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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

j.c.g.

le phallus ? et le néant ?

17 Mars 2023 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #Michel Pouquet, #assaisonneur, #films, #écriture- lecture, #note de lecture, #développement personnel, #cahiers de l'égaré, #agora, #agoras, #Paul Mathis, #FINS DE PARTIES

le phallus ? et le néant ?

voilà un article comportant 35 liens

il y aura très peu de lecteurs ouvrant les liens

mais au moins je pose la tentation

les liens en lien avec mes blogs sont sous le signe de Freud et Lacan (ce fut une partie de ma formation universitaire) que tente de déconstruire Sophie Robert

aujourd'hui, je suis sorti de cette matrice ou de ce paradigme

je pense qu'il faut plus recevoir que voir

voir en voyant la lumière qui éclaire par derrière ou sur le côté ou par en dessous...

place au miracle et au mystère de la naissance, de la vie, de la mort, des origines, des chemins, des fins

de la faim sans fin par tous les moyens

à la fin sans faim

mise entre parenthèses des prétendus savoirs

les mondes de chacun, de chaque espèce nous sont opaques et inaccessibles; et sans doute notre propre monde (conscience et inconscient, individuel, transgénérationnel, collectif)

JCG

je ne sais plus comment je suis arrivé sur ce documentaire de Sophie Robert, dont le titre est le phallus et le néant (2 H)
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je l'ai visionné,
puis j'ai cherché Sophie Robert (FB, Wikipédia, articles de journaux, polémique et procès contre son autre documentaire Le mur (sur l'autisme), un temps interdit puis autorisé à nouveau)
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je pense que les pratiques et discours théoriques sont à interroger, à soumettre au débat comme tout ce qui relève des savoirs-pouvoirs
(et ce n'est pas facile d'amener gens de savoir-pouvoir à faire preuve d'humilité, de distance par rapport à leurs pratiques;
il y faut conflit, provocation, scandale et peut-être alors débat ou justice)
on va voir ce qui va se produire dans les années à venir à propos des vaccins anti-covid à ARN messager qu'on nous a imposés
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le travail de Sophie Robert me semble salutaire pour un devoir et un droit d'inventaire des effets de la psychanalyse;
il serait bien que d'autres se mettent au travail pour comparer;
existe déjà Le livre noir de la psychanalyse (auquel a répondu L'anti-livre noir de la psychanalyse)
ou le travail d'Elizabeth Roudinesco
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- pour avoir invité plusieurs fois aux Comoni, lors d'agoras, Paul Mathis, psychanalyste lacanien décédé, Michel Pouquet, psychiatre décédé,
- pour avoir rendus publics sur le blog des bric à bracs, leurs causeries attirant une salle pleine
- pour avoir édité Les petits riens dans la clinique analytique de Jean-Paul Charancon, jeune psychanalyste décédé
pour avoir accompagné Annie dans son analyse dite didactique de 15 ans au moins, dans son parcours de psychologue clinicienne puis de psychanalyste
- pour avoir entrepris une analyse de six mois avec une analyste Carmen M.
sans parler de ma fréquentation de Lacan à Guyancourt vers 1964, à mon retour d'Algérie, écoeuré
 
- pour avoir bien étudié Freud et Lacan dès 1964
- pour avoir été interpellé par les scissions dans les mouvements analytiques (comme dans les mouvements politiques se prétendant émancipateurs), me semblant indiquer des tendances sectaires (en lien avec la toute puissance de ceux qui se prétendent détenteurs de la Vérité)
- pour m'interroger depuis de longues années sur mes rapports et relations à certaines femmes, cheminement qui me semble "tordu", idéalisé, style amour courtois (à réinventer si je ne fais pas un usage fantasmé de Lacan), à installer dans la durée du toujours, pour toujours
- ça a donné Your last video (porn theater), texte non paginé, non indiqué dans le sommaire de Et ton livre d'éternité, paru le 14 février 2022
 
- pour avoir fait écrire un livre pluriel Elle s'appelait Agnès (paru après les deux procès en février 2016) sur le viol et meurtre d'Agnès (13 ans) par Matthieu (17 ans, psychopathe qui entend des voix) à Chambon-sur-Lignon en novembre 2011
- pour avoir édité Battements d'ailes (Clichés Féminins/Masculins aujourd'hui) d'Elsa Solal et Dominique Loiseau, préfacé par Michelle Perrot en 2015
- pour avoir consacré le chapitre XII Livre III du livre d'éternité à metoo, l'affaire Weinstein, balance ton porc ainsi qu'au livre Le consentement de Vanessa Springora sous emprise de Gabriel Matzneff
- et pour avoir mis en ligne un docu très bien réalisé sur l'affaire Olivier Duhamel

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documentaire (bien réalisé) dont pas mal de choses me semblent audibles à l'opposé de beaucoup de réactions hostiles des commentaires comme du sous-titre du documentaire
(à la découverte du vrai visage de la psychanalyse);
 
à chacun de se demander ce qu'il va mettre en question,
ce qu'il va garder
faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ?
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dès qu'il y a le mot vrai, méfie-toi
il y a de la guerre dans l'air
et même si selon Héraclite, la guerre est...
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voici le commentaire que j'ai posté sur you tube :
le devoir et le droit légitimes d'inventaire des effets "pervers-père-vers" sur les individus et la société des théories et pratiques analytiques freudienne et lacanienne se transforment en réquisitoire hostile, sans contrepartie vraiment scientifique ; dans la mesure où on est au niveau de "sciences" dites humaines et animales, et même si on allait jusqu'au niveau biologique, génétique, il me semble impossible de dire le vrai visage de la psychanalyse;
le prétendre comme dit le sous-titre est du même registre performatif que le registre analytique :
dire c'est faire;
si je dis que c'est vrai, c'est vrai;
documentaire bien réalisé mais pour moi, peu convaincant;
ou pour le dire autrement, documentaire dans l'air du temps
c'est-à-dire à la mode avant d'être démodé car l'air du temps c'est l'air à la mode
donc la réalisatrice situe son documentaire dans un contexte de combats multiples, du genre déconstructions
(tout est en déconstruction en ce moment
comme d'ailleurs psychanalyse et structuralisme déconstruisaient le sujet sartrien et sa liberté)
allant jusqu'à la destruction;
évidemment les TCC sont préférés au divan
la réalisatrice sait qu'elle est une femme, sait ce qu'est une femme, un sexe de femme, une sexualité féminine, elle n'est pas un néant, un trou et que sais-je;
elle substitue aux "concepts" scandaleux de la psychanalyse d'autres versions qui lui semblent acceptables et surtout vraies
donc à prendre avec beaucoup de prudence, au 3° degré
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cela n'enlève rien à la nécessaire clarification (impossible, dois-je préciser) des notions de désir, de fantasme, d'inceste, de viol, de masculin, de féminin
mais je crois plus au travail sur soi (prendre soin de soi-Soi) qu'au travail monnayé sur un divan
et plus à l'hypnose style Roustang qu'à la psychanalyse ou aux TCC
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la 1° partie du film Un ange à ma table, de Jane Campion, To the Island, montre on ne peut plus clairement l'intérêt vif des fillettes pour le phallique
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en lien avec le film Un ange à ma table de Jane Campion qui évoque les 8 ans d'hôpital psychiatrique et les 200 électrochocs subis par la poétesse Janet Frame, une amie Voragine Fosproy m'a donné le lien d'une série de 4 docus sur l'hystérie, une parole confisquée
 
le phallus ? et le néant ?
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Rencontre avec Joe Black

6 Février 2023 , Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #J.C.G., #écriture- lecture, #films, #développement personnel, #pour toujours

la mort comme révélatrice de la vérité profonde de chacun
la mort comme révélatrice de la vérité profonde de chacun

la mort comme révélatrice de la vérité profonde de chacun

Rencontre avec Joe Black

 

3 h à la rencontre de la Mort incarnée en Joe Black

j'avais déjà vu ce film qui m'avait impressionné, il y a deux trois ans; j'avais fait focus sur l'amour entre Susan Parrish et Joe Black

vers 18 H ce 24 décembre 2022, une plage de temps s'est présentée; nous avons donc été 3 à le regarder en home-cinéma (video-projection sur drap blanc) pendant que des cookies au chocolat se préparaient en cuisine, les pâtissiers regardant le film à l'envers comme cela se passe dit-on au moment du passage, nous reverrions à toute vitesse notre film de vie à l'envers

spectateur, j'accepte le film sans esprit critique, vivre cette proposition telle qu'elle est offerte; je ne me laisse pas envahir par clichés, préjugés, genre c'est un film américain avec tous les codes-stéréotypes du genre film romantique-fantastique, musique trop appuyée, scènes convenues, téléphonées, longueurs et dialogues en sourdine sauf rares explosions, valeurs bourgeoises véhiculées...

ce qui m'a retenu dans cette projection, c'est le comportement de la Mort, pas seulement avec Susan mais d'abord avec elle-même qui ne sait rien de la Vie et de l'Amour;

selon Epicure quand la vie est là, la mort n'est pas là; quand la mort est là, la vie n'est plus là; il n'y a donc pas à craindre la mort dont on ne saura jamais rien;

inversement (c'est moi qui produit cet énoncé), la mort ne sait rien de la vie

et c'est cette plongée dans sa découverte de la vie que j'ai trouvé stimulante;

Joe Black goûte, il découvre avec la bouche, comme le nouveau-né, le goût du beurre de cacahuètes, le goût du thé avec un nuage de lait, le goût d'un sandwich à la viande, le goût des lèvres de Susan, c'est un gourmand du stade oral (le contraire du stade anal où l'enfant veut garder pour lui ses déjections, son pipi-caca), un découvreur qui s'émerveille du bon goût de toutes choses goûtées; cette aptitude déconcerte certains puisqu'il semble absent des enjeux de la vie de la famille Parrish; en réalité, chacun se révèle à lui-même au contact de Joe Black (c'est un peu la même chose avec l'ange de Théorême de Pasolini) comme lui se révèle au contact des vivants, il sympathise avec le mari d'Allison, il démolit la taupe qui veut détruire l'empire de Bill Parrish, il renonce à la mort de Susan et lui permet de vivre son amour avec le jeune homme rencontré au café (scène fondatrice méritant bien des développements);

il permet à Bill Parrish de mettre de l'ordre avant de passer et ainsi d'accepter le passage le soir de son anniversaire (65 ans); Bill et Joe tissent entre eux une relation de complicité parfois conflictuelle où la peur n'a plus sa place, Bill sait dire non, se rebiffer, Joe use, abuse un peu de son pouvoir;

ce qui ressort dixit Joe Black, c'est qu'une opinion peut toujours être argumentée de deux façons contraires, que la liberté existe, qu'on a le choix

mais l'essentiel est dit par Bill, une vie sans amour ne vaut pas la peine d'être vécue;

ça la Mort ne peut le dire, elle l'apprend de Bill et de Susan

ce film fut un gros échec au box-office; le directeur des studios Universal Pictures fut licencié

passez un bon Noël, en compagnie du divin enfant, quelles que soient vos croyances et incroyances

 

 

complicité parfois conflictuelle entre Joe Black et Bill Parrish / la mort découvre la vie comme le nourrisson, par la bouche, stade oral ou buccal / Là où le psychanalyste tend son oreille, l’hypnotiseur tend sa bouche à la recherche d’une autre bouche qui enfin sort de la plainte.Nous sommes dans le bouche-à-bouche, donc dans la respiration, et non dans un bouche-à-oreille. Nous sommes dans la mélopée amniotique où le sujet reprend des forces, une autre vitalité, une autre disposition. Celui qui revient n’est plus le même. Un ordre s’est reconstruit bien avant la verbalité. Celui qui revient, plus fort, ne sera plus soumis. Thierry Zalic
complicité parfois conflictuelle entre Joe Black et Bill Parrish / la mort découvre la vie comme le nourrisson, par la bouche, stade oral ou buccal / Là où le psychanalyste tend son oreille, l’hypnotiseur tend sa bouche à la recherche d’une autre bouche qui enfin sort de la plainte.Nous sommes dans le bouche-à-bouche, donc dans la respiration, et non dans un bouche-à-oreille. Nous sommes dans la mélopée amniotique où le sujet reprend des forces, une autre vitalité, une autre disposition. Celui qui revient n’est plus le même. Un ordre s’est reconstruit bien avant la verbalité. Celui qui revient, plus fort, ne sera plus soumis. Thierry Zalic
complicité parfois conflictuelle entre Joe Black et Bill Parrish / la mort découvre la vie comme le nourrisson, par la bouche, stade oral ou buccal / Là où le psychanalyste tend son oreille, l’hypnotiseur tend sa bouche à la recherche d’une autre bouche qui enfin sort de la plainte.Nous sommes dans le bouche-à-bouche, donc dans la respiration, et non dans un bouche-à-oreille. Nous sommes dans la mélopée amniotique où le sujet reprend des forces, une autre vitalité, une autre disposition. Celui qui revient n’est plus le même. Un ordre s’est reconstruit bien avant la verbalité. Celui qui revient, plus fort, ne sera plus soumis. Thierry Zalic
complicité parfois conflictuelle entre Joe Black et Bill Parrish / la mort découvre la vie comme le nourrisson, par la bouche, stade oral ou buccal / Là où le psychanalyste tend son oreille, l’hypnotiseur tend sa bouche à la recherche d’une autre bouche qui enfin sort de la plainte.Nous sommes dans le bouche-à-bouche, donc dans la respiration, et non dans un bouche-à-oreille. Nous sommes dans la mélopée amniotique où le sujet reprend des forces, une autre vitalité, une autre disposition. Celui qui revient n’est plus le même. Un ordre s’est reconstruit bien avant la verbalité. Celui qui revient, plus fort, ne sera plus soumis. Thierry Zalic

complicité parfois conflictuelle entre Joe Black et Bill Parrish / la mort découvre la vie comme le nourrisson, par la bouche, stade oral ou buccal / Là où le psychanalyste tend son oreille, l’hypnotiseur tend sa bouche à la recherche d’une autre bouche qui enfin sort de la plainte.Nous sommes dans le bouche-à-bouche, donc dans la respiration, et non dans un bouche-à-oreille. Nous sommes dans la mélopée amniotique où le sujet reprend des forces, une autre vitalité, une autre disposition. Celui qui revient n’est plus le même. Un ordre s’est reconstruit bien avant la verbalité. Celui qui revient, plus fort, ne sera plus soumis. Thierry Zalic

pour apprivoiser la présence permanente de Joe Black comme préconisait Michel Eyquem et se préparer à l'effacement
qui commence peut-être avec le choix du silence, en lien avec la conviction que nous ne savons rien; opter résolument pour l'incompétence, l'inexpérience, l'ignorance, l'innocence
faire comme le nourrisson, bouche bée
faire comme Joe Black, goûter le monde et les gens avec la bouche
Chaque mot est comme une souillure inutile du silence et du néant, écrit ou dit Beckett
en ce qui me concerne, le seul mot qui ne me semble pas approprié dans cette citation, aujourd'hui, au point où j'en suis de mes mises au point, est le mot néant
l'effacement, la mort (mystère) ne me semble pas
être chute dans le néant, néantisation
mais être dissolution de ce que que je crois être, corps vivant, personne identifiée-identifiable,
dissolution dans la mousse quantique
ou retour dans la mousse quantique des interconnexions d'où je suis sorti (miracle et mystère de la naissance),
virtuel devenu pour un temps réel (un éclair dans la nuit éternelle, dit Michel Eyquem), redevenant virtuel...
à creuser, reformuler;
je lis ici ou là des exhortations à se connecter avec l'univers... mais on est nécessairement connecté, qu'on en est ou pas conscience et le vouloir en conscience ne me semble pas apporter grand chose si ce n'est une satisfaction narcissique;
à poursuivre
Bill disant à sa fille Susan qu'une vie sans Amour c'est être passé à côté de la vie
Bill disant à sa fille Susan qu'une vie sans Amour c'est être passé à côté de la vie

Bill disant à sa fille Susan qu'une vie sans Amour c'est être passé à côté de la vie

Une nuit le magnat William Parrish ressent une violente douleur tandis qu'une voix surgissant des tenebres lui annonce sa mort prochaine. A ce moment-là, un jeune inconnu se présente à son domicile pour l'accompagner à son dernier voyage. Ce messager de l'au-delà impose à Parrish de l'heberger chez lui afin de lui donner l'occasion de partager un temps les experiences, les joies, les émotions et les drames des vivants, qui semblent lui être etrangers. En l'espace de trois jours, Joe Black révèlera toute la famille Parrish à elle-même.
 
 
- Je sais que ce n'est pas très original... L'amour est passion, obsession... Sa présence est vitale. Je veux dire tombe à la renverse, trouve quelqu'un que tu aimeras à la folie et qui t'aimera de la même manière. Trouver cet homme ? Et bien, laisse de côté ta tête et sois à l'écoute de ton cœur. S'il bat en tout cas je n'entends rien. La vérité ma chérie c'est que sans amour, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Être passé sur cette Terre sans connaître l'amour, le vrai, eh bien, c'est être passé à côté de la vie. Il faut essayer de le trouver, parce que si tu n'as pas essayé, tu n'as pas vécu.
- Bravo.
- Tu es cruelle.
- Excuse-moi. Redis le moi encore mais en version courte cette fois.
- D'accord... Sois prête. Qui sait ? Ça existe les coups de foudre.

 

Joe Black (Brad Pitt) : 7

Après avoir joué au chat et à la souris avec Bill Parrish en lui parlant sans se montrer ("Ouiii…"), Joe Black se présente enfin et annonce la raison et le but de sa visite : "Depuis peu, vous petites affaires ont piqué mon intérêt. Appelle ça de l'ennui, de la curiosité de ma part. […] Fais-moi visiter. Sois mon guide. […] L'important, c'est que je ne m'ennuie pas."

Joe veut satisfaire ses désirs et ne supporte pas les frustrations. Il a "besoin d'un corps", il le prend. Il manifeste plusieurs fois à William Parrish qu'il est en position dominante ("Cela n'est pas sujet à discussion. Rien ne l'est."), mais contrairement à lui, il exprime cela calmement, sans colère, en énonçant un fait plutôt qu'en se livrant à une épreuve de force. Joe est optimiste : "Dans la vie, il y a toujours des solutions."

Dans le monde des humains, Joe découvre avec ravissement dès le premier soir le moyen d'exercer au sens propre la passion de son type, la gloutonnerie :

 

Joe :

C'est quoi ça ?

 

Maître d'hôtel :

Ça, vous voulez dire ?

 

Joe :

Oui.

 

Maître d'hôtel :

Du beurre de cacahuète, Monsieur.

 

Joe :

Et vous aimez ça ?

 

Maître d'hôtel :

Et bien, si vous sollicitez mon opinion, je dirais que c'est à mi-chemin entre la damnation et le paradis. Euh… Vous voulez goûter, Monsieur ?

 

Joe :

Oui. [Il sourit. C'est la première fois depuis qu'il est sur terre.]

 

Maître d'hôtel :

Tout de suite.

 

 

[…]

 

Maître d'hôtel :

Vous voilà dépendant du beurre de cacahuètes, Monsieur.

 

Joe :

Oui. Je crois bien que oui. Je suis content de connaître le beurre de cacahuètes.

Le plaisir apporté par le beurre de cacahuètes devient la référence absolue. Quelques instants plus tard, il ne lâche même pas la cuillère pour tendre une serviette à Susan qui sort de la piscine. Il en réclame au repas. Il cherchera à en obtenir à nouveau lors de la réception finale, seule consolation possible à la perte de Susan. Celle-ci d'ailleurs doit affronter la concurrence :

 

Susan :

Tu as aimé faire l'amour avec moi ?

 

Joe :

Oui.

 

Susan :

Plus que le beurre de cacahuètes ?

 

Joe :

Oui. Beaucoup plus.

Bien entendu, il n'en néglige pas pour autant les autres plaisirs alimentaires. Le sandwich au gigot "est éblouissant". Quant aux réunions du Comité Directeur de Parrish Communication, leur intérêt réside dans les pâtisseries :

 

Joe :

Est-ce que je peux encore avoir de ces délicieux gâteaux ? Ceux à la confiture. Et une tasse de thé… avec un nuage de lait. J'essaye le style anglais. Ouais ! Un thé au lait je vous prie.

 

Drew :

Ce sera tout, monsieur Black. Un peu d'eau, peut-être ?

 

Joe :

Oui, avec joie.

Sa gloutonnerie se manifeste aussi dans ses autres plaisirs. Après que Susan l'ait embrassé pour la première fois, il lui dit : "Vos lèvres sur les miennes, et votre langue… Ça avait un goût vraiment merveilleux."

Bien entendu, du 7 Joe Black a aussi la peur de la souffrance. Il va voir Susan à l'hôpital et elle est surprise de sa venue :

 

Susan :

Qu'est-ce que vous faites ici ? Vous êtes malade ?

 

Joe :

Oh ! Dieu merci non !

Là, il rencontre une vieille femme jamaïquaine et lui assure : "Je suis désolé. Je n'ai rien à voir avec la douleur." Le spectacle de cette souffrance lui est insupportable et il réalise brusquement que sa "présence [à l'hôpital] n'est pas appropriée" et s'enfuit littéralement. Parce qu'elle souffre, cette femme est le premier être humain pour lequel il ressent une véritable émotion : "C'est quelqu'un qui a très mal." Le soir au dîner, il demande de ses nouvelles : "Je suis très inquiet pour la femme qui est venue vous voir. La douleur s'est-elle calmée ?"

Plus tard, il retourne la voir à l'hôpital et lui amène des fleurs. La vieille femme essaye de le convaincre qu'il n'est "pas à sa place" sur terre. Amoureux et aimé de Susan, il ne veut rien entendre : pourquoi abandonner un plaisir ? La Jamaïquaine perçoit bien ce qu'il y a de puéril dans cette attitude : "C'est plein de gamineries dans ta tête."

Elle lui raconte alors une métaphore, le langage du 7, pour lui faire comprendre que son plaisir va bientôt se changer en souffrance : "C'est joli ce qui a pu t'arriver. Tu sais, c'est comme si tu étais dans les îles en vacances. Le soleil ne te brûle pas rouge-rouge, juste marron, tout doré. Il n'y a pas de moustiques. Mais la vérité, c'est que c'est fatal que ça arrive si tu veux rester trop longtemps. Alors garde les jolies images que t'as dans la tête et retourne chez toi. Mais il faut pas te faire avoir."

Joe change de visage. Il se rend immédiatement chez William Parrish et lui annonce qu'ils vont s'en aller : "J'ai le sentiment que tous comptes faits l'objectif visé par ce voyage est aujourd'hui pleinement atteint." Cette phrase est une rationalisation (le mécanisme de défense du 7) destinée à (se) masquer la raison véritable de son départ.

Plus généralement pour Joe Black, le langage est un outil permettant de justifier n'importe quelle idée : "Quoi que vous disiez, on peut soutenir une opinion de deux façons différentes", explique-t-il à Drew.

Joe pratique volontiers un humour à froid plutôt agressif :

 

Bill :

Vous pensez rester longtemps ?

 

Joe :

Nous pouvons espérer que ce sera le cas.

Ou après une colère de Bill : "Du calme, Bill. Tu vas faire une crise cardiaque au beau milieu de mes vacances."

Joe ne sait pas réellement ce qu'est une émotion. Même quand il aime Susan, il est étonnamment froid et distant, plus dans le plaisir que dans l'amour comme le perçoit bien William Parrish :

 

Bill :

Vous prenez ce que vous voulez par simple fantaisie. Ce n'est pas de l'amour.

 

Joe :

Qu'est-ce que c'est ?

 

Bill :

[…] Il manque les ingrédients importants.

 

Joe :

Et quels sont-ils ?

La fin du film montre un début d'intégration par le renoncement à Susan et en même temps son châtiment : lui qui a joué avec les sentiments des autres et avec leur vie va devoir apprendre à vivre seul… pour l'éternité.

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B bbb J / place aux joyeux

8 Janvier 2023 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #album, #développement personnel, #pour toujours, #écriture- lecture

noeuds de Michel Dufresne offert à JCG, vues à 8 H 45 depuis mon poste de travail, le 8 janvier 2023
noeuds de Michel Dufresne offert à JCG, vues à 8 H 45 depuis mon poste de travail, le 8 janvier 2023
noeuds de Michel Dufresne offert à JCG, vues à 8 H 45 depuis mon poste de travail, le 8 janvier 2023

noeuds de Michel Dufresne offert à JCG, vues à 8 H 45 depuis mon poste de travail, le 8 janvier 2023

Sappho de Mytilène Σαπφώ / Sapphṓ VII° av.J.C.
Sappho de Mytilène Σαπφώ / Sapphṓ VII° av.J.C.

Sappho de Mytilène Σαπφώ / Sapphṓ VII° av.J.C.

Αρχαίο κείμενο της Σαπφούς (7ος π. Χ. αιώνας)
Δέδυκε μὲν ἀ Σελάννα καὶ Πληίαδες,
μέσαι δὲ νύκτες,
παρὰ δ’ ἔρχεται ὤρα,
ἔγω δὲ μόνα κατεύδω

Μετάφραση Άκου Δασκαλόπουλου (1937-1998)
Να το φεγγάρι έγειρε,
βασίλεψε και η Πούλια.
Είναι μεσάνυχτα.
Περνά, περνά η ώρα.
Κι εγώ κοιμάμαι μόνη μου.

Μετάφραση Αργύρη Εφταλιώτη (1849-1923)
Το φεγγαράκι εμίσεψε
μεσάνυχτα σημαίνει,
οι ώρες φεύγουν και περνούν
κι εγώ κοιμάμαι μόνη

 

Texte ancien de Sappho (7e siècle av. J. C.)
Se sont couchées donc la lune et les Pléiades
mais au milieu de la nuit
les heures passent
et moi je dors seule.

Traduction à partir du texte d'Akos Daskalopoulos (1937-1998)
Voici la lune s'est penchée
s'est couchée aussi la Poulia1.
Il est minuit.
Passent, passent les heures.
Et moi je dors seule.

Traduction à partir du texte d'Argyris Eftaliotis (1849-1923)
La petite lune a migré
il se fait minuit
les heures partent et passent
et moi je dors seule.

un entretien avec Vladimir Jankélévitch sur le bonheur a engendré un échange entre Annie Bergou Eric Borgniet et moi
Bonheur avec B majuscule
bonheurs minuscules, bbbbb au pluriel et éphémères 
pas plus d'1 seconde selon Vladimir Jankélévitch ou Sylvain Tesson
je pratique le B et les petits b à gogo
est-ce indécent ?
un autre mot est possible, Joie avec J
je me suis dit 
propose une galerie de gens H J
Siddhartha Gautama, VI° av. J.C.
Siddhartha Gautama, VI° av. J.C.

Siddhartha Gautama, VI° av. J.C.

Le Dhammapadda, chapitre 15

LE BONHEUR

 

197Ah ! vivons heureux, sans haïr ceux qui nous haïssent ! Au milieu des hommes qui nous haïssent, habitons sans les haïr !

198Ah ! vivons heureux, sans être malades, au milieu de ceux qui le sont ! Au milieu des malades, habitons sans l’être !

199Ah ! vivons heureux, sans avoir de désirs au milieu de ceux qui en ont ! Au milieu des hommes qui ont des désirs, habitons sans en avoir !

200Ah ! vivons heureux, nous qui ne possédons rien ! Nous serons semblables aux dieux Abhâsvaras[1], savourant comme eux le bonheur.

201La victoire engendre la haine, car le vaincu ressent de la douleur. Celui qui vit en paix est heureux, sans plus songer ni à la victoire ni à la défaite.

202Il n’est pas de feu comparable à la  passion, de désastre égal à la haine, de malheur tel que l’existence individuelle, de bonheur supérieur à la quiétude.

203La faim est la pire des maladies, les agrégations d’éléments, le plus grand des malheurs. Pour celui qui sait qu’il en est ainsi, le Nirvâna est le bonheur suprême.

204La santé est la meilleure des acquisitions ; le contentement, la meilleure des richesses ; la confiance, le meilleur des parents ; le Nirvâna, le bonheur suprême.

205Après avoir savouré le breuvage de l’isolement, et celui de la quiétude, on ne craint plus rien, on ne pèche plus, et l’on savoure celui de la loi.

206Pleine de charme est la visite aux Aryas, plein de charmes leur commerce. Débarrassé de la vue des sots, on serait à jamais heureux.

207Celui qui marche en compagnie d’un sot souffre tout le long de la route. La société d’un sot est aussi désagréable que celle d’un ennemi ; la société d’un sage, aussi agréable que celle d’un parent.

208Celui qui est un sage, un savant, ayant beaucoup appris, patient comme une bête de somme, et fidèle à ses vœux, un Arya, — ce mortel vertueux, doué d’une heureuse intelligence, suivez-le, comme la lune suit le chemin des étoiles. 

  1.  

Abhâsvara, lumineux, éclatant.

Jésus, à chacun d'imaginer son visage de Jésus qui est le visage de l'amour inconditionnel y compris de ses ennemis, ce qui n'est pas un sentiment naturel; avec Jésus on change de niveau / il y en a qui combattent pour un autre visage du Christ, moins blanc; va-t-on assister à un déferlement wokiste sur comment représenter Jésus ?
Jésus, à chacun d'imaginer son visage de Jésus qui est le visage de l'amour inconditionnel y compris de ses ennemis, ce qui n'est pas un sentiment naturel; avec Jésus on change de niveau / il y en a qui combattent pour un autre visage du Christ, moins blanc; va-t-on assister à un déferlement wokiste sur comment représenter Jésus ?

Jésus, à chacun d'imaginer son visage de Jésus qui est le visage de l'amour inconditionnel y compris de ses ennemis, ce qui n'est pas un sentiment naturel; avec Jésus on change de niveau / il y en a qui combattent pour un autre visage du Christ, moins blanc; va-t-on assister à un déferlement wokiste sur comment représenter Jésus ?

Les béatitudes

A la vue de ces foules, Jésus monta sur la montagne. Il s'assit et ses disciples s'approchèrent de lui. Puis il prit la parole pour les enseigner; il dit:

«Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle, car le royaume des cieux leur appartient! Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés! Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés! Heureux ceux qui font preuve de bonté, car on aura de la bonté pour eux! Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu! Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu! 10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient! 11 Heureux serez-vous lorsqu'on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. 12 Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel. En effet, c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

13 »Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu'à être jeté dehors et piétiné par les hommes. 14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut pas être cachée, 15 et on n'allume pas non plus une lampe pour la mettre sous un seau, mais on la met sur son support et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. 16 Que, de la même manière, votre lumière brille devant les hommes afin qu'ils voient votre belle manière d’agir et qu’ainsi ils célèbrent la gloire de votre Père céleste.

Christ et la loi

17 »Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. 18 En effet, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre n’auront pas disparu, pas une seule lettre ni un seul trait de lettre ne disparaîtra de la loi avant que tout ne soit arrivé. 19 Celui donc qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux hommes à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux; mais celui qui les mettra en pratique et les enseignera aux autres, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. 20 En effet, je vous le dis, si votre justice ne dépasse pas celle des spécialistes de la loi et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.

