alain Connes} Pour moi, les maths ne sont pas qu’un langage du quantitatif mais bien une science qui se développe autour de pôles de connaissances, des concepts clés. Ainsi le concept de courbure, né à la fin 18ème siècle. Il a permis d’inventer les géométries non euclidiennes… donc la
Curieusement oui. J’y vois le résultat d’un manque de réflexion épistémologique sur les modèles utilisés et une dérive liée à la dérégulation massive. Chaque banque a embauché des mathématiciens pour développer des produits financiers de plus en plus sophistiqué, par une application des maths à leur objet. Mais, ce faisant, les mathématiques ont dépassé leur rôle d’outils de modélisation pour créer une nouvelle réalité, certes virtuelle au plan économique, mais dont l’impact fut important. Tout cela a dégénéré non seulement en raison de l’écart croissant entre finance et économie réelle - des économistes, peu nombreux, l’avaient vu - mais aussi en raison d’un déséquilibre entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Il aurait fallu se pencher sur ces outils utilisés par les banques, les confronter aux données financières et économiques globales, étudier la stabilité du système financier mondial… Ce qui était impossible puisque les banques gardaient pour elles les données qu’elles collectaient dans un contexte de compétition féroce, d’égoïsme, et aussi d’aveuglement idéologique, d’absence de réflexion épistémologique et éthique. Bref, pour anticiper la crise au plan mathématique, il aurait fallu un partage des connaissances, une vue d’ensemble et la construction d’un sous-bassement théorique sérieux comme bien public. En résumé, une bonne recherche fondamentale. Comment se portent les mathématiques ? Le grand public a du mal à imaginer à quel point les mathématiques sont une science vivante, créatrice, et même en croissance accélérée aujourd’hui. Elle est toujours mue par deux dynamiques. L’une est purement interne et repose sur les questions posées par les mathématiciens eux-mêmes qui conduisent à perfectionner les outils, les concepts, à construire de nouvelles visions. La seconde qui provient de la stimulation par d’autres disciplines et le monde extérieur. Dans le passé, la mécanique et la physique ont joué un rôle décisif dans cette démarche:l’ambition fut d’écrire en termes mathématiques les lois de la physique, c’est l’héritage fameux de Galilée. Aujourd’hui, cette dimension continue de s’élargir: la chimie, la biologie, les sciences sociales (elles ont joué un grand rôle historique dans l’essor des probabilités), les mathématiques financières, la haute technologie. Cet élargissement a maintenant un impact certain sur l’emploi croissant de mathématiciens en entreprises à cause de la multiplication des champs où la modélisation mathématique apporte des informations importantes et quelquefois décisives. Ces extensions n’affectent pourtant pas l’unité de notre discipline. Elle ne vit pas repliée sur elle même, mais est transformée par les croisements entre ses grandes branches - algèbre, analyse, géométrie, théorie des nombres et probabilités - qui se fécondent les unes les autres pour répondre à ces stimulations. L’architecture interne des maths est du coup toujours mouvante, signe de leur vitalité. Si les maths se portent bien, pourquoi organiser un colloque - maths à venir - où l’on tire des C’est que si la planète maths se porte excellemment, et si la France y joue toujours un rôle de tout premier plan, cette position pourrait être affectéee dans un proche avenir. La planète maths, c’est aujourd’hui 90 000 chercheurs actifs, producteurs de mathématiques nouvelles… à comparer toutefois aux deux millions de biologistes. Elle est en croissance rapide dans les pays émergents, en Chine, en Asie du Sud-Est, en Inde, au Brésil… En revanche, l’Europe de l’est traverse une crise grave. L’Australie a perdu le tiers de ses effectifs en une dizaine d’années. L’Europe de l’ouest et la France sont confrontées à la désaffection des jeunes pour les études scientifiques en général, les maths et la physique. En France, des départs à la retraite massifs sont programmés dans un avenir proche et on peut craindre que la diminution du nombre d’étudiants en maths peut conduire les universités à ne pas les remplacer. Il y a donc une réelle menace si l’on laisse faire la tendance actuelle sans réfléchir aux effets à long terme et sans une vision stratégique. L’école de maths française fait partie du podium mondial, pourquoi ? Le système attire encore certains des jeunes les plus brillants de leur génération vers les maths, notamment grâce aux classes préparatoires et de certaines grandes écoles. Le paradoxe, c’est que ce système ne fait pas beaucoup de place à la création et beaucoup de concours sont plutôt conformistes, sauf ceux des Ecoles Normales Supérieures. Cependant, ceux qui brillent en maths sont considérés tant par leurs enseignants que leurs condisciples comme des leaders, des exemples. Cette valorisation joue un grand rôle dans la formation de ces esprits et le choix professionnel qui est ensuite fait. Pourtant, on Une des grandes forces de l’école française c’est qu’elle ne présente que peu de lacunes. Le flux a été assez régulier et dense pour couvrir presque tous les sujets avec un excellent niveau. Si on regarde les conférenciers invités dans les grands congrès internationaux, la France est n°1, rapporté à la taille du pays. Il faut toutefois noter que l’on maintient cette place grâce à l’installation en France d’un flux important d’enseigants-chercheurs étrangers qui représentent 30% des recrutements actuels. Ce flux s’explique par l’attractivité et la capacité d’ouverture de la communauté française. {En 2006, lors du dernier congrès mondial des maths, Wendelin Werner (Cnrs, Université d'Orsay) a reçu la médaille Fields}. Comment pérenniser cette place ? La menace immédiate porte sur la diminution du nombre de jeunes en master recherche de maths, à l’exception de quelques universités comme Paris-6. Il faut retrouver un flux suffisant d’étudiants. Et faire Le site de la Société Mathématique de France. |
Joël Poulain nous a quittés (sur L'amitié par Joël Poulain)
La revue L'agora 1996-1997: À l'épreuve de l'éthique, lui doit l'essentiel de son contenu.
On trouvera dans les pages de ce blog 5 contributions de Joël Poulain et dans les pages du blog de Jean-Claude Grosse, 4 contributions.
Nous espèrons ainsi contribuer à faire vivre sa mémoire de penseur exigeant.
- Mallarmé - Manet
"un culte d'amitié et d'admiration"
- Madame Manet à Mallarmé
"vous étiez réellement son meilleur ami, aussi il vous aimait tendrement"
"En l'amitié, c'est une chaleur générale et universelle qui n'a rien d'âpre et de poignant, qui plus est, en l'amour, ce n'est qu'un désir forcené après ce qui nous fuit"
Montaigne
"Ce n'est que devant un ami que nous ne nous mettons pas en valeur, avec un ami, nous sommes vrais"
Montaigne
"Comme je le sais par une certaine expérience, il n'est aucune si douce consolation en la perte de nos amis que celle que nous apporte la science de n'avoir rien oublié à leur dire et d'avoir eu avec eux une parfaite et entière communication"
Montaigne
"Il est telles âmes une fois unies que rien ne saurait disjoindre, il en est d'autres qu'aucun art ne saurait unir. Pour toi, Montaigne, ce qui t'a uni à moi pour jamais et à tout événement, c'est la force de nature, c'est le plus aimable attrait d'amour, la vertu"
La Boétie
"L'amitié consiste à faire des versions, à traduire autrui en soi et soi en autrui"
Albert Thibaudet
Saint Augustin disait du temps "si on me demande ce que c'est, je le sais mais si on me demande de le définir, je ne le sais plus", ne pourrait-on pas en dire autant de l'amitié ? Vécue elle est, sentiment elle se manifeste, analysée, "enfermée" dans une définition peut-elle être ?
L'Amitié est-elle expression idéale "d'affinités électives","simple" lien social ou, plus complexe, forme éthique et L'EROS ?
L'Amitié a, depuis l'Antiquité, était "objet" d'interrogation en philosophie. Du grec philia, Platon la considère comme manque, imperfection, forme inachevée de l'EROS, Epicure lui donne une essence plus fondamentale " de toutes les choses que la sagesse acquiert pour procurer la béatitude à toute la vie, la plus importante est la possession de l'Amitié".
Montaigne la conçoit comme convenance de volontés, "chose la plus douce".
Elle fait partie d'une des "passions de l'Ame" pour Descartes, chez Kant, elle témoigne à la fois d'humanité et de moralité "union de deux personne liées par un amour réciproque et égal respect". Elle prend chez Schopenhauer et Nietzsche, une forme plus complexe voire négative, le premier la conçoit comme "toujours un mélange de soi et de pitié" quant à Nietzsche dans Par delà le bien et le mal, il tente de nous désillusionner "Il ne faut pas se lier à une personne, toute personne est une prison", cependant, dans Ainsi parlait Zarathoustra, l'amitié restaurée, signe d'une éthique nouvelle, elle devient "une fête de la terre et le pressentiment du surhomme" (livre I de l'amour du prochain)
Après ce succinct "panorama" des rapports à l'amitié, nous allons voir l'importance de ce "mot" dans les expressions connues, sens et valeurs y seront exprimés dans toutes leurs variations, de grands amis, une petite amie, une bonne amie, mon ami La Rose ! un ami de la justice, ami de la sagesse, la société des amis du Louvre, je viens en ami, le chien meilleur ami de l'homme, un visage ami, rivage ami... amitié particulière, solide amitié, fais-nous l'amitié, toutes mes amitiés, en gage d'amitié, ces quelques expressions témoignent de l'omniprésence voire de l'omnipotence de ce signe, symbole Amitié, ses valeurs multiples, qu'en est-il exactement quant au concept, aux sens possibles ?
Nous retrouverons au cours de l'analyse les trois questions introductives.
Nous pouvons déjà la dire relation libre et privée, de l'ordre du désir et non directement de l'ordre du social, du DROIT, ni de la justice (pas de problème de sanction), ne serait-elle pas alors une "combinaison de rencontres réussies" ?
De l'ordre de l'intime, de l'individualité, de la particularité ("parce que c'était lui, parce que c'était moi") elle ne vise, en principe, pas d'intérêts, elle serait alors valeur en soi.
Au delà, du "simple" et pur social, du conventionnel, elle serait par excellence de l'ordre de l'humain, respect mutuel, elle ne survit pas à la trahison, elle ne "regarde" personne d'autre que les amis eux mêmes, n'a de compte à rendre à personne (engagement tacite), elle est alors forme "particulière de lien social, si les amis comme les amoureux sont "libres" de choisir, ils ne le font pas "n'importe comment" d'où distinction à établir entre le fait d'être ami (une connaissance) et éprouver de l'amitié ( de l'ordre du sentiment). A contrario elle peut échapper aux règles sociales, il peut même y avoir tension entre autonomie individuelle et l'inscription sociale. (Suspicion quant à certaines amitiés et/ou jalousie au sein de certains couples quant aux amitiés anciennes, passé de chacun).
Consistance immédiate de cet "objet", l'amitié est quelque chose qui "parle" à chacun, qui résonne mais ne se raisonne pas nécessairement; “objet” spécifique, on la distingue de tous les autres liens sociaux, amoureux, familiaux, conventionnels, hiérarchiques, professionnels... Les amitiés sont identifiés et le sentiment d'amitié ressenti comme particulier voire privilégié. De même que pour l'Amour certains n' y croient pas, d'autres la mettent au dessus de tout.
Elle est ni amour, ni "simple" fraternité ni solidarité conventionnelle.
L'Amour a en principe "besoin" du physique, l'Amitié l'exclut ou alors se métamorphose (ce qui peut aussi être le cas pour l'Amour), la fraternité a une universalité de principe, la solidarité a quant à elle des sources et finalités sociales, publiques (ex, les restos du cœur) expression inconsciente le plus souvent d'une "facile" bonne conscience...
Dans certaines sociétés primitives, des anthropologues ont analysé l'amitié parenté mutuelle quasiment tenue de choisir un ami dans tel clan; formalisée même symbolisée, manifestée aux yeux de la collectivité (ex, échange de sang), l'amitié est alors dans les sociétés, une structuration familiale artificielle et servant les intérêts de cette dite communauté.
A contrario, dans nos sociétés, les mêmes anthropologues la définissent comme institution sociale non institutionnalisée, forme "gratuite" de relation sans "couverture" juridique. L'Amitié répond à des entités culturelles (échanges d'idées, de schémas, d'attentes et pratiques communes ainsi que modèles culturels) ; les amis se "reconnaissent" par des complicités affectives, comportementales, des règles de conduites. Une de ses originalités, c'est d'exprimer et de revendiquer plus la confiance que la fidélité. En cela, elle a une "sphère" plus sociale que l'amour dans le sens où "les amoureux peuvent être seuls au monde", confiance entre deux êtres, ce qui n'empêche pas cette relation de pouvoir s'ouvrir à d'autres, à d'autres amitiés, il est plus difficile d'avoir plusieurs amours en même temps et autant d'éprouver divers degrés et formes dans ce sentiment amoureux.
Sans exclusive, foncièrement inter individuelle, elle est alors garante socialement d'une mémoire "d'images", d'œuvres littéraires dont quelques symboles tels que Le grand Meaulnes d'Alain Fournier, Montaigne, La Boétie, les trois Mousquetaires, Flaubert-Ducamp, Verlaine-Rimbaud, Marx-Engels, Werther, l'ami Fritz, Van Gogh et son ami-frère Théo, Maritain-Bloy, Mallarmé-Cazalis... Cette liste n'est en rien exhaustive...
Elle témoigne de quelques sources d'inspiration... De l'ordre de l'intuition, de la sensation comme de cette "étrange impression" qu'est la sympathie, elle empêche une véritable définition (voir notre introduction) “si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : "parce que c'était lui, parce que c'était moi" Montaigne.
L'Amitié serait alors la forme ludique "parfaite" de la sociabilité. Elle se fonde sur un "engagement" des seules qualités intrinsèques des partenaires, indépendamment de leurs positions, et ce, dans un système social, qui lui, implique pouvoir, utilité voire prestige... Elle est de l'ordre d'une "égalité spontanée" animée par une réciprocité de fait, une confiance de "droit", une intimité (de l'ordre du privé, de la confidence), désintérêt, compréhension plus que jugement d'où valeurs spécifiques, comme dit pertinemment Malraux "comprendre n'est pas juger, si on comprenait, on ne jugerait pas". Elle peut même, et ce, paradoxalement trouver sa qualité relationnelle dans une totale inversion de l'ordre social (le privé, la nudité, la tolérance, "bas les masques" elle exprime, en soi, la générosité au sens cartésien, d'une âme "noble" qui sait distinguer le bien du mal). Elle peut parfois, en cela rejoindre l'Amour Romantique par la transgression des valeurs et normes humaines, leur sublimation, elle peut aussi par son exception devenir tragique par incompréhension d'où mauvais jugement... Montaigne, Verlaine etc... (suspicion d'anormalité, d'amoralité).
Amour et amitié, expressions de natures généreuses, cependant, à la différence de l'Amour, l'amitié n' a pas à "se transformer en matière de lois civiles" (Dormat, juriste du XVIIe siècle). Elle se suffit à elle même, sans descendance, sans lignée, sans généalogie, elle est foncièrement inscription dans un temps purement humain (souvenirs (passé) et projets (futurs) communs). Dans "l'espace" de l'amitié, il y autant de repères sociaux (respect, intégration, civilité) que d'identités particulières voire marginales ( la confiance accentuant la possibilité de singularisation). Espace original permettant "l'effacement" du personnage social, et ce, au profit de la personnalité, du plus authentique... Ainsi, on ne "se fait pas" des amis de la même façon, selon qu'on est jeune, vieux, seul, père de famille, ouvrier, cadre, homme, femme. Il n' y a pas les mêmes exigences, attentes, finalités, sens, certains psychologues l'ont même définie comme lieu privilégié "du test du drame"... C'est dans l'épreuve que l'amitié s'éprouve... Critère d'appartenance, valeur référentielle (ami, guide, modèle, conseil) et différentielle, (par rapport à l'ami je me situe) comme dit Sartre "Autrui est le médiateur indispensable de moi à moi-même".
