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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

l.c.

Inventer la démocratie scolaire / Laurent Carle

9 Septembre 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #L.C., #agora

Inventer la démocratie scolaire / Laurent Carle

Il y a longtemps que l’école républicaine prépare les générations futures à ce néolibéralisme et à s’en accommoder.

A la lecture des études sociologiques et des informations rapportées par les journalistes, on pourrait croire qu’on ne rencontre des pauvres que dans les immeubles insalubres des centres anciens, dans les HLM, les cités de banlieue et les « quartiers ». Pourtant, bien que la règle d’impartialité « républicaine » impose à l’arbitre de ne pas faire de différence, en plus jeune les pauvres sont aussi nombreux dans les écoles que dans les statistiques démographiques. Mais qu’est-ce qui empêche la maitresse de voir des inégalités, qui font « réussir » ou « échouer » selon l’appartenance sociale, pendant ses dictées ou ses leçons de lecture avec « méthode » ?

 La société se pose les problèmes qu’elle peut résoudre.

« l’Education nationale et ses milliers de professeurs…

…un monde  où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, »

Quand on a la culture et la table bien servie, pointer notre ennemi commun avec ceux qu’on exploite, qui végètent, c’est bien. Faire alliance en tous temps et donner aux pauvres la culture, pour commencer, en cessant de pratiquer des méthodes d’enseignement qui trient et sélectionnent en assurant la « réussite » à « ceux qui la méritent » et en éliminant les sans grade dès le CP, c’est mieux.

      Le jour où les journalistes, les célébrités et les médias ne se cantonneront plus à parler avec compassion des mauvaises conditions de travail et de salaire des enseignants mais se poseront aussi des questions sur le sort des enfants scolarisés dans le système français et sur ce qu’ils sont forcés de faire pour fournir la preuve de leur bonne volonté d’apprendre les faux savoirs que l’école leur fait avaler de force tous les jours, de la comédie à laquelle ils doivent se livrer pour montrer à la maitresse qu’ils ont bien appris le leçon, l’enfant ne sera peut-être pas encore au centre du dispositif et au cœur des apprentissages, mais nous saurons que la société française s’en préoccupe et que l’indignation ne se limite plus au cercle réduit des pédagogues. Ce serait déjà une amorce de solution pour sortir l’enfance en général, la pauvre en particulier, de ce dressage collectif d’un autre temps, un pas vers le progrès démocratique à l’école. Et donc l’annonce de la fin future possible de la société de la « réussite » financière avec ses inégalités et ses égoïsmes, l’amorce d’un état démocratique et républicain au sens littéral.  

En lisant la lettre d’Annie Ernaux (sur France Inter) au Président, je fais un rêve et un vœu. Je rêve et je souhaite que les enseignants dans leur ensemble (95%) prennent cette lettre à la lettre par-delà l’effet attendu par son auteur. Jusqu’ici les milliers dont Annie Ernaux célèbre le dévouement ne sont en réalité qu’une poignée de dissidents. Que les autres se lèvent comme un seul homme, même les femmes, et déclarent :

« Désormais l’enfant sera au centre des apprentissages, nous ne consacrerons plus notre temps et notre dévouement à ceux qui n’ont pas besoin de l’école pour apprendre à lire, écrire et compter. L’école ne sera plus le bureau d’homologation des savoirs acquis ailleurs, ni l’Office Central de la Fédération Française de Compétition Scolaire. Nous sommes plusieurs centaines de milliers à refuser désormais de passer notre temps sur les manuels de « lecture », sur les « méthodes » synthétiques, analytiques ou mixtes, syllabiques. Nous ne ferons plus de dictées, ces parodies d’orthographe… Nous ne serons plus les agents d’exécution de la reproduction des inégalités sociales, les évangélistes de l’individualisme, du chacun pour soi. Au contraire, nous serons les éducateurs de la solidarité, de l’échange, de l’entraide, de la coopération, du socio-constructivisme, de la laïcité sociale, les militants de l’école pour tous. La réussite, ce n’est pas l’élévation en prenant l’ascenseur social, c’est la culture pour tous. »

 Les enseignants n’ont pas besoin de la décision du Président pour faire entrer dans les classes la démocratie sociale et solidaire à la place de la gestion loyale de la guerre des classes. Sans le consentement et le concours discipliné des enseignants le président des ultra riches ne peut pas détourner l’argent de la république et le pouvoir du peuple au profit des classes dominantes.

       Si mon rêve ne se réalise pas, cette lettre restera dans les mémoires pour sa beauté littéraire. Un moment d’émotion pure. Une création vaine de plus. 

L’arbitrage impartial de la compétition n’est pas une vocation. C’est du fonctionnariat, voire du mercenariat dont la solde n’est jamais à la hauteur des services rendus aux dominants.

 

 

Laurent CARLE

 

Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et  ce qu’on pouvait lire sur la  banderole  d’une manif  en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique dépourvu de  chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays :  les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir  cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle.  