21 »Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: ‘Tu ne commettras pas de meurtre[a]; celui qui commet un meurtre mérite de passer en jugement.’ 22 Mais moi je vous dis: Tout homme qui se met [sans raison] en colère contre son frère mérite de passer en jugement; celui qui traite son frère d’imbécile[b] mérite d'être puni par le tribunal, et celui qui le traite de fou mérite d'être puni par le feu de l'enfer. 23 Si donc tu présentes ton offrande vers l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, 24 laisse ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande. 25 Mets-toi rapidement d'accord avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur qu'il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l'officier de justice et que tu ne sois mis en prison. 26 Je te le dis en vérité, tu n'en sortiras pas avant d'avoir remboursé jusqu'au dernier centime.

27 »Vous avez appris qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère.[c] 28 Mais moi je vous dis: Tout homme qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur. 29 Si ton œil droit te pousse à mal agir, arrache-le et jette-le loin de toi, car il vaut mieux pour toi subir la perte d'un seul de tes membres que de voir ton corps entier jeté en enfer. 30 Et si ta main droite te pousse à mal agir, coupe-la et jette-la loin de toi, car il vaut mieux pour toi subir la perte d'un seul de tes membres que de voir ton corps entier jeté en enfer.

31 »Il a été dit: Que celui qui renvoie sa femme lui donne une lettre de divorce.[d] 32 Mais moi, je vous dis: Celui qui renvoie sa femme, sauf pour cause d'infidélité, l'expose à devenir adultère, et celui qui épouse une femme divorcée commet un adultère.

33 »Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens: Tu ne violeras pas ton serment, mais tu accompliras ce que tu as promis au Seigneur.[e] 34 Mais moi je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu35 ni par la terre, parce que c'est son marchepied,[f] ni par Jérusalem, parce que c'est la ville du grand roi. 36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux pas rendre blanc ou noir un seul cheveu. 37 Que votre parole soit ‘oui’ pour oui, ‘non’ pour non; ce qu'on y ajoute vient du mal[g].

38 »Vous avez appris qu'il a été dit: Œil pour œil et dent pour dent.[h] 39 Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre. 40 Si quelqu'un veut te faire un procès et prendre ta chemise, laisse-lui encore ton manteau. 41 Si quelqu'un te force à faire un kilomètre, fais-en deux avec lui. 42 Donne à celui qui t’adresse une demande et ne te détourne pas de celui qui veut te faire un emprunt.

43 »Vous avez appris qu'il a été dit: ‘Tu aimeras ton prochain[i] et tu détesteras ton ennemi.’ 44 Mais moi je vous dis: Aimez vos ennemis, [bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous détestent] et priez pour ceux [qui vous maltraitent et] qui vous persécutent, 45 afin d'être les fils de votre Père céleste. En effet, il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. 46 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les collecteurs d’impôts n'agissent-ils pas de même? 47 Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les membres des autres peuples n'agissent-ils pas de même? 48 Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Les pratiques religieuses

»Gardez-vous bien de faire des dons devant les hommes pour qu’ils vous regardent; sinon, vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père céleste. Donc, lorsque tu fais un don à quelqu'un, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme le font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues afin de recevoir la gloire qui vient des hommes. Je vous le dis en vérité, ils ont leur récompense. Mais toi, quand tu fais un don, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton don se fasse en secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra [lui-même ouvertement].

»Lorsque tu pries, ne sois pas comme les hypocrites: ils aiment prier debout dans les synagogues et aux coins des rues pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils ont leur récompense. Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra [ouvertement].

»En priant, ne multipliez pas les paroles comme les membres des autres peuples: ils s'imaginent en effet qu'à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez.

»Voici donc comment vous devez prier: ‘Notre Père céleste! Que la sainteté de ton nom soit respectée, 10 que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. 11 Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien; 12 pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés; 13 ne nous expose pas à la tentation, mais délivre-nous du mal[j], [car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen!]’

14 »Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi; 15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.

16 »Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste comme les hypocrites. En effet, ils présentent un visage tout défait pour montrer aux hommes qu'ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils ont leur récompense. 17 Mais toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage 18 afin de ne pas montrer que tu jeûnes aux hommes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Les biens matériels

19 »Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où les mites et la rouille détruisent et où les voleurs percent les murs pour voler, 20 mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où les mites et la rouille ne détruisent pas et où les voleurs ne peuvent pas percer les murs ni voler! 21 En effet, là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.

22 »L'œil est la lampe du corps. Si ton œil est en bon état, tout ton corps sera éclairé; 23 mais si ton œil est en mauvais état, tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien ces ténèbres seront grandes!

24 »Personne ne peut servir deux maîtres, car ou il détestera le premier et aimera le second, ou il s'attachera au premier et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent[k].

25 »C'est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez [et boirez] pour vivre, ni de ce dont vous habillerez votre corps. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement? 26 Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment pas et ne moissonnent pas, ils n'amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux? 27 Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter un instant à la durée de sa vie? 28 Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement? Etudiez comment poussent les plus belles fleurs des champs: elles ne travaillent pas et ne tissent pas; 29 cependant je vous dis que Salomon[l] lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas eu d’aussi belles tenues que l'une d'elles. 30 Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs, qui existe aujourd'hui et qui demain sera jetée au feu, ne le fera-t-il pas bien plus volontiers pour vous, gens de peu de foi? 31 Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas: ‘Que mangerons-nous? Que boirons-nous? Avec quoi nous habillerons-nous?’ 32 En effet, tout cela, ce sont les membres des autres peuples qui le recherchent. Or, votre Père céleste sait que vous en avez besoin. 33 Recherchez d'abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné en plus. 34 Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain prendra soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.

Les relations humaines

»Ne jugez pas afin de ne pas être jugés, car on vous jugera de la même manière que vous aurez jugé et on utilisera pour vous la mesure dont vous vous serez servis. Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil? Ou comment peux-tu dire à ton frère: ‘Laisse-moi enlever la paille de ton œil’, alors que toi, tu as une poutre dans le tien? Hypocrite, enlève d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour retirer la paille de l'œil de ton frère.

»Ne donnez pas les choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les porcs, de peur qu'ils ne les piétinent et qu'ils ne se retournent pour vous déchirer.

»Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira. En effet, toute personne qui demande reçoit, celui qui cherche trouve et l'on ouvre à celui qui frappe. Qui parmi vous donnera une pierre à son fils, s'il lui demande du pain? 10 Ou s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent? 11 Si donc, mauvais comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, votre Père céleste donnera d’autant plus volontiers de bonnes choses à ceux qui les lui demandent.

12 »Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux, car c'est ce qu'enseignent la loi et les prophètes[m].

L’entrée dans le royaume

13 »Entrez par la porte étroite! En effet, large est la porte, spacieux le chemin menant à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là, 14 mais étroite est la porte, resserré le chemin menant à la vie, et il y en a peu qui les trouvent.

15 »Méfiez-vous des prétendus prophètes! Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au-dedans ce sont des loups voraces. 16 Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des ronces ou des figues sur des chardons? 17 Tout bon arbre produit de bons fruits, mais le mauvais arbre produit de mauvais fruits. 18 Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. 19 Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. 20 C'est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

21 »Ceux qui me disent: ‘Seigneur, Seigneur!’ n'entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père céleste. 22 Beaucoup me diront ce jour-là: ‘Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom? N'avons-nous pas chassé des démons en ton nom? N'avons-nous pas fait beaucoup de miracles en ton nom?’ 23 Alors je leur dirai ouvertement: ‘Je ne vous ai jamais connus. Eloignez-vous de moi, vous qui commettez le mal![n]

24 »C'est pourquoi, toute personne qui entend ces paroles que je dis et les met en pratique, je la comparerai à un homme prudent qui a construit sa maison sur le rocher. 25 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison; elle ne s’est pas écroulée, parce qu'elle était fondée sur le rocher. 26 Mais toute personne qui entend ces paroles que je dis et ne les met pas en pratique ressemblera à un fou qui a construit sa maison sur le sable. 27 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison; elle s’est écroulée et sa ruine a été grande.»

28 Quand Jésus eut fini de prononcer ces paroles, les foules restèrent frappées par son enseignement, 29 car il enseignait avec autorité, et non comme leurs spécialistes de la loi.

 
François d'Assise mon frère le soleil, ma soeur la lune, ... XII°-XIII° ap. J.C.

François d'Assise mon frère le soleil, ma soeur la lune, ... XII°-XIII° ap. J.C.

Très Haut, tout puissant et bon Seigneur, 

à toi louange, gloire, honneur,

et toute bénédiction ;
à toi seul ils conviennent, O Très-Haut,
et nul homme n’est digne de te nommer.

Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère Soleil,
par qui tu nous donnes le jour, la lumière ;
il est beau, rayonnant d’une grande splendeur,
et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles :
dans le ciel tu les as formées,
claires, précieuses et belles.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent,
et pour l’air et pour les nuages,
pour l’azur calme et tous les temps :
grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures.

Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur Eau,
qui est très utile et très humble,
précieuse et chaste.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu,
par qui tu éclaires la nuit :
il est beau et joyeux,
indomptable et fort.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre,
qui nous porte et nous nourrit,
qui produit la diversité des fruits,
avec les fleurs diaprées et les herbes.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux
qui pardonnent par amour pour toi ;
qui supportent épreuves et maladies :
heureux s’ils conservent la paix,
car par toi, le Très Haut, ils seront couronnés.

Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour notre sœur la Mort corporelle
à qui nul homme vivant ne peut échapper.
Malheur à ceux qui meurent en péché mortel ;
heureux ceux qu’elle surprendra faisant ta volonté,
car la seconde mort ne pourra leur nuire.

Louez et bénissez mon Seigneur,
rendez-lui grâce et servez-le
en toute humilité.

un songe drolatique attribué à Rabelais, gravure de François Desprez, livre paru en 1565

un songe drolatique attribué à Rabelais, gravure de François Desprez, livre paru en 1565

PROLOGUE de Gargantua de François Rabelais, 1534
Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux, car c'est à vous, non aux autres, que je
dédie mes écrits, Alcibiade, dans un dialogue de intitulé le Banquet, faisant l'éloge de son
précepteur Socrate, sans conteste le prince des philosophes, déclare entre autres choses
qu'il est semblable aux silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boites, comme
celles que nous voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, sur
lesquelles étaient peintes des figures drôles et frivoles : harpies, satyres, oisons
bridés, lièvres cornus, canes batées, boucs volants, cerfs attelés, et autres figures
contrefaites à plaisir pour inciter les gens à rire (comme le fut Silène, maitre du
Bacchus). Mais à l'intérieur on conservait les drogues fines, comme le baume,
l'ambre gris, l'amome, la civette, les pierreries et autres choses de prix. Alcibiade
disait que Socrate leur était semblable, parce qu'à le voir du dehors et à l'évaluer par
l'aspect extérieur, vous n'en auriez pas donné une pelure l'oignon, tant il était laid de corps
et d'un maintien ridicule, le nez pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fou, le
comportement simple, les vêtements d'un paysan, de condition modeste, malheureux avec
les femmes, inapte à toute fonction dans l'état ; et toujours riant, trinquant avec chacun,
toujours se moquant, toujours cachant son divin savoir. Mais en ouvrant cette boite, vous y
auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : une intelligence plus qu'humaine, une
force d'âme merveilleuse, un courage invincible, une sobriété sans égale, une égalité
d'âme sans faille, une assurance parfaite, un détachement incroyable à l'égard de tout ce
pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.
A quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d'essai ? C'est que vous, mes bons disciples,
et quelques autres fous oisifs, en lisant les joyeux titres de quelques livres de votre
invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte. La dignité des braguettes, des pois
au lard avec commentaire, etc., vous pensez trop facilement qu'on n'y traite que de
moqueries, folâtreries et joyeux mensonges, puisque l'enseigne extérieure est sans
chercher plus loin, habituellement reçue comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut
pas considérer si légèrement les oeuvres des hommes. Car vous-mêmes vous dites que
l'habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d'un froc qui au-dedans n'est rien moins que
moine, et tel est vêtu d'une cape espagnole qui, dans son courage, n'a rien à voir avec
l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est
traité. Alors vous reconnaitrez que la drogue qui y est contenue est d'une tout autre valeur
que ne le promettait la boite : c'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si
folâtre que le titre le prétendait.

Marcel Proust Céleste Albaret Céleste Albaret racontant avec joie, la joie de Marcel Proust lui annonçant qu'il a écrit le mot FIN au bas de tous les feuillets qu'elle avait eu l'ingéniosité de coller, plier... au service de Marcel Proust de 1913 à 1922
Marcel Proust Céleste Albaret Céleste Albaret racontant avec joie, la joie de Marcel Proust lui annonçant qu'il a écrit le mot FIN au bas de tous les feuillets qu'elle avait eu l'ingéniosité de coller, plier... au service de Marcel Proust de 1913 à 1922

Marcel Proust Céleste Albaret Céleste Albaret racontant avec joie, la joie de Marcel Proust lui annonçant qu'il a écrit le mot FIN au bas de tous les feuillets qu'elle avait eu l'ingéniosité de coller, plier... au service de Marcel Proust de 1913 à 1922

« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d'abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint- Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse: ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait- elle? Que signifiait-elle? Où l'appréhender? (...)
Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.
Et dès que j'eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s'appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu'on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j'avais revu jusque là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu'au soir et par tous les temps, la Place où on m'envoyait avant déjeuner, les rues où j'allais faire des courses, les chemins qu'on prenait si le temps était beau. Et comme dans ce jeu où les Japonais s'amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d'eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s'étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »
PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, Paris, 1987, p. 140-145

vu un remarquable documentaire de 55', Le Monde de Marcel Proust sur Arte
avec la voix et le rayonnement de Céleste Albaret filmée en 1973, 50 ans après
"À mon avis, même dès sa jeunesse, il n’a voulu qu’écrire… Ses sorties de salons n’ont été qu’une espèce d’alimentation de son œuvre. Parce que depuis toujours il emmagasinait, et il n’a vécu que de ça."
La voix qui raconte est celle de Céleste Albaret, gouvernante et confidente des huit dernières années de Marcel Proust, de 1914 à 1922 (quarante-neuf heures d’entretien avec elle, enregistrées en 1973, ont été retrouvées récemment dans les fonds de la Bibliothèque nationale de France). Armé de son sens de l’observation et de son acuité psychologique, l’auteur d’"À la recherche du temps perdu", fils d’une héritière de la bourgeoisie juive et d’un père médecin, incarnation même du mérite républicain, s’est immergé dans les boudoirs de la Belle Époque comme dans les hôtels de passe homosexuels pour donner chair aux centaines de personnages qui peuplent son œuvre-monde. C’est par l’entremise du flamboyant comte de Montesquiou, dandy insolent immortalisé sous les traits épaissis du baron de Charlus, que le futur écrivain, à force de flatteries, a réussi à pénétrer les hautes sphères de la société. De la belle et influente comtesse Greffulhe, qui inspira la figure de la duchesse Oriane de Guermantes, au jeune et aimé Alfred Agostinelli, qui fut l’un des modèles du personnage d’Albertine, les êtres qui accompagnèrent la vie de Marcel Proust sont entrés, métamorphosés et mêlés à d’autres, dans le chef-d’œuvre éternel qu’il nous a légué, odyssée sur la mémoire, la hiérarchie sociale, l’amour et l’écriture, qui débute à la fin des années 1870 pour s’achever au lendemain de la Grande Guerre.
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intéressant de me souvenir de ce que mon esprit a retenu de ce documentaire
- le livre imaginé et fabriqué comme une robe et pas conçu, réalisé comme une cathédrale 
et de vagabonder, Marcel rencontrant YSL, j'ai imaginé, je ne raconterai pas
Marcel va assister aux sévices corporels que se fait infliger Charlus dans un hôtel de passe parce que ça ne peut pas s'imaginer
mais son esprit, son corps est si réceptif que lorsqu'il goûte la madeleine qui aurait pu être une biscotte ou du pain grillé (mots présents, raturés, dans le manuscrit), c'est à une remontée de sensations qu'il nous fait participer, nous mettant l'eau à la bouche
- quand il se met à l'écriture, il écrit le début et la fin, d'emblée; entre, ce sera le flux, ce seront les entremêlements
je fais une fois de plus l'expérience qu'un film impressionne autrement que des mots
allez, je me fais une deuxième séance
B bbb J / place aux joyeux
promenade au pays de Proust via internet suite au documentaire vu sur Arte
et de penser à la fabrique du Guépard de Lampedusa
qui se penchera sur les mystères de telles oeuvres
érudits, suivez vos chemins
rêveurs et poètes, cheminons sur chemins qui sont comme sillages sur la mer suggère Antonio Machado
incroyable comme je perçois maintenant que tout est une question de points de vue
 
change tes mots, change ton regard, change le souvent
et ce que tu crois être, comme Marcel Proust l'exprime, métamorphose de toi par le temps (donc passif dans ce jeu où les amours inconstantes se défont, où la monstrueuse t'attend) 
devient toi te métamorphosant, jouant à retourner le temps, au soleil des jeunes filles en fleurs
cher Marcel, j'ai raté ton centenaire, je rate beaucoup d'anniversaires 
mais je célèbre beaucoup, un moment, une personne, un souvenir 
tout passant dans l'éternité de l'instant présent
j'aime ce titre Mourir n'est pas te perdre de Christophe Dauré
Michel Eyquem proposait qu'on se la représente de toutes les manières possibles
je ne cherche plus à me la représenter comme à venir, devant moi, dans un futur qui se rapproche 
je la sens présente en permanence, mêlée à ma vie sous la forme de l'apoptose et autres formes indicibles mais sensibles
cela rend léger et ouvre à la J, au B et aux bbb à glouglouglou
B bbb J / place aux joyeux
Vu Le temps retrouvé de Raoul Ruiz
film que j'ai trouvé éblouissant, qui a déjà 24 ans (1999)
je l'ai reçu comme rembobiné
le temps retourné de Proust Marcel
ou au soleil des jeunes filles en fleurs
réel retentissement du film sur moi (nuit de pleine lune et petit matin d'encore pleine lune) : 
de la recherche du temps perdu au temps retrouvé semble se dessiner un chemin emprunté par Marcel Proust découvrant me semble-t-il que le seul temps est le présent, à vivre dans l'immédiateté des sensations, émotions, sentiments qui passent comme fleurs fanent et tombent après avoir écloses
évidemment l'oubli des souvenirs, la traversée du Léthé, la mort des amours sont vécus intensément, asthmatiquement, par Marcel, au souffle court, aux phrases interminables semblant vivre au flux des associations 
les flots de la rivière en générique donnent le la
allez à 2 H 26, dialogue dans le miroir entre le Marcel adolescent et le Marcel adulte 
moi je suis déjà mort plusieurs fois, j'ai tenu à Albertine plus qu'à ma vie puis j'ai cessé de l'aimer, pareil pour Gilberte, à chaque fois je suis devenu quelqu'un d'autre, c'est comme ça que la mort nous devient petit à petit indifférente
tu dis ça pour te rassurer
non ce n'est pas pour moi que j'ai peur, c'est pour mon livre, il me faut encore un peu de temps
--------------------------------------------
cher Marcel, je ne vis pas les amours dites mortes comme mortes
un amour pour moi est vécu sur le mode de la fidélité, en ce sens qu'un amour me semble demander du temps, devoir prendre tout son temps pour telle une fleur donner tout son potentiel
la mort de l'autre n'achève pas l'amour 
c'est pourquoi j'ai écrit au soleil des jeunes filles en fleurs, le contraire de ta façon de vivre le temps, toi, à l'ombre, moi, au soleil des jeunes filles
place maintenant à la femme de pleine maturité, l'accueilles-guérisseuse
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani
Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic /  Issâ Padovani

Yves Tanguy / Joseph Delteil / Georges Brassens / Agnès Varda / Christian Bobin / Jean-Yves Leloup / Thierry Zalic / Issâ Padovani

Lucy Pereyra Marie Morel Joie à Mirepoix Rachel Kaposi
Lucy Pereyra Marie Morel Joie à Mirepoix Rachel Kaposi
Lucy Pereyra Marie Morel Joie à Mirepoix Rachel Kaposi
Lucy Pereyra Marie Morel Joie à Mirepoix Rachel Kaposi

Lucy Pereyra Marie Morel Joie à Mirepoix Rachel Kaposi

Eric Borgniet Annie Bergougnous
Eric Borgniet Annie Bergougnous

Eric Borgniet Annie Bergougnous

jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange
jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange

jeu heureux sur la plage / heureux à corps ça vit / le baiser à Avers sur les eaux / Katia / Cyril / Katia / Cyril Roméo / Rosalie et la mésange

à Lisbonne en conversation avec Fernando Pessoa et ses hétéronymes qui lui dit

"Je ne suis pas pressé. Pressé pour quoi ?
La lune et le soleil ne sont pas pressés : ils sont exacts.
Être pressé, c’est croire que l’on passe devant ses jambes
Ou bien qu’en s’élançant on passe par-dessus son ombre.
Non, je ne suis pas pressé.
Si je tends le bras, j’arrive exactement là où mon bras arrive.
Pas même un centimètre de plus.
Je touche là où je touche, non là où je pense.
Je ne peux m’asseoir que là où je suis.
Et cela fait rire comme toutes les vérités absolument véritables,
Mais ce qui fait rire pour de bon c’est que nous autres nous pensons toujours à autre chose
Et sommes en vadrouille loin d’un corps." 

Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse
Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse

Annie Le Quesnoy 1966 / Avers sur les eaux 25/12/2020 à 00H 00 = naissance de Vita Nova / Rosalie et Katia / Rosalie par Hélène Théret / en conversation avec Pessoa à Lisbonne en août 2022 / Dieu est amour au Christ-Roi à Lisbonne / par la fenêtre du peintre Michel Dufresne / Voeux du peintre JP Grosse

Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse entre Emmanuelle Arsan et JCG / la métamorphose de J.C. en Vita Nova le 25/12/2020 à 00H 00
Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse entre Emmanuelle Arsan et JCG / la métamorphose de J.C. en Vita Nova le 25/12/2020 à 00H 00
Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse entre Emmanuelle Arsan et JCG / la métamorphose de J.C. en Vita Nova le 25/12/2020 à 00H 00
Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse entre Emmanuelle Arsan et JCG / la métamorphose de J.C. en Vita Nova le 25/12/2020 à 00H 00

Bonheur et Bonheur 2, correspondance heureuse entre Emmanuelle Arsan et JCG / la métamorphose de J.C. en Vita Nova le 25/12/2020 à 00H 00

La parole éprouvée
Chant pluriel singulier
(116 poèmes écrits entre 1956 et 2002, Les Cahiers de l'Égaré, 14/02/2002)
profère
à la lumière de l’aphorisme de Marie de Gournay
– fille d’alliance de Michel de Montaigne –
L’homme est l’œuvre d’une ombre et son œuvre est son ombre
« Pour le poète, et Jean-Claude Grosse est poète, le temps le plus désirable du verbe est, non le passé ni le futur, mais le présent. Et les dés désespérés des mots ne tiennent pas leur pouvoir seulement de la science et du style mais d’abord de l’amour. L’amour et la mémoire de l’amour, comme les chats de Schrödinger, ont plusieurs vies possibles. Chacune d’elles ne
se réalise que lorsqu’elle est exprimée. Alors, à force de mots justement proférés, le solstice d’été aux bords saphiques de l’Égée, Aphrodite aux seins de violettes, Hélène, la lyre d’Orphée, la tentation du labyrinthe inventent le seul langage voué à la durée. Il suffit qu’un baiser soit interdit pour toujours au poète – et désir, délire, dérive, plaisir sont faits œuvre par la parole éprouvée. »
Emmanuelle Arsan
-----------------------------------------
116 poèmes écrits, édités en 46 ans
aujourd'hui j'en supprimerais quelques-uns de la section poèmes engagés
quel con ai-je été de me croire en charge de changer le monde !
il m'a fallu atteindre 80 ans passés pour passer de connard à Bonnard
c'est donc un changement récent
il me semble aujourd'hui qu'il n'y a rien à changer, rien à ajouter, rien à retrancher
y en a un qui a dit (un physicien, je crois)
rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme
mais ce n'est pas de notre fait
croire au pouvoir de la volonté ajoute de la négativité
tout accepter
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002
La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002

La Parole éprouvée, parue le 14/02/2002

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L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer

4 Décembre 2022 , Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #J.C.G., #agora, #développement personnel, #note de lecture, #pour toujours, #écriture- lecture

L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer
L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer

L'impitoyable aujourd'hui 

Emmanuelle Loyer 

Flammarion, septembre 2022

 

Ce livre est sorti à point nommé, alors que, suite au livre-labyrinthe Et ton livre d'éternité ?, je remets en question, en perspective, la plupart de mes croyances, de mes paradigmes historiques, scientifiques, métaphysiques, politiques et idéologiques.
Cela me fait du bien de voir s'effondrer ou basculer « mes » croyances, convictions, certitudes d'une soixantaine d'années. À 82 ans, tabula rasa. On ne sait rien. Grande humilité pour accepter le miracle de la naissance, le mystère de la mort, pour vivre la vie avec gratitude, pour respecter la vie dans sa diversité et son unité.

De ce champ de ruines, je ne sors pas effondré mais animé du projet : quoi à la place ?

Ayant pris conscience 

que tout est croyance, les certitudes ou vérités dites scientifiques, les preuves ou faits historiques, les arguments philosophiques et métaphysiques, les convictions politiques et idéologiques

que tout est récit, que ce que je prends pour le réel est l'effet du récit que je tiens sur ce que je crois être le réel et qui l'engendre

que ce sont les mots que j'emploie qui crée le réel, que les mots ne sont pas les traducteurs d'un réel pré-existant, objectif, extérieur

alors la tache devient celle-ci : quel récit veux-tu tenir aujourd'hui puisque tu es l'auteur du récit qui va donner sens ou valeur à ta vie, présence à ton réel ? Quels mots veux-tu utiliser pour créer ton réel ?

 

L'essai d'Emmanuelle Loyer ne répond en aucune façon à cette invention, fabrication du réel que je désire par les mots que j'utiliserai. Il a par contre un pouvoir de remise à l'heure des pendules. Les grands récits, récit national par exemple, s'effondrent, grâce à des frondeurs, des chercheurs de l'autre face des Lumières, des points aveugles des éclairages enseignés, appris sans grand esprit critique. Car il faut du temps pour que les ombres, les fantômes mis sous le tapis se fassent entendre. La révolution française est-elle vraiment une révolution libératrice, émancipatrice ? Liberté, égalité, fraternité, à quels prix ? Avec quels effets dans le monde ? La révolution industrielle anglaise est-elle la continuation technique et économique de la révolution politique française ? D'où vient la croyance au progrès ? D'où viennent les deux guerres mondiales de la 1° moitié du XX° siècle ? Devant ce qui s'appelle 

l'accélération de l'histoire au travers de la modification agressive des frontières dans l'Europe commencée avec l'aventure napoléonienne, suscitant par effets-boomerang la naissance de nationalismes revanchards, 

l'accélération des inventions techno-scientifiques, bouleversant en permanence le quotidien des gens, y a t-il de la résistance, de la résilience, de la survivance ? 

Quelles formes ont pris les manières de ne pas vivre avec son temps ?

 

Emmanuelle Loyer, historienne, ethnologue, lectrice d'oeuvres littéraires nous emmène chez le dernier des Mohicans avec Fenimore Cooper, le dernier trappeur de la taïga, Derzou Ouzala avec Vladimir Arseniev, dans l'île de Sakhaline avec Anton Tchekhov, en Amazonie, chez les Nambikwara avec leur dernier témoin Lévi-Strauss, chez ceux qui sont arrivés trop tôt ou trop tard, les déçus de l'histoire ayant perdu leurs illusions, n'ayant que la peau de chagrin de l'Histoire, ambivalents par rapport à l'Histoire au présent (Chateaubriand, Stendhal, Hugo), dans certaines campagnes françaises, à Nohant dans le Berry chez George Sand devenue grand-mère et sorcière après avoir créé et animé La Cause du peuple (3 N° en 1848), à Minot dans le Doubs où disparaissent les vieilles façons de dire et de faire de la laveuse, la couturière, la cuisinière avec Yvonne Verdier, sur l'Èvre, un affluent méconnu de la Loire avec Julien Gracq, dans l'empire austro-hongrois de La marche de Radetzky avec Joseph Roth, à Donnafugata en Sicile à l'achèvement de l'aristocratisme avec Giusepe Tomasi Lampedusa, à Gagliano où le Christ n'est jamais arrivé avec Carlo Lévi et Ernesto De Martino, à Višegrad sur le pont Mehmed Pacha Sokolović franchissant la Drina avec Ivo Andrić, en Angleterre dans les châteaux gothiques et maisons hantées de Marie Shelley, pendant que le temps devient horloger avec la mécanisation des métiers à tisser, modifiant le temps du sommeil avec Edward Palmer Thompson et Jacques Rancière, en Russie à Borodino dans Guerre et Paix de Tolstoï où Napoléon est vu par l'oeil de son serviteur, par le petit bout de la lorgnette évoquant le petit homme de la boucherie (le mot est dans le roman) et non le grand stratège et où avec Koutouzov, on saisit les mille et unes micro-décisions décidant du sort d'une bataille et d'une armée en déroute, boucherie produite par l'exaltation patriotique des nationalismes en formation et produisant des fous se prenant pour Napoléon, des hallucinés ayant l'angoisse de perdre la tête, d'être décapités (la terreur fut un gouvernement des émotions par les émotions, un déchaînement paranoïaque de politique dite de salut public), en Russie soviétique à Stalingrad avec Vie et destin de Vassili Grossman, en Allemagne année zéro avec Winfried Georg Maximilian Sebald, à Berlin à l'arrivée des troupes soviétiques avec une femme anonyme, dans une ville, aujourd'hui ukrainienne, Lviv, d'où sont issus les inventeurs (Hersch Lauterpacht, Raphaël Lemkin) de deux concepts juridiques : crime contre l'humanité, génocide (18 ans après ce qui s'appellera génocide arménien, décrit par Frantz Werfel dans Les Quarante Jours du Musa Dagh paru en 1933), Lemkin mettant le doigt sur le propre de cette guerre totale « cette guerre n'est pas menée par les nazis seulement pour des frontières mais pour transformer l'humanité à l'intérieur de ces fontières. », sur deux siècles (XIX-XX°) pour terminer par la longue durée étudiée par certains historiens (Lucien Febvre, Fernand Braudel), par la spécificité du temps des isolés (Proust dans sa chambre, Barthes au sanatorium), par la vieillesse vécue comme vita nova pendant une vingtaine d'années par George Sand ou Colette (L'étoile Vesper, 1946) ou Vita Sackville-West (Toute passion abolie, 1933), et par le voyage Dans la nuit et le vent de Patrick Leigh Fermor, 19 ans en 1934, parcourant entre 1933 et 1935 à pied et en diagonale, du nord-ouest (Rotterdam) au sud-est (Istanbul), en suivant deux voies fluviales, le Rhin puis le Danube, la face européenne de la Terre dont Bruno Latour fait un être vivant avec l'hypothèse Gaïa. 