Franchise, sincérité, absence de jalousie, elle privilégie l'altérité acceptée ( la confidence en est le gage) ; à qui se confier en dehors de l'Ami (excepté certes l'amour)... De l'altérité à l'altruisme, l'ami(e) est une "ouverture de soi" je me "dois" d'être toujours potentiellement et effectivement "présent", disponible, disposé à... Il n' y a pas d'heures pour l'ami, à la différence du collègue. L'ami c'est le "frère" et ou la "sœur" choisies.
Dans la durée, l'amitié peut cependant se vivre dans la discontinuité, l'absence présence, pour l'Amour,le temps est le continuel présent, ainsi, l'amitié se nourrit intensément de l'instant, art de vivre, hors convention, hors préséance, elle vise essentiellement le bien être, le cœur sans la "Raison", "l'obligation" sans le devoir.
Entre "l'hypocrisie" des rôles sociaux, les conventions familiales, elle se situe dans un "décret de confiance", confiance comme intermédiaire entre connaissance (savoir respecter en l'autre le "jardin secret", il y' a des questions que des amis ne se posent jamais) et ignorance ( la non indifférence face à l'ami stimule la curiosité quant à "l'Etre de l'Autre"!)
L'Amitié comme soi sans masque, au delà de l'apparence, de l'avoir, du personnage ; elle est au "cœur de l'Etre", exigence tant de paroles possibles que d'écoutes attendues, intimité sans fard, trois concepts pourraient la spécifier! Le Drame, symbole alors de soutien, confidence comme espace, lien privilégiés de l'écoute, affectivité, c'est à dire générosité désintéressée... Situations et relations d'exception! Les concepts déterminent les formes idéales de l'amitié, ce qui n'empêche pas que dans son "fond", drague amitié est originale. Amitié comme jeux et enjeux d'identités, on peut avoir des amis fort différents, les "raisons" à ce lien amical, multiples, ce "je ne sais quoi et presque rien" (Jankélévitch) qui fait passer de l'indifférence face à autrui, à la relation privilégiée ; l'histoire vécue, les “problèmes” discutés ensemble, la complicité et la connaissance de l'autre, l'intensité des moments partagés, l'enrichissement mutuel établissent les fondements de la qualité relationnelle intrinsèque à l'amitié. Proximité interindividuelle par "affinités de goûts", de vues sans ignorer un des "lieux"essentiels, le désir affectif; la vraie amitié ? Sérénité et transparence, "sentiment partagé d'aimer une personne et de lui vouloir du bien". En quoi, cependant distinguer celle-ci des autres formes possibles de l'Amour, en quoi est-elle, alors, forme particulière, éthique de l'EROS ?
L'Amitié à l'inverse de l'Amour ne nait pas d'un "choc", d'une "révélation subite", d'un coup de foudre. Elle devient elle-même grâce à des rencontres successives, un approfondissement de l'approche. Qui plus est, l'Amour c'est "tout ou rien", alors que l'amitié revêt des formes et degrés divers. Elle peut être infime et/ou démesurée. En revanche, l'Amour est "entier" dès son apparition, le plus souvent, il a "l'impatience du temps"! L'Amitié, elle, peut s'intensifier, se confirmer... L'Amour comme passion, en Allemand leidenschaft... leiden (souffrance) liebe (amour).
L'Amour peut être extase et tourment, l'amitié, en revanche a horreur de la souffrance... des amis veulent être ensemble pour être “bien”... L'Amour peut aussi, ne pas toujours être réciproque (ex : Amour courtois et “il n' y a pas d'Amours heureuses”), l'amitié ne vit que par réciprocité... Si l'Amour peut se produire aveuglément, l'Amitié pourrait être source de clairvoyance... L'Ami, le complice, le lieu possible d'une sécurité, d'un réconfort. L'Amour, paradoxalement, peut engendrer questionnement (m'aimes-tu ?) inquiétude, souffrance (par déception, non réciprocité, trahison) voire injustice (par jalousie), l'Amitié est soucieuse de justice voire d'équité, rencontre pleine de promesses de sens, ainsi, l'Un aide l'Autre à découvrir ce qui est essentiel pour lui et à tenter de s'en approcher davantage... Complémentarité réciproque, une rencontre peut même conduire deux personnes différentes à voir de la même manière une même réalité, "synergie de deux trajectoires existentielles,de deux destinées". Si l'Amour est un désir insatiable de fusion mentale et physique, de présence continue, "d'unité" de deux êtres d'abord différents, l'amitié “cultive” cette différence, peut se nourrir de l'absence (l'Amour peut y succomber), l'amitié comme patience, promesse du "toujours", elle "sait" qu'elle a le temps pour elle, sans, à la différence de l'Amour, risquer de s'user par et en lui!
Moment d'authenticité, d'épreuve et de preuve, l'amitié est ordonnancement, du multiple, de l'informel, de l'indifférent, de l'anonyme au sein du relationnel, la vie prend alors sens, autre dimension... L'ami m'accompagne sur “mon chemin de sens”...
Henri Miller dans tropique du capricorne dit en parlant d'un ami "il n'en resta pas moins que jamais, je ne pus voir le monde, ni mes amis comme ils m'apparaissaient avant sa venue. Hamilton me changea profondément comme seuls un livre exceptionnel, une personnalité rare, une expérience rare le peuvent. Pour la première fois de ma vie, je compris que c'était l'expérience d'une amitié vitale et cependant de me sentir de ce fait ni serf ni vassal. Il s'était donné totalement et je l'avais possédé sans qu'il me possédât, ce fut la première expérience nette et entière que j'eus de l'amitié et jamais aucun autre de mes amis n'a pu la répéter".
La rencontre au sein de l'amitié est un désir de réponse à la plus importante des questions, celle de la finalité.
Les "conversations" avec un ami m'aident à comprendre ce que je suis réellement : un essentiel et inévitable (si c'est véritablement de l'amitié) dévoilement de l'Etre.
La rencontre me permet ainsi de me connaître tout en connaissant mon ami, dévoilement réciproque "l'expérience" de l'amitié est intéressante précisément parce que différence, l'ami peut être la révélation du possible dans lequel je pourrais me reconnaître.
Fantasme, théâtralité, comédie, parades disparaissent ; intervient alors le test de l'authenticité.
"Manifester" son amitié, c'est montrer une radicale non indifférence vis à vis de cet Autrui privilégié, c'est la confirmer. La tragédie sans recours pour l'Amitié ne serait-ce pas l'incompréhension ?
Pour retrouver nos questions initiales, nous répondons qu'elle est fondée dans des "affinités électives", qu'elle est aussi une forme particulière du lien social (sa part la plus "privée", intime), qu'enfin et surtout elle est l'approche Éthique (compréhension, adaptation voire acceptation de l'altérité) de l'EROS puisque expression d'une pure affectivité.
Dans l'amitié, n' y aurait-il pas l'experience d'un singulier universel de l'humain ?
A l'amitié
En toute modestie, en parallèle à Kant pour son hommage à la Paix !
Amitié, sentiment étrange qui, cependant, à personne n'est étranger!
Amitié, tu n'es pas Amour et pourtant Philia vaut bien EROS...
Tu établis entre deux êtres un sentiment digne de l'humain...
Vécue, tu te laisses difficilement définir!
Amitié tu n'es pas jalousie et tu n'es pas pour autant indigne indifférence!
Tu es générosité sans être exclusive
Tu es fidélité sans être serment
Tu es intimité sans être possession
Tu es engagement sans témoins obligés!
tu es en soi valeur sans reflet d'intérêt!
Tu es respect sans distance ni convenances!
Compréhension sans jugement
Cœur sans nécessaire appui de la Raison
Aide sans complaisance ni compromission
tu n'illusionnes pas, la transparence est ta substance!
Exigeante, tu ne survis pas à la non réciprocité... L'échange est ton fondement!
Tolérance sans tomber dans la faiblesse ou l'adhésion coupable
Ta force est aussi ta faiblesse, tu te suffis à toi-même mais tu peux aussi, faute d'être "entretenue" t'éteindre par toi-même.
Intelligence qui n' a pas toujours nécessité de paroles pour s'entendre.
Le silence peut être garant de ta communion!
Tu es durée sans présence constante.
De l'instant tu te nourris sans peur de l'avenir!!
Tu vois intensément le présent, à la différence de l'Amour, pour qui, le présent est déjà insuffisance et inquiétude, c’est l'avenir l'enjeu!
Ta présence est plaisir, l'absence peut être "magiquement' pour et par toi confiance...
Tu sécurises là où l'Amour trouble
Tu cicatrises là où l'Amour est souffrance,
sentiment tu es, ni paternel, ni seulement fraternel, ni filial, et pourtant, on dit, mon ami... mon frère...
Entre les sexes tu ne choisis pas, par delà le sexe tu es!
Tu n'en connais certes pas les frissons mais en évites ainsi les troubles, les doutes, les frustrations, les inquiétudes...
Tu es rare comme toute exception
En cela est précisément toute ta valeur!
Recherchée comme tout idéal,
jalousée comme toute beauté,
respectée comme humanité,
aimée comme tout "objet" d'attente,
analysée tu te dérobes,
ressentie tu t'épanouis!
A toi seule, tu es l'amour, père, mère, frère, sœur, tu réalises ce prodige...
En un sentiment tu résumes toute la complexité et la richesse humaine!
Amitié, tel un caméléon, tu peux prendre formes et degrés d'intensité multiples.
Telle une maïeuticienne, tu m'accouches d'une humanité.
Telle une thérapeute, tu me guéris de l'inhumain...
Telle une muse tu m'inspires...
Tel un mentor, tu me fais penser à ton essence!
Montaigne, je te sais gré d'avoir défini comme suit l'amitié "celle-ci n'a point d'autre idée qu'elle-même et ne se peut rapporter qu'à soi, ce n'est pas une spéciale considération, c'est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange".
A toi, Amitié, et que vienne l'ami(e)!
"Improvisations"
Joël Poulain
j'ai l'impression de l'entendre encore en cours.
Je me suis permise de contacter d'autres anciens élèves et ils se joignent à moi sur cette pensée.
Sophie
Aux sources du néolibéralisme
Un nouveau libéralisme naîtra-t-il de la crise ? Il n’est pas inutile, en ces temps de profonde incertitude idéologique, de se replonger dans les débats politiques et économiques qui suivirent la crise des années 1930. Le colloque Lippmann, organisé à Paris en 1938, est l’un des lieux où fut discuté l’avenir du capitalisme.
L’ouvrage de Serge Audier se présente en deux parties. La première partie, Le Colloque Lippmann ou la face cachée du « néo-libéralisme », est un essai assez long d’histoire des idées consacré aux origines et à la postérité du colloque organisé en 1938 autour du publiciste américain Walter Lippmann et de son ouvrage, La Cité libre. La seconde partie est la réédition de l’ouvrage consacré au colloque, Le Colloque Lippmann, publié la même année par la Librairie Médicis, et préparé sous les auspices du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme. L’objectif affiché de Serge Audier est de resituer dans la complexité intellectuelle du temps (la grande crise, la montée des totalitarismes, les expériences collectivistes, le défi intellectuel que représente la Théorie générale de Keynes) le développement d’un courant idéologique et doctrinal néolibéral en France et en Europe, dont plusieurs grandes figures se sont rencontrées pour la première fois en 1938 à l’occasion de ce colloque organisé par le philosophe Louis Rougier.
Bien moins connu que la première réunion de la Société du Mont-Pèlerin en 1946, le colloque Lippmann est pourtant régulièrement cité dans les histoires du libéralisme comme l’acte fondateur du néo-libéralisme moderne. Par un retour au texte du colloque, aux écrits des participants, à leurs activités et prises de positions antérieures et ultérieures, l’auteur se livre à une réévaluation de l’importance du colloque Lippmann pour l’histoire du libéralisme. Il souhaite notamment mettre en pièce une thèse récurrente des histoires du libéralisme, selon laquelle le colloque Lippmann serait le point de départ d’une lente et patiente reconquête idéologique des esprits jusqu’au triomphe des années Reagan et Thatcher.
L’essai de Serge Audier est intéressant à plus d’un titre, même s’il s’expose au reproche de courir plusieurs lièvres à la fois. Ainsi, après avoir dénoncé à bon escient les flottements sémantiques liés au néolibéralisme, les à-peu-près du discours antilibéral fait d’amalgames et d’ignorance des doctrines et des débats théoriques, l’auteur nous convie en quelques pages dans les tourmentes intellectuelles des années 1930. Le rôle et le parcours intellectuel de figures clés du colloque Lippmann sont alors étudiés, en commençant par le maître d’œuvre, Louis Rougier, et par Lippmann lui-même. Puis l’auteur présente les participants français, avant d’évoquer les positions des tenants de l’ordo-libéralisme pour finir par les artisans du néo-libéralisme dans sa version actuelle (c’est-à-dire sa version ultralibérale). Pour finir, Audier dévoile avec beaucoup de pertinence l’entreprise de réécriture de l’histoire du libéralisme organisée par le courant ultra-libéral, à l’initiative de Hayek, qui est ainsi parvenu à convaincre ses adversaires d’une incompatibilité essentielle entre la tradition socialiste et la tradition libérale. La leçon à tirer de ce dévoiement pour notre présent est que le libéralisme n’a pas à être le monopole de forces économiques et politiques conservatrices, et qu’il « devrait faire partie pleinement, avec d’autres héritages doctrinaux, du patrimoine de la gauche » (p. 243).
Chemin faisant, le lecteur cherche et tâtonne, et se demande quel était exactement l’objet de cet essai. Audier s’éloigne parfois de son objet et/ou se lance dans une critique de la pensée antilibérale. De telles digressions étaient inutiles et auraient pu être reléguées en notes. L’essentiel reste, pour l’historien des idées, un tableau assez complet de la pensée néolibérale en France après guerre. Dans les années 1940 à 1960, le néolibéralisme à la française a rassemblé une nébuleuse d’auteurs de différentes obédiences politiques et doctrinales autour d’une vision du libéralisme compatible avec une forte implication de l’État dans les affaires humaines. Cette vision, soutient Audier, fait aussi partie de l’histoire du libéralisme comme idéologie libératrice et émancipatrice des peuples.
On s’attachera d’abord à discuter sa thèse principale (politique), à savoir le reproche fait aux intellectuels de gauche d’enfermer le débat sur le libéralisme dans une logique d’affrontement idéologique (thèse qui n’est énoncée qu’en toute fin de l’essai). On présentera ensuite l’organisation de l’ouvrage et l’argumentation générale de l’auteur, ainsi que le texte du colloque Lippmann. Enfin, on proposera quelques pistes de relecture du colloque qui permettraient de faire ressortir des éléments d’analyse importants pour une histoire du libéralisme au XXe siècle.