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas  là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps   pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent  déjà  sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde  dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde  où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie,  nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » -  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui  permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

Il faut applaudir la presse qui informe les citoyens, enfin, ce qu’il en reste, sur la crise sanitaire et sa gestion. Malheureusement, soit le message est mal entendu, soit vite oublié. Ce dit la presse française des menaces sur la démocratie, pourquoi ne le dit-elle pas du régime autoritaire, antipédagogique et antisocial qui règne dans les classes de notre système scolaire depuis toujours, faisant de nos enfants futurs adultes des exécutants dociles formés à avaler les mensonges d’état et l’enrichissement des gros poissons par prédation de la manne publique ? Pourquoi ce silence pudique ? Quand il est question de l’école, tout esprit critique est enterré au cimetière de l’actualité et des idées progressistes. Silence de nécropole ! La presse est-elle une jeune veuve avant noce, vierge et ingénue ? Edwy Plenel, François Ruffin, Jean Luc Mélenchon, Benoit Hamon, Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, êtes-vous sourds ou myopes ? Vous ne voyez pas que le choix entre la citoyenneté républicaine et le totalitarisme économique se construit à bas bruit dans les écoles de la république, jour après jour, de la maternelle au lycée ? Imposer des apprentissages et des activités scolaires sans aucun sens mais très sélectifs, comme faire « lire » en faisant le bruit des lettres avant de chercher le sens du message que porte l’écrit à « décoder » et ne pas s’interroger sur le sens (l’intention) de cet enseignement, sont la plus efficace formation à la soumission politique. Les enfants de prolétaires qui, par docilité à la méthode enseignée, « déchiffrent » difficilement et douloureusement, croient qu’ils « lisent mal » par déficience intellectuelle ou par paresse. Electeurs adultes, ils voteront conformément à ce qu’ils n’ont pas appris en classe, comme il faut, comme ils lisent.

 Depuis que je participe aux échanges sur le Net, j’écris pour réveiller les morts. Je ne réveille même pas les vivants, car je n’ai pas la force de frappe des médias nationaux ou seulement locaux. En imputant la pathologie aux « dys mauvais élèves », l’école peut passer pour « normale », saine, confiante comme un aveugle avec son chien, c’est à dire aux ordres. Il faut dire que les enfants d’enseignants sont surreprésentés dans la « réussite scolaire » et dans l’effectif des grandes écoles. Pourquoi changer ?

          Je me répète comme un perroquet sans auditeur. 

Les enseignants n’ont pas besoin de la décision du Président pour faire entrer dans les classes la démocratie sociale et solidaire à la place de la gestion loyale de la guerre des classes. Sans le consentement et le concours discipliné des enseignants le président des ultra riches ne peut pas détourner l’argent de la république et le pouvoir du peuple au profit des classes dominantes. S’ils n’étaient plus éduqués à la concurrence libre et non faussée, depuis toujours organisée et arbitrée par les enseignants qui croient en une école juste dans un monde juste où chacun reçoit succès ou défaite à l’aune de son mérite, les écoliers devenus adultes ne se laisseraient pas tromper par les politiciens qui leur promettent la fortune par l’auto entreprenariat. Ils sauraient avec évidence qu’un agneau n’a aucun intérêt à voter pour le loup. Les gagnants de la concurrence libre et non faussée ne sont pas les meilleurs. Ce sont les plus riches, les plus gros, les plus cupides qui, émigrés fiscaux internationaux et internationalistes bénéficiant des privilèges d’état et d’assistanat, absorbent les petits et démultiplient leurs revenus en exploitant la misère des continents pauvres après avoir « délocalisé » leur outil de production, détruisant au passage la planète qui abrite l’humanité tout entière et eux-mêmes. En économie néo-libérale, la concurrence libre et non faussée, affranchie des lois sociales, c’est la liberté de faire rouler dans la ville à leurs risques et périls des cyclistes-livreurs, « auto-entrepreneurs », pour quelques dollars la course. Ou, après avoir mis les ouvriers du Nord au chômage par liquidation de l’industrie textile, celle de payer 30 € un ouvrier polonais pour confectionner un costume vendu 1000 € à Paris. En école du mérite, la nôtre, c’est le droit de collectionner comme trophées les « bons points » quand on est né de parents lecteurs ou d’aller faire soigner sa « dyslexie » avec la « gestuelle phonomimique » de Borel-Maisonny chez l’orthophoniste, si l’on grandit dans une famille d’illettrés. Pour l’Etat, c’est l’obligation de se désengager, de déréguler, de privatiser les services publics, de vendre les bijoux de famille acquis après la guerre, pour éviter de taxer les riches sans déclencher une révolution. Comme l’orientation libérale de la gestion politique que nous connaissons, le choix didactique du recours aux méthodes « qui ont fait leurs preuves » ne participe pas du simple pragmatisme du « faire avec ». Il relève d’une stratégie, apparemment inoffensive, de priorité non contestable naturellement accordée aux non « défavorisés ». En triant selon les « résultats scolaires », on croit participer à la sélection des compétences pour les postes de responsabilité. En fait, on ne fait que de la maintenance en reproduisant les inégalités de naissance pour mettre à disposition des dominants un volant de « défavorisés » de la classe ouvrière et de la classe moyenne. Les pauvres n’échouent pas parce qu’ils ne « suivent » pas, on les fait échouer à coups de syllabation et de dictée à fautes, « pour leur bien ». Cette idéologie néolibérale au service des vainqueurs, endogène dans notre école, guide l’enseignement depuis des lustres derrière une « pédagogie de l’efficacité » affichée en vitrine. La vocation de l’état républicain moderne est d’améliorer le confort fiscal et financier de la bourgeoisie. C’est l’état-providence des dominants. La mission du système scolaire est de préserver la perpétuation de la différence et des inégalités entre les classes, sous la bannière d’une idéologie commune, celle de la collaboration. 

Que le retour d’entre les morts de Jésus rouvre les yeux de ceux qui ne sont pas aveugles mais ne voient rien.

Laurent CARLE

Avec

BLANQUER ministre

maintenir le conformisme et l’illusion de l’ascenseur social 

ou inventer la démocratie scolaire ?