 

Cet essai est tellement riche (l'énumération qui précède en donne un aperçu) que je ne cherche pas à en rendre compte, renvoyant chacun à sa lecture éventuelle.

L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer
L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer

Par contre, oui, tenter de dire quels mots je souhaite utiliser pour créer le réel dans lequel je désire vivre.

Et ce seront d'abord les mots de Lévi-Strauss, le témoin triste disant dans Tristes tropiques « Le monde a commencé sans l'homme et s'achèvera sans lui. » Mais ce constat, né de l'opposition entre les sociétés froides, les sociétés premières, et les sociétés chaudes (la civilisation moderne née à la Renaissance), particulièrement entropiques, désagrégatrices ne doit pas nous empêcher de jouer notre partie et de la jouer le mieux possible. Là Rousseau est préférable à Descartes. Celui-ci exprime les certitudes du moi (je pense donc je suis), Rousseau exprime la sortie des évidences du moi, l'identification à autrui, la pitié, aujourd'hui, on dirait la compassion ou l'amour inconditionnel (je panse donc je suis, je prends soin). « La conscience de la vanité du sens n'est pas un extincteur de la quête de compréhension, la conscience de la finitude n'est pas un découragement à l'action. » p.125

En 1976, Lévi-Strauss propose à la commission des lois de l'Assemblée Nationale, une charte du vivant, une réforme de la morale et de la politique fondée sur la beauté du monde et sa caducité. La valeur de toute chose est dans son irremplaçabilité. Il faut célébrer les choses mêmes en dehors de l'usage ou de la perception du sujet, dans la réconciliation de la morale avec l'esthétique et de l'homme avec la nature, dans le respect de tout ce qui naît, vit, meurt, de la bactérie à la galaxie en expansion accélérée, du virus au trou noir glouton.

Ce respect intègre le respect de soi, l'estime de soi, l'acceptation, l'affirmation de mon caractère irremplaçable, l'acceptation de mon unicité, de ma singularité.

D'où l'interrogation : Au lieu de se demander « qu'est-ce que je veux de la vie ? », une question plus puissante est : « qu'est-ce que la vie veut de moi ? ». Eckhart Tolle

 

En ce qui me concerne, j'opte pour une curiosité à 360°, circulaire horizontale, sphérique toutes directions, de la bactérie aux galaxies, des virus à nous et nous, à moi et moi,  à je et je est un autre,  à toi et tu...

L'infinie variété du vivant me passionne, l'infinie diversité des humains aussi.

Tout accueillir, tout ce qui se manifeste, sans jugement, sans tri, du salaud au saint, du monstrueux au sublime (il y a du monstre, du sublime, du normal, du foldingue... dans tout humain) ; si ça se manifeste, c'est que c'est nécessaire (y en a qui appellent ça hasard) 

qui suis-je pour trier ? ça c'est bon, ça c'est mauvais ?

du miracle de la naissance au mystère de la mort, se vivre comme goutte dans l'océan-comme océan dans la goutte, comme agitation des vagues de surface-comme immobilité des profondeurs

la VIE comme vibration information énergie


 

L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer
L'impitoyable aujourd'hui / Emmanuelle Loyer

Le temps du confinement fut un temps de révélation de l'essence-ciel pour certaines et certains.

Le temps du confinement fut un temps de confinement pour tout un chacun du monde

dans la ronde arrêtée du monde

un temps imposé d'isolement par les pouvoirs du monde mais pas sur la ronde du monde

une prison mondiale pour humains, mais pas pour animaux, végétaux, minéraux

chacun chez soi, chacun pour soi

(à chacun de se situer entre les extrêmes de ces deux expressions pouvant comprendre tout le monde, chacun dans sa singularité de situation, de confortable à insupportable, chacun dans sa spécificité d'être, d'altruiste à égoïste)

avec rares autorisations de sorties pour s'approvisionner, s'oxygéner

sans pénurie organisée sans chaos engendré

sans insurrections provoquées sans révoltes spontanées

un parmi huit milliards de prisonniers soumis volontaires

nourris, blanchis, chauffés, « protégés » du virus

né d'une soustraction CAC 40 - COP 21 = COVID 19

facteur d'évolution comme tout virus mutant de variant en variant

contre lequel big pharma était en « guerre » totale

contre lui COVID 19 qui nous avait mis en grève générale

un parmi huit milliards

faisant ce qu'ils voulaient de leur temps d'isolement diversement vécu

faisant ce qu'il voulait de son temps de solitude aimée, oh oui, bien aimée !

même la route passant en dessous de chez lui avait été fermée pour deux ans

pas de travail contraint, de télé-travail

pas de travaux forcés d'intérêt général

découvrant ainsi la liberté intérieure, la fluidité de l'impermanence gommant la rigidité de toutes ses identités, découverte par bien des prisonniers avant lui

prisonniers dans des prisons d'états, dans leur propre prison ou celle d'une maladie, asile d'aliénés, sanatorium de tuberculeux

et qui ont soigné un peu le monde en souffrance parce que s'étant remis synchrones avec leurs rytmes internes et externes (coeur, respir, cycles journaliers, saisonniers...)

découvrant sa liberté créatrice jusque-là potentielle, l'activant, en usant

faisant ainsi de lui non un homme parmi huit milliards d'humains

vivant au petit bonheur la chance au gré des circonstances, des influences

mais un homme singulier, nécessaire car seul à créer ce qu'il créait dans l'humilité et l'intimité, au secret

par un petit pas de côté, un petit glissando de travers, un petit rire sur lui - on n'en finit pas avec l'enflure du moi-je-moi-je -, une larme d'empathie pour le virus traqué dans les labos

ils furent quelques-uns à découvrir un autre usage du temps consistant à prendre le temps, à faire comme si le temps était éternel

plus de compétences à avoir, d'originalité à exhiber, de domination à exercer, plus de temps compté, émietté, mesuré


 

du temps prenant son temps

c'est ce que quelques-unes redécouvrirent

que le temps c'est le présent, que c'est un présent

car c'est depuis toujours, le temps des femmes, le temps de l'attention au présent, au présent de l'enfant en demande, au présent de la vieille en souffrance

découvrir que l'éternité est dans le moment présent

pas dans regrets et souvenirs du passé

dans projets et désirs de lendemains qui chantent et dansent

ce fut ce qui jaillit de la prison mondiale


 

il n'y a rien à ajouter, rien à retrancher au monde

il n'y a rien à juger, rien à séparer

le bon grain de l'ivraie, le bien du mal, le beau du laid, le doux du cruel

tout est déjà là, dans sa diversité, ses contrariétés, ses complémentarités

avec ses effets-miroirs

l'autre détesté c'est moi, l'autre aimé c'est moi

et si tu me détestes, c'est toi et si tu m'aimes, c'est toi

tout est à cueillir, accueillir, recueillir

tout est partageable, tout est à partager

depuis je chante sans forcer la voix, léger comme murmure de filet d'eau, danse avec l'absente dans mes bras ouverts, goûte à ma cuisine-maison, déguste mes breuvages et infusions, redécouvre pissenlits, roquettes, herbes sauvages, baies de myrte, olives, champignons de mon terrain non cultivé

ils et elles chantent ; quelques-uns, quelques-unes ; les autres continuent à s'affronter

ils et elles dansent ; quelques-uns, quelques-unes ; les autres continuent à s'entr'envier

les quelques-uns ne croient même pas utiles de garder traces écrites, dessinées, peintes de leurs bonheurs

ce sont des bonheurs minuscules de vies minuscules centrées sur l'essence-ciel

ils se regardent, s'enlacent, s'embrassent, se caressent

ils se sentent regardés, enlacés, embrassés, caressés par tout ce qui existe, vit, meurt de la bactérie à la galaxie en expansion, du virus au trou noir glouton

ils sont en lien, reliés

ils tissent la tapisserie mystique de la dame à la licorne

ils sont un point à l’endroit, un point à l’envers de la grande tapisserie cosmique

les fleurs séchées égrènent leurs graines

de nouvelles germinations engendreront de nouvelles floraisons

le temps du confinement en prison mondiale a été pour certaines et certains le temps de la libération de leur puissance créatrice, génitrice de leur liberté intérieure, inaliénable.


 

Jean-Claude Grosse, le 4 décembre 2022, Le Revest

 

 

 

l'accueilleuse-guérisseuse et le chasseur, en cours d'écriture, j'ai le chasseur, manque la guérisseuse

l'accueilleuse-guérisseuse et le chasseur, en cours d'écriture, j'ai le chasseur, manque la guérisseuse

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Propositions

11 Juillet 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #G.L., #J.C.G.

Propositions
Propositions
 
 
 

Pour répondre au souhait de Gérard Lépinois d’une élaboration collective par échanges, frottements entre plusieurs corps et pensées, suite aux journées consacrées à L’affaire Gabrielle Russier, 40 ans après, les 3 et 4 décembre 2008 à La Bagagerie, espace des 4 Saisons d’Ailleurs au Lycée du Golf Hôtel à Hyères, je propose un plan non rigide, pouvant être modifié par qui le souhaite et auquel ceux qui le désirent et le peuvent apporteraient leurs contributions sur tel ou tel aspect.

Pour baliser le territoire, je m’appuierai sur Marcel Conche et André Comte-Sponville auxquels j’ai consacré quatre causeries aux Chantiers de la Lune à La Seyne et à la médiathèque d’Hyères.

De Marcel Conche, je retiens les notions de temps infini et de temps rétréci.

Le temps rétréci c’est le temps du souci, du projet qui relève de la temporalité souvent subjective, le nez dans le guidon. Ne manque-t-il pas ses horizons, celui de la mort, pour chacun, chaque apparence et celui de la Nature, éternelle, créatrice ? Projeter, agir, penser dans l’horizon de notre mort, de la mort de notre œuvre individuelle, collective, est-ce envisageable ? Qu’est-ce que ça modifie dans nos rapports à nous, aux autres, aux efforts, voués à disparaître? Souvent, cette vision de la mort contribue à impuissanter : à quoi bon ? Je pense qu’il y a un autre usage possible de cette métaphysique de l’apparence absolue. Quelles attitudes « positives » peuvent s’en déduire ? D’autant que si chaque « chose » meurt, une « chose » qui a eu lieu a eu lieu pour toujours, pour l’éternité. Cela ne veut pas dire que la trace est éternelle, que la « chose » reste pour l’éternité. Que deviennent les « choses » qui ont disparu ? Ou leur « souvenir » ? Il me semble qu’une attitude possible est la suivante : sans crainte de la mort, (du mourir, oui éventuellement), sans peur de la néantisation de ce que je suis, pense, fais, je peux être, penser, faire, donner sens ou construire du sens, faire œuvre car cela participe de mon « être », éclair dans la nuit éternelle. La rose est sans pourquoi disait Silésius. De même, je suis sans pourquoi, sans nécessité, effet dépassant sa cause, plus ou autre chose que rencontre fortuite d’un spermatozoïde et d’un ovule, plus et autre chose que tous les conditionnements qui m’ont « gauchi » à gauche, je suis liberté et c’est fondamental : parce que je ne suis pas un perroquet, parce que quand je porte un jugement, cela suppose ma liberté, qui est autre chose que les libertés arrachées aux oppresseurs, liberté première, liberté de l’esprit, de la pensée qu’aucune oppression, répression ne peut réduire, réduire au silence, peut-être, mais pas son exercice intime, intérieur. Certes, les sciences, biologiques, neurologiques, humaines ont le projet de nous « expliquer », « déterminer », de réduire cette liberté. Il y a là un enjeu de taille. Affirmer cette liberté de la pensée, c’est me semble-t-il, la condition de la plupart des libérations qu’il nous faut effectuer, chacun pour son compte et collectivement. Le combat actuel contre la psychanalyse, la psychologie mené par les comportementalistes, les quantificateurs et par le pouvoir politique sarkoziste favorable à la répression dès le plus jeune âge et pour les fous, est éclairant : ou le choix du sujet, de sa parole, de son désir ou le choix des objectifs de la société qui fait d’un sujet, un objet de manipulations…

Il me semble nécessaire aussi de préciser Nature et monde puisque ces mots sont apparus dans l’échange Roger Lombardot-Gérard Lépinois.

Quand Roger Lombardot cite Henri Miller, la nature évoquée par l’écrivain est la nature dont tout un chacun peut faire l’expérience, il s’agit de la nature dans sa diversité, dans ses multiples apparences, dans la diversité de ses mondes, cela qui peut nous émerveiller. Mais la Nature dont parlent les anté-socratiques c’est la Nature englobante avec ses caractères : infini, éternité, nombre, cycles, devenir, une, créatrice, caractères que les anté-socratiques n’ont jamais conçus comme contradictoires, caractères qui ne sont pas perceptibles, sensibles mais pensés, issus de la contemplation de la nature telle qu’elle apparaît, arbres, fleurs, telle fleur, tel arbre, mais dépassant cette contemplation tous azimuths pour tenter de saisir ce qui unifie, ce qui est commun, ce qui est propre. Si l’émerveillement commence avec le sensible, l’expérience sensible, la pensée peut nous emmener vers l’intelligible. Là aussi, il y a un enjeu quand on sait que le sensible est privilégié par exemple par les artistes, que l’intelligible est privilégié par les scientifiques. Sensible et intelligible sont deux dimensions à articuler, à ne pas opposer.

Le monde évoqué par Roger  Lombardot c’est le cosmos, soit un monde ordonné, cohérent. La Nature est un ensemble aléatoire de mondes cohérents, non complémentaires : le monde de la mouche, celui de l’araignée mais toute mouche n’est pas vouée à l’araignée. La chaîne alimentaire a peu à voir avec une chaîne qui nous enchaîne : métaphore dangereuse qui accentue l’idée de liens entre les mondes, ce qui demande sans doute plus de connaissances que celles dont nous disposons. Comme ces mondes (végétal, animal, à déclinaison infinie, de l’espèce à l’individu) nous sont pour la plupart inconnus, inaccessibles dans l’état actuel des connaissances, certains parlent de mystère et à partir de cette affirmation mettent en place toute une gamme d’attitudes plus ou moins religieuses, mystiques, spirituelles. Il y a autre chose à faire que d’hypostasier le « mystère ». Une métaphysique de la Nature s’oppose à une métaphysique providentialiste. La 1° est une métaphysique du hasard et suppose l’infinité des mondes, comme l’infinité de la Nature, l’infinité des combinaisons pour rendre compte de ce qui apparaît et qui est unique. Il me semble que le hasard devrait être au cœur de notre réflexion. Je veux dire par là que ce que nous observons au niveau des mondes est sans doute à l’œuvre au niveau des sociétés, au niveau aussi des individus. Chaque jour, nous prenons chacun d’entre nous des milliers de décisions, en toute méconnaissance de causes et d’effets ou connaissance partielle, parcellaire. Des élections montrent ce jeu de hasard entre les opinions. Même conditionnées, même manipulées, les opinions réservent des surprises en même temps qu’elles deviennent de plus en plus connaissables par des méthodes statistiques. Les jeux de la finance sont devenus des jeux de hasard très sophistiqués sauf le dernier escroc, Bernard Madoff, qui a fait appel à une pyramide datant de 1920, sous le nom de Ponzi. Faut-il s’étonner du développement des jeux de hasard ? Opposer le travail au jeu, préférer le travail qui donnerait du sens n’est pas nécessairement l’attitude la plus proche de ce que nous vivons et qui n’a pas grand-chose à voir avec le souci de maîtrise du monde et de la nature voulu par Descartes dont on ne dira jamais assez dans quelles impasses il nous a conduits. Si même nos multiples décisions étaient cohérentes, construites, nous serions quand même dans un monde imprévisible car fait de décisions contraires, d’intérêts divergents, de temporalités différentes (long terme, court terme, moyen terme, au jour le jour, au pied du mur, dans le tunnel, dans le mur…), tout cela inscrit sans cohérence dans le temps infini de la Nature, de la mort de tout ce qui apparaît.

Sur une métaphysique du hasard, on peut lire un très bon essai de Marcel Conche :

mais nous devons poursuivre cette réflexion.

 
Par exemple, elle me permettrait peut-être de « mieux vivre » ou de « faire le deuil » du 19 septembre 2001. Était-ce la rencontre fortuite de deux causalités indépendantes, un mauvais concours, malheureux concours de circonstances qui a provoqué la mort de quatre personnes dont deux chères, à 10.000 kilomètres de chez nous vers l’ouest, moi allant à 10.000 kilomètres de chez nous, au sud, pour tenter de mettre des mots sur ça, la compagne de notre fils arrivant de 10.000 kilomètres  à l’est de chez nous pour ne pas le retrouver à l’aéroport à la date prévue ?


Je reprendrai à partir d’ACS pour proposer mon plan, plus concret que ce que j’ai écrit. Une des caractéristiques en sera de dire d’abord ce qui n’est pas souhaitable, ce qui est à éviter, ce dont on ne veut plus. Exemple : dans les élections, c’est la fidélité, la stabilité qui rendent possibles les sondages et prévisions. Je préconise l’infidélité aux partis, la plus grande volatilité des voix, toujours plus de volatilité, de versatilité. Gag !
   

JCG
Le hasard :
une (il-)logique à découvrir et à partager
jusqu’à la mort ?
 

Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, mais il suffit pour le faire exister. Pour faire exister quoi, au juste ? Certainement pas, hypostasiés, le hasard ou la fortune. Et si ce qu’on appelle hasard était coextensif aux innombrables coups de dés qui en relèvent ?

    Y a-t-il d’abord, dans l’existence très en général, autre chose que des coups de dés (même s’ils se passent de dés et ne prennent pas forcément la forme de coups) ? Localement, il semble bien y avoir des nécessités ou, sur un autre plan, des mérites, mais que subsiste-t-il d’eux à l’échelle impensable de la pluralité des mondes ?
    A remarquer qu’en tant que paysans, attachés au mieux à la localité Terre, il est heureux que nous puissions essayer de nous raccrocher à quelque nécessité ou mérite, car vivre un « pur » hasard incessant risquerait fort de nous disloquer l’entendement et le reste.
    Mourir, c’est au moins devoir être arraché à notre échelle humaine (je ne me risquerais pas à dire que c’est en changer).Le problème, c’est que nous y tenons beaucoup à cette échelle, à cette mesure de toutes choses : aux aléas et aux nécessités, aux mérites et aux démérites, etc., de l’existence humaine. Il semble à nombre d’entre nous que cela vaut beaucoup mieux que rien, puisque mourir pour eux condamne à l’inexistence.
    « Rien » est ce drôle de mot qui, étymologiquement, dit la chose pour en arriver, dans notre langue, à dire la non-chose. Il suggère à sa façon que nous n’arrivons pas à penser la mort autrement que comme une négation de nos choses (êtres, affaires, faits, etc.). « Néant », si on s’en tient à son étymologie, est pire encore, quand il signifie « non-race ».
    Pourtant, nos choses. sont bel et bien hasardeuses. Aucune nécessité ne les ordonne et aucun mérite (ni démérite) ne les couvre intégralement, loin s’en faut.
Pourrions-nous être quelque peu consolés de mourir par une conception et une expérience élargie, mais jamais définitive, du hasard des mondes et des mondes du hasard ? Peut-être, car ce qui contribue beaucoup à nous faitre souffrir, c’est, en mourant, d’être arrachés à la croyance que nous sommes, respectivement, propriétaires de nos vies et de nos choses, ainsi que causes de nous et d’un certain nombre d’autres choses.
On peut croire que plus les connaissances, prolongées par la sensibilité et l’imagination, nous permettraient de reverser notre échelle à l’horizon impensable de la pluralité sans limite des échelles de mondes, moins nous nous crisperions à l’idée de devoir fatalement être arrachés à la nôtre. Même en faisant l’économie de croire que nous pourrions passer après la mort à une autre échelle quelconque, nous serions peut-être tranquillisés d’exister à la nôtre et cela nous permettrait peut-être, si nous savons éviter de tomber dans le mépris pour elle (et nous), de mieux en rediscuter la valeur, non sans passion mais de manière plus détachée.
Encore une fois, il ne s’agit pas de refonder un culte, religieux ou laïc, du hasard (ou de la fortune). Il faudrait surtout mieux comprendre les jeux de celui-ci, dans des champs et à des échelles multiples, pour essayer de mieux en vivre les vicissitudes, bonnes et même mauvaises (mais quant à la pire, la mort, celle d’autres ou la nôtre, cela nous aiderait-il beaucoup ?).
Si on les détache de l’argent et du risque exagéré de la mort, les jeux avec le hasard ont sans aucun doute de belles dimensions à vivre, par la richesse insoupçonnable et inépuisable des configurations qui peuvent en résulter, par le fait aussi de s’en remettre à une puissance dépassante (hors de notre mesure) qui n’est personne (dieu ou homme), ni rien (nature ou destin), mais seulement l’expression, selon des règles à renouveler dans notre monde, d’une curiosité pour les combinaisons de celui-ci avec tous les autres mondes de hasard existants et possibles, selon une supposition de règles, elles-mêmes hasardées, qui nous échappent très largement et sans doute à jamais, et dont pourtant notre existence elle-même découlerait par hasard.
Si le hasard des mondes peut nous aider à mourir, c’est en élargissant le nôtre par une approche d’eux et en rendant mieux compte du nôtre (celui de notre vie à chacun), à travers l’approche de l’unité supposée d’une (il-)logique hasardeuse de la pluralité sans fin de tous les mondes possibles. On pourrait alors s’attacher d’autant plus à la vie (la sienne et d’autres) qu’elle serait un hasard unique parmi tant d’autres, uniques aussi, existants ou possibles.
Si une (il-)logique hasardeuse des mondes résonnait mieux dans nos vies, conçues comme autant de coups de dés, nous pourrions peut-être moins blêmir d’avoir à y répondre encore en mourant. Cela pourrait aussi nous conduire à mieux vivre (et jouer) ce qui, nous dépassant de beaucoup sans forcément nous écraser, nous inciterait à mieux vivre ensemble, hommes et, plus largement, mondes.
Comme communauté de hasard, nous pourrions peut-être mieux nous aimer avec une intelligence plus large de notre condition et de nos intérêts, et mieux pratiquer le jeu de vivre dans un des mondes hasardés.
G.L.

 

L’homme, en tant qu’être dépassant / dépassé

On voit plus clairement aujourd’hui que l’homme n’est ni entre les mains de Dieu, ni maître et possesseur de la nature.

Et si les hommes n’étaient, pour l’essentiel, ni entre leurs mains, ni entre celles de personne ? S’ils étaient en cela abandonnés à leur sort, ne devraient-ils pas trouver la meilleure ou la moins mauvaise façon de s’y abandonner ?
Il y a toutes chances pour que le sort en question ne consiste pas en un avenir préécrit mais en une myriade de coups de dés, interagissant sans fin.
Les hommes savent obscurément déjà que leur maîtrise d’eux-mêmes passent par l’obligation de reconnaître qu’ils ne peuvent pas tout maîtriser. Comment pourraient-ils le savoir plus clairement et pas seulement en termes d’obligation ?
Il faudrait qu’ils trouvent aussi des vertus au « fait » d’être largement dépassés par eux-mêmes et bien au-delà. Il faudrait qu’ils trouvent intérêt et plaisir, voire bonheur, à jouer avec tout cela.
Il faudrait d’abord mieux reconnaître que notre sort se situe toujours au-delà de nos pouvoirs, sans pour autant dépendre d’un Dieu ou d’une chaîne causale exhaustive, semblant en cela relever d’un entendement supérieur.
L’homme serait un être « dépassant », moins parce que, comme il le croit encore aujourd’hui, il peut toujours se dépasser lui-même que parce qu’il est toujours dépassé par lui-même et bien au-delà de lui. Ce serait même, dans une large mesure, parce qu’il est toujours dépassé qu’il pourrait relativement se dépasser lui-même ; et une meilleure intelligence du premier aspect ne ferait que favoriser une amélioration du second.

Pour les hommes, s’abandonner à un tel sort ne signifie pas qu’ils renoncent à faire tout leur possible pour l’améliorer. On peut simplement en escompter moins d’aveuglement sur leurs pouvoirs et, éventuellement, ceux d’un Dieu.
Le déterminisme (la mécanique causale) absolu, ne serait-ce que parce qu’elle paraît trop préparer le terrain à un entendement supérieur qui pourrait en rendre compte, a toute chances de devoir encore céder du terrain devant une conception « aléatoire » de la formation de l’univers (ou des univers). Encore faudrait-il mieux comprendre ce dont il s’agit avec cette dernière conception. Comme le chaos est aussi capable d’ordonner sans cesser d’être tel, le hasard n’exclut pas de répondre à des règles ou lois sans cesser d’être tel et de pouvoir en changer (en changeant leurs conditions).
Le conditionnement des lois physiques relativise leur portée, mais n’enlève rien à leur pertinence à l’intérieur du champ conditionné de leur application. De ce point de vue, il y a une remarquable constance des acquis scientifiques, au moins de Newton à Einstein et au-delà. Cela signifie que, s’il faut réinterpréter le déterminisme autrement, il ne faut pas tout rejeter de lui et de ses résultats.
Une théorie comme celle des quantas constitue un remarquable effort pour reconnaître, en microphysique, la relativité des connaissances humaines et le comportement aléatoire de la matière, et, à la fois, pour maîtriser suffisamment les effets de cette relativité et de ce comportement. Autrement dit, ce n’est pas parce que les hommes reconnaîtraient mieux la puissance du hasard qu’ils seraient totalement démunis pour y faire face.
A l’inverse, si, comme beaucoup en rêvent, les hommes en venaient à contrôler le hasard, en développant par exemple un calcul beaucoup plus puissant des probabilités, ils en reviendraient peu ou prou, en termes de maîtrise de leur sort, à la situation promise par le déterminisme. La distinction entre certitude absolue et probabilité maximale ne ferait pas une grande différence.

La discussion n’a de sens que si les hommes restent considérablement dépassés par eux-mêmes et bien au-delà d’eux. Il peut s’imposer alors de distinguer entre incident et accident.
Le domaine de l’accident, c’est celui qui – par-delà les enchaînements rationnels, mais en passant par eux – met mortellement en jeu la vie individuelle ou collective des hommes. Le domaine de l’incident, quant à lui, n’est jamais une question de vie ou de mort, au sens propre.
Autant on peut jouer d’incidents qui adviennent, autant il est inacceptable de jouer avec la vie d’individus ou de groupes d’individus (et cela vaut aussi pour tout le vivant). L’accidentel requiert beaucoup plus la rationalité et l’éthique que l’« incidentel », sans qu’on puisse pour autant s’imaginer réduire à rien son caractère aléatoire.
Sans exclure pour lui règles et raisonnements, on peut par contre reconnaître à tout le domaine de l’incident, celui de la vie qui est assez fondée à ne pas craindre pour elle-même, le privilège de pouvoir devenir celui du jeu (des jeux). Par exemple, si la base matérielle de la vie était suffisamment assurée pour tous, cela pourrait permettre de repenser, après Fourier, tout le travail et les loisirs.
Certes un philosophe à l’antique travaillerait à transformer l’accident de sa mort en un simple incident, mais restons-en au sort envisageable pour tous.
A l’échelle de l’univers, la différence entre incidents et accidents se perd comme celle entre vie et mort, mais pas à celle des hommes (ou, on peut le croire, de la mouche). Sans que rationalité et éthique soient à sous-évaluer à leur propos, jouer des incidents de la vie peut aider les hommes à mieux vivre.
Dans une certaine mesure, l’homme peut se réjouir d’être dépassé par lui-même et bien au-delà. Moins parce que cela relativise sa responsabilité que parce que cela lui permet d’apprendre de lui-même (par exemple, des coups de dés de son inconscient), de se critiquer lui-même (notamment, dans sa prétention à tout maîtriser) et de s’amuser de lui-même (comme son propre clown et celui de la myriade des mondes). Cela permet aux hommes d’essayer de mieux (ou moins mal) s’estimer à l’échelle inimaginable des mondes : échelle (si on peut continuer à l’appeler ainsi : il vaudrait mieux parler de cascade) de couches de hasards sans fin, absolument inconcevable, selon toute probabilité, par quelque esprit supérieur.

Depuis longtemps, les hommes compensent comme ils peuvent – non seulement par la religion, mais par leur besoin de jouer - le manque engendré par leur propension à tout maîtriser.
Aujourd’hui que la religion a perdu en crédibilité, il y a toujours dans les jeux d’argent plus qu’un simple désir d’argent. Le miracle d’un gain, le fait d’être transi par une perte importante s’expliquent moins par un goût de l’argent que l’aura de celui-ci ne s’explique par eux.
Les jeux d’argent se situent au-delà du besoin immédiat d’argent (y compris chez ceux qui en manquent cruellement). L’addiction qu’ils peuvent engendrer montre bien qu’il s’agit avec eux de vivre un transport au-delà de soi-même (ou « extase »). En ce sens, l’argent qu’on peut gagner ou perdre en jouant, n’a pas du tout la même odeur que celui qu’on peut gagner en travaillant ou dépenser en consommant.
Du spéculateur au joueur de loto, d’une salle de jeux à un champ de courses, ce qui est en question c’est un argent spécial qui, dans une proportion variable, a plus affaire au hasard qu’à un calcul assuré. Quand il prend les commandes, un tel goût de l’argent déploie partout, significativement, un culte plus ou moins avoué de la passion et de l’inassurance qui tend à miner, en les ridiculisant, travail et mérites, toutes les formes garanties de vie, et jusqu’aux capacités humaines d’action.
L’argent qui est joué l’est aussi au-delà de lui-même. Il engendre souvent un vertige sans fond du gain ou de la perte. Avec cet argent, on est vite au-delà du domaine de l’incident, puisque, non seulement les vies des joueurs et de leurs proches sont en jeu mais celles d’innombrables hommes.
Pourtant, c’est moins l’argent qui est en cause qu’un besoin de jouer avec le hasard qui ne trouve pas un autre moyen que l’argent pour pouvoir s’exprimer. Le culte du langage de l’argent dissimule aujourd’hui la question du vertige de l’homme. On ne peut pas faire l’économie de cette question, dans la mesure où les hommes sont bel et bien vertigineusement hasardés sur la terre (qui l’est non moins qu’eux).
Comme différemment les tyrans avec le pouvoir, les grands spéculateurs sont pris dans la démesure d’un besoin universellement humain : celui de vivre le débordement de soi. Ils le vivent impurement puisqu’ils prétendent s’en attribuer à eux seuls les bénéfices (mais beaucoup moins les pertes).
Une société bien faite devrait légiférer pour que soit reconnu à chaque homme, et donc borné, un droit égal au débordement de soi. Elle devrait libérer les jeux de leur obsessionnelle expression monétaire, pour une part en garantissant à tous les moyens de vivre décemment.
L’idée de tirer le meilleur parti du hasard fonderaient maintes pratiques pour qui l’argent serait un enjeu très secondaire en regard du bonheur de vivre, individuellement et ensemble.
Autant serait reconnue la responsabilité des hommes, autant le serait leur droit à une irresponsabilité pas toujours asociale et jamais gravement antisociale.
C’est que l’idée d’une science intégrale des hommes et du monde serait abandonnée, après celle d’une religion intégrale, mais pas du tout les efforts pour connaître, et qu’on reconnaîtrait à tous les hommes le droit de vivre au mieux la puissance de leur existence fragile dans un univers (à l’unité très problématique) qui les outrepasse de partout.