La thèse critique à l’égard de la pensée antilibérale contemporaine est claire. Deux versions du libéralisme sont en présence au colloque et s’affrontent ouvertement. Par conséquent, l’attitude critique de certains intellectuels − consistant à identifier la pensée libérale avec son expression la plus radicale, le néo-libéralisme du Mont-Pèlerin et de leurs chefs de file Hayek, Mises et Friedman − est une reconstruction hâtive et fausse. Elle enfermerait l’intelligentsia de gauche dans une posture antilibérale suspicieuse à l’égard de toute référence au marché et à l’entreprise individuelle. Du même coup, les intellectuels de gauche ignoreraient les réflexions et les idées originales d’un autre libéralisme, un libéralisme social qui prendra parfois le nom de « néolibéral » (courant qui serait déjà représenté lors du colloque), et bloqueraient ainsi par simple réflexe idéologique le renouvellement doctrinal nécessaire à la gauche française.
Nous ne contesterons pas à Audier la thèse dans son ensemble. On peut toutefois s’interroger sur la représentativité des auteurs mentionnés (Pierre Bourdieu ou Serge Halimi) à l’appui de cette thèse. La référence à d’autres penseurs de la gauche aurait sans doute permis d’infléchir le propos. Comment une tradition de critique intellectuelle du libéralisme, ignorant presque tout de la théorie économique, parvient-elle à rejeter violemment les principes de raisonnement des économistes néoclassiques et la référence à la concurrence, qu’elle identifie à tort à la position néolibérale ? Si Audier ne nous donne pas la réponse, son essai est au moins une contribution utile à la réflexion.
L’essai mérite alors d’être lu comme une introduction raisonnée au colloque Lippmann, dans une perspective traditionnelle d’histoire des idées politique et d’histoire intellectuelle. Audier s’attache à retracer le parcours intellectuel des différents intervenants et souligne notamment leurs profondes divergences d’interprétation des échecs du libéralisme et des voies à suivre pour le réhabiliter. Là encore, le diagnostic de l’auteur est tout à fait utile pour une histoire du libéralisme. Même si les intervenants du colloque partagent les mêmes craintes à l’égard de la montée des totalitarismes, des dictatures, du planisme, même s’ils adhèrent au principe d’une allocation efficace des biens par les marchés concurrentiels, ils ne s’accordent pas sur les modalités historiques de développement du capitalisme, ni sur les causes de son déclin et la nature des remèdes à apporter. Pour organiser la reconstruction des positions doctrinales en présence, Audier s’appuie sur un moment fort du colloque, une intervention quelque peu solennelle et dramatique d’Alexander Rüstow lors de la séance du 29 août :
« Tout bien considéré, il est indéniable qu’ici, dans notre cercle, deux points de vue différents sont représentés. Les uns ne trouvent rien d’essentiel à critiquer ou à changer au libéralisme traditionnel, tel qu’il fut et tel qu’il est, abstraction faite, naturellement, des adaptations et des développements courants qui vont de soi. À leur avis, la responsabilité de tout le malheur incombe exclusivement au côté opposé, à ceux qui par stupidité ou par méchanceté, ou par un mélange des deux, ne peuvent ou ne veulent pas apercevoir et observer les vérités salutaires du libéralisme. Nous autres, nous cherchons la responsabilité du déclin du libéralisme dans le libéralisme lui-même ; et, par conséquent, nous cherchons l’issue dans un renouvellement fondamental du libéralisme » (p. 333).
Au delà d’un désaccord, que les participants acceptent finalement de mettre entre parenthèses pour privilégier la création d’un réseau international de diffusion de la pensée libérale, il s’avère très difficile de proposer une reconstruction rationnelle des arguments économiques, philosophiques, historiques, qui devraient conduire à ces deux visions du libéralisme. Même si on ne conteste pas ici l’idée d’une opposition entre ces deux formes de libéralisme, elle ne nous semble pas être la seule à retenir du colloque. Ainsi, on pourrait faire une lecture un peu différente du colloque et y voir une préfiguration claire de deux courants qui s’exprimeront plus tard au sein de la société du Mont-Pèlerin, le courant ultra-libéral et le courant ordo-libéral (au travers des prises de position de Mises et Hayek d’un côté, de Rüstow et Röpke de l’autre) laissant autour d’eux des témoins embarrassés qui ne s’identifient ni à l’une ni à l’autre. Pour sa part, Audier privilégie une lecture duale du colloque, qui oppose les ultra-libéraux à tous les autres, réunis par leur volonté d’une articulation plus étroite des missions de l’État et du marché.
Le lecteur apprendra sans doute beaucoup sur les idées sociales et politiques de nombreux participants, sur leurs interprétations des transformations du capitalisme, sur leurs tendances corporatistes, leurs conceptions de l’égalité, de la rationalité individuelle et du rôle des syndicats, leurs visions du libéralisme et du meilleur moyen de concilier les libertés individuelles et le rôle de contrôle de l’État, etc. L’essai de Serge Audier, tout comme le texte du colloque, offre ainsi un matériau précieux pour l’histoire des idées économiques et politiques en France. On notera également que, sur bien des points d’histoire intellectuelle, Serge Audier apporte des corrections utiles et des éclairages nouveaux. Il combat à juste titre la présentation de Raymond Aron comme ultra-libéral, et met en évidence la stratégie de Hayek pour prendre ses distances avec une tradition du libéralisme social. Il rappelle les tensions, au sein de la Société du Mont-Pèlerin, entre Hayek et Mises d’un côté, Röpke et Rüstow de l’autre, tous présents et actifs au colloque Lippmann. Le lecteur se retrouve ainsi pris dans le large spectre des idées réformatrices et des multiples traditions intellectuelles venues se ressourcer aux idées libérales et keynésiennes.
Si l’essentiel de l’analyse de l’auteur se place au niveau de l’histoire des idées, un éclairage ancré dans l’histoire de la pensée économique n’aurait pas été inutile. Par exemple, le fait que tous les participants se réfèrent à l’efficacité du système de prix dans une économie concurrentielle ne signifie pas qu’ils l’interprètent de la même manière. Il eût été utile de rappeler que la théorie de Léon Walras, qui se dit socialiste et libéral, appartient à une tradition de pensée rationaliste et qu’elle inspire manifestement de nombreux participants du colloque. Or, justement, le rationalisme est aux yeux des ultra-libéraux (les « vrais » libéraux) le péché intellectuel caractéristique de la pensée cartésienne, celui qui entretient chez nombre de « faux » libéraux l’illusion d’une intervention correctrice de l’État dans les affaires humaines. Ce clivage théorique et philosophique permet de conforter la thèse générale de l’auteur sur la formation de deux camps opposés. Mais il faut immédiatement reconnaître que ce clivage n’est pas le seul qui divise les participants au colloque. D’autres clivages de philosophie politique (sur la démocratie, l’éducation, l’égalité, la justice sociale) ou plus simplement d’interprétation historique (sur les causes principales des rentes de monopoles) viennent manifestement s’y ajouter, et expliquent la complexité du discours libéral à la fin des années 1930.
Revenons un instant aux deux objets qui intéressent Audier : d’un côté, le colloque Lippmann, la manifestation elle-même ; de l’autre, Le Colloque Lippmann, c’est-à-dire le texte publié à la suite de cette rencontre. L’articulation entre ces deux objets est singulière et mérite quelques réflexions méthodologiques.
Le colloque Lippmann est mis sur pied en quelques jours à l’initiative du philosophe Louis Rougier. Auteur de La Mystique démocratique. Ses origines, ses illusions (1929), il s’y oppose à la vision passive des libéraux manchestériens et théorise un « libéralisme constructeur » garant des lois de la concurrence et d’une saine émulation. La lecture de La Cité libre (1937) du journaliste et publiciste Walter Lippmann fait parfaitement écho à ses propres préoccupations et offre de nombreuses pistes pour une reconstruction des démocraties libérales. Le colloque est organisé à l’occasion du passage de Lippmann à Paris, dont l’ouvrage avait produit un grand effet dans les milieux libéraux en Europe. À l’initiative de Rougier furent réunis du 26 au 30 août une trentaine de participants, afin de discuter et de définir en commun l’agenda d’un nouveau libéralisme conçu comme un système économique et politique autonome. Accessoirement, il s’agissait aussi de mettre en place un réseau international de réflexion et de diffusion des idées libérales.
L’objet principal du colloque est donc de susciter une discussion sur la doctrine libérale et sur les meilleurs moyens de la réhabiliter, notamment en mettant en place un Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme, dont la mission serait de réfléchir au meilleur cadre juridique pour le développement d’une économie libérale, adaptée aux évolutions technologiques, organisationnelles et sociales du monde contemporain. Le colloque aboutit d’ailleurs à une déclaration commune, élaborée à partir d’un agenda proposé par Lippmann. À défaut d’être consensuel, le programme de réflexion sur la mise en œuvre de politiques libérales suscite l’adhésion des participants, qui laissent provisoirement de côté leurs divergences de fond.
À la suite au colloque, Rougier entreprend d’en faire publier le contenu par la Librairie Médicis. Il s’agit en principe d’une transcription des interventions et des débats, et c’est ce texte qu’Audier republie dans son livre. Pour plusieurs raisons, il nous semble que Le Colloque Lippmann appelle une lecture moins chargée d’interprétations définitives sur les courants du libéralisme, et qui rendrait davantage compte du désordre intellectuel et des béances de la doctrine libérale à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
En effet, le premier constat méthodologique, c’est que le texte du colloque est d’abord et avant tout un document singulier, qui n’a que peu d’équivalent à notre connaissance. Il s’agit d’un document incomplet, qui retrace imparfaitement ce qui s’est dit pendant le colloque. Les discussions y sont rendues « sous une forme tronquée » (p. 248). Il ne rend pas compte de manière fiable de tous les échanges entre les participants. Ainsi, certaines interventions mentionnent des points de discussion antérieurs qui ne sont pas transcrits dans le texte. Sur ce point, on reprochera à Serge Audier de ne pas s’être interrogé sur les lacunes évidentes du texte et de ne pas avoir pris suffisamment de précautions méthodologiques. Un tel travail aurait été indispensable, et oblige à une certaine retenue dans l’interprétation. À tout le moins, il paraît inconcevable d’utiliser ce texte sans l’éclairer par une histoire intellectuelle du libéralisme dans les années 1920 et 1930 (réseaux, institutions, traditions nationales, modes de diffusion).
De plus, il semble que pour plusieurs thèmes abordés lors des séances, un intervenant a été sollicité pour exposer son point de vue au cours d’une brève intervention. Chacune de ces interventions ouvre alors sur une discussion entre les participants. Les prises de parole et la longueur des interventions sont très variables selon les thèmes. Ainsi, le texte donne un net avantage aux intervenants francophones. Cela traduit-il la réalité des débats ? Cela s’explique-t-il par une prise de note schématique des interventions des autres intervenants ? En avertissement au texte, Louis Rougier indique que seules les interventions en français et allemand ont été dactylographiées pendant le colloque, « de façon à peu près complète » (p. 247-248), et que les interventions en anglais n’ont pu être reconstituées qu’après coup. Hayek n’ayant pu reconstituer de mémoire ses interventions, le texte ne rend pas fidèlement compte des arguments qu’il a pu avancer pendant le colloque. Si bien que son rôle paraît très modeste, en retrait et à l’abri de Mises, alors que Rougier affirme par ailleurs que ses interventions étaient « très intéressantes » (p. 248). Dans le même ordre d’idées, certains participants interviennent très occasionnellement, seulement dans une session, voire deux, tandis que d’autres prennent la parole presque systématiquement (Mises, Rueff). Aussi, il nous semble qu’un travail systématique d’analyse du texte aurait pu enrichir le propos et l’étude des stratégies propres à certains participants. Toute cette dynamique de la discussion, pour peu qu’elle soit fiable, apporterait de précieux renseignements qui pourraient même servir d’indices favorables (ou non) aux interprétations de l’auteur. Mais, là encore, il n’est pas certain que le déroulement des discussions soit retranscrit parfaitement. En effet, les thèmes de discussion séparés (du matin et de l’après-midi) sont parfois retranscrits en une seule section, ce qui suppose un travail plus ou moins important de reconstruction (probablement de Rougier). Dans tous les cas, il n’est pas possible d’exploiter Le Colloque comme une restitution fidèle, transparente, du colloque.
Sur le fond, en supposant cet obstacle méthodologique levé, il faudrait commenter les positions des uns et des autres à la lumière des arguments de théorie économique mobilisés. Un moment édifiant des débats, par exemple, concerne la capacité du libéralisme à se suffire à lui-même, et notamment l’effet du libéralisme sur les conditions de la concurrence : le système libéral a-t-il tendance à détruire de lui-même l’environnement concurrentiel des agents et à favoriser l’émergence de grands groupes industriels monopolistes ? Ce sujet est en fait central au cours du colloque, aussi bien d’un point de vue de théorie économique que plus largement, pour évaluer la stabilité d’une société libérale face aux écueils du socialisme et du totalitarisme.
Lorsque Röpke s’oppose à Mises, l’argumentation typique des auteurs (libéralisme autodestructeur vs libéralisme victime de l’intervention de l’État) cède la place à une querelle théorique sur l’effet des droits de douane. Ici, comme à d’autres moments, l’avenir du libéralisme est parfois examiné à la lumière des grandes idées traditionnelles des XVIIIe et XIXe siècles, à savoir la division (internationale) du travail, la liberté de circulation des biens, etc. Il est étonnant de voir qu’assez peu d’idées nouvelles structurent les discussions. À ce propos, le débat est assez instructif dans la mesure où il reste assez superficiel et ne rend pas compte de la richesse des débats de théorie économique qui se déroulent à l’époque en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, ni même des modalités nationales de la régulation économique. La législation antitrust aux États-Unis (Sherman Act en 1890 et Clayton Act en 1914) témoigne d’une réflexion bien plus grande sur la nature des ententes anticoncurrentielles. Quelle connaissance les intervenants ont-ils de ces développements théoriques ? Comment s’y réfèrent-ils dans leur positionnement doctrinal ? Pourquoi les développements contemporains de l’analyse économique ne sont-ils jamais mobilisés par les intervenants ? Autant de questions qui mériteraient une investigation précise pour appréhender les positions des tenants du libéralisme.
Un autre thème récurrent des débats, le plus essentiel, est celui des institutions (système juridique, structures organisationnelles, gouvernance, etc.). Sur ce thème qui allait être le plus important peut-être pour la théorie économique de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui (théorie néoclassique des incitations et des contrats, théorie néo-autrichienne, néo-institutionnaliste, évolutionniste, radicale et conventionnaliste), le Colloque laisse entrevoir un immense vide théorique. Les participants en appellent volontiers aux institutions comme cadre fondamental pour délimiter le champ et les modalités de fonctionnement d’un système concurrentiel, mais à aucun moment il n’est question plus précisément d’une théorie des institutions, pas même d’une présentation concrète de leur contenu (à l’exception notable d’une discussion sur le rôle historique de la société anonyme). La théorie des institutions reste donc purement virtuelle. C’est pourtant ce point qui allait constituer dans les années suivantes l’une des bases de la refondation du libéralisme par Hayek et qui devait jouer un rôle essentiel dans la démarcation entre néo-libéralisme et théorie néoclassique, d’une part, et entre néo-libéralisme et libertarianisme, d’autre part.