 

La majorité des enseignants de toute fonction et de tout grade (psy, réparateurs et formateurs compris) croient et pensent que la mission des enseignants est de distribuer comme le semeur, à la volée, mais orale, les savoirs scolaires (le « programme ») à des ignorants qui ne viennent pas à l’école de leur plein gré et ne sont pas tous, ou pas toujours, disposés à faire les efforts nécessaires pour enregistrer et mémoriser l’enseignement dispensé. La distribution collective à un public homogène, garantie de « l’égalité des chances », doit donc s’accompagner d’une surveillance vigilante qui ajoute à la fonction de transmetteur la « conscience professionnelle » du Père directeur de conscience qui récompense les méritants et punit les récalcitrants, après avoir fait entrevoir, pour un plus tard proche des lendemains qui chantent, les futurs bénéfices d’un « travail » bien fait. C’est une mission « civilisatrice » de l’ordre du divin, qui fait de chaque enseignant l’équivalent d’un saint laïc promettant la réussite d’un but purement matériel. 

 

Pour la réalisation de cette promesse, l’école à la française est censée instruire par mémorisation sans agir, sans échanger, sans donner, sans partager et sans faire : apprendre à lire sans lire, sans bibliothèque et sans correspondant épistolaire, à écrire sans écrire et sans communiquer avec un interlocuteur distant, à faire des opérations de calcul sans rien produire de quantifiable pour personne. Les règles, définitions, conjugaisons, tables et « récitations » par cœur avec « exercices d’application » dans le « cahier du jour » seraient la recette pour faire entrer dans la connaissance et la culture les plus bêtes des ignorants, les plus crasseux des « paysans ». Cette mission « religieuse » doit donc s’accomplir selon les rites consacrés par la tradition, la liturgie et les superstitions, officiés dans un espace clos, une sorte de petit monastère qui sanctuarise l’école, à l’écart de toute activité sociale et publique. Elle fait du maitre un clerc officiant, exfiltré de la société puis consacré clerc de la connaissance. De leur côté, les théologiens prédicants se mutent en gardiens du temple s’employant à dénoncer les « pédagogistes ». Parfois, maitres et élèves, en phase avec la théorie janséniste, pensent que les « bons élèves » sont prédéterminés à « réussir » parce qu’ils ont reçu la grâce à la naissance, thèse forcément hérétique, puisque, selon le dogme, « la connaissance se mérite par le travail » - hérétique mais admise. En réalité, être bien né, c’est avoir grandi dans un milieu privilégié, source de grâce pour élus. Ce constat n’affaiblit nullement la croyance en la béatification que le « travail » accorderait malgré tout à l’écolier besogneux.

 

C’est dans et par ce travail de l’élève que le paradoxe prend une dimension théologique. « Travailler » pour recevoir ce qui vient d’en haut et s’élever. Dans l’école à la française, rien ne doit être appris qui n’ait d’abord été enseigné. Nul ne doit faire avant d’avoir appris à faire. Aucun enfant ne doit lire avant d’avoir appris à lire. Produire de l’écrit exige d’avoir préalablement acquis en « travaillant » les « règles » de grammaire, d’orthographe et de conjugaison, ces structures destinées à façonner l’inutile dans un lieu où le fait social n’a pas sa place. C’est ainsi que plus d’un élève français sur quatre arrive au collège, illettré. Les petits Français sont censés s’instruire sans faire et sans produire dans une institution d’enseignement « naturellement » désignée « d’apprentissage » qui ne fabrique rien, ne produit rien, ne construit rien, ne livre rien. La transmission se fait entre la parole du maitre évangéliste et l’oreille du catéchumène (celui qui est instruit de vive voix). Si l’école républicaine, rurale, urbaine, communale ou confessionnelle enseignait la marche aux bambins de douze mois, ce serait assis et sans bouger. On y apprendrait à marcher sans se déplacer. Et pourtant, l’élève à qui il est interdit de faire avant de savoir faire est régulièrement récompensé ou puni pour son « travail ». Les théologiens parlent de stimulation, signal de motivation pourtant inefficace qu’il faut très souvent relayer par l’émulation, euphémisme de « compétition ». Ce système de motivation exclut toute idée de coopération et d’entraide, « péchés mortels » pour la doctrine. Cet enseignement du faire-semblant est la manifestation visible d’une idéologie invisible. Sous ses divers noms d’emprunt, Dupont Lajoie représente sans mandat mais sans tricher cette « pensée » pédagogique majoritaire (95%)Quelques rebelles insoumis préfèrent pratiquer la démocratie, seuls et contre tout, là où ils exercent. Ils sont rares. La plupart des plaintes formulées par les alignés à l’encontre du ministre désigné par le cambrioleur de l’Etat, au service de la finance, lui reprochent son mépris négligeant à l’égard des enseignants, comme s’il était le ministre sincère d’un gouvernement démocratiquement élu par la majorité des citoyens. Sincère ou rusé mais mal choisi pour cette fonction et donc à contre-emploi, il nous tromperait par incompétence ou ignorance. Mais pour l’élève, qu’elle soit magistrale, ministérielle ou idéologique, l’obligation de « bien travailler » pour prendre l’ascenseur est une parodie de sélection d’élite qui ne profite qu’aux privilégiés et aux rares gagnants du tirage au sort. L’institution scolaire, financée par le plus gros budget de la nation, état et collectivités réunis, qui dispose des moyens pour émanciper tout un peuple en le libérant de la tutelle des clercs et de l’emprise de la publicité, se contente d’arbitrer la compétition pour désigner les quelques élus qui auront le droit de monter dans l’ascenseur.