G. L., décembre 2008
  L’oeuvre mortelle

A l’horizon d’une mort comme jetée de l’existence dans un dehors impensable, on peut penser qu’une oeuvre humaine arrive à se délester de toute une fausse gravité qui la plaque à terre : une terre plus fantasmatique que réelle.

Celle ou celui qui, pour oeuver, parvient à desserrer le lacis des intérêts trop humains, s’il touche mortellement à la vie y gagne une grâce. C’est que, dans la perspective présente, c’est-à-dire constamment nourrie, d’un saut mortel dans l’immensité, la vie et l’oeuvre (alors tout un ?) ne peuvent que gagner en vibrations fragiles et amples.
On pourrait appeler cela essayer de vivre comme un exhumain : tendre à s’exhumer en tendant à vivre comme un ex-humain. Sans jamais oublier qu’il est impossible de vivre comme un ex-humain et que s’exhumer ne signifie pas se séparer de l’humus, mais s’en dégager pour mieux y prendre pied et y faire traces (non sans « humilité »).
Le devenir du paysan est bien de danser en cultivant, mais danser revient toujours à cultiver la terre. L’oeuvre mortelle peut devenir celle de tous. Si nous nous vivions mortellement, nos pieds ne seraient plus les mêmes, ni la terre, mais nous gagnerions toujours à nous penser comme des paysans devenus (et jamais comme des « intellectuels »).
La mortalité est le propre de qui glisse et se perd dans un impensable, mais aussi de qui surgit de celui-ci. Double glissade à vivre, avec obstacles de glace, mais plus d’une fois « chaude ». Certes, les deux glissades sont inégales : il ne surgit quelque « chose » pour nous que sur la pente d’une perte définitive. Mais cette pente contribue pour beaucoup à une beauté vraie des surgissements.
L’oeuvre mortelle est ce qui, comme nous, vient d’immense et y retourne. L’accomplir, c’est en garder une trace. Mieux : c’est s’en laisser tracer, sentir vibrer immensément l’infime. Et c’est être reconnaissant à notre mortalité de nous en rendre parfois capables, loin de vouloir durer comme des cailloux.
Tout cela serait léger, léger à vivre : impossiblement léger. L’oeuvre mortelle - notre terre, nos vies, nos travaux – contribuerait à nous réconcilier, si nous savions mieux partager mort et naissance (alors tout un ?) comme un horizon fou : un infini de résonances.


G. L., décembre 2008

 

Les Parques ?

On nous a menti avec les Parques : notre vie n’est pas un fil à couper. Bien plutôt une pelote de vie et mort se compliquant sans cesse de pertes et survenues, et pourtant simple, d’une autre simplicité. Notre vie est ce qui, d’être née et de devoir mourir, trouve une certaine épaisseur à naître et mourir sans cesse. Quand on meurt pour de bon, ce n’est vraisemblablement pas un fil qui se coupe, mais comme une vapeur résultante qui se dissout.

Cela vaut pour les histoires qu’on peut en raconter : linéaments vaporeux qui ne cessent pas d’apparaître et de disparaître, en essayant de dire la grande affaire de l’apparition et de la disparition. Mais l’apparition et la disparition de quoi, au juste ?
Ce que je vis, c’est une apparition disparaissante et une disparition apparaissante. C’est peut-être cela être une apparence : ce double mais unitaire mouvement non substantiel, et d’une unité plutôt chaotique. En tant qu’impensable, ma mort, elle, se présente comme une disparition simple et sans doute trop simple : peut-il exister une disparition en rien apparaissante ? Mais, même si la réponse est non, cela ne peut pas me consoler, car ma disparition ne saurait me faire réapparaître. Si elle est apparaissante, c’est de tout autre chose que moi (qui m’empêche d’ailleurs de me réjouir à cette perspective ?).
Il est problable qu’il n’y ait pas plus de disparition pure que d’apparition pure. S’il reste un absolu, ce doit être celui du mélange intrinsèque de tout. Cela n’autorise aucun mythe de la réapparition, pure ou redisparaissante, dans un au-delà, voire ici même.
Être et néant sont des illusions d’optique qui ne tiennent que par leur opposition absolue. Si absolu il y a, c’est celui de l’inexistence de celle-ci, dans tous les domaines
Et les Parques, leur fil et leurs ciseaux ? Leurs coups de dés plutôt, dans l’immensément blanc de la page : page sans limite des vies, pas seulement d’écriture. Les figures du destin n’ont pas à nous être transcendantes : elles sont à reverser dans les vies des destinants / destinés que nous sommes.
Nous nous destinons (à la destination), en tant que nous sommes destinés par nous et surtout par beaucoup plus loin que nous . Et nous sommes destinés, en tant que nous nous destinons, nous et un peu plus loin que nous.
Et tout cela est moins une affaire de fils entrecroisés que de bancs de nuages.

G. L., décembre 2008

 

Billet d’humeur


« L’homme aussitôt qu’il naît, naît en personne comme un  dette due à la mort - quand il sacrifie, il rachète sa personne. L’homme n’est pas seulement affecté par la dette, il est définie par elle. Si l’homme est un “être emprunté”, s’il détient un bien dont le propriétaire est la mort, il ne peut se libérer qu’en mourant : se racheter et disparaître ne font qu’un. »
 
L’homme ne doit rien à la mort qu’il ne doive aussi à la vie.
De quoi essaie-t-on de parler ? Du plus lointain au plus proche, d’une provenance et d’un devenir des hommes, en termes de combinaisons surtout hasardeuses. Cela n’a rien d’un destin, et encore moins d’un destin de débiteur.
Ce n’est pas parce qu’on parle de la mort qu’on est autorisé à faire revenir la malédiction judéo-chrétienne. Un être de hasard ne doit rien à Personne, car le hasard n’est personne, et il n’est pas plus la mort que la vie.
Si un tel être doit quelque chose, c’est à d’autres êtres de hasard, en cela seulement semblables à lui.
Du hasard, on ne se rachète pas. Il n’est ni jardin d’Eden ni sortie du jardin d’Eden, en soi ni bien ni mal (ni autre chose). C’est qu’il n’a pas plus d’en-soi que de pour-soi : il est un inimaginable qui pourrait, si on réussissait à l’approcher quelque peu, nous délivrer de ces notions.
D’innombrables « coups de dés » non totalisables ne répondent ni à une essence, ni à une conscience. La mort, comme un coup de dés de plus (certes majeur), n’est pas adéquate au modèle de la dette et du rachat (cet économisme horriblement magnifié), sans même parler du sacrifice.
Comme vivre, mourir par hasard est inqualifiable, du moins définitivement. Des combinaisons hasardées sans fin ne connaissent aucune  polarisation définitive, aucune contradiction statufiable. Même si dans les mondes à notre portée, il faut s’expliquer avec pôles et contradictions, la supposition d’une pluralité des mondes, se « jouant » avec leurs interpénétrations, les mouvements de tous et de chacun, interdit de graver modèles et conflits dans le marbre.
Il faut choisir entre le marbre des tables de la loi et un chaos moléculaire comme condition de possibilité, sur fond d’impossible, d’une autre sorte de loi. Si une « loi » comme possibilité, et même nécessité, sur fond d’impossible, devenait celle de notre « réalité », nous pourrions y gagner de vivre, et peut-être même de mourir, plus légèrement. Ce serait tout autre chose qu’une vie « empruntée », remboursable à échéance : peut-être une grâce partagée, même hésitante ; un laisser-faire (non obscène) moins crispé et moins injuste, car aussi respectueux, en jonglerie (humaine et bien au-delà), des balles qui tombent que de celles qui ne tombent pas. A condition qu’aucune ne fracasse des têtes.

 
G. L., décembre 2008
Qu’est-ce qu’être « de gauche » aujourd’hui ?


Je pense que c’est, au moins, savoir de l’intérieur ce que signifie être gauche : soit qu’on a grandi dans un milieu où l’adresse ne va pas du tout de soi ou s’exerce dans des domaines dont l’importance est minimisée, soit qu’on vient d’un autre milieu mais qu’on s’est rendu relativement conscient de la situation qui fait qu’énormément de gens vivent une impression profonde de gaucherie (plus clairement, d’inadaptation ou d’adaptation forcée). Dans le premier cas, on va d’un sentiment d’injustice à une tentative pour comprendre ce qui suscite celle-ci. Dans le deuxième, on doit aller d’une certaine compréhension de la réalité sociale à un certain partage concret du sentiment en question.
Au fondement de l’engagement « de gauche », il y a la conviction que la répartition des conditions de vie, des richesses et des fonctions, dans ce pays et dans le monde, demeurent aujourd’hui profondément injustes. Et donc que sont tout sauf naturelles la misère ou la banalité des vies, l’absence de confiance en soi et le sentiment enraciné d’incapacité que vivent tellement de gens.
Etre de gauche demande d’être convaincu que, la plupart du temps, si certains sont ou paraissent si adroits dans des fonctions dites supérieures, c’est, pour une large part, parce que des conditions favorables leur ont très tôt permis de se développer dans ce sens. Et c’est refuser de faire des exceptions qu’admet la ségrégation sociale régnante une justification de celle-ci.
Logiquement, ce n’est pas principalement s’en prendre aux privilégiés eux-mêmes mais aux conditions qui font qu’ils le sont, puisque c’est au détriment de tous les autres. Mais ce n’est jamais prétendre connaître suffisamment ces conditions : c’est s’atteler (soi-même, pas seulement par délégation) à la tâche très difficile de mieux les comprendre pour commencer à les transformer et de commencer à les transformer pour mieux les comprendre.
Etre de gauche aujourd’hui, ce n’est ni prôner un saut brutal dans un inconnu révolutionnaire, ni se contenter de vouloir réformer le même système. C’est être suffisamment attaché à la population pour ne pas risquer de remplacer ce qui est souvent son malheur présent par un malheur plus grand, mais aussi pour ne pas risquer par des pseudo-réformes de multiplier ses désillusions et d’approfondir son abattement. C’est donc être capable, quand on n’a pas de solution significative, de dire qu’on n’en a pas encore et d’en chercher patiemment une avec d’autres.
Il est fondamental d’être profondément attaché à la population qui subit le plus les privilèges d’un petit nombre. C’est cela qui peut permettre d’éviter les pièges de l’aventurisme aveugle et du réformisme vide, puisque dans les deux cas c’est elle qui risque fort de payer le plus lourd tribut.
L’absence de solution immédiate ne disqualifie pas la pensée et l’action de gauche, à condition qu’elles travaillent à en chercher une. On n’est pas d’abord de gauche parce qu’on a des solutions mais parce qu’on a des problèmes, et ce n’est pas parce que ceux-ci traversent les siècles et les millénaires qu’ils sont définitivement insolubles. Seule la droite et la fausse gauche trouve très vite la solution : conserver les choses en l’état, quitte à changer de méthode.
La pierre de touche de la gauche, c’est de parvenir à changer réellement les choses : les conditions de travail, la répartition des richesses, les rapports entre les citoyens, etc. C’est la réalité de ce changement qui fait problème, mais, avant elle, c’est celle du malheur ou de la médiocrité largement programmés des vies d’énormément de gens.
Ce qui empêche les vrais gens de gauche d’être seulement des rêveurs ou des girouettes, c’est le caractère indéniablement réel et social de l’injustice. Non seulement, notamment quand on les a vécues, les problèmes qui se posent ne se laissent pas aisément oublier, mais, à moins d’accepter de les attribuer à la seule responsabilité personnelle ou au destin, leur conditionnement social ne fait aucun doute. De même, il ne fait aucun doute que celui-ci pèse lourdement sur la responsabilité personnelle, sans du tout abolir celle-ci.
Précisément, être de gauche, ce n’est ni chanter une liberté déjà suffisamment présente pour tous, ni s’imaginer que les vies des gens sont socialement déterminées sans un reste de choix possible (en ce sens il n’y a pas plus de destin social que métaphysique). La vocation de la gauche, c’est de permettre d’avancer dans le sens d’une plus grande liberté pour tous, sur la base d’une responsabilité bel et bien présente de chacun.

Etre gauchi signifie être déformé, tordu. Pas étonnant qu’alors la grâce soit un objectif très difficile à atteindre, en tout cas celle que reconnaissent les milieux autorisés. La seule chance d’adéquation à ce qu’il vit qui reste au peuple, c’est de se satisfaire du sort qui lui est fait. En cela seulement, il pourra montrer son adresse à produire ou à vendre, à moins que ce ne soit à penser.
Etre de gauche, c’est toujours être du côté d’une population « tordue » par ses conditions de vie. C’est se tordre pour y arriver et, si l’on en provient, retordre sa torsion première. Par contre, être de droite, c’est tendre à n’avoir aucun effort à faire pour se redresser. C’est plutôt croire bénéficier par son origine ou son mérite d’une adresse ou d’une droiture supérieures. En tout cas, qu’on le croie ou non, c’est faire comme si c’était vrai.
Pourtant, être de gauche ce n’est jamais sombrer dans le misérabilisme, ni le dénigrement systématique de ce que les privilégiés peuvent avoir comme qualités. C’est être sans concession pour les travers du peuple. Les torsions de gauche se font toujours au nom de l’horizon d’une vraie droiture partagée. Ce qui les légitime, c’est toute la réalité tordue que dissimule la droiture officielle.
Les privilégiés ont parfois des qualités uniques dont on aurait tort de se priver. Ce qui est en question, c’est leur situation de privilégiés et, moins personnellement encore, les structures sociales qui reproduisent une telle caste.
Etre vraiment de gauche, ce n’est jamais incorporer sa condition sociale originaire ou secondaire comme le font la plupart des gens de droite. Ce n’est pas coller à son sort, ni même à sa conviction, car c’est devoir souvent remettre celle-ci en cause en refusant la notion de sort.
Rien de plus inacceptable que l’intolérance politicienne de gauche, mais rien de plus estimable que l’intransigeance politique de gauche. A gauche, l’essentiel n’est pas négociable : il n’y a rien de principalement naturel dans le fait qu’il y ait des riches et des pauvres, des savants et des ignorants, etc. Et il faudrait une parfaite (donc problématique) égalité des chances pour qu’on puisse prétendre mesurer la part à mettre au compte d’une inégalité naturelle.
De même, on refusera de conclure au caractère inéluctable de la méchanceté et de la bêtise humaines avant d’avoir fait l’expérience approfondie d’une société réellement démocratique. Mais on refusera aussi de conclure à la possibilité d’une société et d’une humanité idéales. On n’ignorera pas que la démocratisation est un processus sans fin, mais non linéaire, et que cela empêche à tout jamais de conclure.
Etre de gauche, c’est certes travailler à créer un rapport de force qui permette, non seulement de résister à l’offensive de la droite, mais un jour de la faire reculer sur l’essentiel. Pourtant, c’est aussi, dès aujourd’hui, commencer à se préoccuper de chacun dans la masse, qu’il s’agisse de militants, de simples citoyens ou d’élèves. C’est très exactement commencer à dissoudre ce qu’a de fantasmagorique une masse dont le poids écrasant résulte pour l’essentiel de l’exercice d’une domination. C’est déjà tabler sur les ressources « individuelles » et celles des rapports entre « individus » pour commencer à déjouer multiplement l’emprise des appareils de domination en dégageant des espace-temps libérateurs.
En effet, aucune démocratisation ne sera possible si elle ne passe pas par une autonomie accrue des individus. Etre de gauche, c’est tendre à opposer à la démocratie bourgeoise une démocratie bien plus réelle, en s’en donnant les moyens. Qu’il faille que celle-ci puisse se défendre ne doit plus permettre de s’autoriser d’une dictature quelconque.
La volonté du peuple, pour s’exprimer valablement, implique un approfondissement de la citoyenneté (un plus large droit d’expression dans les entreprises, un droit plus réel pour tous à l’éducation, etc.). Il faut le favoriser dès aujourd’hui sans attendre des acquis supplémentaires, car c’est une condition majeure pour en obtenir de réels.
    Seules des organisations qui éviteront le double écueil d’une démocratie chaotique, facile à manipuler, et d’un appareil implacablement centralisé, seront capables de mobiliser au mieux les ressources individuelles de leurs adhérents en approfondissant aussi leur autonomie. Elles seules pourront atteindre à l’efficacité requise, laquelle est dès aujourd’hui fonction de l’objectif visé. Or ce qui est visé, c’est une cohésion sociale renforcée d’individualités fortes, plurielles et jamais arrêtées, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales.
    Etre de gauche aujourd’hui, c’est aussi devenir capable de détourner à des fins réellement démocratiques même des notions comme celle de « management ». Il faut en finir avec la confiscation de l’esprit d’entreprise par le capitalisme. Celui-ci borne cet esprit bien plus qu’il ne le libère.
    Il faudrait que la création et la répartition des richesses, deviennent significativement l’affaire de tous. Etre de gauche, ce n’est pas s’imaginer qu’on peut se passer d’état ou d’entreprises dynamiques. C’est tendre à créer les meilleures conditions pour favoriser un dynamisme économique qui assure à tous des conditions décentes de vie et ne soit pas antidémocratique. L’état, quant à lui, se justifie d’être au service du dynamisme démocratique (économie comprise), loin de se complaire dans l’hypertrophie.
    Etre de gauche, c’est aussi refuser à nouveau que le développement de certains pays se nourrisse du sous-développement des autres. Une démocratie sociale avancée qui se construirait sur une telle exploitation sans travailler à la faire cesser au plus vite, serait une monstruosité intenable.

    Etre de gauche, c’est combiner l’impatience conjoncturelle avec la longue patience historique. C’est vivre sa vie au présent, tout en l’investissant le moins mal possible au-delà d’elle, dans un avenir plein d’incertitudes mais à la signification vitale. Cela gagne essentiellement à demeurer étranger à toute forme d’opportunisme mesquin.
    « De gauche » : tant qu’on n’aura pas mieux, il faut défendre cette locution en travaillant à lui donner un contenu valable. Trop parmi ceux qui la contestent sont des gens qui renoncent.
Ceux qui se résignent à penser que l’histoire en restera au capitalisme, intrinsèquement sauvage, comme à la moins pire des solutions, le décident pour des raisons souvent peu avouables. A l’inverse, être de gauche ce n’est rien ou c’est décider une fois pour toutes qu’on n’accepte pas un monde où, entre autres choses, on continue de plus belle à exploiter le travail, à priver d’avenir toute une jeunesse, à massacrer à l’occasion.
Par contre, c’est toujours faire effort pour rendre ses propositions et ses actions, quant au contenu et à la forme, pertinentes et partageables. C’est donc bouger pour prendre en compte le monde et sa compréhension tels qu’ils évoluent. Au fond, seuls ceux qui ne bougent pas sur l’essentiel de leur exigence peuvent bouger adéquatement en vue d’obtenir une traduction contemporaine de celle-ci. Les autres trahissent ou répètent en vain des formes moribondes (ce qui est une autre façon de trahir).
Il y a de bonnes chances pour qu’aujourd’hui une belle époque de l’ivresse capitaliste touche à sa fin. Si c’est vrai, il se pourrait que redevienne à la mode d’être « de gauche ». Que ceux qui ont le moins trahis en période de vaches maigres fassent ensemble tout leur possible pour favoriser la mise au point d’instruments de lutte, théoriques et pratiques, moins inadéquats. Nous sentons que cela presse, mais nous savons que cela demandera beaucoup de temps. Il faut faire avec cette contradiction.
Etre de gauche ne relève pas d’une mode. Ce qui l’atteste le mieux, c’est le gauchissement multiple de la plupart des vies, lequel persiste, voire s’aggrave.
En finir avec le règne sans partage du capital ne réglera pas tous les problèmes, sans qu’on voie aujourd’hui ce que peut signifier en finir avec lui une fois pour toutes. La solution n’est certainement pas à chercher du côté d’un monde totalement administré, d’autant moins que c’est très largement une autre version de celui-ci que nous promet le capital.
Puisque sa liberté restreint les libertés de tous, c’est le plus possible sur celles-ci qu’il faut s’appuyer pour lutter contre lui. Mais il ne faut pas faire que s’appuyer sur elles, il faut les approfondir et trouver la façon d’en garantir l’approfondissement par des institutions durables.
Seule une démocratie beaucoup plus réelle, garantissant et encourageant l’exercice de droits élargis pour tous (y compris économiques) en restreignant fermement les privilèges outranciers d’un petit nombre, permettrait en s’enracinant de commencer à dépasser la démocratie bourgeoise.  La question qui se pose à nous est toujours celle de la possibilité d’un dépassement véritable des Révolutions du XVIIIème siècle et du prix à payer pour cela.
Voilà une réponse bien problématique et gauche à la question que j’ai posée, mais il me faut l’assumer pour l’instant, faute de mieux.

 

Gérard Lépinois, novembre 2008
Pot commun et jackpot 


Tout le monde a de la chance : ce n’est pas que tout le monde gagne, mais que tout le monde peut gagner. Ce n’est pas une réalité, mais une possibilité. Pourtant, c’est une possibilité qui ne va pas pas sans une part significative de réalité. Le jackpot - en anglais, le pot de Jack - crée parmi les joueurs l’impression profonde et tenace d’avoir déjà gagné quelque chose, à savoir la possibilité même de gagner ce pot. Or, dans des vies étroites, c’est une possibilité très importante d’ouverture. Le fait qu’il soit très improbable qu’elle se réalise ne fait qu’ajouter à son poids. Il y a des tas de Jacks qui misent et cela fait un pot rempli qu’à tout moment un Jack quelconque peut gagner. A partir de là, peu importe que tous les Jacks soient plus ou moins des valets (comme le dit l’anglais), il y a quelque chose du grand seigneur qui les habite.  Gagner le jackpot dépend d’une combinaison de figures ou de chiffres. Ce ne sont donc pas ceux-ci qui compte, mais la suite qu’ils forment. Tout comme les valets derrière un prince ne comptent pas pour eux-mêmes mais pour la disposition qu’on leur fait adopter. A ceci près qu’ici il s’agit d’une combinaison hasardeuse. Si Jack gagne le pot, c’est parce qu’il a eu de la chance. En même temps, Jack aimerait bien minimiser la part du hasard. Il joue par exemple sa date de naissance ou n’importe quelle combinaison un peu stable qui prend un certain sens pour lui.  Il lui est difficile d’admettre que n’importe quelle combinaison de numéros a une chance égale (c’est-à-dire presque nulle) de gagner. Il essaie de se raccrocher à quelque préférence pour éviter le vertige du pur hasard. Il faut que cela reste un peu plus concret : il y a des Jacks, un pot, des mises, et une opération mystérieuse qui fait qu’un des Jacks gagne le tout. L’idée que le tout des mises puisse tomber dans la poche d’un Jack quelconque fait froid dans le dos à chacun d’eux. C’est la peur sublime de trop de bonheur.  Miser, c’est consommer de la chance. Ce n’est pas tout à fait du vent. Comment être encore sûr qu’on peut avoir de la chance si on ne mise jamais ? Ce n’est pas parce qu’on a neuf chances sur dix d’avoir une chance sur mille de trouver à la poste une compagne pour toute la vie (ou du moins une session de son jeu) qu’on ne doit pas tenter sa chance.

Il y a sans doute toujours une combinaison propice qui guette (laissons les néfastes de côté). Là, ce n’est pas nous qui comptons, ni les éléments combinés : ce qui importe, c’est qu’une combinaison de ces éléments nous tombent soudain dessus. Ce que veut Jack, c’est faire partie d’une combinaison gagnante, en tant que destinataire de celle-ci. En quelque sorte, il prie le hasard de combiner pour son bien. Lui, qui en général n’aime pas les combines, adorent celles du hasard quand elles le font gagner.  Il paraît que je vis dans un pays où tout le monde peut devenir riche. Chacun le peut-il par son mérite ou parce qu’il est jackpotable ? Faux problème ? Jack, quand il gagne le pot, croit qu’il a mérité « quelque part » que la chance lui sourie. Car elle ne sourit pas à tout le monde. Ce n’est pas une prostituée qui rabat n’importe qui. Elle choisit plutôt ses clients, selon des critères mystérieux.  En tant qu’individus, nous vivons comme à l’intérieur de grands nombres qui prennent en considération notre multiplicité, en faisant abstraction de nos vies personnelles. Nous sommes peut-être indivisibles mais nous sommes multipliables, comme spécimens. Il est assez doux de vivre à l’intérieur de grands nombres qui nous délestent de nos particularités. En tant que population, totale ou partielle, nous sommes modélisables. C’est-à-dire qu’à partir d’un échantillon bien fait - basé sur la structure de ce que nous sommes collectivement - on peut prédire plus ou moins nos comportements. En tant que Jack, je peux changer cent fois d’avis avant d’acheter une boîte de conserve, il y a aura toujours un Jack quelconque pour compenser, à l’échelle des grands nombres, mon comportement imprévisible.  Il y a très peu de chances pour que gagner le jackpot soit prévisible, mais beaucoup de chances pour qu’il y ait un tas de Jacks qui misent au pot. Il y a donc beaucoup de chances pour qu’un gros pot mise sur eux.  Je vis dans un pays où la liberté des individus consiste, pour une part notable, à devenir prévisibles. C’est ce qu’on peut appeler une liberté échantillonnable et sondable. En tant que Jack, tu fais ce que tu veux, du moment que, « moi » (comme gouvernance en général), je peux prévoir dans les grands nombres ce que font les Jacks comme toi. Comment ils combinent, chacun et entre eux, à propos de ceci ou de cela (et le moins possible, de quoi que ce soit d’imprévu).  Il est tout à fait prévisible que beaucoup de Jacks jouent avec l’imprévisible. Cela fait système. Système du jeu général de l’argent et, en particulier, des jeux d’argent. Les hasards de la vie sont systématisés sous la forme de toutes sortes de jeux de hasard. Ce qui compte, c’est que ce qui est imprévisible devienne fonction de ce qui est prévisible, bien plus que le contraire. Cela vaut pour les grands nombres, car, en ce qui concerne la vie de chacun, le système garantit moins que jamais la prévision.  Plus il y a de prévisibilité générale et moins les « destins » individuels sont prévisibles, plus il y a de chances pour que chaque individu, afin de se rassurer, en appelle à l’imprévisible, en jouant, voire en priant. Autant on peut prévoir, à un moment donné, ce que les gens préféreront, autant on n’a qu’un intérêt très limité (notamment, par les siens propres) à leur garantir de prévoir comment ils gagneront leur vie dans dix-huit mois. La prévisibilité générale permet l’imprévisibilité individuelle, mais y oblige aussi. Dans ces conditions, être libre, c’est non seulement être prévisible dans les grands nombres et imprévisible comme individu, mais aussi être sensiblement contraints à l’imprévisibilité de sa vie par ceux-là même qui vous prévoient.  Pour une part notable, être libre alors c’est être contraint (de prendre des risques et surtout des vestes). Comme, pour beaucoup de monde, il  y a très peu de chances de pouvoir s’assurer durablement les conditions d’une vie digne (donc libre), il n’est pas étonnant que le Jack des Anglais reste l’emblème des valets (à la pérennité de l’emploi près). L’avenir systémique, en tant qu’il est prévisible et imprévisible, appartient toujours à de grands seigneurs. Ce sont les maîtres du pot et du hasard du pot. 

 

Un drôle de voyage


Le plan causal, le pur comment, fait penser à des rails traversant la campagne : ceux d’aujourd’hui, au milieu d’une large coulée, avec la caténaire qui leur correspond. Le plan final (celui des finalités), le pur pourquoi, c’est par exemple le fouillis des motivations qui ont conduit de nombreux voyageurs à prendre le train qui file sur cette ligne. Le plan aléatoire, le pur peut-être, se traduit à l’occasion par la rencontre imprévisible au bar, à un moment donné, de quatre voyageurs qui ne se connaissent pas, dont l’un vient de la queue du train, deux de sa tête et le quatrième d’un wagon proche du bar.  Mais il n’y a là rien de pur. Tout ne commence pas par les rails. Il a bien fallu qu’un Etat ait des raisons pour les faire construire. Il y avait donc du pourquoi à l’origine de ce comment. Tout ne commence pas non plus par le plan final : les motivations des voyageurs ne seraient-elles pas tout autres, s’il n’y avait ni trains, ni voitures, ni avions, pour voyager ? Le plan aléatoire non plus n’est pas un pur peut-être, puisqu’il n’est pas concrètement séparable des combinaisons qui se réalisent sans cesse à partir de lui. De plus, les voyageurs ont chacun une motivation (au moins) pour se retrouver maintenant au bar et celui-ci ne fonctionnerait pas sans alimentation électrique, laquelle relève du plan causal, etc..  Il y a donc entremêlement des plans. Pourtant, le plan (ou, sans doute mieux, l’espace) aléatoire semble envelopper les deux autres. Au bout des fins que je me donne il y a des aléas qui m’attendent. Quand j’arriverai à Brest, il pleuvra peut-être. Et, au grand dam des ingénieurs et des ouvriers, il y a des aléas qui surviennent dans la chaîne des causes. Ne se pourrait-il pas qu’un sanglier choisisse de mourir sur les rails ?  Le plan causal semble inhumain. Science et technique n’ont que faire des motivations contingentes de ceux qui conçoivent ou construisent les rails. Ce plan est souvent vécu comme s’il était autonome. Il y a tellement de causes et d’effets à articuler sur lui que, quand on s’en tient à son extension considérable, on peut facilement faire abstraction des fins qui justifient chaque projet. Le plan final renvoie aux motivations les plus contingentes des hommes comme à leurs buts les plus rationnels. Il est ancré dans l’humain, même si des fins peuvent être aussi poursuivies par un Dieu : cela montre simplement qu’il n’y a pas plus humain qu’un tel Dieu. Ce plan est souvent vécu comme s’il était particulièrement autonome. La plupart des hommes ne sont-ils pas aujourd’hui enclins à croire que le royaume de leurs motivations commande à leurs vies ? Ils y associent en général l’idée de liberté. Le plan causal ne prime le plan final que pour ceux qui sont plongés dans une mécanique de construction (comme les ouvriers du rail ou de l’A.D.N.) ou de comportement (comme tous les routiniers du monde). Si le plan causal est celui qui mérite le plus ce nom (pas plus plat qu’une perspective de rails), le plan aléatoire est celui qui le mérite le moins. L’espace du peut-être enveloppe bel et bien les plans causal et final. Du plan causal au plan aléatoire, il y a multiplication des dimensions. On passe de quelques-unes à un nombre indéterminé. A remarquer que le plan final a des dimensions incertaines. Comme liberté possible, il peut même être imaginé comme étant d’un autre ordre que toute forme de dimension et supérieur à tout domaine qui relève de celle-ci. L’espace aléatoire rappelle le plan causal en ce qu’il semble inhumain et l’est très certainement quand on l’approfondit. Les désirs ou les besoins des quatre voyageurs n’entrent que pour petite part dans le hasard de leur rencontre, à un moment donné, au bar du train. Tout ce qui contribue à rendre possible cette rencontre est fondamentalement insuffisant pour l’expliquer. Par exemple, l’un d’entre eux s’y est pris en retard pour acheter son billet, ce qui explique quelque peu sa situation assise dans le train. Un autre n’aurait jamais pris ce train, s’il n’y avait pas eu, à l’autre bout de la France, le décès soudain du lévrier de sa soeur. Un troisième a été pris d’une crampe à force d’être assis. Il a supporté la douleur tant qu’il a pu, jusqu’au moment où il a décidé d’aller se dégourdir les jambes. Tout cela ne nous explique en rien comment leurs trajectoires vont exactement se croiser au bar à un certain moment. On a là une situation sans explication causale exacte, comme sans aucun sujet au bon ou au mauvais vouloir duquel on pourrait la rapporter. Cette situation reste fondamentalement inexplicable. Or, cela est l’inhumain par excellence. De plus, l’espace aléatoire paraît être beaucoup plus autonome que les plans causal et final. Ce n’est pas qu’il se donne sa propre loi comme pourrait le faire un sujet (ou, tout autrement, un organisme vivant quelconque), mais plutôt, si on élargit la question, qu’il se donne sa loi ou son absence de loi ( cela reste à « déterminer ») comme l’absence radicale de tout sujet possible (et, au-delà, de toute forme d’existence possible : au vide de la physique près ?) qui en serait à l’origine. Restons-en au train à grande vitesse : tout se passe comme si le hasard avait battu les cartes et en avait tiré quatre, avec pour résultat de faire qu’elles se retrouvent au bar, sous la forme de voyageurs occupés à boire un café, à acheter un journal ou, seulement, à regarder debout défiler un paysage flou. Tout se passe comme si nous étions les cartes d’un jeu bien plus purement aléatoire que ne l’est pour nous tout jeu de cartes.