En bref, le document historique qu’offre le colloque Lippmann nous orienterait vers une exploitation plus défensive et prudente que celle que nous propose Audier. Là où l’auteur voit l’affirmation de camps – qui se découvrent et se cherchent encore –, on chercherait d’abord à y voir un lieu d’expérimentation et de maturation des arguments. Ainsi, par exemple, le rôle de Hayek aurait-il mérité une analyse plus pointue. Plutôt que de mettre en avant les écrits beaucoup plus tardifs de Hayek (Droit, législation et liberté, 1976) ou son ouvrage grand public La Route de la servitude (1944), il aurait été intéressant de mettre en perspective ses interventions (et celles de Mises) avec les débats théoriques des années 1920 et 1930 sur la planification socialiste (Hayek, 1935) et, plus encore, avec les idées en pleine maturation sur le rôle de l’information et sa diffusion dans la société (Hayek, 1937). S’il est peut-être une seule idée que Hayek aura retenue du colloque Lippmann, c’est bien le flottement théorique des participants, tous libéraux qu’ils soient, sur la nature et l’origine des institutions d’une société libre, sur la possibilité d’instituer par le haut, rationnellement, un système juridique immédiatement et durablement en conformité avec les besoins et les capacités des agents à un moment donné. Le choix de Serge Audier nous éloigne un peu plus d’une histoire des fondements intellectuels du libéralisme et maintient une distance entre théorie et idéologie qui est une limite évidente pour la compréhension des transformations historique du courant libéral.
L’intérêt du colloque Lippmann vient des hypothèses qu’il permet d’élaborer pour une histoire du libéralisme, ce qu’il rendra possible après un long cheminement intellectuel. Au contraire, Serge Audier choisit de n’en retenir que l’effet immédiat, l’expression d’un désaccord doctrinal entre deux (ou plus ?) formes de libéralismes. Il reproche à juste titre aux « intellectuels de gauche » d’entretenir une vision tronquée du libéralisme, qui interdit tout débat d’idées au sein de la gauche française – au risque de se laisser prendre par une autre illusion : croire que cet autre libéralisme (social) existe bel et bien, que son corpus théorique et son contenu doctrinal sont bien identifiés, alors qu’ils sont encore à construire.
par Jean-Sébastien Lenfant [24-06-2009]
Aller plus loin






Michael Jackson, maillon de la domination culturelle américaine
Michael Jackson
maillon de la domination culturelle américaine
Très honnêtement, je ne me suis jamais intéressé au chanteur. Malgré ses 45 ans de carrière, son titre de King of pop, son audience de star planétaire, je suis resté sourd et aveugle au phénomène. Il faut dire que je suis allergique à cette forme aussi de mondialisation qui n'est pas le fruit du hasard, qui participe de l'hégémonie culturelle des États-Unis. C'est pourquoi je mets en ligne, un essai sur États-Unis et Eurasie, paru dans Pour une école du gai savoir aux Cahiers de l'Égaré en 2004.
Ayant regardé quelques clips du site Michael Jackson
je dois reconnaître que j'ai apprécié.
On avait affaire indéniablement à un chanteur, un danseur, un acteur...Il bougeait très bien. On le voit bien avec Panther Dance.
Mais cela ne justifie pas l'emballement qui l'a entouré. Il me semble voir du machisme dans certains clips. Pas sûr que ce soit parodique. Une fascination pour des allures de dur, de caïd. Pas sûr que ce soit parodique.
Jean-Claude Grosse, le 27 juin 2009
ÉRIC DAHAN
C’était le 14 décembre 1969. Deux mois après avoir été présentés par Diana Ross dans l’émission Hollywood Palace,de la chaîne ABC, les Jackson Five étaient invités au Ed Sullivan Show, émission légendaire pour avoir accueilli les premières prestations aux Etats-Unis des Beatles et des Rolling Stones. Le groupe a signé sur la Motown de Berry Gordy, le label de Detroit qui, de rengaines des Supremes en tubes des Four Tops, a «sorti» la musique noire des ghettos du blues, du jazz, de la soul, en l’imposant comme la pop music de choix de la classe moyenne blanche.
Dès le glissando de piano enchaîné à un riff funk sur la note de sol dièse, pivot harmonique de toute la composition, impossible de ne pas être saisi. Entrent alors les congas et les cordes sur lesquels cinq garçons, de l’enfant à l’adolescent, exécutent une chorégraphie qui ajoute à la tension électrisante de la musique. Le thème d’I Want You Backrevient au cadet, qui danse comme James Brown, avec des poses de mac irrésistibles, tout en fredonnant les notes de la mélodie en «humming» façon Diana Ross. Huit ans plus tôt, la Motown avait révélé un prodige de 11 ans, Little Stevie Wonder. Mais Michael Jackson, en trois minutes, conjuguant le cri rythm’n’blues de rue, comme un appel voyou aux filles, et la candeur d’Epinal de Mickey Rooney et Shirley Temple, vient de s’imposer challenger du show-biz américain, où il est traditionnellement attendu d’un artiste qu’il sache chanter, danser et jouer la comédie.
la Jackson family
Le 23 janvier 1970, la chanson I Want You Back, extraite de l’album Diana Ross Presents the Jackson Five, coiffe le hit-parade. La même année, les deux singles du disque suivant, ABC, se classent à la même première place : tous les petits garçons veulent ressembler à Michael Jackson et toutes les filles sont folles de lui. L’album est objectivement fantastique, par le choix des compositions et les performances du soliste. La fantaisie mélodique de la chanson-titre ou de l’imparable The Love You Save fait mouche auprès des kids, mais même les adultes sont touchés par l’interprétation, d’une puissance dramatique irréelle, vu l’âge du chanteur, de Don’t Know Why I Love You de Stevie Wonder. Un Third Album paraît en septembre, dans la précipitation et moins réussi, mais la ballade I’ll Be There, clonant le style Diana Ross, de la composition (Berry Gordy et Hal Davis) à l’interprétation de Michael Jackson, envahit les radios à l’automne, avant publication (autre exercice obligé de l’entertainment américain) d’un Christmas Album.
En 1971, deux nouveaux disques : Maybe Tomorrow, qui contient l’imparable Never Can Say Goodbye et Going Back to Indiana, enregistrement live d’un show télévisé durant lequel le groupe interprète deux hymnes emblématiques de la «fierté noire» du militant psychédélique Sly Stone : Stand ! et I Want To Take You Higher. Le septième Jackson Five paraît le 23 mai de l’année suivante. La chanson-titre, Looking Through the Windows, signée Clifton Davis, est une réussite, mais la pire concurrence des Jacksons est née : c’est Michael Jackson.
L’indépendance
Tout en continuant à chanter avec le groupe, Michael vient de publier Got To Be There, son premier album, et c’est un carton : quatre tubes dont une reprise déchirante du Ain’t No Sunshine de Bill Withers, et 4 millions d’exemplaires vendus. Son premier number one solo sera Ben, chanson-titre d’un film d’horreur, et de l’album du même nom qu’il publie en 1972.
Jusqu’en 1975, le groupe, comme Michael Jackson, continue à livrer des albums originaux à la Motown, mais malgré des titres qui se distinguent systématiquement dans les dix premières places des charts, comme Dancing Machine et One Day In Your Life, la «Jacksonmania», qui avait culminé avec la diffusion de deux séries de dessins animés, The Jackson 5ive et The New Jackson 5ive Show en 1972, s’estompe.
Entre-temps, Marvin Gaye et Stevie Wonder ont publié leurs chefs-d’œuvre de la maturité et de nouvelles machines à danser sont nées, comme Kool & the Gang et Earth, Wind & Fire. Il est temps pour les Jacksons, ainsi rebaptisés car le nom Jackson Five appartient à Berry Gordy, de muter. Ils quittent la Motown pour Epic, filiale de CBS, prennent progressivement le contrôle artistique de leurs enregistrements et composent désormais leurs propres chansons.
la Star planétaire
Jusqu’en 1984, ils vont aligner six albums dont Destiny en 1978 et Triumph en 1980, qui marquent l’apogée de leur style disco-funk. Cependant, la voix de Michael a mué et son style, du falsetto aux halètements et hoquets suraigus, a gagné en suavité et charisme sexuel. Pour la deuxième fois de leur carrière, les Jacksons vont subir de plein fouet la concurrence du plus doué d’entre eux. Avec Off the Wall, son cinquième album solo paru en 1979, Michael Jackson est devenu une star planétaire. Rencontré sur le tournage à New York du film The Wiz avec Diana Ross, le producteur Quincy Jones va apporter au disco-funk de son nouveau poulain une sophistication sonore inouïe, fruit de trente ans d’expérience dans le jazz, le blues, la soul et la musique de films. Du galvanisant Don’t Stop ’Til You Get Enough à l’onirique I Can’t Help It, signé Stevie Wonder, en passant par She’s Out of My Life, nouveau chef-d’œuvre de dramaturgie vocale frissonnante, l’album est une leçon musicale, et s’écoule à 12 millions d’exemplaires. En photo au Studio 54 entre Andy Warhol et Liza Minnelli, numéro 1 au Billboard avec le single Rock With You, Jackson est nominé aux Grammy Awards de 1980, où il remporte le prix du meilleur chanteur r’n’b pour sa chanson Don’t Stop ’Til You Get Enough. D’autres s’en seraient réjouis mais cette décoration dans la catégorie «musique noire» est vécue, légitimement, comme un affront. La prochaine mutation radicale marque la fin d’une certaine innocence.
La mutation
Avec Thriller, Jackson pose toujours en éphèbe disco-funk sur la pochette, mais l’album est d’une diversité musicale stupéfiante. Avec Quincy Jones, il a modernisé son funk (l’afro-machinique Wanna Be Startin’ Somethin’ et le fameux Thriller, chanson-titre), tout en s’attaquant au public blanc avec un morceau rock : Beat It, agrémenté d’un solo du guitariste metal Eddie Van Halen. Si sa qualité musicale est indéniable, difficile de dissocier le succès de ce disque, qui remporte huit grammies en 1983 et demeure le plus vendu de l’histoire avec 104 millions d’exemplaires à ce jour, de la stratégie médiatique qui l’a accompagné.
Avec le clip de Billie Jean, ravivant un pas de danse oublié, le «moonwalking», Jackson a trouvé son gimmick, associé à chacune de ses apparitions scéniques. Avec celui de Beat It, il réanime les chorégraphies street de West Side Story. Enfin, avec celui de Thriller, superproduction de quatorze minutes en hommage à la Nuit des morts vivants, Jackson se pose comme l’homme de tous les records. Diffusés en permanence par la chaîne MTV, ces clips fanatisent le public et les médias, qui se passionnent pour les moindres agissements du chanteur, passé mythe vivant.
Plus personne n’ignore qu’il vient d’une famille modeste de l’Indiana et qu’il est le septième de neufs frères et sœurs. Est-ce par frustration d’avoir dû travailler dans une aciérie et d’être le guitariste du confidentiel The Falcons, que le père, Joseph Jackson a coaché à la dure ses enfants pour en faire une attraction musicale ? Michael et ses frères auraient été battus et violés.
Au moment où sort Thriller, Jackson a déjà subi une à deux rhinoplasties, seules opérations de chirurgie esthétique qu’il reconnaît. S’il peut imputer la responsabilité de ce complexe à son père qui, lorsqu’il était enfant, se moquait de son «gros nez», il n’en est qu’au début de son pacte faustien avec la chirurgie esthétique. Est-il victime des rumeurs les plus folles qui courent à son sujet (il dormirait dans un caisson à oxygène, il se blanchirait chimiquement la peau), ou les entretient-il savamment ? Lorsqu’il est transporté en urgence au Cedars-Sinai Hospital de Los Angeles avec des brûlures au troisième degré du cuir chevelu, suite à un accident pyrotechnique sur le tournage d’une pub Pepsi, les médias planétaires diffusent les images de son arrivée sur un brancard.
Le performer
En 1984, paraît l’album Victory des Jacksons dont Michael fait toujours partie et, durant la tournée américaine, il se taille la part du lion. L’année suivante, il coécrit avec Lionel Richie la chanson We Are the World, enregistrée avec quarante stars (Springsteen, Tina Turner, Stevie Wonder, Ray Charles…), contre la faim en Afrique, qui se vendra à 7 millions d’exemplaires.
En 1986, Jackson n’a toujours pas tourné en Europe, et la fièvre monte encore avec la diffusion dans tous les parcs Disney de Captain Eo, un court-métrage musical féerique en 3D, produit par Lucas et Coppola, pour 17 millions de dollars. En 1987, c’est au tour de Scorsese de réaliser le clip très urbain de Bad, premier single de l’album du même titre, deuxième disque le plus vendu de tous les temps avec 32 millions de copies. Après avoir enregistré dans le passé des duos avec Paul Mc Cartney, Stevie Wonder et Mick Jagger, celui qui se veut le Peter Pan de son temps a choisi d’inviter Prince à chanter sur ce titre, mais ce dernier a décliné l’offre, au grand dam de Quincy Jones qui rêvait de réunir ceux qu’il considérait comme les deux artistes du moment.
En France, les concerts que Jackson donne au Parc des Princes montrent le performer au sommet, jusque dans le numéro de cabotinage sur l’inquiétant Dirty Diana. Le 20 mars 1991, il signe un contrat record d’un milliard de dollars avec Sony et sort l’album Dangerous, suivi d’une nouvelle tournée mondiale. Annoncé par le clip façon United Colors of Benetton, le single Black or White, comme ceux qui vont suivre (Remember the Time, In the Closet) ne manque pas de charme. De nombreuses stars participent aux clips afférents dont Magic Johnson, Michael Jordan, les comédiens Eddie Murphy et Macaulay Culkin ainsi que les top-models Iman, Tyra Banks et Naomi Campbell. Résultat, 30 millions de copies vendues. C’est peu après, en août 1993, que les ennuis s’annoncent…
Les scandales
Jackson est accusé d’abus sexuel par le jeune Jordan Chandler, 13 ans, qu’il avait invité à passer un week-end en famille dans son ranch de Neverland. Dans le cadre de l’instruction, le chanteur est contraint d’accepter que ses parties génitales soient examinées pour corroborer la description qu’en a fournie le plaignant. L’affaire se résout par une transaction à 22 millions de dollars.
Le 26 mai 1994, Michael Jackson épouse Lisa Marie Presley. Cette union, comme sa liaison antérieure supposée avec Brooke Shields, est accueillie par certains avec le sourire. Désormais, les faits et gestes du chanteur suscitent l’incompréhension du public. Un an plus tard sort HIStory : Past, Present and Future - Book I, double album comptant quinze tubes du passé et quinze nouveautés dont Scream, en duo avec Janet, et You Are Not Alone, qui se vend à plus de 38 millions d’exemplaires. Mais les médias ne se passionnent plus que pour son remariage avec une infirmière nommée Debbie Rowe, leur «fils», Prince Michael Junior, né le 13 février 1997, et leur «fille», Paris Katherine Michael, le 3 avril 1998, dont il obtiendra la garde après divorce en 1999.
On le dit fini aux Etats-Unis, ce qui n’empêche pas le chanteur de tourner encore avec succès. A la veille du 11 septembre 2001, il se produit avec ses frères au Madison Square Garden, et, un an plus tard, se déclare père d’un nouvel enfant, Prince Michael II. Son dernier album en studio, Invincible, ne se vend «qu’à» 11 millions d’exemplaires.