 

Majoritaires dans l’enseignement, les femmes, qui, après les peuples indigènes des colonies, souffrirent le plus dans leur âme et dans leur chair de la brutalité de l’exploitation capitaliste, exigent avec rigueur des écoliers l’ascèse du vivre et du savoir scolaires. Elles dirigent et « corrigent » les « devoirs » loin des espérances féministes qu’elles affichent. Du bonheur collectif qu’annonce le féminisme elles ne montrent rien. Gardiennes de la règle grammaticale, gardiennes de l’ordre. Leur enseignement est techniquement exécuté sans humanité. Le féminisme est un humanisme centré sur la femme. A l’école, l’humanisme, ce serait l’élève au centre, une incongruité pour la majorité. De fait, les enfants, qui doivent apprendre par obligation scolaire les règles qui structurent le langage oral et l’écrit, sans écrire et sans parler, n’ont pas la parole. En classe, la langue est une arme factice sans munitions. Parce qu’aucune organisation syndicale ne les représente, ces travailleurs de l’inutile ne profitent jamais des améliorations matérielles ou pédagogiques, accordées parfois par quelque ministre. Déjà « bénéficiaires de conditions excellentes pour bien travailler », mais « plus portés sur les rires et les jeux que sur l’étude et le sérieux », les écoliers français n’ont besoin de rien d’autre que d’exhortations à travailler mieux. La démocratie leur est une promesse pour enfant docile. 

 

Rien n’étonne celles qui réclament égalité et justice sans distinction de sexe. Par le mystère et la magie de la voie indirecte qui oblige les enfants des deux sexes à faire sonner les lettres avant de s’interroger sur le sens des mots, un(e) élève en échec « lecture » en arrive à « lire » sans comprendre ce qu’elle-il « lit ». On distribue religieusement un bon point, hostie scolaire, à celle ou celui qui comprend ce qu’elle-il vient de « lire », quand c’est celle ou celui qu’on a mis en échec qui devrait recevoir réconfort et consolation. Car toutes les pratiques rituelles, héritées de la tradition ou prescrites par instructions officielles, sont destinées à empêcher par l’échec les enfants de pauvres d’entrer dans la culture écrite. Malheureusement, ces pratiques stupides ne heurtent ni la raison, ni le jugement moral des professeur-e-s, même quand la stupidité grimpe jusqu’au chronométrage de la syllabation à haute voix, aujourd’hui recommandé par le ministre, enseigné depuis longtemps par les pédagogues de la méthode. La « globale » rend l’élève dyslexique, dit-on, l’enseignement de la syllabation rend l’enseignant débile, devrait-on dire.

 

Blanquer à point nommé légalise, bon ministre de la bourgeoisie, la débilité à l’école. On le dit piètre ministre, il est loyal envers ses patrons. Macron, président choisi par la finance, refusé par 80% des électeurs, qui se sont abstenus, ont voté contre ou voté blanc, l’a choisi et nommé pour sa capacité à empêcher l’accès de la culture écrite aux classes populaires. Les enseignants, premiers bénéficiaires de « l’ascenseur social », ne l’apprécient pas mais se soumettent à l’idéologie qu’il propage, la même que celle qu’ils ont reçue pendant le parcours scolaire de leur enfance, sous la direction d’un précédent ministre, semblable au présent. Ils exécutent sans savoir ce qu’ils font, ignorant savamment que le système scolaire est l’appareil idéologique d’état, l’appareil de reproduction de la division du travail entre manuels et intellectuels et le fixateur des inégalités sociales entre les deux. Je dis « ignorants savants » parce qu’aucun-e utilisateur-trice de méthode de « lecture », conseillé-e et cautionné-e par des chercheurs en science du neurone, ne se doute que l’enseignement de la méthode conduit tout droit à la pauvreté et la résignation ou précipite parfois, faute de livres et de partis ouvriers, dans les bras des politiciens d’extrême-droite.

 

Les ministres passent… l’école se perpétue. Quand la république française défile, monarque en tête, son école marche au pas. Pourtant le mammouth école est devenu si gigantesque que sa tête ne contrôle plus ses membres. Il n’y a rien à attendre du ministre et de son ministère mais chacun dans son espace et son domaine peut autogérer son activité professionnelle dans le sens du progrès démocratique. L’autogestion née dans l’esprit libertaire de soixante-huit, les enseignants peuvent la pratiquer ici et maintenant. C’est ce que font depuis toujours les démocrates émancipateurs de toute confession (5% de la profession), sans avoir attendu mai 68 et sans permission. Jusqu’ici, aucun chien n’a mordu les mollets de ceux qui s’écartent du troupeau. La liberté pédagogique qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas est possible depuis toujours. Cette liberté n’est pas le libre choix de faire comme on doit et comme il faut, comme tout le monde. C’est celui d’inventer la démocratie scolaire plutôt que de reproduire sans examen les modèles périmés d’une loyale servitude de rigueur. La pédagogie n’est pas la police de la pensée, c’est un art des possibles qui n’est pas du ressort de la prescription scientifique ou de l’ordonnance politique. Elle est « l’obligation scolaire » de l’enseignant. Pour s’y consacrer il faut d’abord résoudre un double conflit : 

  1. le conflit de loyautés entre l’enfance populaire (et familles) auprès de qui on a passé contrat social et moral en choisissant l’éducation scolaire et la classe dominante au pouvoir avec qui on a signé son engagement,

  2. le conflit d’intérêts entre ceux de sa classe, de sa corporation et de ses avantages acquis à défendre et ceux de l’humanité en devenir, l’enfance. 