On peut penser que le monde répond entièrement à une nécessité de type causal ; ou qu’il est intégralement soumis à une destination de type final ; ou qu’il est livré sans limite au hasard. Le fatalisme peut donc revêtir trois formes distinctes : on peut croire qu’on prend le train comme s’il était le rouage minuscule d’une immense horloge, avec ou sans horloger ; ou qu’on le prend parce qu’un Dieu (plus libre qu’un grand horloger) l’a voulu pour des raisons qui lui appartiennent ; ou qu’on le prend de façon essentiellement aléatoire, quels que soient les motifs immédiats auxquels on peut obéir. Le train apparaît successivement comme l’une des innombrables pièces d’une immense mécanique, l’occasion, parmi des myriades d’autres, que trouve pour s’exercer le vouloir omnipotent d’un Dieu et un coup de dés du hasard infini des particules qui prend une forme et une fonction consistantes à nos seuls yeux. Dans les trois cas, on est pris par le train plus qu’on ne le prend. On est comme écrasés par lui, en tant que sujets « libres ».  En dehors de ces points de vue extrêmes, il y a entremêlement des plans ou des espaces. Ce qui est vécu, c’est un mélange plutôt obscur de hasard (la pile de mon réveil est morte juste ce matin, ce qui a fait que j’ai sauté dans le train à la dernière minute et sans rien dans le ventre. D’où ma présence au bar au moment en question), de causalité (la mécanique du métro m’a transporté jusqu’à celle du train, en passant par celle de plusieurs escaliers) et de finalité (si je vais jusqu’à Lyon, c’est pour nettoyer ma tombe, tant qu’il est encore temps).  Et si, dans notre monde et à notre échelle, il n’y avait pas de pur hasard ? Si le train obéissait à une rationalité et répondait à des fonctions incontestables, quoi qu’il en soit du hasard fondamental des particules ? Si ce n’était pas le cas, je vois mal comment on pourrait prendre le train. Pourtant, cela ne renvoie pas forcément à une causalité et à une finalité solides. Ne peut-on pas faire l’hypothèse qu’on rencontre seulement des causes et des buts occasionnels ? Une cause occasionnelle, c’en est une qui ne suffit pas à produire un effet, mais qui y contribue. Il peut en aller de même d’un but occasionnel, relativement à une fin plus certaine que lui et qui mérite mieux ce nom. Mais dans notre hypothèse, il n’y a plus ni cause efficiente (qui suffit, pour l’essentiel, à produire un effet), ni cause finale (qui suffit, pour l’essentiel, à réaliser une fin). Pour expliquer le comportement du train et la conduite des voyageurs, il n’y a plus que des circonstances et des motifs partiels et occasionnels, c’est-à-dire plus ou moins hasardeux. En se cumulant, ils suffiraient bien à produire des effets, mais de façon toujours plus ou moins aléatoire. C’en serait fini des ingénieurs et des ouvriers du rail sûrs de leurs métiers et des voyageurs sûrs de leur train (et de son bar). Il n’y aurait pas dans notre monde de hasard absolu, mais un constant et inégal mélange de hasard, de causalité et de finalité, qui suffirait à rendre nos vies très incertaines, du moins en termes d’exactitude.  Nous aurions pris rendez-vous à la gare entre telle heure et telle autre, dans l’hypothèse où je ne renoncerais pas, au vu des circonstances, à prendre un train seulement censé m’amener jusqu’à vous, ni vous à attendre mon arrivée éventuelle.

 

Machine et incertitude


Notamment depuis qu'on s’est aperçu qu'en physique des particules les instruments d'observation modifient les phénomènes observés, un certain doute s'est levé à propos de l'utilisation de toutes sortes de machines. Il se trouve que les particules - en très petit et en très grand, mais aussi dans les eaux moyennes de la vie - sont devenues « clairement » notre pain quotidien.     Pourtant, le doute qui s'est levé dépend très peu de nos connaissances. Pour une part importante, il découle au quotidien de l'utilisation (ou de la simple captation) massive de machines, en général, électroniques.     Tout se passe comme si - à force de vivre densément au milieu d'électrons et consorts, et d'être traversés par eux - nous devenions extrêmement sensibles à leur très étrange comportement.      Doit-on tellement s'étonner d'apprendre que les calculs mathématiques de grande dimension, effectués à l'ordinateur (ou à la simple calculatrice), dépendent dans une certaine mesure de la marque de la machine utilisée ?      Depuis longtemps, un doute s'est levé, concernant l'aptitude des connaissances humaines à aboutir à des résultats absolument exacts, et il semble bien que cela n'ait fait que s'accélérer ces derniers temps.     Les sciences, de leur côté, ne cessent de mettre au point des méthodes correctives qui leur permettent d'éliminer un maximum d'erreurs ou de déformations, et surtout d'affiner les approximations nécessaires, en enjambant, autant que faire se peut, les inexactitudes de détail impossibles à éliminer, et elles y arrivent fort bien, si on en croit maintes applications techniques.     Pourtant, la massse de la population ne bénéficie pas de telles ressources de rigueur et de ruse. Il lui reste tout juste son « intuition », mais c'est précisément elle que notamment les machines travaillent, et à travers elles la réalité particulaire.     S'il existe un paradoxe, c'est que des machines puissantes -  rendues concevables par les découvertes de scientifiques et mises au point par des techniciens, sur la base d'un affinement sans précédent d'approximations qui concernent une incertitude, semble-t-il, fondamentale -, ont tendance à déboucher, pour la masse des utilisateurs, sur une levée d'incertitude, concernant toute leur vie, qui semble les condamner à des approximations intuitives et souvent aveugles.      Il ne s'agit ni de dire que l'intuition courante est suffisante, ni de dire qu'elle n'a aucune valeur de vérité. Il ne s'agit pas non plus de se satisfaire de la répartition moyenne d'une telle intuition (de sa lucidité et de son aveuglement relatifs).     L'important, ce serait, me semble-t-il, de mieux comprendre comment tout le corps d’un homme, et pas seulement son esprit, est plus ou moins travaillé, à l'échelle de sa vie quotidienne, par une intensification de la réalité particulaire ou, du moins, une exacerbation de sa sensibilité à cette réalité.     On peut aller jusqu'à se demander si un certain type de comportement des particules (comme on dit en physique) n'en vient pas à influer sur le comportement des hommes, du moins sur la compréhension qu'ils peuvent avoir de celui-ci (mais cela ne tend-il pas à revenir presque au même ?).     Depuis qu'on parle de corps également à propos de la matière non-vivante, c'est la spécificité de tous les corps vivants qui est devenue quelque peu douteuse.      Il est léger de se contenter de l'idée que les machines sont au service des hommes. Certes, un ordinateur ne fait que ce pour quoi il a été programmé, mais la plupart des hommes n'ont pas accès à sa programmation.     Comme écriture de base (exactitude et incertitude inséparables), la programmation des ordinateurs, entre autres choses, est une affaire de spécialistes. La masse des utilisateurs naviguent seulement à l'intérieur d'une liberté bornée par une écriture qui leur échappe.     La transcendance de ce type d'écriture rend ces derniers dépendants d’un type d'exactitude et d'incertitude qui, la plupart du temps ignoré, est néanmoins supporté et largement vécu par eux, à travers diverses utilisations.     Ce n'est pas parce que les machines sont vécues par les utilisateurs sur le mode de la certitude (en partie réalistement, en partie imaginairement) que l'incertitude fondamentale du monde particulaire qui est au coeur de celles-ci, n'agit pas sur leur corps et leur esprit.     Quant à savoir comment au juste, c'est bien difficile à comprendre.      Du probabilisme quantique au probabilisme social, il se pourrait qu'il y ait des rapports plus intimes qu'en général on ne le pense.     Quand on apprend que des ordinateurs de deux marques différentes peuvent donner, d’un long calcul, des résultats qui différent, à quoi peut-on croire encore, en toute certitude ?     Mais on n’a pas besoin de cela pour s'apercevoir qu'on passe d'un monde où ce qui méritait le nom de certitude concernait la chose en tant que telle, à un monde où toute certitude (approximative) concernant les choses dépend dorénavant du point de vue des hommes (et de la nature des instruments) qui ont à l'établir.      Toute forme de connaissance est, de façon plus communément accentuée qu'avant, fonction de la situation des hommes qui l'établissent.
Et ce n'est pas parce que des machines les aident de plus en plus à l'établir, au point de paraître plus d'une fois presque se substituer à eux, qu'elles ne sont pas elles-mêmes en situation, c'est-à-dire contraintes de rendre les connaissances qu'elles permettent d'acquérir, relatives à leur degré d'avancement technologique, voire à leur marque, vraisemblablement aussi à leur emplacement particulier dans l'espace, et plus profondément au type de réalité incertaine dont leur fonctionnement procède.
    Tout se passe comme si l'accès, devenu problématique, à toutes sortes d'objets de recherche supposait impérativement de prendre en compte la situation complexe du sujet (mélange d'hommes et de machines) qui cherche à les connaître. Et cela va bien au-delà de la notion traditionnelle de subjectivité : il s'agit d'une situation « subjective » qui, correctement mise au point (c'est--dire elle-même connue et agie), devient une condition sine qua non de toute forme de connaissance « objective ».     Il ressort de là, à la fois, la notion d'une situation d'observation ou d'expérience, mais aussi de calcul et de théorisation hypothétique, qu'on peut dire subjective, seulement au sens où elle tend au plus haut degré d'objectivité possible ; et, complémentairement, la notion d’un type de connaissance qu'on peut dire objective, seulement au sens d'une approximation, poussée le plus loin possible (ou autant qu'il est utile), de la réalité des objets à connaître.     On peut le dire ainsi : l'opposition entre subjectivité et objectivité n'a plus grand sens (et cela, plus ou moins, partout). L'une ne peut plus prendre sens que par l'autre, au bout de tout un effort mental.      Et ce qui est vrai des sciences les plus « dures » l'est, notamment via les nouvelles technologies, de la vie de tous les hommes (du moins, de ceux qui vivent dans des sociétés développées, notamment en ce qu'elles les enveloppent densément dans leurs rets financiers et numériques).     Approximations, probabilités, incertitude avérée, certitude relative, etc., deviennent le pain quotidien, et non gratuit, de la plupart des gens qui sont suffisamment sensibles à ce qu'ils vivent. S'il y a encore des adeptes de la certitude absolue (des dogmatiques), c'est au prix d'une schizophrénie qui se paie de plus en plus cher, ou alors ce sont autant d'idéologues déguisés en savants.      La plupart des hommes sont obligés de reconnaître que leur vie devient incertaine. Mais, alors que cela découle de toute une culture de l'incertitude économique à l'échelle du monde, cela est en même temps inscrit dans l'air du temps par les sciences et les technologies.      Les manières d'« écrire » (économiques, sociologiques et psychologiques, scientifiques et technologiques) qui influent principalement sur la vie des hommes, vont largement de pair : elles se constituent et se renforcent les unes les autres.     En effet, même devenues étranges, des formes d'écriture (ou de dessin et de peinture), très souvent numériques, - modèles, lois, modes de calcul, de raisonnement, de programmation, de fonctionnement, etc. - conditionnent amplement, quoique de façon souvent implicite, la vie la plus spontanée des hommes. En un sens, on en est toujours au respect obligé des Ecritures.     Mais on aurait tort d'en conclure que toutes ces formes d'écriture n'existent que pour défendre les mêmes intérêts particuliers. La réalité est beaucoup plus complexe : elles sont certes des instruments appelés par une dynamique particulière de l'histoire, mais, en même temps, elles ne s'y réduisent pas. D'où leur utilisation possible, quoique ardue, pour tenter le passage vers une dynamique différente.      Avec nos superbes machines et sans elles, nous vivons une espèce de probabilisation tous azimuts de la vie. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas plus être absolument certains d'une option politique que de l'avenir de notre couple.     Et beaucoup de choses que nous attribuons facilement à un surcroît de liberté qui nous serait accordée et que nous nous accorderions, relèvent en vérité (approchée) de ce que, fondamentalement, nous subissons un tel état de fait : plus précisément un état de brouillage de la notion de fait (et de loi) absolument objectif. Notre liberté reste donc bien plus à gagner, à certaines conditions, qu'elle n'est simplement constatable.      Un tel état trouble de fait peut conduire à s'abandonner à une sorte de scepticisme mou qui renonce à toute forme d'engagement et s'en remet à une vie au jour le jour. C'est une version, sans aucune ossature, de la flexibilité à laquelle forcent et invitent les intérêts étriqués du système. Ce comble de l'aliénation pourra être vécu comme une « pure » liberté.     Mais un tel état peut conduire aussi à redoubler d'efforts pour chercher, collectivement et individuellement, une nouvelle façon de s'orienter et de tenter de transformer les choses en profondeur, qui évite, à la fois, l'écueil de l'arbitraire objectiviste (« c'est ainsi et pas autrement »), lequel rend l'action dangereuse, et celui de l'arbitraire subjectiviste (« ce peut être ainsi ou, indifféremment, autrement ») qui rend l'action absurde.     Ce n'est pas parce qu'on est tenu à des approximations qu'on doit renoncer à la plus grande exactitude possible et ce n’est pas parce qu'on a affaire à des probabilités qu'on doit renoncer à agir, avec toute la prudence requise.
Détermination et prudence peuvent devenir fonction l'une de l'autre, sans que l'une ait à être sacrifiée à l'autre. De même, imagination et rationalité.
    Mais cela demande beaucoup plus d'efforts, de la part de chacun, qu'à l'époque des vérités ontologiques (quand on pensait qu'elles concernaient absolument l'être lui-même).     Or le meilleur des sciences peut nous aider en cela, comme exemple d'un effort multiple que la probabilisation du monde, du moins de la vision qu'on en a aujourd’hui, ne décourage jamais : d'un effort capable de retourner les limites découvertes de la connaissance en nouveaux outils pour connaître le monde, d'une façon approchée mais suffisante pour le transformer.      Et on aurait grand tort de laisser ces outils jouer seulement au bénéfice des responsables actuels du monde (et de leur soi-disant hypermodernisme) : ceux-là mêmes qui, sauf (improbables) exceptions, le dirigent sans jamais en répondre sérieusement (se donnant eux-mêmes, par ce comportement, comme les simples instruments, quoique d'apparence parfois sophistiquée, du devenir opaque d'un certain système).        

 

Si l'on ose dire      


En littérature et au-delà, se pose la question d'une écriture de l'incertitude qui soit couplée à une incertitude de l'écriture. L'une fait et a besoin de l'autre.     S'il y a trop d'incertitude dans l'écriture, elle ne vaut rien, car elle doit être suffisamment appropriée et précise. Mais, si en elle on trouve trop de certitude, elle ne vaut rien non plus, car une écriture qui ne doute pas de son fondement et de son objet, d'elle-même comme du monde, peut asséner seulement des vérités trop pleines.     Il faudrait donc naviguer entre vérité trop vide et vérité trop pleine, sans jamais être très sûr de ne pas faillir d'un côté ou de l'autre.      Les particules virtuelles du vide quantique (lequel est peut-être une fiction) ont ceci de bon qu'elles semblent exister essentiellement pour affirmer celui-ci. A l'inverse, ce vide ne se conçoit pas sans de telles particules qui apparaissent et disparaissent.     N'est-ce pas là comme un modèle idéal pour des rapports subtils entre un fond inépuisable et une écriture qui ne s'imagine pas graver, s'enfonce à peine et affleure à peine à la surface de son « support », consciente (ou plutôt subconsciente) qu'elle est, à la fois, d'une immense exigence et de devoir être reprise sans fin, d'être effacée aussi pour que la tâche soit différemment recommencée par d'autres ?       Où l'on retrouve Mallarmé, l'inventeur en quelque sorte des dés littéraires, et ses grands espaces blancs, même s'ils sont dans ce modèle plutôt noirs : son idéal de subtilité, de plume légère au tracé à la fois continu et raréfié à l'état de points épars, son idéal de certitude de l'incertitude et d'incertitude de la certitude.      Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Par contre, il se pourrait qu'un hasard monstrueux épuise à tout jamais la série des coups de dés possibles, du moins pour les joueurs humains.     Car pour ce qui est du vide, on peut lui faire confiance. Il n'est pas près de cesser de cracher des ombres de dés fugaces, de soi-même (si l'on ose dire) à soi-même, sans qu'on ait à en escompter aucun autre résultat que l'apparition par hasard d'une particule, vaguement plus durable que les autres, qui mérite (si l'on ose dire) d'être qualifiée de matérielle.
 

Gérard Lépinois, mars 2009

 

D’un sentiment général d’impuissance
à la confiance en soi
et à un climat de confiance


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Notre école où l’on s’ennuie, où l’on bavarde, cette école incapable de mettre en mouvement, pour leur développement, les jeunes qu’elle accueille, de mettre en branle leurs pouvoirs et leur volonté est à l’image de notre société où l’on s’ennuie, où on travaille de moins en moins, où on joue de plus en plus, où l’on est retraité de plus en plus longtemps, où on ne prend que des risques imbéciles, où l’on a perdu le sens du projet, l’esprit d’initiative. Cela vaut pour les individus, les entreprises, les banques, les pouvoirs (de la commune à l’État). Une société qui sacrifie l’économie physique, la recherche, la culture, la santé, l’école, qui est sans avenir, sans projet, a l’école qu’elle mérite : une école sans mission, sans passion.
Le sentiment dominant de cette époque, de cette société, c’est l’impuissance. Je vois trois discours contribuant à diffuser ce sentiment :
– le discours écologiste, généralement anti-scientifique, anti-technologique, hostile au progrès, nous menaçant d’épuisement des ressources, d’effet de serre, de trou dans la couche d’ozone, de fonte des glaces polaires, préférant la nature à l’homme, l’animal à l’homme, véritable lobby à l’échelle mondiale, représenté par le WWF, Greenpeace, lobby anti-nucléaire, concepteur de projets comme Natura 2000 et de notions comme le « développement durable »
– effet de ce type de discours : je demandais un jour à une metteure en scène, soucieuse de sortir les spectateurs de leur position de consommateur culturel, si elle voulait pour les Africains ce qu’elle avait en France : de l’eau potable, de l’électricité d’origine nucléaire, des médicaments ; eh bien, cette jeune femme qui a fait l’Institut d’Études Politiques de Paris m’a répondu qu’elle ne savait pas ce qu’il fallait pour les Africains, qu’elle se méfiait des pensées fortes (à prétention universelle comme le progrès scientifique et technique) et préférait les pensées faibles (je n’ai pas de solutions pour eux)
– le discours démographique nous menaçant de surpopulation, d’abaissement du niveau de vie, de fossé entre le Nord, riche, et le Sud, pauvre, de flux migratoires, d’invasion par les immigrés et les épidémies
– effet de ce type de discours : la peur et ses « remèdes », racisme, nationalisme, populisme
– le discours économique, celui du libéralisme à prétention mondialiste avec ses serviteurs zélés : technocrates du FMI, de la BM, technocrates des banques centrales et de tout le système bancaire
– effet de ce type de discours : il n’y a pas de volontarisme politique possible dans le monde du marché ; le monde du marché, c’est le monde de la libre concurrence et tout obstacle à la libre concurrence doit être levé ; c’est ce qu’on appelle « déréglementer », « déréguler » ; si tu sais entendre ce que les mots disent, tu entendras « déréguler » c’est-à-dire absence de règles, c’est-à-dire loi de la jungle, loi du plus fort ; un tel monde, le monde de la libre entreprise, de la libre finance, du libre marché, c’est un monde sans foi ni loi où l’homme est un loup pour l’homme.
Ce sentiment négatif révèle malgré tout une certaine conscience : on sent que ça ne va pas, qu’on est mal barré, on ne sait pas quoi faire pour redresser la barre. Alors, on se laisse aller, on laisse aller les choses.
Sur ce sentiment d’impuissance, fleurit l’irresponsabilité. Après moi, le déluge ou la canicule. Je roule en voiture climatisée. Je travaille dans des bureaux climatisés. Je vis dans un appartement ou une maison climatisée. Puisque je ne peux agir sur le monde (proche ou lointain), je vis à ma façon sans me soucier des autres et des conséquences. Je trafique ma mob ou mon scoot. Je pousse à fond ma moto, ma sono, ma radio. Je jette mon mégot. Je passe au rouge. Je ne marque pas le stop. Je tronçonne à 6 h du matin. Je piscine à minuit. Bref, l’irresponsabilité (l’irrespect des règles de civilité et des règlements) est considérée comme expression de notre liberté. Être libre, c’est faire n’importe quoi, en se moquant de la loi. Ces comportements s’observent du jeune âge au grand âge. Il n’y a plus de sage.
Le monde dans lequel nous vivons est complexe. Et cela décourage le grand nombre. Chercher à le comprendre pour pouvoir y agir est difficile. Et cela décourage le grand nombre. Malgré la surinformation, la médiatisation, l’essentiel reste caché. Sauf exception, on ne sait rien de ce qui se dit et se décide à la Maison blanche, à l’Élysée, chez Loockeed, Coca-Cola, United Fruit, Microsoft, Sony, au FMI, à la BCE… Les discours des présidents, les bilans et perspectives des banques et des multinationales ne sont que des habillages plus ou moins habiles pour obtenir l’adhésion au mieux, l’indifférence au moins des gogos que nous sommes et considérés comme tels. On ne comprend ce qui s’est passé, qu’après, quand on voit les conséquences des décisions prises, quand les archives sont rendues publiques. Et l’on découvre la manipulation des opinions, que l’on soit en régime de dictature ou de démocratie. Paradoxalement, la manipulation révèle de la part des décideurs leur appréhension de l’opinion et donc le pouvoir de l’opinion, notre pouvoir. Chacun peut prendre la parole, la plume, envoyer des mails, des courriels. Une intervention individuelle n’est pas nécessairement inefficace. Les interventions collectives ne sont pas nécessairement efficaces. S’organiser pour être efficace, s’organiser en syndicats, en partis, en collectifs, en coordinations, en associations, en ONG, demande beaucoup de vigilance car là aussi la manipulation est fréquente. Dès qu’il s’agit de pouvoir, de lutte pour le pouvoir, il y a risque et « chance » de manipulation. Pouvoir et contre-pouvoir, pour être manipulateurs, pratiquent le double langage. Le pouvoir a un langage secret, caché pour les siens, sa caste, et un langage public pour l’opinion, langage souvent simpliste, à coups de petites phrases, de slogans vides. Un contre-pouvoir a un langage codé pour ses militants et un langage public pour l’opinion, souvent simpliste, à base de slogans vides. Le double langage permet de faire le contraire de ce que l’on dit, de ne pas tenir ses promesses… Ces pratiques de manipulation, de double langage, contribuent à discréditer la politique, les politiques. Les gens mettent tous les politiques dans le même sac : tous pourris, et se détournent de la politique, s’abstiennent ou votent extrêmes c’est-à-dire irresponsables même si certaines analyses des extrêmes sont à entendre parce que révélatrices de ce qui se pense dans les têtes d’en bas. Bref, le discrédit de la politique affaiblit le politique, renforce le libéralisme sauvage, et contribue au sentiment d’impuissance, à la rage engendrée par l’impuissance d’où ces montées de violence qui font peur, le sentiment d’insécurité.
Attitudes et décisions irresponsables de chacun participent à augmenter le sentiment général d’impuissance. Attitudes et décisions responsables peuvent contribuer à reconstruire ou à construire chez chacun, la confiance en soi et à créer, recréer un climat de confiance. Mieux vaut respirer du bon air que de l’air pollué, mieux vaut vivre dans un climat de confiance que de méfiance, de violence.
Donc, d’un côté, l’action sur le monde par la conquête d’un plus ou moins grand pouvoir manipulateur (un contre-pouvoir n’est pas moins manipulateur qu’un pouvoir), de l’autre, l’action – le travail sur soi et en vérité. Entre le tout-action-sur-le-monde et le tout-travail-sur-soi, il y a place pour une infinité de comportements, de un peu d’action sur le monde et beaucoup de travail sur soi à beaucoup d’action sur le monde et un peu de travail sur soi. Bien sûr, je m’adresse ici à ceux qui veulent se bouger-un peu-beaucoup et auxquels je veux donner confiance, montrer qu’ils peuvent entreprendre, passer de l’irresponsabilité à la grande responsabilité. J’espère au passage convaincre quelques adeptes du ni-ni, ni action sur le monde, ni travail sur soi, de renoncer à l’état de feuille, de légume, de larve, de mollusque, de veau pour s’essayer à devenir homme, c’est-à-dire acteur, créateur, penseur, inventeur, découvreur.
Je partirai d’un constat. Le monde, jeunes et adultes et vieux, est sous influence. Sous l’influence d’une culture de la mort, made in USA and Japan. L’american way of life, en réalité of death, est le mode de vie dominant, tendant à s’universaliser, à uniformiser la planète. Nous sommes engagés entre autres dans une guerre culturelle, idéologique sans que nous ayons conscience de cet état de guerre. Parler de l’exception culturelle française, c’est déjà reconnaître que la culture dominante est anglo-américano-nippone. Et vouloir la reconnaissance de cette exception, c’est déjà être dans une position de faiblesse. Parler de résistance à la mondialisation, c’est encore être dans une position de faiblesse. Les idéologues américains qui fournissent au pouvoir américain les outils intellectuels de sa domination ont produit le concept et les scénarii du choc des civilisations. Soucieux de leur hégémonie et de leur durée, les USA (pouvoir politique et puissances économiques) sont offensifs. Nous, nous sommes sur la défensive. Nous parlons d’un monde multipolaire, de dialogue des cultures, mais nous sommes quasi-inactifs. La soi-disant exception culturelle française a pourtant produit les droits de l’homme et la devise de la République. Voilà une déclaration qui a aujourd’hui une valeur universelle, qui est une référence universelle pouvant d’ailleurs être améliorée, enrichie. La France et l’Europe – mais encore faudrait-il une Europe politique et non l’Europe technocratique – ont tous les atouts pour être offensifs. Nous sommes par exemple le premier pays touristique du monde. Ce qui attire le monde, ce sont nos villes : Paris, Carcassonne, nos monuments ou réalisations : Notre-Dame de Paris, la Tour Eiffel, nos musées, nos festivals : Cannes, Avignon, Aix, Deauville, notre cuisine, nos vins, nos fromages, notre haute couture, nos parfums, nos lieux branchés : le Lido, le Moulin Rouge, Saint-Trop, notre façon de vivre, notre hospitalité envers les damnés de la terre, les exilés politiques, nos valeurs et la défense de ces valeurs universelles : la justice, la liberté, la paix, l’égalité, la fraternité. Comme le tourisme est devenu une industrie et un commerce, cela a eu des conséquences : le bétonnage des bords de mer, une certaine désertification des campagnes, une appropriation par Anglais, Allemands, Belges, Néerlandais de quantité de nos fermes, mas, terroirs car pour eux, il fait bon vivre en France. Le tourisme, tout en restant une industrie et un commerce, devrait devenir le souci du plus grand nombre. Accueillir, inviter chez soi des jeunes, des étudiants, Américains, Australiens, Anglais, Japonais, voilà une manière intelligente de mener la guerre culturelle pour faire valoir le dialogue des cultures et renforcer le poids de la France. Les jumelages de villes souvent vides de contenu devraient être pris au sérieux : se jumeler avec une ville américaine, avec une Japonaise, avec une Russe, avec une Indienne, avec une Chinoise, quel programme ! Pour que la France s’exporte, pour qu’elle retrouve sa grandeur, son influence, qu’elle soit accueillante ! Et que cette politique d’accueil ne soit pas le fait seulement des agences de voyages, mais qu’elle soit orchestrée par le pouvoir (de l’État aux communes).
Par cet exemple, généralisable à bien des domaines, on devine que le sentiment d’impuissance n’a pas de bases objectives, que c’est dans les têtes que cela se passe, en particulier dans les têtes des élites qui, au lieu de penser, de proposer, d’œuvrer dans une certaine idée de la France, ne pensent qu’à la reconduction de leurs privilèges et pour cela collent aux préoccupations immédiates des Français. Aujourd’hui on ne fait plus de la politique, on fait de la compassion. Les Américains ne s’y trompent pas qui voient dans les Européens, des Munichois, c’est-à-dire des capitulards. La soumission de nos élites à l’idéologie libérale, à l’ami américain, véhiculée par nos grandes écoles, l’ENA en particulier, est en grande partie responsable de l’immobilisme de la société, du sentiment d’impuissance qui y règne. Des élites encamisolées, c’est la paralysie d’un pays. Nos élites, polluées par l’idéologie de ceux qui nous font la guerre, contribuent à faire de nous le petit pays que leurs mentors souhaitent soumettre. L’idéologie libérale récuse les notions d’intérêt général, de bien commun, de res publica, de vouloir-vivre ensemble. Elle génère à l’opposé le chacun pour soi, un darwinisme social qui veut que l’homme soit un loup pour l’homme, que les riches soient toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres, les forts plus forts et les faibles plus faibles, nouveau système de castes où la caste dominante n’a qu’un objectif : obtenir par tous les moyens la rente financière assurant ses beaux jours. Prédateurs féroces, ces rentiers, ces financiers s’en prennent à tout ce qui produit de la richesse, à tout ce qui peut engendrer de la richesse. Nos élites ont dans leur bon usage de cette idéologie, rentabilisé leur diplôme : c’est le diplôme-rente à vie. Sortir de Polytechnique avec tel rang à 22-23 ans, voilà ce qu’on monnaie toute sa vie. Les salaires exorbitants de nos chefs d’entreprise révèlent bien que ce qui les anime est de se mettre à l’abri du besoin pour plusieurs siècles. Leur cynisme ne peut que faire tâche d’huile. Combien de gens d’en bas qui, rêvant de s’en sortir, rêvent de s’en sortir en gagnant le plus vite possible, par tous les moyens, le plus de fric possible. En haut, les grands hold-up, les OPA d’initiés, meurtrières pour l’emploi. En bas, les petits trafics, les petits braquages. Au milieu, les otages, branchés sur leur télé, profiteurs quand ils le peuvent, joueurs espérant gagner le gros lot et toujours perdants.
Alors, en quoi consiste cette confiance en soi, praticable même en temps d’impuissance généralisée ? D’abord en nos capacités à chacun. Capacité à réfléchir, à se servir de son esprit critique, à penser. Capacité à imaginer, à se faire des films qu’aucun cinéaste d’Hollywood ne réalisera. Capacité à concevoir et réaliser des projets. Capacité à construire ses convictions et ses valeurs et à les questionner pour les valider ou les invalider et à les mettre en pratique. Capacité à chercher la vérité pour vivre en vérité.
Ensuite confiance dans les capacités des autres. Il s’agit donc pour toi d’évaluer ce que vaut l’autre au moment où tu le rencontres et de mettre en œuvre ton auctoritas d’auctor. L’étymologie nous le dit. L’auctor est celui qui augmente la confiance, celui qui pousse à agir, qui fait avancer, qui promeut. L’autorité engage à agir, à s’autoriser, à devenir auteur. Ton autorité, bien comprise, c’est-à-dire qui ouvre des voies, des passages praticables – et pas des impasses – autorise l’autre à s’autoriser, à devenir auteur. Évidemment pour autoriser l’autre, il faut aussi que tu t’autorises c’est-à-dire que tu te libères de tes a priori, de tes préjugés, de tes préventions, de tes soumissions. Avant d’apprendre, il faut désapprendre. Pour apprendre à être, il faut désapprendre à paraître. Désapprendre à avoir.
Enfin confiance dans ta culture. Confiance dans la langue française. Confiance dans la littérature française, dans la philosophie française, dans le théâtre, le cinéma, la chanson française, dans la peinture, la sculpture, la musique française… Et au-delà, confiance dans la culture européenne dont le patrimoine est considérable, vieux de 2 500 ans, quand celui des USA a 200 ans à peine. Prenons l’exemple du théâtre. Le théâtre européen depuis la Grèce antique, depuis Eschyle jusqu’à Koltès, Lagarce, Gabily, c’est au moins cent auteurs majeurs, mille chefs-d’œuvre universels. Ce n’est donc pas une exception culturelle. Or que constate-t-on ? Sur mille chefs-d’œuvre, trente sont régulièrement mis en scène de dix auteurs majeurs. Nous-mêmes, Français, Européens, n’avons pas droit à notre répertoire, pourtant universel donc vecteur essentiel pour reprendre l’offensive dans la guerre culturelle qui nous est faite, guerre du même genre que celle menée par les USA via la CIA pendant les 40 ans de guerre froide avec l’URSS1. Ce qui a valu hier vaut aujourd’hui. N’attendons rien de bien de l’ami américain qui craint par-dessus tout que l’Europe devienne une Europe politique et qui fait tout, avec le concours des Anglais, pour qu’elle ne soit qu’un marché de libre-échange.
En reprenant confiance en soi, en redonnant confiance à d’autres, en s’immergeant avec confiance dans notre culture pour mettre en valeur notre patrimoine ou pour l’enrichir de notre propre apport, nous nous sentirons mieux dans nos têtes, nous n’aurons pas à déléguer notre fierté à nos sportifs quand ils gagnent, à nos stars quand elles s’exportent, parce que nous serons fiers de nous, de nos initiatives, de nos projets, de nos réalisations, de notre manière d’être et de vivre (dans la vérité, le dialogue et le partage et non dans la frime, la compétition et le chacun pour soi). Le présent nous paraîtra engageant et l’avenir bien engagé. Du No Future au goût du présent et de l’avenir. D’une culture de la mort à une culture de la vie. D’une culture de la médiocrité à une culture de l’excellence. Du laxisme à l’exigence. De la démagogie à l’autorité (au sens étymologique). Telles sont les voies que nous souhaitons te proposer parce que nous t’aimons – tous les jeunes au-delà de nos propres enfants – et que nous te faisons confiance.