En 2003, un documentaire réalisé par le journaliste Martin Bashir refait parler de lui dans les médias. Le feuilleton des accusations de pédophilie reprend et l’on apprend que le chanteur aurait quitté Sony et promis un album ailleurs. Il y a peu, les places de 50 concerts de son come-back prévus à Londres en juillet et jusqu’en 2010 pour éponger une dette de 178 millions de dollars, partaient en quelques minutes. Une nouvelle génération s’impatientait de découvrir le mythe vivant. Le 29 août, il aurait eu 51 ans.
Bambi le zombi
Par Pascal Bruckner
On le sait depuis Oscar Wilde et son portrait de Dorian Gray : vieillir est un crime. Mais être un homme ou une femme est également un péché, avoir un corps est une faute, exister, une disgrâce. Michael Jackson est celui qui aura voulu effacer d'un coup les malédictions de l'être humain.
Ce petit garçon noir devenu une femme blanche, cet adulte régressif, atteint du syndrome de Peter Pan, aspira sa vie durant à être un ange, quitte à ressembler à une goule. Il aura travaillé pendant cinquante ans à gommer la double fatalité de l'âge et de la race, au point d'évoquer une créature fantastique entre Bambi et zombi.
Dans sa folle tentative de recréation de soi, il a témoigné de la passion contemporaine pour la désincarnation : il a voulu récuser toutes les divisions naturelles ou sociales liées au sexe (illustrant jusqu'à l'ascèse la théorie des genres formulée dans les années 1980) refuser les diktats de l'horloge biologique, s'affranchir du devenir, procéder à une deuxième ou troisième naissance qui ne devrait plus rien aux hasards de la nature.
Voyez ses clips : un polymorphisme vertigineux le montre se transformant sous nos yeux en dansant, son visage se mélangeant à celui de tous les autres jusqu'à devenir un loup-garou, une panthère noire, un enfant, un lapin. Il se veut le pont qui rattache les créatures les unes aux autres, confond le règne animal et humain.
Il voyage aussi dans le temps et l'espace, défie la pesanteur, la chronologie ordinaire. Le kitsch côtoie bientôt le monstrueux; il crée un parc d'attractions pour enfants dans sa propriété, Neverland, fait assaut de mignardises, adopte à partir de 1987 une voix sucrée de petite fille à la Shirley Temple. Mais le conte de fées tourne au cauchemar : une photo terrible le montre choisissant une prothèse nasale alors que son nez s'est désintégré sous le bistouri de trop de charlatans, laissant un trou au milieu du visage. Entre le chérubin et le poupon s'est glissé un troisième personnage : le mort-vivant.
Cette prodigieuse icône androgyne aura voulu accomplir sur lui-même les promesses du paradis, devenir un corps glorieux et incorruptible, d'après le Jugement dernier. Rencontre sur la scène pop de Frankenstein et de saint Paul. C'est pourquoi sa carrière chirurgicale est aussi passionnante que sa carrière musicale. Artiste de soi même, Michael Jackson est notre dernier martyr chrétien.
États-Unis / Eurasie
Pays le plus puissant du monde depuis 1940. Mais depuis la 2e guerre d’Irak (mars 2003), le monde découvre qu’il n’a plus besoin de l’Amérique alors que l’Amérique ne peut plus se passer du monde. Le paradoxe est tel que les USA, facteurs de paix pendant plus de 50 ans, sont aujourd’hui facteurs de désordre.
S’est construit
– par vagues d’immigration européenne au XVIIIe
(aristocrates désargentés) et au XIXe siècle (sous-prolétariat)
– par la conquête de l’Ouest sur la peau des bisons
et des Indiens
– par l’exploitation des Noirs par les esclavagistes
dans les champs des états du Sud jusqu’à la Guerre de Sécession (1861-1865)
– par le Taylorisme dans les usines des états du Nord
à partir de 1870.
Pays le plus puissant :
• sur le plan économique : protège ses ressources (pétrole), pille et gaspille celles d’autres pays dont certains sont traités comme des sous-traitants : monoculture ou mono-industrie au service des USA.
• sur le plan militaire : mais a perdu la guerre du Viêt-Nam, n’a pas gagné les guerres du Golfe…
• sur le plan monétaire : le dollar est la monnaie d’échange et les USA font supporter aux autres grands, le déficit de leur balance des paiements.
Le mode de vie américain et la culture américaine s’exportent dans le monde entier : nourriture et boissons à fabriquer des obèses, jeans à mouler les culs, chaussures fabriquées par des enfants pour pratiquer en champion tous les sports, films à susciter des serial-killers en mangeant du pop-corn, musiques à déclencher l’hystérie… Les enfants et les jeunes sont les plus fascinés par cette culture. On voit la fragilité d’une telle puissance : ignorons leurs films, leurs stars, leurs champions, leurs boissons, leurs jeans, leur bouffe, nous nous porterons mieux, nous serons mieux dans nos têtes et dans nos corps, eux se porteront plutôt mal. Ils sont engagés dans une guerre de domination du monde par le conditionnement des corps, prendre son pied, et des esprits, ne pas se prendre la tête.
Pays présenté comme la plus grande démocratie du monde, diffusant une culture de mort ; et pour le moment ça marche ; c’est un pays où la peine de mort est encore pratiquée à grande échelle, où les riches font régner la loi de l’argent, où les religieux intégristes et les ligues morales produisent un conservatisme rigide et agressif. C’est un pays où l’on dégaine plus vite que son ombre pour tuer l’ombre vue dans son jardin, où il ne fait pas bon vivre quand on est pauvre, malade, au chômage, noir.
Si j’essaie de construire le paradigme étatsunien, j’obtiens :
« Nous, Étatsuniens, élus de Dieu, devenus riches par notre travail, devenus puissants/hyperpuissants par notre messianisme en faveur de la liberté et de la démocratie, nous avons triomphé du mal qui s’appelait colonialisme quand nous avons fondé notre pays par la révolution contre les Anglais, puis qui s’est appelé nazisme, puis communisme et aujourd’hui terrorisme-islamisme. L’Amérique est de toutes les nations du monde, la plus juste, la plus tolérante, la plus désireuse de se remettre en question et de s’améliorer en permanence et le meilleur modèle pour l’avenir. La plus grande démocratie du monde doit prendre la tête des démocraties et poursuivre la mission éternelle de l’Amérique ».
Ce messianisme constitutif des États-Unis dès l’origine contribue, par son essence religieuse, à développer à l’intérieur un fort nationalisme, un profond patriotisme, à forger des mentalités de gagneurs. Durs en affaire, pratiques, novateurs, leur vision du monde est prométhéenne : action, adaptabilité, efficacité, dynamisme, individualisme, mouvement, optimisme, pragmatisme, variété. Ce messianisme contribue à développer à l’extérieur un esprit de croisade (justifié par la doctrine Monroë de 1823), qui fait des États-Unis le pays le plus interventionniste depuis qu’il existe. Ces croisades, ces interventions, ces guerres sont contre le mal, donc justes et en plus, depuis 1991, propres. Ce messianisme pour le bien du Monde et de l’Humanité, est à géométrie variable, selon les équipes au pouvoir (whigs ou tories, libéraux, ultra-libéraux, néo-conservateurs dits néo-cons, néo-keynesiens,…) mais on observe un effet cumulatif, présidence après présidence, à visée impériale, s’appuyant sur un double pouvoir :
1 – le pouvoir doux de l’image, du jazz, du rock, de la techno, de la comédie musicale, d’Hollywood, de la télévision, d’internet, des portables, des jetables, des consommables, de la bouffe, de la boisson, de la drogue, de la fringue, des jeux d’argent, des parcs d’attraction (et paradoxe, ce pouvoir doux est issu de la contre-culture, la culture underground des années d’après 1968) ;
2 – le pouvoir dur des armes, des alliances, des affaires, du capital et de la gouvernance d’entreprise où les principes, les idéaux (liberté – démocratie – droits de l’homme) sont l’habillage de pratiques contraires (pillage – unilatéralisme – violation des règles internationales).
Face à une telle idéologie (à déclinaison variable : Bush Junior est différent de Clinton, mais Clinton est le premier président à avoir dit que les États-Unis étaient la seule nation indispensable au monde, donc devant être maître de l’échiquier mondial) simpliste, mais efficace, face à une telle puissance qui veut vassaliser ses amis, écraser ses ennemis, face à de tels croyants, à de tels guerriers (guerre économique, guerre culturelle, guerre spirituelle, guerre des brevets, guerre des savoirs et des connaissances – qu’on pense au pouvoir des think tanks, 26 millions de dollars pour le Brookins Institute – guerre tout court) et on peut penser aux légions romaines, aux Waffen-SS, mais en cols blancs, comment se comporter ?
Pour eux, le monde aujourd’hui se découpe ainsi :
• leurs alliés mis en réseau politique, économique, militaire (Canada, pays anglo-saxons, pays de l’Est, Amérique latine) ;
• les munichois sans patriotisme et sans ressort (l’UE, la France) ;
• les ennemis identifiés avec lesquels des relations économiques sont possibles (Chine) ;
• les ennemis à détruire, à ramener dans le droit chemin (terrorisme, Irak, Iran, Corée du Nord).
La France (et son esprit munichois) peut-elle réagir, résister ?
En disant Non à la 2e guerre d’Irak, la France, l’Allemagne et la Russie rendent crédible et possible le projet d’une Eurasie politique et économique, nécessaire en contrepoids du pouvoir des USA, nécessaire pour construire vers l’Est les nouvelles routes de la soie qui donneraient à nos économies l’oxygène dont elles ont besoin.
Les USA, exportateurs du libéralisme, de l’ultra-libéralisme, du monétarisme n’hésitent pas à être protectionnistes ; l’État est fortement centralisateur, interventionniste pour tout ce qui concerne la stratégie nationale de sécurité : Conseil national de sécurité, Conseil économique national, Advocacy Center, War Room (celle-ci entre 1993 et 1997 aurait permis la signature de 230 contrats importants, générant 350 000 emplois et rapportant entre 40 et 200 millions de dollars, en mobilisant les services de l’État afin de faire aboutir des contrats au profit de firmes américaines.)
En France, la tendance semble être d’imiter les USA et nous ne sommes pas démunis : recherche, enseignement, culture, tourisme, mode de vie, mais nous ne sommes plus croyants ni guerriers.
Que nous reste-t-il ? Il nous reste contre les discours de certitudes et de servitude, à les questionner, à les dégonfler comme baudruches idéologiques, il nous reste la vraie discussion, la recherche de la vérité, il nous reste à réveiller l’émerveillement philosophique, à susciter chez le plus grand nombre le fort, le dur désir de vivre vraiment. L’anesthésie du plus grand nombre par le pouvoir doux des USA ferait place à une volonté de devenir homme de la grande responsabilité. Le pouvoir dur qui repose sur le darwinisme social : l’homme est un loup pour l’homme, n’aurait pas de prise sur l’homme de la grande responsabilité.
Les démocraties se sont construites sur le développement de l’instruction primaire (dit autrement, la démocratie est la superstructure politique d’une étape culturelle : l’instruction primaire). L’universalisation, constatable, de la démocratie s’effectue dans les pays où l’alphabétisation de masse se réalise. Quand un peuple a un niveau d’éducation élevé et un niveau de vie satisfaisant, il n’est pas belliciste, il ne donne pas le pouvoir à des va-t-en guerre. L’opposition des peuples d’Europe à la 2e guerre d’Irak a été unanime (contre leurs gouvernements parfois : Espagne, Italie, Grande-Bretagne). Et deux peuples de même niveau chercheront une solution pacifique à un différend qui les sépare.
Mais l’éducation secondaire et supérieure introduit un effet pervers dans ce processus démocratique, en faisant réapparaître des inégalités et en faisant émerger des « élites » qui se sont constituées dans les plus anciennes démocraties en oligarchie confisquant tous les pouvoirs à son profit.
On mesure ici l’enjeu : ou nous laissons nos grandes écoles continuer à produire ces oligarques qui menacent de mort la démocratie et donc la paix ou nous nous fixons l’objectif de faire sortir de notre enseignement secondaire et supérieur des hommes et des femmes de la grande responsabilité, imperméables au cynisme actuel des « élites ».
À l’idéologie, substituer la philosophie. À la croyance, substituer l’évidence. Aux discours manipulateurs, substituer la vraie discussion. Ignorer le guerrier et ses guerres, et passer son temps de vie (seul, à deux, à trois…) à vivre, essayer de vivre en vérité. Les hommes et les femmes deviendraient eux-mêmes.
Jean-Claude Grosse, 2004
PS: L'arrivée à la Maison Blanche de Barak Obama ne change pas cette analyse en ce que Barak Obama ne sera pas le président de la rupture avec ce paradigme. Il a clairement dit vouloir que les États-Unis retrouvent leur leadership mondial après les résultats catastrophiques de l'administration Bush en termes d'image et d'influence. Il sait très bien parler, susciter l'enthousiasme mais ne soyons pas dupes: il est là pour servir le capitalisme américain. Et bien des promesses de campagne vont passer à la trappe. Sa réforme du système de santé, ce sont des coupes sombres. Chez nous, c'est pareil.
La discipline à l'épreuve de l'éducation
Psychologue clinicienne
Directrice AFL TRANSITION, Toulon
Chargée de cours à l’Université de Provence, UFR de Psychologie Clinique, module « Enfance éthique et société ».

L’enfant naît avec un fort potentiel de développement intellectuel, affectif et social. Cependant, comme le seul bain de langage sera insuffisant pour l’amener à comprendre et à bien maîtriser le sens, l’immersion en milieu structuré (famille, société) demeurera également insuffisante pour forger un adulte accompli et émancipé, doté de raison, de discernement et d’intelligence.
Les objectifs de l’éducation sont multiples: Il s’agit de mobiliser et d’épanouir l’intelligence sociale et psychoaffective en permettant l’existence d’une estime de soi suffisante, en instaurant des règles de vivre ensemble qui comprennent au plus profond d’elles même les prohibitions universelles et notamment l’interdit du meurtre et l’interdit de l’inceste. Il s’agit également de développer les capacités conceptuelles et symboliques (langage, sens, culture) ; de développer l’intelligence cognitive (logique, adaptation, combinaison) ; de développer l’esprit critique et les capacités d’introspection et de changement.
Au final, il s’agit d’émanciper de l’autorité d’un tiers pour rendre autonome et éclairé.
Enfin, le but ultime de l’éducation réside dans le fait de pouvoir forger un citoyen épanoui capable d’esprit critique et qui le soit avec discernement et lucidité.
Ce sont les interactions précoces du nourrisson avec son entourage affectif familial qui permettront la toute première ouverture au monde. Cette ouverture se traduit chez le nourrisson par une soif intense de relations affectives qui admettent d’ordonner et d’intégrer précocement les rythmes de vie.
Françoise Dolto parle de l’image inconsciente du corps pour évoquer la première structuration de l’esprit humain à travers les soins donnés au corps du tout petit. La manière dont il est porté, rythmé, regardé, la manière dont on s’adresse à tout son être réglemente imperceptiblement son rapport au monde. Là, se situe l’intégration des premiers interdits, des premières « manières » de vie, des codes sociaux.