 

Laurent CARLE (juillet 2020)

 

 

 

 

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Pédagogie de compétition pour société de marché

8 Avril 2010 , Rédigé par grossel Publié dans #L.C.

Pédagogie de compétition
pour société de marché ?


Si on pense qu’apprendre est une obligation morale qui fait devoir de travailler à l’école, on aboutit logiquement à considérer l’échec scolaire comme la conséquence d’un défaut moral et, à la rigueur, d’une défaillance intellectuelle, dont l’individu porte, seul, la responsabilité. Si on pense qu’apprendre est une nécessité sociale et acquérir des savoirs scolaires, un droit, on considérera l’échec comme un dysfonctionnement scolaire, facteur d’injustice à réparer collectivement. La première théorie, séduisante et dominante dans l’opinion française, induit un modèle d’enseignement « individualiste », magistral, classique et traditionnel, majoritaire. La deuxième théorie, peu attractive, peu partagée et peu connue, produit un modèle d’enseignement « socialiste », pédagogique et innovant, minoritaire. Chaque maitre, comme chaque profane, peut se situer dans l’un des deux sous-ensembles. Pour penser la deuxième théorie, il faut la choisir délibérément. Pour la première, il suffit de se laisser porter sans résister, poussé par la foule, comme un esquif, sur le flot de la doxa. Pour atteindre la deuxième, il faut nager, comme un saumon, à contre-courant des idées reçues, en rare compagnie.

On ne peut exercer le métier selon une approche pédagogique qui place l’enfant au centre, sans l’avoir voulu avec détermination, en résistance et en rupture avec l’idéologie dominante. Or, l’offre pédagogique n’est pas visible. Les pratiques et les théories pédagogiques ne sont disponibles, ni dans la panoplie des outils didactiques commerciaux, ni dans le registre institutionnel de l’offre de formation professionnelle. Il faut donc se risquer, chercher, tâtonner, se tromper, corriger, innover, seul dans sa classe et, hors de la classe, se rapprocher de mouvements pédagogiques, mal connus, parfois contre la mauvaise réputation que leur fait la rumeur et malgré l’hostilité que leur manifestent les penseurs de l’enseignement « reconnus ». On peut donc traverser une carrière entière sans en avoir eu vent. Car, pour apprendre le métier en conformité avec la pensée dominante et en concordance avec la tradition, à l’abri du risque pédagogique, il suffit, quand on débute, d’observer autour de soi « ce qui se fait », d’écouter les aphorismes des anciens, de ceux qui ont de la bouteille, qui, autrefois débutants, avaient appris le métier de leurs anciens, qui l’avaient, eux-mêmes, appris… On peut aussi se référer aux méthodes des maitres qui nous ont éduqués pendant notre propre scolarité. La boucle est automatiquement fermée par transmission orale et contagion de croyances, par promiscuité.

Le maitre traditionnel :

Il est soumis à des contraintes institutionnelles historiques, spécifiques, qui n’existent pas hors de l’école. Elles lui sont « livrées » par la  tradition. Entre autres, il respecte des normes morales qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Dans sa classe, apprendre est un devoir, ne pas apprendre est une faute ou une défaillance. Il doit exhorter, « stimuler » par de mauvaises notes, houspiller et menacer les élèves négligents ou rétifs, pour qu’ils apprennent leurs leçons.

Son souci historique de départ : contrôler et modérer l’effervescence des rentrées de classe ; asseoir son autorité en repérant les leaders qui risqueraient d’entrainer le groupe dans l’indiscipline ; gagner la confiance inconditionnelle des élèves ; installer une discipline rigoureuse par des mises en garde, des règles de vie déjà libellées, annoncées dès le premier jour, avec présentation de l’arsenal des sanctions, récompenses-punitions, qui accompagneront les notes ; faire planer la menace du redoublement sur la tête de ceux qui ne seraient pas assez attentifs, disciplinés, appliqués et travailleurs. 1

En bref,

1-rappeler aux élèves que chacun obtiendra, par son seul mérite, dans un labeur solitaire, de bons résultats et les récompenses qui vont avec,

2-en même temps que la « conduite », moraliser aussi les conduites d’apprentissage.
Son souci historique à long terme : asseoir sa réputation professionnelle sur sa diligence à respecter la tradition et sur sa loyauté envers elle, à savoir, créer dans la classe, au quotidien, les comportements et le climat studieux des examens et concours ; réunir les conditions matérielles et morales d’une compétition interindividuelle impartiale, où chacun aurait sa chance, afin que le meilleur gagne (interdiction d’échanger et de copier ; ne devoir « sa note » qu’à soi-même ; apprendre seul ; faire peu, même faux, mais tout seul) ; contrôler la conformité ; persuader chacun que la mutualité est un défaut ; boucler le programme afin d’être en règle avec ses obligations institutionnelles et les attentes supposées ou fantasmées de « l’inspecteur » ; fournir au collègue du niveau supérieur, qui accueillera les élèves dans un an, un bon pourcentage de bons élèves.

Le maitre pédagogue :

Il se donne des objectifs éducatifs universels, pensés et analysés, non scolaires, valables partout. Dans sa classe, apprendre est un droit, ne pas apprendre est une injustice sociale. Il lui faut faire en sorte de donner à tous les moyens de s’instruire, de trouver pour chacun le chemin de la connaissance.