 

Jean-Claude Grosse
Pour une école du gai savoir
Les Cahiers de l'Égaré, 2004

 
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Bicentenaire de la mort de Napoléon, 5 mai 1821

5 Mai 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #agora, #note de lecture, #J.C.G., #FINS DE PARTIES

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La Grande Librairie du mercredi 24 mars 2021 fut consacrée au bicentenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai 1821, à Sainte-Hélène. 

Je retiens essentiellement de cette soirée, l'idée de démocratisation de la gloire selon Pascale Fautrier, d'économie de la gloire selon Thierry Lentz.  L'éthique de la gloire remonte à l'antiquité. La recherche de la gloire c'est une tentative de gagner l'immortalité par la gloire éternelle, liée à la gloire donnée par les armes ou par l'oeuvre dépassant son auteur. Marcel Conche, admirateur de Napoléon avec cet étonnement devant la dévotion, le dévouement jusqu'à la mort des grognards pour leur Empereur, décrit très bien cette éthique dans ses essais sur Homère (L'Iliade). La démocratisation de la gloire c'est ce que rendit possible Bonaparte puis Napoléon s'entourant de jeunes généraux. Des destins glorieux, dans l'ombre de celui qui achevait (aux deux sens du verbe) la Révolution française, devenaient possibles. Poète de l'action a dit Chateaubriand dont Marc Fumaroli a préfacé les 400 pages enflammés de Chateaubriand sur Napoléon. 

François René de Chateaubriand, puissant écrivain par qui le romantisme est né, fut aussi un diplomate impliqué dans les grands événements de son époque. Adversaire de Napoléon Bonaparte, il fut pourtant fasciné par la grandeur du personnage et lui consacra des pages d'anthologie dans ses célèbres Mémoires d'outre-tombe. 
Sans complaisance ni bassesse, François René de Chateaubriand, dresse le portrait d'un génie politique dont la chute, plus que la rapide ascension, souligna la gloire. 

Chateaubriand à jamais

Comment juger un grand livre au moment de sa parution ? Personne ne l'attend, il vient de loin, des années de travail et de fermentation. Il prend l'actualité à contre-pied, ouvre à nouveau l'Histoire, dénoue des questions figées. 

 Il bouscule les académismes et les pseudo-modernités, il respire à l'air libre. Tel est le monument pluriel que Marc Fumaroli vient de dresser à la gloire de Chateaubriand.

Vous ne vous attendiez pas à la résurrection de cet enchanteur-emmerdeur sur la tombe duquel, à en croire Simone de Beauvoir, le jeune Sartre est allé un jour pisser pour fonder son empire ? Vous trouvez Chateaubriand dépassé, réactionnaire, démoralisant, fâcheusement musical ? Je sais, le livre de Marc Fumaroli fait 800 pages, et il faut le lire. Vous n'avez pas le temps, le passé vous rebute, vous vivez au jour le jour en vous défiant des morts ? Tant pis, c'est comme ça, il y a un feu d'enfer dans la bibliothèque profonde. On murmure, ces temps-ci, que la France tombe. Qu'elle lise ou relise donc, pour voir, les Mémoires d'outre-tombe.

Plusieurs livres en un seul, voilà une générosité folle, raison pour laquelle Fumaroli, dans une société de mesquinerie généralisée, doit s'attendre à une réception superficielle, ignorante, pincée, polie, chichiteuse. Que vient faire cette tête de Méduse parmi nous ? Pourquoi rapprocher la question de la Poésie de celle de la Terreur, comme s'il s'agissait d'une même substance physiologique ? Quoi, encore les questions qui fâchent ? La Révolution, Napoléon, la République, le génie du christianisme, la guerre civile interminable, la réconciliation impossible ? Ne vaut-il pas mieux survivre et dormir ?

Mais voilà, et Fumaroli le montre vague après vague, Chateaubriand est le carrefour crucial de l'histoire de France, comme de celle de l'Europe et du monde. Marx était contournable, Rome et la démocratie sont toujours là, quoi qu'en pensent les éradicateurs de tous bords. L'Histoire est loin d'être finie, elle tourne, se retourne, se métamorphose, "sa transformation enveloppe la transformation universelle". Chateaubriand : l'homme des mutations à travers une fidélité stricte. Il a connu la pauvreté, l'exil, les grands voyages, il a découvert pour nous une autre dimension du Temps. C'est un écrivain ? Mais oui, et l'un des plus grands par sa volonté de rassemblement du passé et son influence sur l'avenir.

En amont : Homère, Virgile, Dante, Le Tasse, Shakespeare, Milton, Rousseau, Byron. En aval : son neveu Tocqueville, Balzac, Hugo, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Proust, Céline. A la recherche du temps perdu ? Couleur Chateaubriand. Une saison en enfer? Impossible sans Chateaubriand . "Je suis réellement d'outre-tombe", dit Rimbaud, qui a lu tout ce qu'il fallait lire. De sorte qu'on a envie, pour Chateaubriand, de reprendre ce qu'il note lui-même à propos de Bossuet : "Il change de temps et de place à son gré ; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. (...) Il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les débris du genre humain." Ecriture profane, écriture sacrée : les Mémoires, pour la première fois en français, réalisent cet alliage et cette transmutation improbable.

La solitude, l'étrangeté à soi et aux événements, la révélation de la terreur sous forme de têtes tranchées, le long duel symbolique avec Bonaparte, la politique nationale et internationale, l'échec de la Restauration libérale, les passions féminines, la foi, l'écriture par-delà le temps et la mort, le retrait inspiré... Qui dit mieux, plus contradictoire, plus ample ?

Chateaubriand n'est pas un opportuniste d'Ancien Régime, ni un contre-révolutionnaire passéiste. Ce n'est pas non plus "un grand paon", comme l'a dit, un peu bêtement, Julien Gracq. Il n'a rien à voir avec Talleyrand, qui aura passé sa vie à "changer de maître comme on change de domestique". Talleyrand et Fouché entrant chez Louis XVIII pour reprendre du service, telle est la "vision infernale" : "Tout à coup, une porte s'ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le crime." Quelle phrase, quelle scansion. Chateaubriand vient de Rousseau, bien sûr, mais rien à faire : il reste catholique, pécheur et papiste.

Fumaroli, dans un chapitre ébouriffant, le montre poursuivant sans cesse une "sylphide" dont les prénoms seront, tour à tour, Pauline, Delphine, Natalie, Claire, Hortense (sans oublier Charlotte, en Angleterre, qu'il n'épousera pas puisqu'il est déjà marié). Et Juliette, enfin (Récamier), muse et protectrice de ses vieux jours. Son enfance bretonne à château le nourrit sans cesse, et comment ne pas savoir immédiatement que c'est lui en lisant par exemple ce coup d'archet : "Les jours d'orage, en été, je montais au haut de la grosse tour de l'ouest" ? C'est un corps sensible, un royaume (sur terre, dans le ciel). Le royaume n'est pas le roi ni l'idée monarchique : il s'agit plutôt, dit Fumaroli, d'une "poésie tacite" que la violence sanglante ou corruptrice fait surgir comme une vision. Cette vision persiste à travers les bruits, les fureurs et les fastes de l'Empire (Napoléon, "empereur des parvenus", n'en est pas moins l'esprit du monde aperçu par Hegel à Iéna, d'où ce jugement de Chateaubriand : "Après Napoléon, néant").

Portraits, descriptions (l'incroyable récit de la retraite de Russie), retours en arrière, déploiement de l'Histoire : vous ouvrez les Mémoires, vous n'en sortez plus. Fumaroli a raison de parler de "voyance polyédrique", de "cubisme", de"réel à plusieurs faces, à perspectives multiples, à temps superposés". C'est une voix qui chante et semble venir d'une région inconnue : le papier, l'encre, la lenteur, le vent, l'orage, l'Amérique, Jérusalem, les salons, les ministères, Londres, Rome, Venise, la Trappe (La Vie de Rancé).

Chateaubriand ou la noblesse de l'histoire : "La rapidité des fortunes, la vulgarité des mœurs, la promptitude de l'élévation et de l'abaissement des personnages modernes, ôtera, je le crains, à notre temps, une partie de la noblesse de l'histoire." Sans commentaire. Celui-ci, pourtant, à propos des Français, "dogmatiquement amoureux du niveau" : "Ils n'aiment pas la liberté, l'égalité seule est leur idole. Or l'égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes."

Faut-il rouvrir un instant le musée des horreurs du XXe siècle pour prouver la justesse d'une telle appréciation ? L'affaire est jugée mais elle peut continuer sous d'autres formes, il suffira de savoir écouter. Chateaubriand est un fanatique de la liberté, là est la surprise. La conséquence logique est la solitude, mais aussi la victoire posthume. Pas de précipitation, des milliers de pages entassées près de son lit de mort dans des caisses de bois. Rejeté par le parti de l'ordre ("J'aimais trop la liberté") comme par celui issu du jacobinisme ("Je détestais trop le crime"), il ne reste à Chateaubriand, la plume à la main qu'il confond avec le crucifix, que des "semences d'éternité". La France, après la Terreur et l'Empire, était devenue un immense commissariat (Fouché, "cerveau de la première police politique secrète"). Bonaparte, en Egypte, feignait, contre Rome, d'être musulman, d'où cette notation qui prend de nos jours une portée savoureuse : "Comme Mahomet avec le glaive et le Coran, nous allions l'épée dans une main, les droits de l'homme dans l'autre." Rien de très nouveau sous le soleil, donc. Si, pourtant : on peut imaginer une Terreur par anesthésie générale et ablation chirurgicale de la poésie. Opération en cours. Conclusion : "Il est pour les hommes des vérités cachées dans la profondeur du temps ; elles ne se manifestent qu'à l'aide des siècles, comme il y a des étoiles si éloignées de la Terre que leur lumière n'est pas encore parvenue jusqu'à nous."

Philippe Sollers

La veille, j'avais vu le remarquable mais très noir documentaire sur Les Damnés de la Commune (18 mars 1871-28 mai 1871). 

Bonaparte fut témoin de la journée du 10 août 1792 à Paris. Il en ressentit une profonde aversion pour la populace en colère, pour la canaille, la racaille. Ce mépris, cette haine des émeutiers, des révolutionnaires, du peuple en armes sont caractéristiques de la bourgeoisie. Les termes employés interdisent la reconnaissance de cet autre, de cet étranger, de cette étrangeté.

10 août 1792 : Chute de la monarchie en France 

La journée du 10 août 1792 a été qualifiée par certains historiens de « Seconde Révolution ». En effet, cette date, peu connue, fait partie de celles qui ont marqué la Révolution française. Cette journée sanglante et historique marque, en fait, la chute de 1 000 ans de monarchie en France.

Le contexte

Suite à la rupture croissante entre le peuple et le roi de France Louis XVI, le pouvoir de ce dernier s’est fortement dégradé. En Juin 1791, le roi, accompagné de sa femme Marie-Antoinette et de leur famille immédiate tentèrent alors de faire une fuite, de rejoindre le bastion royaliste de Montmédy et de lancer une contre-révolution. Mais cette évasion manquée discrédite fortement de roi. Ce dernier, accompagné de sa femme et de leur famille sont alors assignés à résidence au Palais des Tuileries et surveillés par le peuple. Pourtant, afin de restaurer son autorité, le roi comptait sur l’aide des armées étrangères. Furieux envers la monarchie, le peuple parisien aspire à une république et se prépare à une nouvelle journée de révolution.

La prise des Tuileries

A Paris, dans la nuit du 9 au 10 août 1792, le tocsin commence à sonner aux clochers. Au matin, une foule de sans-culottes se rassemblent aux abords du siège du pouvoir exécutif, le palais des Tuileries. La défense de celui-ci avait déjà été préparée. Plus de 950 gardes suisses et près de 2 000 à 3 000 gardes nationaux étaient présents sur les lieux. Toutefois, ces derniers, accompagnés des canonniers, se sont vite ralliés du côté des insurgés. La foule des Parisiens insultent également le roi. Apeuré, celui-ci, suivi de sa famille, cherche alors refuge au sein de l’Assemblée.

Pendant ce temps, le palais est assailli. Les gardes suisses se mettent à tirer sur les insurgés. Le roi ordonne, mais tardivement, le retrait des gardes suisses. Aidés par les Bataillons des Fédérés de Brest et ceux de Marseille, les sans culottes et les gardes nationaux, qui se sont ralliés, gagnent finalement le combat.

Des pertes en vies humaines et la fin de la monarchie

Cette journée ensanglantée a fait plus de 650 morts au combat chez les gardes-suisses. 300 d’entre eux se sont faits prisonniers, dont 200 sont morts en prison des suites de leur blessure. Plus de 200 aristocrates et gens de maison ont également perdu la vie durant cette prise des Tuileries. Chez les insurgés, cette journée révolutionnaire a fait 200 à 400 morts.

La suspension du roi a alors été prononcée par l’Assemblée législative.

la journée du 10 août 1792 et le décret d'abolition de la monarchie
la journée du 10 août 1792 et le décret d'abolition de la monarchie
la journée du 10 août 1792 et le décret d'abolition de la monarchie
la journée du 10 août 1792 et le décret d'abolition de la monarchie

la journée du 10 août 1792 et le décret d'abolition de la monarchie

Chateaubriand et Stendhal sur Napoléon / l'éthique de la gloire à travers l'Iliade de Homère, analysée par Marcel Conche
Chateaubriand et Stendhal sur Napoléon / l'éthique de la gloire à travers l'Iliade de Homère, analysée par Marcel Conche
Chateaubriand et Stendhal sur Napoléon / l'éthique de la gloire à travers l'Iliade de Homère, analysée par Marcel Conche
Chateaubriand et Stendhal sur Napoléon / l'éthique de la gloire à travers l'Iliade de Homère, analysée par Marcel Conche

Chateaubriand et Stendhal sur Napoléon / l'éthique de la gloire à travers l'Iliade de Homère, analysée par Marcel Conche

L'onde de choc provoquée par la Révolution française puis par l'Empire a longtemps fait oublier que les guerres napoléoniennes qui s'ensuivirent eurent des répercussions mondiales, loin de l'épicentre européen. Dans cette synthèse magistrale, Alexander Mikaberidze met en lumière leurs incidences politiques, culturelles, diplomatiques et militaires à l'échelle planétaire. Partout, les grandes puissances rivalisèrent pour affirmer leur hégémonie, depuis l'Amérique jusqu'à l'Extrême-Orient. Par leurs effets, directs ou indirects, ces guerres furent l'agent de transformation le plus puissant que l'histoire ait connu depuis la Réforme. L'ordre international s'en trouva durablement modifié, la carte du monde redessinée. Richement documentée, précise, cette somme aussi passionnante qu'érudite est tout à la fois une oeuvre aboutie en même temps qu'une extraordinaire contribution à notre compréhension de cette époque. Austerlitz, Iéna, Wagram, Waterloo... Au-delà de ces noms légendaires, l'historien Alexander Mikaberidze invite à porter notre regard hors d'Europe. De l'Amérique à l'Extrême-Orient, les guerres napoléoniennes ont eu des répercussions politiques, culturelles et militaires sur tous les continents. Elles ont bouleversé l'histoire et redessiné la carte du monde. Une synthèse inédite et magistrale.

Auteur d'une quarantaine d'ouvrages consacrés au Consulat et à l'Empire, Thierry Lentz n'avait pourtant jamais publié de biographie de Napoléon. Ce Dictionnaire historique en fait désormais office : une façon ambitieuse, exhaustive et originale de traiter le " grand homme ", par un de ses meilleurs spécialistes. 
En 300 notices choisies librement mais sans négliger aucune facette de l'exercice biographique, l'auteur fait le point sur les connaissances et les recherches les plus récentes sur Napoléon, son œuvre, les événements de sa vie, ses réussites et ses échecs, la trace qu'il a laissée dans la France contemporaine. De sa naissance à sa mort, et même jusqu'au retour des Cendres de 1840 et à l'envol de la légende, tous les sujets sont abordés avec le talent et la clarté qui caractérisent l'auteur : formation, carrière, campagnes militaires, gouvernement, grands événements, conquêtes, batailles, amours, mais aussi conceptions politiques, sociales, diplomatiques. 
Ce grand dictionnaire, véritable encyclopédie de tout ce que l'on doit savoir sur Napoléon, séduira aussi bien les spécialistes que les amateurs qui découvriront une histoire renouvelée de la vie et de l'œuvre de l'empereur des Français. Un ouvrage de référence qui fera date. 

 

 

Les images les plus belles et les plus significatives jamais réunies sur l'Empereur.

Sur un texte clair et séduisant de Thierry Lentz, retraçant en chapitres thématiques les différents traits de la personne et de l'action de Napoléon, de sa naissance à sa mort, ont été réunies et mises en page de façon superbe une centaine d'illustrations, aussi bien les incontournables que d'autres plus rares. Une place particulière est réservée aux portraits permettant d'offrir en contrepoint du texte une biographie par l'image innovante et spectaculaire. Cette alliance réussie donne toute la mesure du destin le plus extraordinaire de notre histoire, et de celle de l'Europe. Cet ouvrage de prestige est, par sa qualité intellectuelle et artistique, sans équivalent.

Sur le confiné le plus célèbre du monde, une vue à couper le souffle.

L'épopée napoléonienne ne s'est pas terminée à Paris avec l'abdication du 22 juin 1815. Dans un tout autre cadre, un rocher au milieu de l'Atlantique-Sud, et dans un registre intime, celui du confinement de quelques Français dans une demeure humide, elle s'est poursuivie pendant six années, dont Las Cases, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, n'a donné qu'un aperçu biaisé sur les premiers mois. Ce ne fut pas une extinction lente et passive. Jusqu'à sa mort le 5 mai 1821, Napoléon mena un combat rude et solitaire contre la fatalité. Jamais, placé dans des circonstances exceptionnelles, il ne renonça à l'espérance et à la gloire, qui l'avaient animé toute sa vie. En dépit de la paranoia de ses geôliers et des petitesses de son entourage, il ne renonça à rien, et suscita aussi des complicités inattendues, au point que sa captivité aurait pu tourner autrement. L'empereur n'aimait pas les histoires écrites d'avance. Sans doute est-ce pour cela aussi qu'il continue de fasciner.
A partir de sources ignorées ou inédites, Pierre Branda traite des différents aspects matériels, politiques et moraux, de l'existence de l'illustre exilé et de ce qui s'y rattache. Tous les acteurs du drame, des compagnons les plus proches aux témoins les plus humbles, des gouvernants aux anonymes, prennent consistance et mouvement, à Sainte-Hélène mais aussi à Londres, à Paris, et partout où le sort de Napoléon obsède, inquiète ou apitoie. Toutes les situations, tous les incidents, sont passés au peigne fin et rendus à leur signification véritable. Il en ressort des éclairages insolites, des portraits toujours justes et parfois sévères, des remises en perspective et, au fil de jours parfois interminables, un récit saisissant, comme si le lecteur n'en connaissait pas la fin.

Cette promenade dans Paris par Pascale Fautrier sur les traces de Napoléon Bonaparte sera l'occasion d'une réflexion sur les ambiguïtés de l'humanisme libéral européen. C'est à Hitler que nous devons d'avoir fait déposer les restes de l'Aiglon auprès du tombeau impérial de son père aux Invalides. De l'extrême droite à l'extrême gauche, Napoléon est vénéré.

Pour célébrer le centenaire de la mort de Napoléon le 5 mai 1921, la République française avait hésité entre deux lieux : les Champs-Élysées et les Invalides ; entre son tombeau et le monument le plus célèbre associé à sa gloire, l'Arc de triomphe. Que célèbre-t-on à son bicentenaire au 5 mai 2021 ? Le général des armées révolutionnaires ou bien l'autocrate qui a rétabli l'esclavage et réduit les femmes au statut juridique d'éternelles mineures tutorées par pères et maris?

850 mètres séparent l'École militaire de Paris et les Invalides : les premiers pas dans la carrière d'homme de guerre et le tombeau.

 

Comment un jeune étranger, prononçant mal le français, épris de l'antique liberté républicaine et communaliste de sa petite île de Corse, a-t-il pu s'endurcir au point assez fou de se prendre pour Charlemagne et se faire couronner par le pape dans Notre-Dame ? Pourquoi son aventure humaine et inhumaine a-t-elle été si longtemps en Europe et ailleurs un modèle d'accomplissement viril? A l'heure de Trump, Poutine, Bolsonaro, Modi et des couronnements présidentiels au Louvre, est-on bien sûr d'en avoir fini avec les Messies bottés ? Trouverons-nous encore, sous les traces de Napoléon Bonaparte, l'ancienne promesse de justice égalitaire non encore accomplie?

Si les sociétés coloniales des Antilles françaises sont bien connues à travers l’histoire des esclaves, celle de leurs propriétaires restait à faire. Et pour cause : c’est la chronique honteuse de dominants engagés dans une épouvantable entreprise d’exploitation de femmes, d’hommes et d’enfants.

Pourtant, l’histoire des esclaves est indissociable de celle des maîtres. C’est celle que raconte Frédéric Régent, à travers le cas de la Guadeloupe. Il suit en particulier le parcours de quatre familles sur huit générations et reconstitue leur installation sur l’île, à partir de 1635. C’est le temps de la culture du tabac, il faut mettre en valeur les terres : ces premiers colons font appel à des engagés, des Européens, qui sous un contrat de servitude subissent de terribles conditions de travail qui préfigurent celles que subiront les esclaves. Par la suite, certains de ces engagés deviennent eux-mêmes des maîtres. Puis avec le développement de la production de sucre, les esclaves sont de plus en plus nombreux à être importés d’Afrique. Ces maîtres ont recours à une extrême violence. Toutefois, du fait du faible nombre de femmes européennes, certains s’unissent avec leurs esclaves. Au gré de la fortune, quelques-uns de leurs descendants passent pour blancs, tandis que d’autres forment la catégorie des libres de couleur. La production de sucre fait la richesse de ces propriétaires. À travers leurs habitations, ils mettent en place des entreprises mobilisant d’énormes capitaux en s’intégrant à une économie connectée au monde. Les maîtres de la Guadeloupe constituent bien un des acteurs moteurs d’une des principales puissances de l’Europe moderne.

Eté 1815. Après Waterloo, la France est envahie, humiliée, dévastée ; Napoléon part en exil à Sainte-Hélène, la royauté est restaurée. Une jeune femme surgie de nulle part se déclare fille naturelle de l'Empereur ! Sa mère aurait connu Bonaparte lorsqu'il était sous-lieutenant à Auxonne, explique la belle Charlotte Chappuis. Le ministre de la Police générale, Fouché, la fait enfermer, mais l'aventurière échappe à la vigilance des autorités. Tenace, rusée, charmante, suscitant des sympathies politiques et plusieurs demandes en mariage, Charlotte joue sa partie pour défendre sa liberté et faire valoir ses droits. Détective, enquêteur de cette histoire abracadabrantesque, Bruno Fuligni.

Cerner l’homme Napoléon Bonaparte sous toutes ses facettes : telle est l’ambition du présent ouvrage. Depuis l’œuvre de Jean Tulard en 1977, les études napoléoniennes se sont très largement renouvelées, notamment sous l’impulsion du Napoléon, de la mythologie à l’histoire que Natalie Petiteau a publié en 1999. Par ailleurs, de nombreuses sources nouvelles ont été mises au jour. Il était donc temps de relire l’histoire de Napoléon Bonaparte avec toutes ces données inédites, mais aussi dans une démarche qui tienne compte des nouvelles approches du genre biographique. Natalie Petiteau propose ici de comprendre la vie d’un homme, Napoléon Bonaparte, dans un temps spécifique, la Révolution française puis ses lendemains, et dans un espace d’envergure, le continent européen.
Par un retour aux sources, elle livre un portrait intérieur en montrant ses mutations permanentes au gré des événements. Elle donne à voir comment cet officier d’abord farouchement corse puis viscéralement français est devenu un homme politique tout autant qu’un génial chef de guerre. Elle souligne comment il a été perçu comme l’incarnation de la nation française, et comment il s’est lui-même pensé comme tel. Elle montre le processus par lequel il s’est enfermé dans la certitude que lui seul savait ce qu’était la bonne voie pour la France révolutionnée. Napoléon ne pouvait pas concevoir une France qui ne soit pas en position dominante en Europe. Si bien que l’enfant des Lumières et l’officier jacobin qu’il a été a finalement fait figure de tyran sanguinaire. L’un des intérêts de ce livre est aussi de proposer une remise en perspective de cette image légendaire.

Après le coup d’État de Brumaire, Bonaparte affirme  : «  Je suis la Révolution  », pour ajouter «  La Révolution est finie  ». Trois voies sont alors offertes  : le retour au système monarchique, la consolidation des conquêtes bourgeoises et paysannes ou la satisfaction des aspirations des sans-culottes parisiens.
Biographie traditionnelle mais aussi ouvrage de référence, ce Napoléon ou le mythe du sauveur aura été le premier à faire mentir Stendhal quand il prophétisait  : «  D’ici à cinquante ans, il faudra refaire l’histoire de Napoléon tous les ans.  » Il est en effet devenu un véritable classique dont nul ne saurait se passer.
Augmentée de nouvelles annexes, d’une chronologie et d’une filmographie, cette édition est en outre enrichie des recherches les plus récentes menées par les historiens sur tout ce qui touche la France du début du xixe  siècle et la geste napoléonienne.
  
Historien, Jean Tulard est le meilleur spécialiste de Napoléon Bonaparte et de l’époque napoléonienne, à laquelle il a consacré une quinzaine d’ouvrages fondamentaux. 

« Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. » Napoléon Bonaparte

Le 18 mai 1804, le Sénat proclame Napoléon Bonaparte empereur des Français sous le nom de Napoléon Ier. Par un plébiscite, les Français acceptent ce nouveau changement et se rallient derrière ce général corse qui a su gagner leur cœur par ses actes et ses prises de parole. Son ascension et son hégémonie sur l’Europe ne connaîtront pas de limites pendant une dizaine d’années.

Les principales étapes de la vie de cet homme d’exception sont retracées, de son enfance en Corse à sa mort à Sainte-Hélène. On apprend comment il devint un militaire de génie, et un homme d’état exceptionnel, visionnaire et d’un sens politique hors du commun. Avec lui seront posées les bases d’une société moderne. ll est en effet l’instigateur du Code civil, ou des grandes réformes de l’université. Plus qu’un instrument de conquête, la Grande Armée napoléonienne constitue avant tout l’expression la plus achevée du génie de Napoléon. Les fonctions de chaque corps d’armée, de la Garde et de la Réserve générale de cavalerie, leur évolution et leur rôle sont détaillés de manière précise. Enfin, vous partirez en campagne aux côtés de Bonaparte, et comprendrez son art subtil de la stratégie. À l’aide d’une carte détaillant les mouvements des forces en présence, vous visualiserez les secrets de chaque grande bataille. Vous relirez ainsi d’un nouvel œil le scénario de la victoire de Rivoli en 1797 contre les Autrichiens, un chef-d’œuvre de stratégie militaire.
Passionnant et superbement illustré, ce grand Atlas est un ouvrage qui se révèle indispensable à tous ceux qui veulent partir à la découverte de Napoléon.

La biographie passionnée de Bonaparte par un spécialiste du genre et de la période.

D'Ajaccio à Notre-Dame, André Castelot a mis ses pas dans ceux de Bonaparte pour respirer et restituer le décor de son prodigieux destin. Il nous conduit dans une Corse devenue française quinze mois avant le 15 août 1769, pour nous raconter la naissance de Napoleone Bonaparte ; et nous mène jusqu'à ce 2 décembre 1804 qui le vit à Notre-Dame de Paris tourner le dos au pape, saisir la couronne impériale et se la poser lui-même sur la tête. Exploitant et mettant en valeur, avec son art célèbre du récit qui fait vivre les événements, les lieux et les personnages, une immense masse d'archives, de mémoires et de correspondances parfois inédits ou oubliés, il a écrit cette monumentale biographie, si colorée, si passionnante, que depuis sa première publication son public se renouvelle sans cesse. 

"Quel roman que ma vie ! " s'exclamait Napoléon. Ce roman commence au printemps 1779, lorsqu'un enfant de dix ans à l'accent étranger, maigre et mal peigné, entre à l'école militaire de Brienne. Quinze ans plus tard, cet enfant entre dans la légende. Bonaparte est nommé général en chef des armées d'Italie par le Directoire. La suite, c'est Vendémiaire, Lodi, Arcole, la campagne d'Egypte. Cet homme de génie, despotique et visionnaire, s'apprête à conquérir la France, l'Europe et le monde. Son destin impérial est tracé. Jamais plus il ne cessera d'inviter au rêve et de susciter la passion. Max Gallo.

fabuleuse fiction  qui donnerait l'envie d'une série de récits dystopiques

fabuleuse fiction qui donnerait l'envie d'une série de récits dystopiques

« Messieurs-dames, hélas ! l’Empereur vient de mourir ! » La nouvelle se répand rapidement à travers toute l’Europe. Pourtant, Napoléon n’est pas mort. Après une ingénieuse évasion, il a réussi à regagner la France, laissant un sosie occuper sa place à Sainte-Hélène - et ce n’est que ce dernier qui vient de trépasser. Mal ajusté à son incognito, Napoléon va traverser une série d’étranges épreuves. Confronté à son propre mythe, saura-t-il recouvrer son identité ? Et qui est-il donc, maintenant que l’Empereur est mort?
«On ne sait plus depuis deux siècles écrire de contes philosophiques de cette tenue-la?.» (François Nourissier, Le Point).
«La Mort de Napoléon repose sur une idée époustouflante... et est écrit avec la grâce d’un poème.» (Edna O’Brien, Sunday Times).
«Un livre extraordinaire... Simon Leys est un fabuliste expert.» (Penelope Fitzgerald, The New York Times).
Simon Leys est le pseudonyme de Pierre Ryckmans (1935-2014). Historien d’art, sinologue et essayiste internationalement reconnu, il est notamment l’auteur de: Les Habits neufs du Président Mao (1971), Ombres chinoises (1974), Protée et autres essais (2001) et Les Naufragés du Batavia, suivi de Prosper (2003). La Mort de Napoléon (1986) est son seul texte de fiction.

Fiction :

la création de la collection Aporie au sein des Cahiers de l'Égaré.

Que serait-il advenu de tel auteur, philosophe, savant, stratège ou sportif si, à un moment donné de sa vie, le contexte, l’histoire, un événement anodin en avait modifié le parcours… Ce postulat posé, il convient alors d’envisager ce qui aurait pu se passer et parfois bouleverser notre quotidien, tout en collant au contexte historique, à l’environnement sociologique de tel ou tel autre personnage. Ce, de manière originale, inattendue, décalée, tout en gardant une forme de complicité avec la réalité antérieure et en mettant en exergue des passerelles clins d’œil entre ce qui est advenu réellement et ce que l’auteur en fera.

 

Pour illustrer le propos, voici quelques exemples :

 

> En 1930, alors qu’il vient de terminer sa scolarité, Albert Camus est chaleureusement encouragé par son instituteur à entreprendre des études secondaires. La mère (analphabète et muette) hésite estimant que l’orphelin de guerre pourrait travailler à la tonnellerie avec son oncle et rapporter un peu d’argent à cette famille démunie du « quartier pauvre ». Mais elle accepte finalement. On connaît la suite… Et si elle avait refusé, si Camus était devenu ouvrier ou un contremaître, s’il avait tout de même rencontré le Meursault de L’Étranger avec lequel il serait allé à la plage… Mais la chute de l’histoire n’est pas la même, et donne un éclairage sociopolitique tout à fait différent dans cette Algérie qui célèbre le centenaire de la conquête.

J’ai écrit sur cette thématique, un petit livre que je tiens à votre disposition. C’est le sixième que je consacre à Camus sur qui je travaille depuis plus de vingt ans.

 

« Fuyez cette horde confuse, ce mélange effroyable de feuillants, d’aristocrates, d’émissaires de Coblentz, des brigands de tout genre, de tout état, de toute espèce et qui ne fondent leur fortune que sur celle de citoyens propriétaires » Ainsi s’exprimait Olympe de Gouges, brillante femme de lettres à l’origine de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » et de pamphlets contre le colonialisme. Quels changements aurait apportée cette pionnière du féminisme si les sanguinaires de 1789 ne l’avait pas guillotinée et si elle avait siégé à l’Assemblée ?

 

> En 1906 Egon Schiele, le peintre et poète autrichien, intègre l’académie des beaux-arts de Vienne. Un autre postulant rate le concours d’entrée qu’il retentera l’année suivante avec le même insuccès. Il abandonne et erre jusqu’à la limite de la clochardisation. Quelques années plus tôt, sa mère avait conduit son fils en consultation auprès d’une certain Sigmund Freud qui se montra démuni vis-à-vis de cet adolescent perturbé qui trouvera son salut en politique. Contre toute attente, Adolph Hitler deviendra le führer… On connaît la suite également !

Que serait devenu ce modeste étudiant s’il avait intégré l’école des beaux-arts ? Peut-être aurait-il été compagnon de route de Schiele ou aurait-il végété dans son art pendant que l’Allemagne cherchait et trouvait une autre issue à sa déliquescence…

 

> Présentée comme une pécheresse par des apôtres un tantinet machiste, Marie-Madeleine était la plus cultivée de la « bande à Jésus » dont elle était peut-être la petite copine mais surtout une conseillère éclairée à laquelle il demandait souvent son avis, ses conseils…

Et si les apôtres s’étaient un peu effacés devant cette prêtresse… Jésus serait-il allé jusque devant Pilate et sur la croix

 

> Nous pourrions également nous interroger sur les « révélations » de Mahomet qui emprunte aux autres religions du livre une large partie du Coran alors qu’il est analphabète et que sa vie est celle d’un humble marchand qui fume le kat dont le « moteur » est sa femme Khadidja… Tout un programme eu égard au statut des femmes dans l’Islam.

Et que serait devenu le monde sans cette révélation et une riche marchande ?

 

> Quand Rimbaud entame sa seconde vie à la fin de 1873 et qu’il tire un trait sur la poésie c’est parce qu’il ne s’estime pas reconnu à sa valeur. Un bateau manqué, un départ reporté et voilà que Rimbaud fait une rencontre avec l’éditeur qui fera son succès. Que devient-il alors en ce monde où comme il l’écrit lui-même « je est un autre » ?

 

> En septembre 1793, un jeune capitaine ambitieux met sur pied une stratégie pour la reprise de Toulon dont les royalistes se sont emparés et l’ont livrée aux Britanniques. Dépassant les oppositions politiques et les objections de ses supérieurs, Napoléon Bonaparte parvient à reprendre Toulon… Il y acquiert les premiers galons de futur Empereur. Un échec se serait certainement traduit par une sanction, peut-être même une rétrogradation. En tous cas, la face du monde en eut été changée, une partie de notre législation également. Que serait-il advenu faute de pouvoir contempler les siècles de civilisation du haut des pyramides.

 

> William Web Ellis n’est pas resté dans les mémoires. Pourtant tout a changé dans le sport, ce jour de 1823, au cours d’une partie de foot, quand il se mit à courir avec le ballon dans les mains. C’était au collège de Rugby… Un nouveau sport venait de naître même si ses origines très sommaires remontent à l’Antiquité.

Et si Mister Ellis n’avait pas saisi la balle, le rugby n’aurait peut être jamais existé et, avec lui, ses valeurs dépassant largement le cadre de ses règles. Rappelons-nous qu’en 1995, date à laquelle l’Afrique du Sud organise la coupe du monde de rugby à XV, Nelson Mandela lance Invictus pressentant dans l’événement sportif la possibilité de créer un sentiment d'union nationale derrière l'équipe des Springboks symbole durant plusieurs décennies de s blancs d’Afrique du Sud…

 

 

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sur la Commune (18 mars 1871-28 mai 1871)

24 Mars 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #agoras, #J.C.G.

1- vu hier soir, visible jusqu’au 20 mai
https://www.arte.tv/fr/videos/094482-000-A/les-damnes-de-la-commune/
remarquable animation de gravures et récit émouvant de Victorine (Yolande Moreau)
très noir (tilt avec l’assassinat de Victor Noir, dont la sculpture au cimetière du Père Lachaise est l’objet de rituels très particuliers), mettant l’accent sur la répression impitoyable par les Versaillais
pas assez sur les leçons, les apports des Communards (délégués élus et révocables, internationalisme au sens où des délégués importants furent des étrangers, démocratie directe, démocratie sociale, avancées extraordinaires sur tout un tas de plans, égalité, éducation, condition féminine, éradication de la délinquance et autres fléaux, prostitution…), les erreurs (pas touche à la banque de France qui va financer les Versaillais…)
 
  • Un article de Mediapart du 22 mars : 
  • https://blogs.mediapart.fr/edition/les-cercles-condorcet/article/220321/la-commune-entre-memoire-et-histoire
  • Dans Le Poème des morts (éd. Fata Morgana, 2017), Bernard Noël a consacré le poème n° 16 à la Commune : 
pas de bandeau a dit le fusillé
je veux voir la mort arriver de face
et l'avenir soudain se raccourcir
le passé qui me tue n'est pas le mien
car sa vérité n'est pas mon affaire
mais le fusillé mord déjà la terre
le chef tueur donne le coup de grâce
le crâne éclaté répand le cerveau
le galonné pousse du pied ce reste
- Dire qu'il croyait penser avec ça !
fait-il avec un clin d'oeil à sa troupe
sûr d'avoir vaincu la révolution
le peloton recharge ses fusils
et feu roulant sur la fournée suivante
tout ici est réglé par la justice
au nom bien sûr d'une légalité
toujours au seul service du pouvoir
tous les cadavres ont droit à la chaux vive
dès qu'empilés dans la fosse commune
la loi respecte ainsi la seule règle
tuer la vie pour qu'elle ne change pas
  • Ce poème est à rapprocher de l'article PENSER du Dictionnaire de la Commune :
Le 6 juillet 1871, Baudouin et Rouillac sont fusillés à Satory pour l'incendie de Saint-Éloi et leur lutte sur les barricades. Tandis que les soldats défilaient devant les corps, "c'est avec cela qu'ils pensaient, dit l'officier qui commandait, en remuant du bout de la botte les cervelles répandues à terre." (Louise Michel, la Commune. Histoire et Souvenirs.) Ce "mot" est confirmé par beaucoup d'autres témoignages.
 
 
paru aux éditions de l'Armourier, en mars 2021

paru aux éditions de l'Armourier, en mars 2021

 2 - pour ceux qui ne connaissent pas Marx

 
KARL MARX LA GUERRE CIVILE EN FRANCE 
Chapitre 3
À l'aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune! Qu'est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l'entendement bourgeois à si dure épreuve ?
Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l'heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu'il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d'en assurer le triomphe en s'emparant du pouvoir.
Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l'appareil d'État et de le faire fonctionner pour son propre compte.
Le pouvoir centralisé de l'État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l'époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d'arme puissante dans ses luttes contre le féodalisme. Cependant, son développement restait entravé par toutes sortes de décombres moyenâgeux, prérogatives des seigneurs et des nobles, privilèges locaux, monopoles municipaux et corporatifs et Constitutions provinciales. Le gigantesque coup de balai de la Révolution française du XVIIIe siècle emporta tous ces restes des temps révolus, débarrassant ainsi, du même coup, le substrat social des derniers obstacles s'opposant à la superstructure de l'édifice de l'État moderne. Celui-ci fut édifié sous le premier Empire, qui était lui-même le fruit des guerres de coalition de la vieille Europe semi-féodale contre la France moderne. Sous les régimes qui suivirent, le gouvernement, placé sous contrôle parlementaire, c'est-à-dire sous le contrôle direct des classes possédantes, ne devint pas seulement la pépinière d'énormes dettes nationales et d'impôts écrasants; avec ses irrésistibles attraits, autorité, profits, places, d'une part il devint la pomme de discorde entre les factions rivales et les aventuriers des classes dirigeantes, et d'autre part son caractère politique changea conjointement aux changements économiques de la société. Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir publie organisé aux fins d'asservissement social, d'un appareil de domination d'une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît façon de plus en plus ouverte. La Révolution de 1830 transféra le gouvernement des propriétaires terriens aux capitalistes, des adversaires les plus éloignés des ouvriers à leurs adversaires les plus directs. Les républicains bourgeois qui, au nom de la Révolution de février, s'emparèrent du pouvoir d'État, s'en servirent pour provoquer les massacres de juin, afin de convaincre la classe ouvrière que la république « sociale », cela signifiait la république qui assurait la sujétion sociale, et afin de prouver à la masse royaliste des bourgeois et des propriétaires terriens qu'ils pouvaient en toute sécurité abandonner les soucis et les avantages financiers du gouvernement aux « républicains » bourgeois. Toutefois, après leur unique exploit héroïque de juin, il ne restait plus aux républicains bourgeois qu'à passer des premiers rangs à l'arrière-garde du « parti de l'ordre », coalition formée par toutes les fractions et factions rivales de la classe des appropriateurs dans leur antagonisme maintenant ouvertement déclaré avec les classes des producteurs. La forme adéquate de leur gouvernement en société par actions fut la « république parlementaire », avec Louis Bonaparte pour président, régime de terrorisme de classe avoué et d'outrage délibéré à la « vile multitude ». Si la république parlementaire, comme disait M. Thiers, était celle qui « les divisait [les diverses fractions de la classe dirigeante] le moins », elle accusait par contre un abîme entre cette classe et le corps entier de la société qui vivait en dehors de leurs rangs clairsemés. Leur union brisait les entraves que, sous les gouvernements précédents, leurs propres dissensions avaient encore mises au pouvoir d'État. En présence de la menace de soulèvement du prolétariat, la classe possédante unie utilisa alors le pouvoir de l'État, sans ménagement et avec ostentation comme l'engin de guerre national du capital contre le travail. Dans leur croisade permanente contre les masses productrices, ils furent forcés non seulement d'investir l'exécutif de pouvoirs de répression sans cesse accrus, mais aussi de dépouiller peu à peu leur propre forteresse parlementaire, l'Assemblée nationale, de tous ses moyens de défense contre l'exécutif. L'exécutif, en la personne de Louis Bonaparte, les chassa. Le fruit naturel de la république du « parti de l'ordre » fut le Second Empire.
L'empire, avec le coup d'État pour acte de naissance, le suffrage universel pour visa et le sabre pour sceptre, prétendait s'appuyer sur la paysannerie, cette large masse de producteurs qui n'était pas directement engagée dans la lutte du capital et du travail. Il prétendait sauver la classe ouvrière en en finissant avec le parlementarisme, et par là avec la soumission non déguisée du gouvernement aux classes possédantes. Il prétendait sauver les classes possédantes en maintenant leur suprématie économique sur la classe ouvrière; et finalement il se targuait de faire l'unité de toutes les classes en faisant revivre pour tous l'illusion mensongère de la gloire nationale. En réalité, c'était la seule forme de gouvernement possible, à une époque où la bourgeoisie avait déjà perdu, - et la classe ouvrière n'avait pas encore acquis, - la capacité de gouverner la nation. Il fut acclamé dans le monde entier comme le sauveur de la société. Sous l'empire, la société bourgeoise libérée de tous soucis politiques atteignit un développement dont elle n'avait elle-même jamais eu idée. Son industrie et son commerce atteignirent des proportions colossales; la spéculation financière célébra des orgies cosmopolites; la misère des masses faisait un contraste criant avec l'étalage éhonté d'un luxe somptueux, factice et crapuleux. Le pouvoir d'État, qui semblait planer bien haut au-dessus de la société, était cependant lui-même le plus grand scandale de cette société et en même temps le foyer de toutes ses corruptions. Sa propre pourriture et celle de la société qu'il avait sauvée furent mises à nu par la baïonnette de la Prusse, elle-même avide de transférer le centre de gravité de ce régime de Paris à Berlin. Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d'État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l'outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d'asservir le travail au capital.
L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la République sociale », ce cri n'exprimait guère qu'une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.
Paris, siège central de l'ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l'empire. Paris pouvait seulement résister parce que, du fait du siège, il s'était débarrassé de l'armée et l'avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C'est cet état de fait qu'il s'agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l'armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
La guerre civile en France - Essai de Marx sur la Commune de Paris et l'histoire politique et sociale de la France au XIXe Siècle, chapitre 3
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d'être l'instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l'administration. Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d'ouvrier. Les bénéfices d'usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l'État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d'être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l'administration municipale, mais toute l'initiative jusqu'alors exercée par l'État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n'avait servi qu'à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables.
La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime de la Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l'ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes. Dans une brève esquisse d'organisation nationale que la Commune n'eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l'armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions, peu nombreuses, mais importantes, qui restaient encore à un gouvernement central, ne devaient pas être supprimées, comme on l'a dit faussement, de propos délibéré, mais devaient être assurées par des fonctionnaires de la Commune, autrement dit strictement responsables. L'unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale; elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir d'État qui prétendait être l'incarnation de cette unité, mais voulait être indépendant de la nation même, et supérieur à elle, alors qu'il n'en était qu'une excroissance parasitaire. Tandis qu'il importait d'amputer les organes purement répressifs de l'ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait une prééminence au-dessus de la société elle-même, et rendues aux serviteurs responsables de la société. Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en quête d'ouvriers, de contrôleurs et de comptables pour son affaire. Et c'est un fait bien connu que les sociétés, comme les individus, en matière d'affaires véritables, savent généralement mettre chacun à sa place et, si elles font une fois une erreur, elles savent la redresser promptement. D'autre part, rien ne pouvait être plus étranger à l'esprit de la Commune que de remplacer le suffrage universel par une investiture hiérarchique.
C'est en général le sort des formations historiques entièrement nouvelles d'être prises à tort pour la réplique de formes plus anciennes, et même éteintes, de la vie sociale, avec lesquelles elles peuvent offrir une certaine ressemblance. Ainsi, dans cette nouvelle Commune, qui brise le pouvoir d'État moderne, on a voulu voir un rappel à la vie des communes médiévales, qui d'abord précédèrent ce pouvoir d'État, et ensuite en devinrent le fondement. - La Constitution communale a été prise à tort pour une tentative de rompre en une fédération de petits États, conforme au rêve de Montesquieu et des Girondins, cette unité des grandes nations, qui, bien qu'engendrée à l'origine par la violence, est maintenant devenue un puissant facteur de la production sociale. - L'antagonisme de la Commune et du pouvoir d'État a été pris à tort pour une forme excessive de la vieille lutte contre l'excès de centralisation. (...) La Constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu'alors absorbées par l'État parasite qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement. Par ce seul fait, elle eût été le point de départ de la régénération de la France. La classe moyenne des villes de province vit dans la Commune une tentative de restaurer la domination que cette classe avait exercée sur la campagne sous Louis-Philippe, et qui, sous Louis-Napoléon, avait été supplantée par la prétendue domination de la campagne sur les villes. En réalité, la Constitution communale aurait soumis les producteurs ruraux à la direction intellectuelle des chefs-lieux de département et leur y eût assuré des représentants naturels de leurs intérêts en la personne des ouvriers des villes. L'existence même de la Commune impliquait, comme quelque chose d'évident, l'autonomie municipale; mais elle n'était plus dorénavant un contre-poids au pouvoir d'État, désormais superflu. (...) La Commune a réalisé ce mot d'ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l'armée et le fonctionnarisme d'État. Son existence même supposait la non-existence de la monarchie qui, en Europe du moins, est le fardeau normal et l'indispensable masque de la domination de classe. Elle fournissait à la république la base d'institutions réellement démocratiques. Mais ni le « gouvernement à bon marché », ni la « vraie république » n'étaient son but dernier; tous deux furent un résultat secondaire et allant de soi de la Commune.
La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu'elle a exprimés montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail .
Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d'être l'attribut d'une classe.
C'est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l'immense littérature des soixante dernières années sur l'émancipation des travailleurs, les ouvriers n'ont pas plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir toute la phraséologie apologétique des porte-parole de la société actuelle avec ses deux pôles, capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n'est plus que le commanditaire du capitaliste), comme si la société capitaliste était encore dans son plus pur état d'innocence virginale, sans qu'aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu'aient été encore dévoilés tous ses mensonges, sans qu'ait été encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s'exclament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civilisation. Oui, messieurs, la Commune entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l'expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le capital, aujourd'hui essentiellement moyens d'asservissement et d'exploitation du travail, en simples instruments d'un travail libre et associé. Mais c'est du communisme, c'est l' « impossible» communisme! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l'impossibilité de perpétuer le système actuel - et ils sont nombreux - sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie; si elle doit évincer le système capitaliste; si l'ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l'anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ?
La classe ouvrière n'espérait pas des miracles de la Commune. Elle n'a pas d'utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n'a pas à réaliser d'idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s'effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d'être digne d'elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d'ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d'oracle de l'infaillibilité scientifique.
Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels», les possédants, et, dans des circonstances d'une difficulté sans exemple, accomplirent leur oeuvre modestement, consciencieusement et efficacement (et l'accomplirent pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique, le professeur Huxley, est le minimum requis pour un secrétaire du conseil de l'instruction publique de Londres), le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la République du travail, flottant sur l'Hôtel de Ville.
Et pourtant, c'était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d'initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris - boutiquiers, commerçants, négociants - les riches capitalistes étant seuls exceptés. La Commune l'avait sauvée, en réglant sagement cette cause perpétuelle de différends à l'intérieur même de la classe moyenne : la question des créanciers et des débiteurs. Cette même partie de la classe moyenne avait participé à l'écrasement de l'insurrection ouvrière en juin 1848; et elle avait été sur l'heure sacrifiée sans cérémonie à ses créanciers par l'Assemblée constituante. Mais ce n'était pas là son seul motif pour se ranger aujourd'hui aux côtés de la classe ouvrière. Cette fraction de la classe moyenne sentait qu'il n'y avait plus qu'une alternative, la Commune ou l'empire, sous quelque nom qu'il pût reparaître. L'Empire l'avait ruinée économiquement par Bon gaspillage de la richesse publique, par l'escroquerie financière en grand, qu'il avait encouragée, par l'appui qu'il avait donné à la centralisation artificiellement accélérée du capital, et à l'expropriation corrélative d'une grande partie de cette classe. Il l'avait supprimée politiquement, il l'avait scandalisée moralement par ses orgies, il avait insulté à son voltairianisme en remettant l'éducation de ses enfants aux frères ignorantins, il avait révolté son sentiment national de Français en la précipitant tête baissée dans une guerre qui ne laissait qu'une seule compensation pour les ruines qu'elle avait faites : la disparition de l'Empire. En fait, après l'exode hors de Paris de toute la haute bohème bonapartiste et capitaliste, le vrai parti de l'ordre de la classe moyenne se montra sous la forme de l' « Union républicaine » qui s'enrôla sous les couleurs de la Commune et la défendit contre les falsifications préméditées de Thiers. La reconnaissance de cette grande masse de la classe moyenne résistera-t-elle à la sévère épreuve actuelle ? Le temps seul le montrera.
La Commune avait parfaitement raison en disant aux paysans : « Notre victoire est votre seule espérance ». De tous les mensonges enfantés à Versailles et repris par l'écho des glorieux journalistes d'Europe à un sou la ligne, un des plus monstrueux fut que les ruraux de l'Assemblée nationale représentaient la paysannerie française. Qu'on imagine un peu l'amour du paysan français pour les hommes auxquels après 1815 il avait dû payer l'indemnité d'un milliard . A ses yeux, l'existence même d'un grand propriétaire foncier est déjà en soi un empiètement sur ses conquêtes de 1789. La bourgeoisie, en 1848, avait grevé son lopin de terre de la taxe additionnelle de 45 centimes par franc; mais elle l'avait fait au nom de la révolution; tandis que maintenant elle avait fomenté une guerre civile contre la révolution pour faire retomber sur les épaules du paysan le plus clair des cinq milliards d'indemnité à payer aux Prussiens. La Commune, par contre, dans une de ses premières proclamations, déclarait que les véritables auteurs de la guerre auraient aussi à en payer les frais. La Commune aurait délivré le paysan de l'impôt du sang, elle lui aurait donné un gouvernement à bon marché, aurait transformé ses sangsues actuelles, le notaire, l'avocat, l'huissier, et autres vampires judiciaires, en agents communaux salariés, élus par lui et devant lui responsables. Elle l'aurait affranchi de la tyrannie du garde champêtre, du gendarme et du préfet; elle aurait mis l'instruction par le maître d'école à la place de l'abêtissement par le prêtre. Et le paysan français est, par-dessus tout, homme qui sait compter. Il aurait trouvé extrêmement raisonnable que le traitement du prêtre, au lieu d'être extorqué par le libre percepteur, ne dépendit que de la manifestation des instincts religieux des paroissiens. Tels étaient les grands bienfaits immédiats dont le gouvernement de la Commune - et celui-ci seulement - apportait la perspective à la paysannerie française. Il est donc tout à fait superflu de s'étendre ici sur les problèmes concrets plus compliqués, mais vitaux, que la Commune seule était capable et en même temps obligée de résoudre en faveur du paysan : la dette hypothécaire, qui posait comme un cauchemar sur son lopin de terre, le prolétariat rural qui grandissait chaque jour et son expropriation de cette parcelle qui s'opérait à une allure de plus en plus rapide du fait du développement même de l'agriculture moderne et de la concurrence du mode de culture capitaliste.
Le paysan français avait élu Louis Bonaparte président de la République, mais le parti de l'ordre créa le Second Empire. Ce dont en réalité le paysan français a besoin, il commença à le montrer en 1849 et 1850, en opposant son maire au préfet du gouvernement, son maître d'école au prêtre du gouvernement et sa propre personne au gendarme du gouvernement. Toutes les lois faites par le parti de l'ordre en janvier et février 1850 furent des mesures avouées de répression contre les paysans. Le paysan était bonapartiste, parce que la grande Révolution, avec tous les bénéfices qu'il en avait tirés, se personnifiait à ses yeux en Napoléon. Cette illusion, qui se dissipa rapidement sous le second Empire (et elle était par sa nature même hostile aux « ruraux »), ce préjugé du passé, comment auraient-ils résisté à la Commune en appelant aux intérêts vivants et aux besoins pressants de la paysannerie ?
Les ruraux (c'était, en fait, leur appréhension maîtresse) savaient que trois mois de libre communication entre le Paris de la Commune et les provinces amèneraient un soulèvement général des paysans; de là leur hâte anxieuse à établir un cordon de police autour de Paris comme pour arrêter la propagation de la peste bovine.
Si la Commune était donc la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier, et, à ce titre, en sa qualité de champion audacieux de l'émancipation du travail, internationale au plein sens du terme. Sous les yeux de l'armée prussienne qui avait annexé à l'Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier.
Le second Empire avait été la grande kermesse de la filouterie cosmopolite, les escrocs de tous les pays s'étaient rués à son appel pour participer à ses orgies et au pillage du peuple français. En ce moment même le bras droit de Thiers est Ganesco, crapule valaque, son bras gauche, Markovski, espion russe. La Commune a admis tous les étrangers à l'honneur de mourir pour une cause immortelle. - Entre la guerre étrangère perdue par sa trahison, et la guerre civile fomentée par son complot avec l'envahisseur étranger, la bourgeoisie avait trouvé le temps d'afficher son patriotisme en organisant la chasse policière aux Allemands habitant en France. La Commune a fait d'un ouvrier allemand son ministre du Travail. - Thiers, la bourgeoisie, le second Empire avaient continuellement trompé la Pologne par de bruyantes professions de sympathie, tandis qu'en réalité ils la livraient à la Russie, dont ils faisaient la sale besogne. La Commune a fait aux fils héroïques de la Pologne l'honneur de les placer à la tête des défenseurs de Paris. Et pour marquer hautement la nouvelle ère de l'histoire qu'elle avait conscience d'inaugurer, sous les yeux des Prussiens vainqueurs d'un côté, et de l'armée de Bonaparte, conduite par des généraux bonapartistes de l'autre la Commune jeta bas ce colossal symbole de la gloire guerrière, la colonne Vendôme.
La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l'abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers; l'interdiction, sous peine d'amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes, procédé par lequel l'employeur combine dans sa propre personne les rôles du législateur, du juge et du bourreau, et empoche l'argent par-dessus le marché. Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d'ouvriers, sous réserve du paiement d'une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes intéressés aient disparu ou qu'ils aient préféré suspendre le travail.
Les mesures financières de la Commune, remarquables par leur sagacité et leur modération, ne pouvaient être que celles qui sont compatibles avec la situation d'une ville assiégée. Eu égard aux vols prodigieux commis aux dépens de la ville de Paris par les grandes compagnies financières et les entrepreneurs de travaux publics sous le régime d'Haussmann, la Commune aurait eu bien davantage le droit de confisquer leurs propriétés que Louis Napoléon ne l'avait de confisquer celles de la famille d'Orléans. Les Hohenzollern et les oligarques anglais, qui, les uns et les autres, ont tiré une bonne partie de leurs biens du pillage de l'Église, furent bien entendu, grandement scandalisés par la Commune qui, elle, ne tira que 8.000 francs de la sécularisation.
Alors que le gouvernement de Versailles, dès qu'il eut recouvré un peu de courage et de force, employait les moyens les plus violents contre la Commune; alors qu'il supprimait la liberté d'opinion par toute la France, allant jusqu'à interdire les réunions des délégués des grandes villes; alors qu'il. soumettait. Versailles, et le reste de la France, à un espionnage qui surpassait de loin celui du second Empire; alors qu'il faisait brûler par ses gendarmes transformés en inquisiteurs tous les journaux imprimés à Paris et qu'il décachetait toutes les lettres venant de Paris et destinées à Paris; alors qu'à l'Assemblée nationale les essais les plus timides de placer un mot en faveur de Paris étaient noyés sous les hurlements, d'une façon inconnue même à la Chambre introuvable de 1816; étant donné la conduite sanguinaire de la guerre par les Versaillais hors de Paris et leurs tentatives de corruption et de complot dans Paris, - la Commune n'aurait-elle pas honteusement trahi sa position en affectant d'observer toutes les convenances et les apparences du libéralisme, comme en pleine paix ? Le gouvernement de la Commune eût-il été de même nature que celui de M. Thiers, il n'y aurait pas eu plus de motif de supprimer des journaux du parti de l'ordre à Paris, que de supprimer des journaux de la Commune à Versailles.
Il était irritant, certes, pour les ruraux, que dans le moment même où ils proclamaient le retour à l'Église comme le seul moyen de sauver la France, la mécréante Commune déterrât les mystères assez spéciaux du couvent de Picpus et de l'église Saint-Laurent . Et quelle satire contre M. Thiers : tandis qu'il faisait pleuvoir des grands-croix sur les généraux bonapartistes, en témoignage de leur maestria à perdre les batailles, à signer les capitulations et à rouler les cigarettes à Wilhelmshoehe, la Commune cassait et arrêtait ses généraux dès qu'ils étaient suspectés de négliger leurs devoirs, L'expulsion hors de la Commune et l'arrestation sur son ordre d'un de ses membres qui s'y était faufilé sous un faux nom et qui avait encouru à Lyon une peine de six jours d'emprisonnement pour banqueroute ,simple, n'était-ce pas une insulte délibérée jetée à la face du faussaire Jules Favre, toujours ministre des Affaires étrangères de la France, toujours en train de vendre la France à Bismarck et dictant toujours ses ordres à la Belgique, ce modèle de gouvernement ? Mais, certes, la Commune ne prétendait pas à l'infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements du type ancien. Elle publiait tous ses actes et ses paroles, elle mettait le public au courant de, toutes ses imperfections.
Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d'une tout autre trempe; quelques-uns sont des survivants des révolutions passées dont ils gardent le culte; ne comprenant pas le mouvement présent, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple par leur honnêteté et leur courage reconnus, ou par la simple force de la tradition; d'autres sont de simples braillards, qui, à force de répéter depuis des années le même chapelet de déclamations stéréotypées contre le gouvernement du jour, se sont fait passer pour des révolutionnaires de la plus belle eau. Même après le 18 mars, on vit surgir quelques hommes de ce genre, et, dans quelques cas, ils parvinrent à jouer des rôles de premier plan. Dans la mesure de leur pouvoir, ils gênèrent l'action réelle de la classe ouvrière, tout comme ils ont gêné le plein développement de toute révolution antérieure. Ils sont un mal inévitable; avec le temps on s'en débarrasse; mais, précisément, le temps n'en fut pas laissé à la Commune.
Quel changement prodigieux, en vérité, que celui opéré par la Commune dans Paris! Plus la moindre trace du Paris dépravé du second Empire. Paris n'était plus le rendez-vous des propriétaires fonciers britanniques, des Irlandais par procuration, des ex-négriers et des rastaquouères d'Amérique, des ex-propriétaires de serfs russes et des boyards valaques. Plus de cadavres à la morgue, plus d'effractions nocturnes, pour ainsi dire pas de vols; en fait, pour la première fois depuis les jours de février 1848, les rues de Paris étaient sûres, et cela sans aucune espèce de police. « Nous n'entendons plus parler, disait un membre de la Commune, d'assassinats, de vols, ni d'agressions; on croirait vraiment que la police a entraîné avec elle à Versailles toute sa clientèle conservatrice ». Les cocottes avaient retrouvé la piste de leurs protecteurs, - les francs-fileurs, gardiens de la famille, de la religion et, par-dessus tout, de a propriété. A leur place, les vraies femmes de Paris avaient reparu, héroïques, nobles et dévouées, comme les femmes de l'antiquité. Un Paris qui travaillait, qui pensait, qui combattait, qui saignait, ou liant presque, tout à couver une société nouvelle, les cannibales qui étaient à ses portes, -radieux dans l'enthousiasme de son initiative historique!
En face de ce monde nouveau à Paris, voyez l'ancien monde à Versailles, - cette assemblée des vampires de tous les régimes défunts, légitimistes et orléanistes, avides de se repaître du cadavre de la nation, - avec une queue de républicains d'avant le déluge, sanctionnant par leur présence dans l'Assemblée la rébellion des négriers, s'en remettant pour maintenir leur république parlementaire à la vanité du vieux charlatan placé à la tête du gouvernement, et caricaturant 1789 en se réunissant, spectres du passé, au Jeu de Paume. C'était donc elle, cette Assemblée, la représentante de tout ce qui était mort en France, que seul ramenait à un semblant de vie l'appui des sabres des généraux de Louis Bonaparte! Paris toute vérité, Versailles tout mensonge; et ce mensonge exhalé par la bouche de Thiers !
Thiers dit à une députation des maires de Seine-et-Oise : «Vous pouvez compter sur ma parole, je n'y ai jamais manqué ». Il dit à l'Assemblée même « qu'elle était la plus librement élue et la plus libérale que la France ait jamais eue»; il dit à sa soldatesque bigarrée qu'elle était « l'admiration du monde et la plus belle armée que la France ait jamais eue »; il dit aux provinces, qu'il ne bombardait pas Paris, que c'était un mythe. « Si quelques coups de canon ont été tirés, ce n'est pas par l'armée de Versailles, mais par quelques insurgés, pour faire croire qu'ils se battent quand ils n'osent même pas se montrer». Il dit encore aux provinces que l' « artillerie de Versailles ne bombardait pas Paris, elle ne faisait que le canonner ». Il dit à l'archevêque de Paris que les prétendues exécutions et représailles ( !) attribuées aux troupes de Versailles n'étaient que fariboles. Il dit à Paris qu'il était seulement désireux « de le délivrer des hideux tyrans qui l'opprimaient », et, qu'en fait, « le Paris de la Commune n'était qu'une poignée de scélérats».
Le Paris de M. Thiers n'était pas le Paris réel de la « vile multitude », mais un Paris imaginaire, le Paris des francs fileurs, le Paris des boulevardiers et des boulevardières, le Paris riche, capitaliste, doré, paresseux, qui encombrait maintenant de ses laquais, de ses escrocs, de sa bohème littéraire et de ses cocottes, Versailles, Saint-Denis, Rueil et Saint-Germain; qui ne considérait la guerre civile que comme un agréable intermède, lorgnant la bataille en cours à travers des longues-vues, comptant les coups de canon et jurant sur son propre honneur et sur celui de ses prostituées que le spectacle était bien mieux monté qu'il l'avait jamais été à la Porte-Saint-Martin. Les hommes qui tombaient étaient réellement morts; les cris des blessés étaient des cris pour de bon; et, voyez-vous, tout cela était si intensément historique !
Tel est le Paris de M. Thiers; de même l'émigration de Coblence était la France de M. de Calonne.
3 - question ? le capitalisme prédateur d’aujourd’hui quels moyens utilise-t-il pour l’asservissement, l’endormissement des masses ? le capitalisme bureaucratique d’état ou le communisme capitaliste d’état, quels moyens utilise-t-il pour asservir, exterminer ? la violence d’hier a pris d’autres formes, elle est cependant aussi terrible; les « maîtres » capitalistes et « communistes » sont aussi féroces que les Versaillais, mais autrement
qu’en pensez-vous ?
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Voeux 2020