Lorsque le nourrisson perçoit un agacement dans la fatigue du parent qui doit se lever la nuit, le rythme familial et social s’impose à lui. Cela ne signifie pas qu’il comprenne consciemment que ses parents sont fatigués mais cela signifie qu’il en perçoit quelque chose de négatif, de moins agréable dans la relation. Un nourrisson n’a pas la conscience d’être au monde, il a ce que l’on pourrait appeler « le sentiment continu d’exister ». En fait, il se sent au monde mais ne sait pas qu’il existe. C’est pourquoi le temps de la toute petite enfance reste inconscient mais marque nos esprits neufs pour toute la vie par l’intensité de ce qui est capté de l’environnement affectif et émotionnel pendant cette période. C’est justement pourquoi il est essentiel pendant ce temps là de considérer l’enfant comme une personne à part entière avec respect et considération, sans abuser de sa faiblesse. Les premières règles auxquelles l’enfant se confronte sont souvent des règles non formulée et apparaissent très tôt, dès ses premiers jours de vie. Nous n’avons pas toujours conscience qu’elle relèvent de la discipline parce qu’elles sont banales et évidentes pour nous adultes. Par exemple, répondre ou ne pas répondre immédiatement à l’appel du nourrisson lorsqu’il pleure lui transmet un code de vie familial. Le fait d’habiller l’enfant lui transmet une autre règle, sociale cette fois, qui lui signifie l’importance de réguler l’accès au corps de chacun. Les premiers actes disciplinaires sont clairement signifiés par des « non » face à des situations dans lesquelles le petit enfant exprime une autonomie motrice nouvelle : il s’agit des « non ! » signifiés lors du change lorsqu’il tente de se retourner ou d’avoir des mouvements entravant les soins apportés. C’est bien dans les mouvements du corps et à travers le corps que la discipline se met en place en premier. Ce sont par ces premiers interdits induisant ses toutes premières frustrations (appelées par F. Dolto les « castrations symboligènes », et qualifiées de « clé de l’humanisation ») que l’enfant incorpore la maîtrise des désirs et des pulsions. Entre 18 mois et quatre ans, il est essentiel non seulement d’énoncer les règles clairement mais aussi d’expliquer à l’enfant le sens de l’interdit. A cet âge, si l’enfant transgresse une règle motrice (je t’interdis de monter sur le muret) et se fait mal, l’échec est en soit suffisamment une souffrance pour que ne s’y ajoute pas la sanction ou pire la moquerie de l’adulte (bien fait ! je te l’avais dit !). En revanche, un rappel de la règle assorti de l’expérience de l’enfant et de l’explication des risques lui permettra d’avoir confiance en la parole de l’adulte et d’intégrer l’autorité comme nécessaire et sécurisante. En étant énoncé et expliqué clairement, l’interdit doit pouvoir continuer de soutenir le désir de liberté et l’espoir de réussite de l’enfant.
Françoise Dolto a une approche de l’éducation qui va totalement dans le sens du respect de la personne humaine qu’est l’enfant. C’est elle qui a mis à jour les bénéfices de ce respect. Elle va jusqu’à considérer, en observant le développement des enfants d’un kibboutz, qu’une éducation permissive permet une plus grande intégration des interdits qu’une éducation répressive.
Nous pouvons penser, avec le recul que nous avons aujourd’hui concernant ces deux types de méthodes éducatives que ni l’éducation permissive ni l’éducation répressive dans une société comme la nôtre ne permettent une structuration correcte de la personnalité.
Alice Miller dénonce les effets pathogènes des violences éducatives comme méthodes disciplinaires. Elle démontre avec force que les grands dictateurs de notre histoire, les meurtriers en série et les pervers sociopathes n’ont pas eu une éducation fondée sur des principes réglementés mais uniquement sur des désirs sadiques de soumission de l’enfant au pouvoir arbitraire de l’adulte. Loin d’être autoritaires, leurs parents pratiquaient l’autoritarisme et l’abus de confiance et de faiblesse pour imposer leurs désirs souvent intenables et irréalisables par l’enfant. Les abus psychiques et physiques auxquels l’enfant est soumis - humiliation, disqualification, coups, enfermement, privation de soins, exigences psychorigides, immobilité… - n’ont jamais aidé personne à se construire. Ce sont des méthodes inhumaines qui ne permettent plus de socialisation possible.
Le centre AXIOME, centre de psychologie clinique appliquée de Toulon, reçoit régulièrement des adolescents qui présentent un refus de toute forme d’autorité pour avoir été soumis, dès leur plus jeune âge, à l’arbitraire du désir d’un ou de plusieurs adultes. Ces jeunes confondent autorité et autoritarisme. En associant inconsciemment ces deux concepts, ils entrent en révolte contre tout ce qui fait loi. Ainsi leur révolte légitime contre la tyrannie familiale se détourne de son but et se transforme en révolte illégitime contre la loi sociale ; révolte au service de l’arbitraire et unique désir de celui qui la manifeste. Ces jeunes dits « tout puissants » ou encore « enfants rois » sont en fait des enfants victimes qui ont été et restent « tout impuissants ». Parfois, cette éducation tyrannique rend servile jusqu’à la folie (Cas de paranoïa du Président Schreber, in « mémoire d’un névropathe »). Elle peut également inhiber jusqu’à conduire au suicide, qui devient la révolte ultime retournée contre sa propre existence. Les conduites à risque, consommations de stupéfiants, scarifications, prises de risques vitaux… sont d’autres formes d’expression de ces tentatives de suicides. Ici, la pathologie mentale et la révolte délinquante sont deux produits de l’éducation psychorigide répressive et arbitraire.
Mais de la même manière, l’éducation permissive soumet l’enfant à son propre désir qui est lui aussi arbitraire puisqu’il est le produit d’un principe de plaisir. L’enfant se confronte seul aux exigences sociales. Le milieu familial n’exerçant plus d’autorité, l’enfant n’est pas accompagné dans la nécessité d’intégrer certaines règles. Il échappe à l’autorité et de ce fait également au sentiment intérieur de sécurité qui se construit lorsque cette autorité est légitime et juste. L’éducation « permissive » paradoxalement ne permet pas de réfréner ni de maîtriser les pulsions et cela sera encore plus vrai si l’enfant est entouré d’adultes qui utilisent ce mode éducatif par économie. Françoise Dolto pensait que le « bain psychique » d’interdits et de codes sociaux dans lequel l’enfant était plongé dans les Kibboutz suffisait qualitativement et quantitativement à le structurer, à le discipliner, à lui faire intégrer les interdits fondamentaux. Dans tous les cas, ce mode éducatif ne créerait pas de pathologies graves ni de perversions. Ce pourrait être possible si l’environnement de l’enfant assurait les deux conditions suivantes: la première est que ce type d’éducation doit être une démarche parentale et non un moyen d’économiser l’énergie que le parent met dans l’éducation de ses enfants ; la seconde est que le milieu social soit très structuré et très présent voire que le milieu social remplace la sphère familiale (espace tribal par exemple). Si ces deux conditions ne sont pas réunies, l’enfant devient « abandonnique » et développe toutes les pathologies de l’enfant maltraité par négligences. En lui signifiant ainsi qu’il n’a pas de valeur, l’enfant a des risques certains de devenir un vaurien (vaut rien). Ce type d’éducation n’est tenable que dans un milieu de vie hautement structuré où la règle est énoncé et ou rien jamais n’est soumis à l’arbitraire.
Ainsi si depuis « Emile » de Jean-Jacques Rousseau l’éducation ne se confond plus avec le « dressage » dans l’espace social, cela n’est pas toujours le cas dans l’espace privé et intime.
Il est à ce titre très important que la sphère professionnelle éducative soit au clair avec ses méthodes disciplinaires, son règlement, la place de chacun, autant qu’avec la signification de ce qui est mis en place : les règles et les méthodes d’enseignement des règles. Chaque institution doit pouvoir organiser les méthodes disciplinaires selon une autorité suprême que le chef d’établissement ou autre dirigeant sera en charge de faire appliquer. Il est important que cette autorité soit ferme et ne transgresse jamais. Le fait de transgresser la règle parce qu’on est dans une position de pouvoir est absolument anti-éducatif en cela que le message paradoxal qui est délivré est inacceptable pour l’enfant. Au mieux, ce message peut avoir pour effet un fort sentiment d’injustice s’il concerne un enfant bien structuré, au pire il ne peut que conforter l’enfant dans le rejet de toute forme d’autorité s’il concerne un enfant déjà soumis dans son milieu familial quotidiennement au désir tout puissant de l’adulte. L’enfant ne désirera devenir adulte que pour prendre sa place de puissant et asservir à son tour le plus faible.
Pour autant, réduire l’éducation à la seule discipline ne permet plus d’y entrevoir le rôle émancipateur et implique de considérer l’enfant comme un être à dresser dans le but de le plier à une conformité absolue et normative. Cela génère forcément un effet pathologique et un assujettissement de la personne qui n’est dès lors plus sujet de sa propre histoire mais instrument de l’histoire d’un tiers adulte autoritaire ou d’une société malade.
Cependant, la discipline ne doit pas rester extérieure au processus éducatif. Les méthodes disciplinaires sont des moyens, des outils pour permettre au petit d’Homme et ensuite à l’Homme tout au long de sa vie de maîtriser des processus internes de pulsions et de désirs.
L’autorité est l’outil par lequel une personne structure et contient ses règles de conduites et ses lois intérieures afin de pouvoir s’ouvrir aux nourritures intellectuelles et culturelles. Dans la seconde topique de la théorie Freudienne, c’est le Surmoi, partie composant l’appareil psychique humain, qui renferme la discipline et l’autorité qui la détermine. Mais sans autorité extérieure souveraine et commune à tous, le surmoi ne jouerait certainement plus son rôle. Qu’elle vienne d’un tiers éclairé et émancipé lorsqu’on est enfant ou de soi même lorsque la règle est bien intégrée, la discipline est toujours affaire d’autorité souveraine. La psychanalyse appelle cette autorité le « grand Autre ». Dans nos civilisations, l’autorité souveraine à longtemps été celle de la loi divine, elle est aujourd’hui affaire de Loi sociale, règlement intérieur institutionnel et Loi des Hommes écrite et exercée par un appareil judiciaire d’état.
Emmanuel Kant dans son traité de pédagogie nous enseigne que l’homme ne peut se structurer et se civiliser que s’il est d’abord soumis à des règles et codes de conduite. Ces règles doivent être imposées par l’adulte ayant autorité pendant le temps de l’enfance et l’enfant doit pouvoir s’y soumettre même s’il ne peut encore en saisir le sens.
Sans ces règles, aucune culture, aucune éducation ne serait possible et l’homme demeurerait à l’état d’animal boiteux, amputé qui plus est de son instinct (l’enfant sauvage).
En 1010, le mot discipline originel désignait un petit fouet pour se flageller. Il permettait ainsi aux hommes d’église de se laver de leurs pêchers en les inscrivant dans leur chair pour ne plus les « oublier ». Aujourd’hui, nous savons qu’il n’est pas nécessaire de faire souffrir le corps mais qu’il est essentiel de le «contenir» (avec souplesse mais fermeté) pour structurer l’esprit.
Kant était déjà partisan de l’éducation non violente et émancipatrice de l’Homme et du citoyen. Il condamnait les processus selon lesquels l’éducation peut asservir sans émanciper.
La discipline ne va pouvoir exercer son rôle bâtisseur qu’à partir du moment ou elle n’est pas soumise à un système arbitraire. La règle, la loi viennent faire office de régulateur des pulsions et des désirs, et cela « au delà du principe de plaisir » (Freud). Sans discipline, point de valeurs, point de sécurité, point de libertés.
Pour cela, il est impératif que la Loi soit au dessus des Hommes et qu’un système porteur d’autorité soit chargé de son application. Nous pouvons distinguer ainsi la discipline légitime de la discipline tyrannique. Si nous soumettons l’enfant à une discipline fondée sur les seuls désirs du maître, cela promet un système qui ne saura ni humaniser ni civiliser: l’enfant est assujetti au maître mais n’est dès lors plus ni une personne ni un sujet de sa propre histoire. Il devient instrument, objet servile de l’histoire de l’autre.
Les règles et méthodes disciplinaires fixées et expliquées par avance dans une démarche pédagogique, impliquent que l’enfant doive s’y soumettre et qu’elles doivent valoir pour tous. Cependant, elles impliquent aussi que l’adulte (le chef) puisse les appliquer pour tous également et n’en dépasse jamais les contours, même si cela lui déplait ou lui procure frustration ou souffrance.
La discipline intégrée dans le surmoi psychique représente ainsi la façon dont chaque personne a pris en elle les prohibitions universelles, les règles sociales spécifiques de notre environnement et les interdits singuliers particuliers. Il existe des méthodes disciplinaires néfastes et des méthodes constructives qui ouvrent l’esprit. Si la discipline imposée pendant l’enfance limite et organise nos comportements dans la vie adulte, elle doit pouvoir évoluer et changer -du moins en ce qui concerne les règles de vie singulières et non fondamentales- tout au long de la vie.
Nous pouvons mesurer la discipline constructive à cela qu’elle permet à un citoyen de réfréner ses pulsions, de vivre avec les autres en usant des codes et usages de son temps, de connaître le plaisir et l’épanouissement en même temps que d’être capable de révolte et de rébellion.
Il est important qu’une société sache se réjouir de produire des citoyens capables de révoltes organisées et légitimes. C’est un signe de bonne santé mentale et de vitalité. Il est pour cela nécessaire qu’elle ne confonde pas ce type de révolte avec la rébellion illégitime et arbitraire et surtout qu’elle ne tente jamais de faire croire à ses citoyens qu’il s’agit de la même chose, sans quoi son autorité risquerait d’en être affaiblie en même temps que sa discipline, sa sécurité et ses libertés.
Une vie nouvelle est-elle possible ?/Luis de Miranda
Une vie nouvelle est-elle possible ?
Deleuze et les lignes
Éditions Nous
Il s’agit d’un essai bref (90 pages) et dense sur Deleuze et les lignes. Même si cette lecture de Deleuze est riche, enrichissante, lecture assidue nécessaire car ardue tout de même, il faut attendre le dernier chapitre, la conclusion de 9 pages, pour que la question d’une vie nouvelle possible soit abordée.
Je n’ai souligné que quelques lignes dans ces 9 pages, autant dire que je ne suis pas sûr d’accéder à une vie nouvelle, tel l’oiseau migrateur, ou tel celui qui serait à la fois terre, mer, escale, bateau et navigateur pour étendre son âme car homme en vie, la vie me donnerait peut-être le temps de l’étendre mais l’envie est là qui veille et contracte l’âme en volontés d’avoir.
Force est donc de revenir aux chapitres précédents qui exposent avec plus ou moins de clarté les concepts deleuziens, Deleuze les élaborant à travers sa lecture de Hume en particulier. Sont convoqués aussi Rainer Maria Rilke et ses Élégies à Duino, Scott Fitzgerals et Sa Fêlure.
Je retiendrai des lignes, la distinction entre ligne de coupure ou ligne du on (ligne apollinienne du poids social), ligne de rupture ou l’âme du danseur (la ligne dyonisiaque des grands fonds d’où tout part, où tout revient car nous portons en nous plus de vie qu’il n’en faut pour seulement tracer les lignes droites voulues par le groupe) et ligne de fêlure ou ligne de vécu (la ligne du Je fêlé, du Je est un autre ; quand on croit que tout va bien, qu’on est bien inséré socialement, qu’on a les autorisations et récompenses requises, tout d’un coup on ne supporte plus ce qu’on supportait auparavant). Ces trois lignes s’agencent par rapport à la différence qui les précède et les sous-tend. La différence c’est le vrai fond du réel, et le tissu de l’âme c’est un fourmillement de petites inclinations, un fourmillement de différences, un pluralisme de différences libres, sauvages, ou non domptées. Une âme ce sont des plis qui se font, se défont à tout instant dans tous les sens. La différence c’est l’être du sensible, le monde de la disparation.