Son souci original de départ : travailler, dès les premiers jours de classe, avec des élèves actifs, interactifs et autonomes ; les déranger dans leurs postures habituelles d’attente et de soumission aux décisions de l’adulte ; leur donner le sens de l’initiative, de la solidarité entre pairs, du projet personnel et collectif ; faire émerger un sentiment d’appartenance sociale.

Son souci innovant à long terme : apprendre à vivre ensemble, créer une dynamique d’élaboration collective de la vie quotidienne, d’organisation du travail en classe et de construction des savoirs, un système socialisant de cogestion élèves-maitre ; faire acquérir par chacun, en collectivité, le sens social, le sens critique, le sens du partage et l’empathie. En bref, pour apprendre ensemble, créer une microsociété, organisée sur un modèle coopératif, une petite entreprise de production et de consommation des savoirs élaborés et acquis en groupe ; apprendre à penser par soi-même, à ne pas faire confiance à tout ce qu’on entend, même si c’est dans la bouche du maitre.

Les objectifs éducatifs et la finalité sociale des deux théories, conscientes ou inconscientes, sont si contradictoires qu’aucun moyen terme, ni rencontre n’est possible. Beaucoup de traditionnels aiment leur métier et l’enfance, développent des relations de confiance et de respect, voire d’amitié, sur le plan interindividuel, maitre-élève. Cette qualité de la relation peut passer pour une pédagogie éducative. Quand les élèves ont de mauvaises notes, les bons maitres traditionnels les consolent, charitablement : « les notes, c’est pas important, il faut travailler pour toi, pas pour la note ! si tu continues tes efforts, la prochaine fois, tu en auras une bonne...», comme le prêtre absout le pécheur et l’exhorte dans la voie du salut. Mais leur pédagogie s’arrête à la compassion. Elle ne va pas jusqu’à renoncer à la notation, renoncement qui signerait le reniement de l’orthodoxie, le sacrilège de la liturgie et des sacrements scolaires. 2
Ce sont bien deux métiers différents et incompatibles. On ne peut être enseignant à dominante traditionnelle avec un peu de pédagogie, ou pédagogue convaincu avec un peu d’enseignement traditionnel, sans déclencher un conflit avec soi-même. 

Les premiers arbitrent
, en juges impartiaux et souverains, un concours scolaire blanc permanent, en guise de préparation et d’entrainement. Dans le viseur du programme éducatif, ils pointent les futurs examens et la compétition économique et sociale entre individus, adultes, mais gouvernés par des politiques, qui les considèreront comme les enfants dépendants d’un pouvoir tout-puissant : chacun pour soi, que le meilleur gagne ! Ce sont de loyaux serviteurs de l’état, parfois syndiqués, souvent électeurs de gauche, qui ne mettent jamais l’institution scolaire en question, même pendant une grève. La liturgie, les faire-semblant, la compétition entre pairs, avec récompenses, punitions et carnets de notes de la pédagogie traditionnelle, leur conviennent. Volontairement et en toute bonne conscience, pour quelques-uns, involontairement et sans le savoir, pour la majorité, ils apprennent aux enfants les vertus d’une pensée conforme qui ne pose pas de question à l’idéologie. Ils les préparent à vivre, en consommateurs fidélisés, « récompensés », tenus en laisse par la publicité télévisée, dans une société de marché, de compétition et de lutte de classes, une société qui exploite et humilie les classes inférieures, broie les individus les plus vulnérables et garantit aux plus favorisés le maintien de leurs privilèges. Pour fonder ces pratiques, pour en justifier la finalité, ils n’ont pas besoin d’un questionnement et d’une théorie. La tradition qui leur fait faire ce qui se fait partout, depuis toujours, suffit.

Les seconds éduquent
à la citoyenneté active pour une société démocratique et solidaire : un pour tous, tous pour un ! Ils ont rompu avec l’apprentissage scolaire passif, la pédagogie compétitive traditionnelle et l’idéologie dominante. Ce sont des serviteurs de l’enfance, pour ce qu’elle porte en germe, la société de demain, promoteurs d’une vraie vie sociale en classe, structurée par les échanges, l’entraide, la collaboration et le débat démocratique. Ce sont des chercheurs perpétuels, en quête de pratiques innovantes et concordantes avec leur éthique morale et sociale, qu’ils n’adoptent jamais sans examen. Quand leurs collègues conduisent les élèves vers la réussite aux examens, chacun pour soi, eux, ils guident et accompagnent les leurs dans la construction de savoir sociaux à partager. Sans attendre un monde meilleur, ils introduisent en avant-première, dans l’école, un modèle social idéal qui n’existe pas encore dans la société des adultes. A savoir, la mise en œuvre du triptyque des fondements de la république, liberté, égalité, fraternité. Considérant que la démocratie n’est pas définitivement donnée, ni achevée, ils la construisent et l’améliorent, dès l’école. Ils la consolident et la préservent. Ce ne sont pas des surdoués, génétiquement dotés de qualités personnelles, intellectuelles ou morales, supérieures. Ils ne sont pas meilleurs, ils sont différents. Ils n’ont pas reçu en naissant des talents professionnels exceptionnels. Ce sont surtout de « libres penseurs » non conformistes, des « incroyants » refusant idées reçues, vérités révélées et avérées. Ils ne se lancent pas dans une pratique, si répandue soit-elle, les yeux fermés, simplement parce que la corporation et l’opinion l’approuvent. Ils interrogent la théorie qui s’y blottit discrètement.