1 Janvier 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Voeux 2020
que 2020 soit à nos images, 
paisibles, 
aimants,
polis, 
amoureux, 
jeunes créatifs,
vieux en forme, 
rieurs,
drôles, 
apaisés,
un peu sages,
un peu fous,
modestes,
appréciant le très ordinaire quotidien,
s'offrant parfois de l'extra-ordinaire,
prenant le temps, 
sans impatiences,
partageurs, 
tendant la main, 
ouvreurs de voies, 
de voix, 
nommant bien les choses
car comme disait Camus: mal nommer les choses, 
c’est ajouter au malheur du monde,
inversement, le bonheur de plusieurs peut dépendre d’un mot heureux
et la promesse d’un dernier sourire peut devenir un chant d’amour,
acceptant ce qui advient, 
heurs, malheurs, bonheurs dans leurs alternances
jusqu’à l’ultime performance
le passage de soi, de l’autre,
que des épitaphiers, des Orphée sauront légender, mythifier,
contre l'Oubli dont les morts ont si peur dit-on
inventeurs de nouvelles façons d'aimer 
en renonçant à notre pouvoir sur l'autre
il semble plus facile d'être aimé que d’aimer,
donc, au lieu de tenir l'amant ou l’amante déclaré(e) en haleine, 
ne vaut-il pas mieux cheminer avec lui-elle, 
par le dialogue et les actes, les gestes, 
construire ensemble une histoire d'amour 
par approximations, ajustements, transparence progressive,
et ainsi de proche en proche, 
diminuer la violence, la souffrance 
née des amours mortes en un jour, 
dispenser et accroître l'Amour, 
une évolution, une révolution pacifique, 
de l’intime 
vers l’extime
 
Je renvoie à un livre de Catherine Millot.
En 2015, elle tente, en publiant La logique et l'amour, de relancer le projet de Lacan 
de faire de la psychanalyse le lieu de l'invention d'un nouvel art d’aimer courtois.
Evidemment depuis l'affaire DSK puis l'affaire Weinstein, depuis metoo, balance ton porc, depuis la tribune dite Deneuve en défenseur de l'art de séduire à la française, avec l'affaire Polanski, l'affaire Gabriel Matzneff, l'affaire Adèle Haenel, on peut se demander si c'est possible dans un monde à domination patriarcale. 
 
 
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Spectacles en recommandé

22 Novembre 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #spectacle

« chaque enfant a besoin de quelqu’un d’irrationnellement fou de lui »

Urie Bronfenbrenner, père de la théorie de l’écologie du développement humain

j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019

j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019

CIE FOLHELIOTROPE & CIE CRINOLINE 

J’ai pas l’temps 

j’suis pas comme eux

À PARTIR DE TÉMOIGNAGES D'ENFANTS PLACÉS 

Mon analyse

Mercredi 20 novembre 2019 à partir de 8h45 au Palais Neptune à Toulon s'est déroulée la conférence annuelle de l’Observatoire Départemental de la Protection de l’Enfance du Var (ODPE) qui célèbrait le 30ème anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

L'après-midi, j'ai assisté au Palais Neptune dans le cadre de cette journée à la pièce J'ai pas l'temps, J'suis pas comme eux, écrite à partir de témoignages d’enfants placés.
40% des SDF de moins de 25 ans sont des anciens enfants placés. Mais comment grandir au cœur d’une institution parfois ressentie comme indifférente ?
Entre interrogations, colères, angoisses et joie, parfois, Léna, Malik et Cosmina tentent de se construire. Mais à 18 ans, tout s’arrête : il faut partir. C’est l’heure de la sortie de l’Aide Sociale à l’Enfance et de la dure entrée dans la « vie adulte ». Arriveront-ils à s’en sortir ? Cette pièce est l’adaptation par Véronique Dimicoli d’une recherche universitaire en sociologie, initiée par Pierrine Robin de l’Université de Créteil. Elle porte sur la transition à l’âge adulte après une mesure de protection.
La pièce portée par 5 excellents comédiens professionnels a déjà été reconnue par le prix Tournesol festival off 2018 d'Avignon et le coup de coeur du club de la presse Avignon 2018. 
Bravo à Véronique Dimicoli, metteur en scène varoise; sera-t-elle reconnue par les directeurs de théâtre varois ?
Merci à Florence Brizio de m'avoir signalé cette journée.

Cette pièce est du théâtre documentaire par les circonstances et par le contenu. Adaptation de paroles de jeunes en familles d'accueil et en foyers recueillies dans le cadre d'une recherche sociologique universitaire, à la demande des jeunes rassemblés par cette recherche.

Et elle n'est pas du théâtre documentaire par le traitement artistique du matériau vivant, humain enregistré.
Le parti-pris est de faire entendre la parole des jeunes. Les confessions des 3 jeunes évoquant leurs parcours et leurs rapports aux liens institutionnels sont chargées et entendues. Se retrouvant au centre, ils exposent en s'exposant, soumis aux pantomimes du choeur ou s'en libérant.
La présence de ce choeur au masque blanc, multi-fonctionnel, est un contre-point permettant de mettre de la distance (l'effet de distanciation brechtien) et de rendre léger par l'humour ce qui est pesanteur administrative, aveuglement institutionnel...

Accessoires, une corde lisse que spectateur nous chargeons de sens multiples, corde pour lier, relier, corde pour enchaîner, emprisonner, corde pour malmener, maltraiter, corde pour s'en libérer. Deux chaises, des pancartes : assistante sociale, éducateur, directeur, psychologue, juge... Le choeur est le manipulateur de ces accessoires, manipulateur clownesque, grotesque, comique ce qui évite d'éprouver du ressentiment, de la colère vis à vis de l'institution et des personnels et ce qui permet de ne pas être écrasé par le parcours chaotique, douloureux de ces jeunes. L'empathie devient envisageable : comment pourrait-on améliorer ces dispositifs de soutien, d'accompagnement.
Des lumières pour définir les lieux, salle d'attente, chambre... Une musique accompagnant à propos ce qui se passe sur le plateau. 
Un jeu d'acteurs varié avec arrêts sur image, moments de jeu réaliste, moments de jeu décalé.

Aucune utilisation de vidéo comme dans d'autres théâtres documentaires : pas d'images, la parole. Ce choix est essentiel en ce sens que l'enjeu de ces parcours est si possible de permettre au jeune de trouver sa parole, une parole qui lui est propre, libérée des paroles et actes traumatisants du milieu familial, se libérant des paroles institutionnelles, multiples, certaines sourdes aux attentes du jeune, d'autres bienveillantes et accoucheuses d'un jeune adulte libre et responsable.

Ce spectacle a obtenu deux reconnaissances au Festival d'Avignon 2018, prix Tournesol et Coup de cœur du club de la presse.

Il mérite d'être pris en considération par les théâtres du Var. La représentation devant 500 à 600 personnes dans l'auditorium du Palais Neptune à Toulon, le 20 novembre pour le 30° anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant a été un grand moment. L'ovation finale était méritée.

Il n'y a pas eu de débat à l'issue du spectacle. Parler de quoi ? Du contenu ? La question au cœur de ce qu'on voit, qu'on découvre ou qu'on connaît, est si je suis un professionnel de la protection de l'enfance, quel professionnel suis-je ? Un fonctionnaire, un militant de cette cause, un vrai écoutant allant au-delà de son temps (on voit bien avec les féminicides l'incompétence, la surdité de ceux qui sont en charge des mains courantes). C'est une affaire personnelle, de cœur je dirai qui peut être accompagnée par des formations à l'écoute, à la bienveillance, par un suivi régulier (pas un contrôle mais des prises de paroles de ceux qui agissent sur le terrain supervisées par des psys). Le problème de la rigidification de l'institution est réel. Toute institution tend à se bureaucratiser, à perdre de vue ses buts, à détourner ses moyens, à impersonnaliser ses personnels. Je mets à contribution mon passé d'étudiant en sociologie pour signaler que deux sociologues ont oeuvré pour démasquer et corriger : Georges Lapassade (L'entrée dans la vie) et René Lourau (L'analyse institutionnelle). On pourrait citer aussi le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, François Tosquelles, Jean Oury et d'autres.

Colin Lucette, « L'arpenteur Georges Lapassade », Nouvelle revue de psychosociologie, 2008/2 (n° 6), p. 313-316. DOI : 10.3917/nrp.006.0313. URL :

https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2008-2-page-313.htm

Colin Lucette, Hess Rémi, « Georges Lapassade (1924-2008) : cinquante ans de psychosociologie », Bulletin de psychologie, 2009/2 (Numéro 500), p. 191-193. DOI : 10.3917/bupsy.500.0191. URL :

https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2009-2-page-191.htm

un retour de Florence Brizio

Merci beaucoup Jean-Claude Grosse pour ce retour sur cette pièce et sur cette journée de célébration du 30ème anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, organisée par l'observatoire départemental de la protection de l'enfance dont je suis responsable en partenariat avec la PJJ et l'ADEPAPE (association d'anciens enfants confiés). 
Cette pièce est issue d'une recherche action par les pairs dirigée par Perrine Robin chercheur en sociologie. Lorsque j'en ai entendu parler, j'ai souhaité qu'elle puisse s'inscrire dans le programme de la journée intitulée"des droits formels aux droits réels: paroles d'enfants ". 

L'observatoire départemental de la protection de l'enfance est une instance pluri institutionnelle ( ASE, PJJ, foyer de l'enfance, éducation nationale, justice, université, associations...) chargé de développer une culture commune de la protection de l'enfance. 
Les institutions se rigidifient parce que comme à l'hôpital et dans tous les services publics, la logique comptable et gestionnaire ne permet plus aux professionnels chargés d'accompagner les personnes vulnérables au quotidien de faire leur métier, occupés de plus en plus souvent à, de tenir à jour des tableaux de bord et des indicateurs, de remplir des documents administratifs.... Ils sont en train de tuer le travail ! 
Les journées comme celle d'hier redonnent du sens, rappelle les fondamentaux. L'ovation finale après la pièce c'était comme des retrouvailles avec le sens du travail social. La parole donnée, échangée, l'écoute, le don, l'entraide, la prise de risque parfois. S'autoriser à aimer un enfant, en lui donnant la parole, la confiance et le temps... "j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux".

Magnifique analyse de la pièce !

Tout y est ! 
Sur les besoins fondamentaux de l'enfant, je vous propose la lecture d'un document en pièce jointe. Il vous intéressera. 
Il s'agit d'un rapport sur les besoins fondamentaux de l'enfant issu d'une démarche de consensus associant plusieurs chercheurs relevant de plusieurs disciplines. Le rapport date de février 2017.
 Dans le cadre de l'observatoire, je développe des actions de formation pour sensibiliser les professionnels de la protection de l'enfance à la connaissance de ses besoins fondamentaux. 
À partir du métabesoin de sécurité se déclinent tous les autres besoins: de protection, de sécurité affective et relationnelle, le besoin d'expérience et d'exploration du monde, le besoin de valorisation et d'estime de soi. 
 
Urie Bronfenbrenner, père de la théorie de l’écologie du développement humain : « chaque enfant a besoin de quelqu’un d’irrationnellement fou de lui ». Idée que ce psychologue et chercheur américain a ainsi déroulé : « Pour se développer -intellectuellement, émotionnellement, socialement et moralement- un enfant a besoin de participer à des activités réciproques progressivement plus complexes, régulièrement, sur un temps prolongé, avec une personne ou plus avec qui l’enfant développe un attachement émotionnel fort, mutuel et irrationnel et qui est engagé sur le bien-être et le développement de l’enfant, de préférence à vie ».
 

 

CIE FOLHELIOTROPE & CIE CRINOLINE 

J’ai pas l’temps 

j’suis pas comme eux

À PARTIR DE TÉMOIGNAGES D'ENFANTS PLACÉS 

 

 

RÉSUMÉ

Léna, Malik et Cosmina ont la particularité d’avoir été tous les trois extraits de leur famille d’origine pour être placés en famille d’accueil et en foyer. Comment grandir au cœur d’une institution parfois ressentie comme indifférente ? Entre interrogations, colères, angoisses et joie, parfois, Léna, Malik et Cosmina tentent de se construire. Mais à 18 ans, tout s’arrête : il faut partir. C’est l’heure de la sortie de l’Aide Sociale à l’Enfance et de la dure entrée dans la « vie adulte ». 

Arriveront-ils à s’en sortir ? 


 

NOTE D'INTENTION 

L ‘adaptation d’une recherche sociologique 

Cette pièce est l’adaptation d’une recherche universitaire en sociologie, initiée par Pierrine Robin de l’Université de Créteil, qui porte sur la transition à l’âge adulte après une mesure de protection : « Les jeunes sortant de la Protection de l’Enfance font des recherches sur leur monde. » Une quinzaine de jeunes ont été interviewés par des chercheurs et par d’autres jeunes spécialement formés qui ont été associés à toutes les étapes de la recherche. Leurs propres mots composent l’essentiel du texte de cette adaptation. Leurs expressions, leurs phrasés, leurs codes de langage construisent la musicalité, le rythme et la vérité de leurs récits de vie. 

Ce sont les jeunes de la recherche eux-mêmes qui ont formulé le souhait d’une adaptation théâtrale afin de donner une plus grande visibilité à une réalité encore méconnue du grand public. Pour rappel, les enfants sont confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) des départements par les juges pour enfants, lorsqu’ils sont en danger dans leur famille (maltraitances, négligences, carences éducatives...) 

Ces enfants sont accueillis dans des familles d’accueil ou dans des foyers. à leur majorité, tout peut s’arrêter. Les départements peuvent mettre fin à leur accueil et à leur accompagnement. 40% des SDF de moins de 25 ans sont des anciens enfants placés. 

Trois personnages, trois types de liens 

Nous avons donc réfléchi ensemble aux moments clés de leurs parcours qu’ils voulaient mettre en relief et imaginé trois personnages, Léna, Malik et Cosmina, qui sont une synthèse de plusieurs témoignages ; ils sont également représentatifs des trois manières de créer le lien dans le cadre du placement et des répercussions dans la façon de gérer l’entrée dans la « vie adulte » : 

- LE LIEN NOUÉ : incarné dans la pièce par le personnage de LÉNA qui, après une bonne prise en charge en famille d’accueil, vit son entrée dans la « vie adulte » comme une rupture avec le cocon protecteur. Elle s’accroche mais elle est vulnérable. 

- LE LIEN SUSPENDU : incarné par le personnage de MALIK qui vit un parcours difficile lié à des placements différents avec des allers-retours en famille. C’est un parcours en dents de scie, jalonné de fugues et de rapports difficiles avec les éducateurs. 


 

- LE LIEN DÉTACHÉ : incarné dans la pièce par le personnage de COSMINA dont le placement est plus tardif. Il s’agit d’une jeune femme déterminée qui s’appuie sur tous les outils mis à sa disposition pour atteindre ses objectifs. Elle a un projet de vie bien défini et s’y tient, devenant le « héros » de sa vie. 


 

" Tribune" artistique et catharsis 

En ayant pour terreau les témoignages de ces jeunes de l’ASE, la pièce s’inscrit dans la lignée du théâtre documentaire et assume son rôle de « tribune » artistique en souhaitant donner la parole aux principaux concernés sans dévoiler d’histoires personnelles. Une fiction, donc, où la parole, nue et brute au départ dans l’expression des émotions traversées durant ces parcours difficiles, devient peu à peu « politique » en venant prendre directement le spectateur à témoin. Ainsi, pas de décor pour laisser place à la parole, mais un espace nu avec, pour seules présences, une corde comme figuration récurrente des différentes manières de vivre le lien, et un métronome pour rappel du couperet des 18 ans. 

Le miroir de l’institution 

Et l’institution ? Incarnée par un couple de comédiens, elle est omniprésente sur scène car c’est elle qui cadre et accompagne. L’aller-retour entre les personnages et le chœur chorégraphie ainsi l’histoire de ces destins à la fois individuels et collectifs. Ce duo clownesque, au visage peint en blanc, est pensé comme contrepoint du lourd héritage des jeunes. Il est le miroir grossissant des absurdités de l’institution pointées dans le témoignage des jeunes : les longs couloirs impersonnels, les piles de dossiers, les procédures etc. ... Mais que l’on ne s’y trompe pas : derrière les fards à la fois inquiétants et grotesques de ces deux adultes, se cachent des sensibilités calfeutrées et éprouvées... 

EXTRAIT

MALIK

Logiquement, à notre âge, on est censé pouvoir faire des erreurs On est censé pouvoir s’casser la gueule 

Mais ... J’ai pas l’temps 

CHŒUR

Non. Franchement. T’as pas l’temps d’faire des erreurs. 

MALIK

En même temps j’ai rien demandé J’ai toujours essayé d’me débrouiller seul. D’me débrouiller au mieux Parce que j’sais que ... J’sais que ... Pour être vraiment sûr d’avoir c’que j’veux Pour pas être déçu... 

CHŒUR

Non. Franchement. T’as pas l’temps d’compter sur eux. 

LénA

Quand j’étais petite, ils disaient : « Oui, vous êtes des enfants comme les autres » Mais ... 

CHŒUR

T’es pas comme eux. 

COsMInA

On te dit d’être comme tout le monde, mais en même temps on te fait comprendre que ... 

CHŒUR

T’es pas comme eux. 

MALIK

Les gens, quand on leur dit « Voilà, je suis placé » 

COsMInA

« Voilà, j’suis dans un foyer » 

LénA

« Voilà, j’suis en famille d’accueil » 

CHŒUR, imitant les réactions d’effarement et de suspicion Oh il vient du foyer Oh elle est placée 

Oh en famille d’accueil ! Elle a fait le bazar ? Elle a un grain ? Il a tout cassé ? 

MALIK

Ils ont pitié 

LénA

Ils comprennent pas 

MALIK

Ils ont peur de qui tu es Je supporte pas 

COsMInA

J’ai perdu des amis pour ça 

MALIK, LénA et COsMInA 

J’suis un cas social, tu crois ? 

CHŒUR

T’es pas comme eux, qu’est-ce que tu crois ? 

les artistes du cirque mort, au paradis éclairé des artistes; le fil qui pend est l’interrupteur qui a allumé les lumières; c'est un interrupteur qui décide de la vie, de la mort, de la vie après la mort; la piste est vide, un nouveau cirque peut surgir avec de nouveaux artistes, de nouveaux numéros; merci le clown fidelis fortibus, fidèle et courageux; photo ab
les artistes du cirque mort, au paradis éclairé des artistes; le fil qui pend est l’interrupteur qui a allumé les lumières; c'est un interrupteur qui décide de la vie, de la mort, de la vie après la mort; la piste est vide, un nouveau cirque peut surgir avec de nouveaux artistes, de nouveaux numéros; merci le clown fidelis fortibus, fidèle et courageux; photo ab

les artistes du cirque mort, au paradis éclairé des artistes; le fil qui pend est l’interrupteur qui a allumé les lumières; c'est un interrupteur qui décide de la vie, de la mort, de la vie après la mort; la piste est vide, un nouveau cirque peut surgir avec de nouveaux artistes, de nouveaux numéros; merci le clown fidelis fortibus, fidèle et courageux; photo ab

FIDELIS FORTIBUS CIRCUS RONALDO

Fidelis Fortibus est autre chose qu'un spectacle. Puisque d'entrée, le clown nous dit cirque mort, no comico, et nous invite à sortir. Des tombes, des croix, des lumignons, des instruments de musique, des accessoires, une piste encombrée. Omniprésence des morts impossibles à oublier, devant être ranimés, honorés, mais aussi assez souvent malmenés par le clown énervé par leur inertie...Tout cela donne un cérémonial funéraire très mexicain, sud-américain, s'achevant par une fantaisie funéraire, l'élévation des artistes du cirque mort, rassemblés avec minutie, respect sur un curieux cercueil, jusqu'au paradis des artistes, en haut du chapiteau, d'où les morts peuvent voir une piste vide et propre, cet espace vide appelant à une nouvelle création, à de nouveaux numéros. Le clown a fait le vide en rendant hommage, en étant fidèle, fidèle et courageux (fidelis fortibus), en faisant revivre les numéros de jonglage, de funambule, de magicien, de trapéziste... Nous pouvons sortir. Le public a été particulièrement attrapé par cette histoire et par ce clown-orchestre remarquablement accompagné par des instruments jouant tout seuls. Beaucoup d'émotion. Bravo l'artiste, Danny Ronaldo. Merci à Patrice Laisney pour ce choix. JCG

FIDELIS FORTIBUS FIDÈLE ET COURAGEUX CIRCUS RONALDO

FIDELIS FORTIBUS
"Dans le cadre de la Saison Cirque Méditerranée,
la programmation délicate, poétique de 
Patrice Laisney, d'un artiste entrainant son public dans son univers digne de La Strada, aux lueurs vacillantes de lumignons, entre vie et mort.
Amor.
Le vent s'engouffre dans les pans du chapiteau, la sciure vole,
les guirlandes de guingois, illuminent comme une respiration fragile les ors et le velours pourpre, le décor est un peu miteux, poussiéreux; les instruments, cabossés mais tendrement présents.
L'artiste joue dans l'arène, les enfants ne comprendront pas tout, mais les adultes y verront sans cesse l'aller-retour entre vie et mort .
Avec trois bouts de ficelle, deux chaises bancales, trois ballons de baudruches, un petit rat frémissant, des loupiotes chancelantes, un tutu de dentelles surannées, il nous emballe dans son bric-à-brac désuet.
Chaque mort est plus présent que les vivants. Joue qui du tuba, de la clarinette ou de la flûte traversière .
Le clown triste s'élève vers les cieux, dais qui nous hisse au plus beau de nous-mêmes.
Il s'énerve contre ses morts et pourtant leur écrit un hymne extraordinaire.
Avec Danny Ronaldo, circus Ronaldo.
La Seyne-sur-mer.

Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 

Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 

BOIULLON IMAGINAIRE

HOMMAGE À PICASSO

Dans le cadre de l'opération de prestige Picasso et le paysage méditerranéen, inaugurée le 15 novembre au Metropolitan Art of Toulon, le MAT, les structures culturelles de TPM ont été invitées à s'y associer.
Le Pôle au Revest a donc passé commande d'un hommage à Picasso à la compagnie italienne Piccoli Principi; j'ai vu cet hommage ce mardi 19 novembre, aux Comoni, la première de Bouillon imaginaire, hommage à Picasso et aux enfants.
Picasso a dit “Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant”. Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
«En 1865, le terrier d'un lapin permettait à la bl