Le chapitre : une ligne de vie singulière est-elle possible ? aborde le thème de la répétition (on se souvient du titre de ce livre de Deleuze : Différence et répétition). Il y a deux sortes de répétition à la 1° personne, celle de l’habitude quotidienne sociale qui nous aliène, répétition qui a le temps comme substrat, celle de la résistance continue à la mort qui est une écoute de la spontanéité vitale dont l’ego, le moi est coupé par le cogito, répétition qui a l’espace pour substrat. Rendre sa liberté d’expression à la différence, à la sensibilité primaire, telle est la tâche de l’individualité qui veut retrouver son axe, qui veut étendre son âme.
En conclusion, je dirai que ce livre n’est pas un recueil de recettes pour vivre une vie nouvelle. Il nous propose de partir de notions deleuziennes, de nous en servir pour certes penser mais surtout sentir, être traversé par les impressions, sensations, être à l’écoute de cette vie qui fourmille en nous, hors de nous sans séparation entre nous et le monde car nous sommes fait de la même chair du monde, rocher, eau, animal, homme… chacun avec sa forme, son feeling, pour faire exister ce qui n’existe pas.
Bref un livre exigeant pour personnes exigentes.
La dette publique: une affaire rentable
Je réactualise cet article du 22 juin 2008. grossel
Etienne Chouard s'exprime à nouveau après le non irlandais (Marianne)
• Sur le plan juridique
Cette clef de la démocratie, aussi méconnue que décisive, peut se résumer ainsi : ce n'est pas aux hommes au pouvoir d'écrire les règles du pouvoir. Ce n'est pas aux ministres, ce n'est pas aux parlementaires, ce n'est pas aux juges, d'écrire ou de réviser la Constitution, car ces hommes-là sont, en cette occurrence précise, à la fois juges et parties : ils ont un intérêt personnel dans les règles qu'ils instituent - puisque tout pouvoir concédé au peuple est un pouvoir qui leur serait retiré à eux - et ils trichent en établissant à la fois des contrôles simulés et des pouvoirs citoyens factices.
Toutes les constitutions du monde prouvent, de fait, que cette analyse est plausible.
Notamment et très prioritairement, malgré quelques promesses lénifiantes, nos élus ne nous donneront JAMAIS l'indispensable institution du référendum d'initiative populaire, le vrai.
La qualité des institutions se joue donc au moment de fixer et de contrôler la composition de l'Assemblée constituante, celle qui va écrire la Constitution et la proposer au référendum : cette chambre fondatrice qui va fixer des limites aux pouvoirs ne doit comporter aucun homme de pouvoir et elle doit pouvoir exclure en son sein tout individu suspect de partialité.
L'élection de candidats imposés par les partis (hommes de pouvoir) est ainsi la plus mauvaise idée pour désigner l'Assemblée constituante, ce serait même (comme cela a toujours été) un véritable piège anti-démocratique.
Il faudrait que les électeurs puissent désigner librement des citoyens non candidats (qui pourront refuser) ; ou bien les tirer au sort ; ou bien une combinaison de ces modalités (tirer au sort une centaine de constituants parmi des citoyens élus librement).
Inutile de préciser qu'en Europe on en est loin, on subit même l'exact contraire, la situation ne peut pas être pire : nous laissons nos maîtres écrire eux-mêmes les limites de leurs pouvoirs et nos capacités à résister à leurs abus… Plus naïf, tu meurs. Pourtant, après 200 ans d'expérience, nous sommes bien placés pour constater que l'élection ne tient pas ses promesses de justice politique : le mirage du suffrage universel a la peau dure.
• Sur le plan économique
Ces subventions doivent être vues, pour ces pays, comme une création monétaire (prêtez attention) libre d'endettement : une monnaie sans charge d'intérêt, donc, et qui n'aura même jamais à être remboursée ; cela change tout par rapport au carcan monétaire actuel.
La prospérité «miraculeuse», forte et rapide, de ces pays financièrement assistés prouve aux peuples d'Europe qu'«il y a des alternatives» et notamment que la revendication nouvelle - celle qui monte parmi les citoyens en 2008 - est la bonne : ce n'est pas aux banques privées de créer la monnaie et d'en percevoir l'intérêt.
Nous manquons de monnaie libre (libre d'endettement) et les pays qui s'en procurent - les peuples qui se réapproprient d'une façon ou d'une autre la possibilité de créer la monnaie en suffisance (sans excès) - viennent à bout du chômage et de la pauvreté, et très rapidement !
Cette idée cardinale que les peuples doivent conquérir leur souveraineté monétaire - à travers la création exclusivement publique de la monnaie - est à la fois complémentaire et indissociable de la mienne : les peuples doivent conquérir leur souveraineté politique - à travers l'honnêteté du processus constituant : on n'aura pas l'une sans l'autre ; ces deux combats - pour la Monnaie et pour la Constitution - sont interdépendants et se renforcent mutuellement.
Autrement dit, on ne reprendra jamais le contrôle de la monnaie (condition sine qua non pour venir à bout du chômage, de la pauvreté et de la dette publique) sans écrire nous-mêmes la Constitution, car les élus ne sont élus que grâce à ceux qui ont financé - et qui continueront à financer s'ils sont dociles sur l'essentiel - leur campagne électorale, médias subordonnés à l'appui. Ces élus dépendent trop de ceux qui rendent possible leur élection (et qui vivent luxueusement aux dépens du peuple) pour donner un vrai pouvoir au peuple.
A qui profite le système ?
Un interview d’André-Jacques Holbecq par Yves Michel.
« Il faut réduire la dette! ». On crie à la faillite! Tel un père qui demande instamment à ses enfants d’aller ranger leur chambre, notre gouvernement nous dit : « Assez de cette gabegie ! Il est temps de devenir sérieux, remettez vos prétentions sociales au tiroir, l’heure est au travail et aux économies ».
Ce qu’on ne nous dit pas, c’est qu’il y a une quarantaine d’années, l’État français n’était pas endetté, à l’instar de la plupart des autres nations, d’ailleurs. En moins de quarante ans nous avons accumulé une dette colossale qui avoisine les 1200 milliards d’euros ! Pourquoi ? S’est-il produit quelque chose qui a fait que l’on ait soudain besoin de recourir à l’emprunt, alors qu’auparavant on se suffisait à nous-mêmes? Et si tel est le cas, qui en bénéficie vraiment ? Qui émet la monnaie ?
André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder nous disent les vraies raisons de la dette et dénoncent les mécanismes destructeurs scrupuleusement occultés. Vulgarisateurs de la « chose économique », leur but est de permettre aux citoyens de « savoir », afin qu’ils ne se laissent pas impressionner par les épouvantails que l’on agite sous leur nez. Afin de comprendre surtout que nous avons tout pour relever l’immense défi humain et écologique de notre temps et que la dette et l’argent ne sont que « vrais-faux »
Or, qu'est-ce qu'on fait pour résister en ce moment ? Rien, rien et rien. On attend passivement qu'un parti ou un syndicat nous convoque pour une grande manifestation tous les six mois, sur un mot d'ordre secondaire (par rapport à la monnaie et au contrôle des pouvoirs) et puis, plus rien pendant six mois…
Je propose que tous les simples citoyens mécontents d'être si mal représentés, quelle que soit leur tendance politique, sans attendre d'être convoqués par un quelconque appareil partisan, organisent eux-mêmes librement chaque semaine (le mercredi à 18 h par exemple) des micro résistances durables et innombrables sous la forme de petites manifestations devant toutes les mairies d'Europe : le mot d'ordre serait la vieille clef cachée de la démocratie vraie : «nous voulons des pouvoirs légitimes, c'est-à-dire fondés 1) par une Assemblée constituante honnête (désintéressée) et 2) par un référendum».
J'appelle ces micro résistances des MOCRIEs, Manifestations Obstinées Contre le Régime Illégitime Européen, et chacun peut créer un forum pour sa MOCRIE sur le site www.cecri.info.
Rien ne se fera de bon pour les peuples sans la mobilisation permanente des citoyens eux-mêmes : chaque citoyen athénien défendait personnellement la démocratie grecque, quotidiennement, les armes à la main s'il le fallait, contre les oligarques. De ce point de vue, l'Internet est une chance inouïe pour l'humanité. J'invite donc chaque citoyen mécontent de son impuissance politique à agir en créant sa petite mocrie en bas de chez lui.
Saurons-nous réagir avant de nous laisser détruire ? Je l'espère.
Quelle école voulons-nous ?/ Philippe Meirieu
et l’École des pédagogues :
quelle École voulons-nous ?
Pour peu qu’ils soient attentifs à la politique éducative, les Français doivent commencer à perdre totalement leurs repères. Chaque matin, en effet, ils se lèvent avec une école différente de celle avec laquelle ils s’étaient couchés...
Après les coups médiatiques sur Guy Môquet, la Shoah et l’esclavage, ils se demandent ce que le président de la République va bien pouvoir inventer : une journée Clovis dans les maternelles, la lecture obligatoire des attendus du procès de Louis XVI à l’entrée au collège, la récitation du discours de Lamartine sur le drapeau français en seconde, un hommage obligatoire à Louis Papin dans tous les lycées professionnels ? Rien de cela, d’ailleurs, ne serait totalement absurde ! Mais cette juxtaposition n’aurait d’autre sens que de faire croire à la possibilité d’une éducation réduite à des commémorations. Comme si l’inscription dans une histoire et l’enracinement dans une tradition porteuse d’avenir pouvaient se réduire à des injonctions ! Il faut un vrai travail pédagogique en profondeur qui ressaisisse tout cela, fasse émerger les valeurs fondatrices et les relie avec ce qui se vit dans la classe. Il faut des professeurs qui puissent incarner, dans les exigences quotidiennes de l’École, un rapport exigeant à la justice, à la vérité, à la résistance aux préjugés. Il faut des adultes qui tiennent parole dans des établissements à taille humaine, avec des institutions lisibles et équitables : loin des coagulations d’élèves indifférenciés qui errent dans des couloirs anonymes, voient fondre sur eux des orientations trop prévisibles et ne rencontrent que des interlocuteurs si occupés à remplir des enquêtes administratives qu’ils n’ont plus de temps pour les écouter…
Mais, nous dit-on, on y travaille. Et, effectivement, la réformite est à l’œuvre. Après la suppression progressive de la carte scolaire, après l’amputation de deux heures de la semaine scolaire et « le recentrage sur les fondamentaux » à l’école primaire, après la publication annoncée des résultats des évaluations des écoles sur Internet dès la prochaine rentrée, après l’annonce de la mise en place d’un « lycée à la carte » et de la suppression de l’année de formation professionnelle des enseignants, après la création d’une agence de remplacement des enseignants faisant appel à des personnels non fonctionnaires, on se demande bien ce que le ministre va encore inventer ! Mais rassurons-nous, le collège qui, nous dit-on au ministère, va très bien, ne risque pas d’être touché : la gare de triage continuera à fonctionner avec la même efficacité ! Un bon tiers des élèves continuera à s’y perdre dans les dix-huit premiers mois, incapables de s’y repérer, d’organiser leur travail, de préparer leur avenir…
« Maintenir le cap des réformes » fonctionne ainsi aujourd’hui comme une formule magique, permettant de donner aux Français le sentiment qu’on s’occupe de leur École. Certes, on s’en occupe, et de manière systématique. Mais comment ? En inscrivant cette École dans la logique marchande dont il faut tenter de comprendre le fonctionnement.
Le principe : on améliore la qualité de l’éducation en mettant en concurrence les acteurs – professeurs et cadres éducatifs –, les établissements – du premier et du second degré, au sein de l’enseignement public comme entre l’enseignement public et l’enseignement privé – et les institutions – l’Éducation nationale, les collectivités territoriales, les associations.
La conséquence : l’État n’a pas à garantir la qualité du service public, mais doit se contenter de faire jouer les rivalités. Ce qu’on nous présente ici comme le fin du fin de la modernité n’est, en réalité, que le ripolinage de la vieille formule de Mandeville (1670-1733) dans la Fable des abeilles : « Les vices privés font les vertus publiques ».
La méthode : pour accorder le vieux libéralisme à la montée des individualismes, le pouvoir politique doit développer une technocratie évaluative. Il faut fixer des standards, multiplier les tests de toutes sortes, rendre publics les résultats et laisser les parents – dont on fait ainsi des « consommateurs d’école » – développer leurs stratégies personnelles afin de trouver les meilleurs établissements pour leurs enfants.
Le point d’appui : quand les parents ne sont pas contents de ce qu’ils vivent dans une école, de la manière dont ils sont écoutés et pris au sérieux, de l’encadrement et de l’accompagnement de leurs enfants, au lieu de s’impliquer et de militer pour améliorer la situation, ils sont simplement invités à changer d’établissement.
Le gain : plus besoin d’investir dans notre École, ni même d’en former les enseignants car le marché stimule les initiatives et permet d’optimiser le rapport qualité / prix. Plus besoin, non plus, de financer des aides et des dispositifs spécifiques pour permettre aux acteurs de faire face aux difficultés qu’ils rencontrent : on se recentre sur « le cœur du système » – les classes et les cours « normaux » – et l’on réduit drastiquement tout le reste.
L’implicite : il y aura des gagnants et des perdants, tant du côté des familles que du côté des élèves et des enseignants. Mais, après tout, il en a toujours été ainsi. Et, de plus, l’État, dans sa volonté de soutenir les efforts méritoires, organise la concurrence entre les exclus afin de désigner ceux et celles qui pourront échapper aux ghettos dont ils sont originaires.
La justification : il faut bien que la réussite se mérite d’une manière ou d’une autre. Une École où tout le monde réussirait et serait capable d’accéder aux fondamentaux de la citoyenneté se discréditerait vite aux yeux de ceux – majoritaires, dit-on – qui sont persuadés que le petit nombre des élus garantit la béatitude au paradis. Le « socle commun » ne garantit qu’une insertion a minima ; en le distinguant des objectifs de la scolarité obligatoire, on a institué l’école à deux vitesses dès le plus jeune âge.
La pédagogie : on n’en a pas besoin, car ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas apprendre, c’est leur problème. Ainsi le « pédagogisme » est-il stigmatisé pour son obstination à poser des questions impertinentes. En affirmant qu’il ne suffit pas d’enseigner pour que les élèves apprennent, il fait entrer en compte des variables ni quantifiables ni mesurables : le sujet et son désir, la capacité de l’École à instituer le premier et à susciter le second.
Le corollaire : face aux rancoeurs de ceux qui se sentent abusés ou humiliés, il faut développer un discours autoritariste qui les assigne à une sage résignation. En effet, le discours sur l’égalité des chances a engendré des espérances très largement déçues. Les élèves en échec, de victimes, se retrouvent coupables et, incapables de métaboliser leur exclusion en militantisme social, syndical ou politique, s’expriment par la violence ou les replis identitaires qu’il faut réprimer.
L’avenir : il se conçoit à partir de la vision libérale de la dette, sans aucune considération pour les coûts sociaux à moyen et à long terme de l’échec scolaire. La notion d’investissement est rabattue sur une vision productiviste à court terme. On fait la même erreur que celle qui, en matière d’écologie et d’environnement durable, compromet l’existence de notre planète. Mais, ici, il ne s’agit plus de se demander quel monde nous laisserons à nos enfants – ce que, malheureusement, nous savons –, mais quels enfants nous laisserons au monde – ce qui reste notre dernière responsabilité.