Leurs paradigmes étant contradictoires, les deux ne peuvent ni collaborer dans le temps, ni se rencontrer sur l’agora pour débattre. On ne peut comparer leurs résultats respectifs, puisqu’ils ne poursuivent pas le même but. On peut seulement les questionner. Pour préparer de futurs demandeurs d’emploi à vivre dans un monde impitoyable, vaut-il mieux les former ou les conformer ? 3 Lequel des deux modèles arme-t-il le mieux les individus pour « réussir sa vie » ou pour subir les outrages du productivisme industriel, du harcèlement moral et du licenciement économique, sans sombrer dans la dépression ? Interroger le passé scolaire des employés de France Telecom qui se défénestrent et des spéculateurs qui ont déclenché le crash boursier de 2009, nous apporterait peut-être un début de réponse. 4

Laurent CARLE (février 2010)

1-  A propos de ce qui « motive » : Bâton, carotte et motivation
recompense-et-motivation
 2- La notation est la religion de l’école.
« Dis, donc… C’est à l’école que tu apprends ces vilaines  manières ? » Charles Pepinster
http://www.meirieu.com/FORUM/Disdonc_pepinster.pdf
 3- Extrait d’un blog sur la « récompense » : Maintenant... elle me paraît en même temps une bonne manière d'armer (...un peu plus...) les élèves au monde futur qu'ils devront intégrer une fois les diplômes (enfin je l'espère) obtenus : dans ce monde là (... le monde du travail, enfin je l'espère), la récompense est monnaie courante ! Ils sont nombreux, les salariés qui vivent cela difficilement, parce qu'ils n'y ont pas été rodés ! Alors, pourquoi ne pas s'y entraîner AVANT ?
 4- Un enfant en situation d’apprentissage est un chercheur. Il devrait bénéficier des mêmes conditions psychologiques et sociales qu’un chercheur en laboratoire : droit à l’erreur,  travail en équipe, entraide, solidarité et coopération entre pairs. Pour mieux comprendre la nocivité du système récompenses-punitions, on devrait aussi interroger le passé et le présent de chercheurs réputés, aujourd’hui maitres en excellence scientifique :
ces-chercheurs-qui-refusent-des-primes-de-milliers-deuros-

Alphan Manas:
Semaine du 25/03/10 NouvelObs
Notation : une absurde loterie

Voilà un siècle et demi qu'on évalue les élèves de façon inefficace et arbitraire. Mais il ne faut surtout pas le dire.

Les notes sont injustes. Flanquées à la tête du client, selon l'humeur du capitaine ou la vitesse du vent. Mauvaise excuse de potache ? Pas du tout. Conclusion de nombreux chercheurs. Et cela ne date pas d'aujourd'hui : «Dès les années 1920, les docimologues ont mis en évidence le manque de fiabilité des notes, leur caractère souvent arbitraire», dit Sylvène Kitabgi, qui vient de réaliser une étude sur cette question pour la chambre de commerce de Paris ( (1)). Même s'ils ont à coeur d'être impartiaux, les enseignants sont, à leur insu, influencés par toutes sortes de choses. Le niveau de la classe, le sexe de l'élève, son origine sociale ou encore... l'ordre de correction des copies. Sans parler de l'effet bien connu du niveau de l'établissement. Les plus élitistes mettant un point d'honneur à être particulièrement secs. C'est si vrai qu'à Paris le rectorat « pondère » selon les collèges les notes prises en compte pour affecter les élèves dans tel ou tel lycée...
« Ces biais ont été démontrés par des études scientifiques très sérieuses, mais on fait toujours comme s'ils n'existaient pas ! On ne change rien au système », constate la spécialiste. Bruno Suchaut, directeur de l'Institut de Recherche sur l'Education, confirme : «Cette façon d'évaluer les connaissances des élèves est aléatoire et biaisée de multiples façons. Les spécialistes le savent depuis longtemps, mais pas le grand public. Cela reste tabou. » Ce chercheur parle d'expérience. En 2008, il met discrètement en ligne une étude intitulée : la loterie des notes au bac. Celle-ci montre qu'une même copie du bac soumise à trente correcteurs peut voir son score varier de dix points. Et elle fait aussitôt scandale. «J'ai été très surpris ! dit son auteur. Il s'agissait juste d'une illustration très banale de faits déjà mis en évidence par de nombreux travaux. » Notamment une étude qui remonte à 1962 et qui concluait que, pour obtenir une note «juste» aux épreuves du bac, il faudrait faire la moyenne de celles données par 13 correcteurs en maths, 78 en français et 127 en philo...
Plus grave : ces notes si peu fiables que nous pratiquons sans rien y changer ou presque depuis 1880 sont le pilier même de l'orientation. « C'est absurde, on décide du devenir de jeunes en s' appuyant sur un outil obsolète, peu fiable, au lieu de s'intéresser à leurs différentes compétences, aptitudes, aspirations. Il s'agit juste de les trier», regrette Michèle Dain, directrice du Biop, le centre d'orientation de la chambre de commerce de Paris. Ce centre reçoit chaque année plus d'un millier de jeunes, premiers de classe ou exclus de l'école. Michèle Dain est frappée par leur désarroi grandissant : « On parle beaucoup du stress des salariés, de la souffrance au travail, de harcèlement, mais on ne réalise pas que tout cela existe plus encore à l'école. » En cause notamment ces contrôles «à l'ancienne», inefficaces, qui «ne donnent pas aux élèves des outils pour progresser », étroits dans les compétences évaluées et, de surcroît, bien plus fréquents chez nous que chez nos voisins. Dans certains pays - Finlande, Suisse, Danemark, mais oui, c'est possible ! -, on se passe tout simplement de notes !
(1)«L'évaluation scolaire est-elle au service de l'orientation ?»