La prévention : dans la conception du libéralisme technocratique et autoritaire, c’est une illusion soixante-huitarde car, par définition, on ne peut pas en mesurer les effets immédiats. Puisque prévenir, c’est empêcher des choses d’avoir lieu, on ne trouve jamais de « raison objective » capable d’en justifier la dépense. La prévention, en effet, ne peut relever que d’un choix politique volontariste, d’un pari sur le futur irréductible à toutes les arguties comptables.
Face à cette logique d’une extrême cohérence, il convient, plus que jamais de travailler à une alternative crédible. Il nous faut une École où l’État garantisse que les missions de service public de tous les établissements sont bien assurées. Une École qui associe véritablement les professeurs et les familles à la définition de l’intérêt collectif. Une École qui promeuve l’inventivité pédagogique au service de tous les élèves. Une École qui promette à ceux qui s’y investissent, quelles que soient leurs origines, des satisfactions intellectuelles de haut niveau. Une École ambitieuse. Une École pour la République et la démocratie.
Merci à Philippe Meirieu pour son texte clair, profond et mobilisateur. Une remarque toutefois : il me semble dommage que ce texte n'évoque pas plus explicitement la fin annoncée des IUFM. En effet, Nicolas Sarkozy croit avoir trouvé là le moyen le plus efficace d'en finir avec la pédagogie (1) et les "pédagogistes" : supprimer la formation pédagogique des maîtres. Cette annonce me paraît éclairer la politique qui est conduite depuis un an. J'aurais envie de dire, en effet, que ce qui se joue dans le champ de l'école témoigne de l'entreprise de contre-révolution générale qui a été vendue aux français sous le terme de "rupture" (2) .
Je m'explique. Le chef de l'État et les forces qui le soutiennent veulent effacer de nos frontons le triptyque "Liberté, Égalité, Fraternité", principes organisateurs auxquels la République associe les deux principes régulateurs d'Éducation (ou de prévention) et de Laïcité. Ils veulent les remplacer par le triptyque "Libre concurrence, Égalité des chances, Charité", auquel les chantres de cette contre-révolution ajoutent les principes régulateurs d'Ordre et de Religiosité :
- Ordre (répression et contention chimique) plutôt que prévention ou éducation, car une telle société produit nécessairement du désordre et une explosion de la petite délinquance (3) qui lui renvoient son exacte image, qu'elle dénie ;
- Religiosité car, selon eux, la société laïque ne doit plus chercher dans la culture ni un sens historique et éthique (l'idée d'un progrès moral et politique ne nous a apporté que la barbarie), ni la source d'une spiritualité : le curé, le pasteur, le rabbin, l'imam, voire le scientologue, ont seuls une intimité avec le sens de l'existence, l'instituteur transmettant des valeurs qui — c'est désolant pour lui mais c'est ainsi — ne sont pas autofondées.
Sur le chemin de cette contre-révolution, le principal rempart idéologique, c'est l'école publique… car celle-ci incarne la résistance d'une société qui fait vivre et transmet encore ces valeurs aux jeunes générations : égalité des esprits dans la raison, dignité humaine, grandeur du citoyen, coopération… La suppression des IUFM permet d'en finir avec ces résistances tout en se donnant une image libérale et moderne (la formation par compagnonnage est celle des professions libérales, l'Université verra son rôle augmenté, les maîtres seront mieux payés…), tout en faisant une colossale économie de postes sans conséquence politique immédiate dans l'électorat et tout en divisant le groupe social des enseignants : comme on ne pourra pas recruter tous les enseignants à BAC + 5 (niveau de l'agrégation !), car le vivier sera très insuffisant, il faudra recourir à des recrutements "par la petite porte" d'une bonne moitié des enseignants, lesquels seront sous-payés et infériorisés. Et qui s'opposera à ce que les formateurs qui assureront le compagnonnage soient recrutés parmi les maîtres qui auront "les meilleurs résultats" dans les évaluations nationales ? D'autres maîtres ? Dans deux ans, l'école que nous connaissons depuis 1882 aura disparu, la contre-révolution ultralibérale aura renversé son principal obstacle.
Je souscris totalement à l'idée qui conclut le texte : "Face à cette logique d’une extrême cohérence, il convient, plus que jamais de travailler à une alternative crédible". La question que je me pose c'est : avec qui et sous quelle forme ? Bien qu'il nous faille aussi tenir ce front de l'école et de la pédagogie, l'échec est certain si nous restons entre pédagogues ou même entre professionnels. Je ne pense pas que nous puissions séparer cette question de celle des services publics (l'égalité des droits), de l'idée de solidarité (la fraternité), de la promotion de la prévention et de la défense de la laïcité, de la renaissance de la démocratie…
(1) Comme si on pouvait en finir avec l'éducation comme problème !
(2) On trouve une présentation pleinement assumée de ce plan dans un article de Denis Kessler, ex n° 2 du MEDEF, publié par le magazine Challenges du 4/10/2007, sous le titre : "ADIEU 1945, RACCROCHONS NOTRE PAYS AU MONDE !" En voici le texte :
"Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.
Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
A l’époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis qui a permis aux premiers que la France ne devienne pas une démocratie populaire, et aux seconds d’obtenir des avancées - toujours qualifiées d’«historiques» - et de cristalliser dans des codes ou des statuts des positions politiques acquises.
Ce compromis, forgé à une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc.
Cette «architecture» singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous ses partenaires.
Le problème de notre pays est qu’il sanctifie ses institutions, qu’il leur donne une vocation éternelle, qu’il les « tabouise » en quelque sorte. Si bien que lorsqu’elles existent, quiconque essaie de les réformer apparaît comme animé d’une intention diabolique. Et nombreux sont ceux qui s’érigent en gardien des temples sacrés, qui en tirent leur légitimité et leur position économique, sociale et politique. Et ceux qui s’attaquent à ces institutions d’après guerre apparaissent sacrilèges.
Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l’essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l’on puisse envisager l’aggiornamento qui s’annonce.
Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse."
(3) On ne parle jamais de la grande délinquance "légale". Dans l'affaire Kirviel, j'ai toujours été étonné par la façon dont les médias ont réagi : ils se sont seulement demandés si oui on non J. Kirviel avait commis des fautes ou était un fraudeur, s'il avait des complices, quelle était sa personnalité, etc. Mais le vrai scandale n'est-il pas qu'un courtier d'une des 5 ou 6 plus grandes banques françaises puisse jouer, en toute légalité, en trois mois, le presque équivalent du budget de l'éducation nationale (= 58 milliards d'euros) sur les marchés boursiers européens ? Combien de milliards d'euros la Société Générale peut-elle mobiliser ainsi chaque trimestre, à travers les opérations de l'ensemble de ses courtiers, dans la spéculation boursière ou monétaire ? Et combien les autres banques ? Et pour quels effets : empêchent-ils ou favorisent-ils le saccage de la Terre, le licenciement de milliers de salariés, la précarisation des milliers d'autres, le dumping social, la course au moins d'impôts, l'appauvrissement des États, la casse des services publics, l'explosion des prix du foncier et de l'immobilier qui met à la rue des milliers de sans logis (explosion alimentée par le retrait de l'État du logement social et la subvention massive à l'accession à la propriété, ouvrant ainsi aux banques l'énorme marché du crédit immobilier)…
Il faudrait pouvoir affirmer, sans avoir à s'excuser de dire la même chose que Besancenot ou le PCF, que le problème n'est pas la mauvaise gestion de la Société Générale et le remplacement de Daniel Bouton, son PDG, mais la gestion normale, légale et quotidienne de la finance privée et son remplacement par un autre système.
La maternelle, école de la vie…
de l’Association Familiale Laïque TRANSITION
Nous sommes heureux de vous transmettre la Trimestrielle N°1 de l’A.F.L. TRANSITION. Vous y trouverez des articles concernant les différentes actions que nous menons pour et avec les familles.
Des articles de spécialistes touchant aux domaines de l’éducation, de la psychologie, de la scolarité, des modes d’accueil de la petite enfance et de l’enfance, de la puériculture, du droit des familles, des services offerts aux familles, du pouvoir d’achat, du logement, des questions de société, des lois concernant la protection des plus vulnérables…
Mais aussi et surtout, nous vous proposons un espace d’expression dans une rubrique consacrée à vos courriers.
Toute notre équipe vous souhaite une excellente rentrée 2008 et une très bonne lecture.
Votre « tout(e) petit(e) » est « déjà grand(e) » : il ou elle vient de rentrer en maternelle ! c’est émouvant, parfois un peu inquiétant….
L’ECOLE ! Combien de représentations mettons-nous derrière ce mot, combien de souvenirs, bons ou mauvais ? Lorsque c’est au tour de notre enfant d’y entrer, tout cela se ravive.
Mais que savons-nous de l’école ? Nos ressentis d’enfance, ce que peuvent nous raconter nos amis, les reportages vus à la télévision sont des expériences singulières, et ne peuvent suffire à appréhender ce qui fonde l’école aujourd’hui.
Les grands principes de l’école de la république, école Laïque, gratuite pour tous, garantissent que c’est un espace « de connaissances » et non « de croyances » (qui doivent rester dans l’intimité familiale). Et tous les enfants ont droit à la connaissance : connaissance des règles de vie qui font la société, apprentissages fondamentaux. Notre école se doit de garantir l’égalité des chances. Mais LA MATERNELLE permet avant tout l’habituation aux rythmes collectifs tout en demeurant très attentive aux rythmes intimes et aux besoins particuliers de chaque enfant. La maternelle est encore affaire de maternage où l’ apprentissage principal est « le VIVRE ENSEMBLE » et la médiation des règles par le langage. Surtout pendant la récréation, lieu où l’enfant va enfin essayer d’établir tout seul des relations avec un autre enfant ou un petit groupe. Ces premiers apprentissages demandent de la vigilance de la part de tous les adultes ensemble, parce que ces relations sont fragiles et doivent permettre à l’enfant de s’épanouir dans son rapport aux autres, de tâtonner sans nuire et sans qu’on lui nuise.
En pédagogie, l’école maternelle met l’accent sur le langage, d’abord oral mis très vite en lien avec le langage écrit à travers la lecture de livres et les contes, l’écriture de la date et de la météo au tableau. Ce sont autant de notions, avec la maîtrise du temps et de l’espace, qui sont décrites dans le « guide pratique des parents » transmis en début d’année par les enseignants.
Plus le parent sera rassuré et confiant dans sa relation co éducative et mieux l’enfant s’épanouira dans ce milieu essentiel à sa vie. Il n’y a pas d’un côté ceux qui savent et de l’autre ceux qui ne savent pas : les parents connaissent mieux leur enfant dans la sphère intime, les enseignants connaissent mieux l’enfant social et apprenant. Ce n’est parfois pas « le même enfant » mais il est essentiel que ces « multiplicités » se rassemblent en un seul par l’échange et le dialogue, et que l’enfant soit compris par les adultes qui le guident.
Le bébé est très sensible à la voix et au visage de ceux qui l’entourent et la parole entendue permet au tout petit de s’approprier la musique de la langue. Les premières productions sonores de l’enfant, souvent imitées en jouant avec l’adulte sont une manière d’exprimer son intérêt pour celles-ci. Grâce à ces expériences, le bébé déploie lentement ses capacités à construire ses premières significations qui vont s’ancrer dans une soif de rythmes nourrie par les événements de sa vie (les repas, le sommeil, la présence et l’absence de la mère) mais aussi à travers les comptines, les berceuses, les histoires. Vers 10 mois, bébé pointe du doigt ce qui l’intéresse et partage avec l’adulte l’ouverture sur le monde extérieur, d’un regard conjoint. L’enfant montre, l’adulte nomme et reconnaît la pensée de l’enfant, les deux s’ajustent pour se comprendre.
Si on regarde un livre illustré ensemble, c’est une belle occasion de nommer ce que l’on regarde, permettant à l’enfant de s’approprier les mots de la langue. Puis vient le temps de raconter des histoires, de lire des textes pour lesquels l’enfant commence à comprendre le sens en étant d’abord attaché à la musique de la parole, ce qui lui permettra de découvrir le sens des mots, puis qu’une histoire veut dire quelque chose et cela rend le livre très attirant pour le bébé.
Entre 2 et 3ans c’est l’age d’or pour lire des histoires à voix haute, faire découvrir le plaisir des récits et aiguiser leur appétit et curiosité. Entre 3 et 5 ans c’est la langue du récit, un langage raconté, une langue plus structurée qui exprime la pensée avec des mots différents du langage quotidien, qui permet parfois de se comprendre à « demi mot » dans une situation vécue ensemble. Dans les livres les enfants trouveront des alliés pour mieux jouer avec la réalité, avec les limites, à ce qui est « pour de vrai » ou « pour de faux».
3 établissements vous accueillent :BRIGNOLES TOULON OLLIOULES
Des gestes pour prendre soin de l’enfant:
Monique et Jacqueline, toutes deux infirmières puéricultrices expérimentées dans l’accompagnement des jeunes parents guident les gestes de soin dans une approche très individualisée et adaptée à votre enfant. Elles accueillent les jeunes parents avant la naissance de leur enfant et dès la sortie de la maternité. Toutes deux spécialisées dans les premières relations mère-enfant, elles accompagnent l’allaitement et le sevrage en douceur à votre rythme.
Ateliers gratuits pour les adhérents
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« BABY MASSAGES ET BIENTRAITANCE »
prochaine session novembre 2008
Un centre de psychologie appliquée à Toulon
Le centre de psychologie appliquée « Axiome », nouvel établissement de l’AFL TRANSITION, ouvrira le 15 septembre au 1er étage du 13 pl Bidouré à Toulon. (au dessus de la Pause Parents de Toulon). Il accueille des enfants qui ont besoin d’un bilan psychologique complet (intellectuel- affectif- de personnalité- cognitif) ou plus ciblé. Le centre AXIOME permettra de partir des « diagnostics » pour travailler en lien avec les parents et les équipes enseignantes afin de construire un véritable projet personnalisé pour l’enfant (scolaire, périscolaire, familial, médicosocial).
Le centre assure également les suivis psychologiques des enfants et des familles. Ces consultations sont individuelles ou/et familiales (selon les besoins évalués).
Les enfants rentrant dans un parcours particulier tel que le Programme de Réussite Educative et orientés par les Mairies et écoles, bénéficient d’une prise en charge totalement gratuite.
DANS TOUS LES CAS, LES BILANS ET CONSULTATIONS RESTENT SOUMIS AU SECRET PROFESSIONNEL ET NE SONT COMMUNIQUES AUX PARTENAIRES QUE PAR LA FAMILLE OU AVEC SON ACCORD PREALABLE.
Pour prendre rendez-vous : 04 . 94. 92. 74. 21.
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Cotisation simple : de 1 à 20 € ( selon revenus)
Cotisation de soutien : de 20 à 100 €
Cotisation de bienfaiteur : 100 € et plus
Nom :…………………… . ..…prénom……………………………
Adresse :……………………………………………………………..
Tel et @mail : …./…./…./…../…./………………..@....................
Dates de naissance des enfants :
L’A.F.L. TRANSITION a été reconnue d’intérêt général. A ce titre, elle accepte les dons et délivre une attestation fiscale qui permet de déduire 70% du don ou de la cotisation de vos impôts.
AFL TRANSITION,13 Pl BIDOURE 83200 TOULON