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sur divers enseignements (lecture, poésie)

14 Mai 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #L.C.

sur divers enseignements (lecture, poésie)
sur divers enseignements (lecture, poésie)
sur divers enseignements (lecture, poésie)
sur divers enseignements (lecture, poésie)
Un dialogue intéressant sur
l'enseignement de la lecture

Un texte excellent sur
l'enseignement de la poésie

Dialogue entre un pédagogue et un épouvantail

Invités :

- Marc Le Bris, enseignant en Bretagne.
Auteur de Et vos enfants ne sauront pas lire, ni compter (Stock).

- Sylvain Grandserre, enseignant en Normandie.
Auteur de Ecole: droit de réponse, lettres d’un jeune maître d’école. (Hachette)

 
Un texte d'actualité qui dit quelque chose
qui pourrait être la vérité !
 

Après le drame de Meyzieu (un collégien qui a poignardé d'autres élèves), Philippe Meirieu a reçu des mails et une lettre anonyme lui imputant la responsabilité de cet événement... Eh oui ! En ayant participé comme pédagogue à la mise en place des élèves au centre du système scolaire, il aurait fait de ces derniers des petits tyrans que plus rien n'arrête. Sombre crétinerie à laquelle je réponds rapidement en affirmant l'inverse :
 
"C’est parce que les pédagogues, ont usé à la marge de leur liberté pédagogique pour aller vers une pédagogie de la liberté (circulation, expression, communication, création, tâtonnement, recherche, responsabilité) qu’ils ont patiemment élaboré et mis en place des dispositifs pertinents : code de la classe, permis à points, réglettes, passeports de circulation, ceintures de comportement, monnaie de classe, réunion de coopérative, conseils d’enfants, boîtes aux lettres, brevets, contrats individuels de réussite, « métiers », médiateurs, tutorat, délégués, etc. De Janus Korczak à Fernand Oury, en passant par Célestin Freinet, c’est justement dans des situations où il n’était plus possible de travailler que sont nées les techniques salvatrices. Comment peut-on faire croire que nous aurions abusé de tout cela quand, pour tant d’enseignants, ces pratiques restent totalement inconnues ? "
 
 
Libre d'utilisation (même si ça fait plaisir de savoir ce que ça devient !).
 
Bien cordialement.
Sylvain Grandserre
CM1/CM2 - École Primaire de Montérolier (76)
Auteur de "École : droit de réponses" (Hachette)

 
Peut-on apprendre à écrire en faisant des rédactions ?
 
Réponse d'Eveline Charmeux :
 
Savoir graphier, c'est-à-dire savoir tracer, avec des outils divers, et sur divers supports, les signes de l'écrit de manière à pouvoir être lu, est une activité perceptivo et psycho-motrice.
Savoir produire un écrit dans une situation de communication différée, de façon à transmettre un message à des partenaires absents, est une activité psycho et socio-linguistique.
C'est dire qu'il y a là deux apprentissages différents, qui n'ont que peu à voir l'un avec l'autre, et qui doivent donc occuper des moments distincts de l'emploi du temps.
 
On a là sans nul doute l'explication de l'extrême faiblesse d'écriture (faiblesse maintes fois dénoncée depuis quarante ans), des adultes d'aujourd'hui, piètres lecteurs, mais plus piètres scripteurs encore. Et si l'on n'est pas convaincu de cette médiocrité, il n'est que de songer à ce qui se passe, par exemple, dans une réunion syndicale, politique ou professionnelle, lorsqu'on demande un secrétaire de séance : si vous voulez perdre deux heures vous n'avez qu'à attendre qu'un volontaire se propose... ! Personne n'est dupe en réalité : par delà les bonnes raisons personnelles invoquées pour décliner l'invitation, c'est le non-maîtrise de la chose qui en est la vraie cause...
Et de fait où aurait-on appris à faire un rapport de réunion ? On voit mal en quoi le fait de faire, dans une rédaction, le récit d'une promenade en forêt ou la description de son animal favori, aurait pu développer les compétences nécessaires à la rédaction d'un tel rapport !
La question essentielle reste donc : Qu'y a -t-il à apprendre pour devenir capable de produire les écrits, que la vie sociale, scolaire et personnelle exige de nous chaque jour ?

Car il est là, l'objectif : il ne s'agit pas seulement de devenir capable d'aligner quelques paragraphes sur un sujet quelconque, mais bien de pouvoir produire les écrits scolaires (solutions mathématiques, interrogations écrites d'histoire ou de sciences, comptes-rendus de TP, dissertations etc.) et professionnels (rapports, comptes-rendus, synthèses, articles de presse, motions, courrier administratif, etc.), sans oublier tous les écrits d'expression personnelle, littéraire et poétique, qui attendent chaque élève et chacun des citoyens qu'ils deviendront.
Comme pour la lecture, il n'existe aucun apprentissage "avant", qui serait valable pour toutes ces situations. Les compétences qu'elles requièrent ne peuvent être acquises qu'en situations véritables, en écriture de projets sociaux effectifs.
Pour atteindre cet objectif, que propose-t-on ? Un entraînement à la rédaction.
Qu'est-ce qu'une rédaction ?
La production d'un texte à propos duquel on fournit la seule information (son sujet) qui n'aide en rien cette production.
Comme on sait, un texte n'est jamais caractérisé par son sujet, mais par la situation de communication qui l'a rendu nécessaire. Qu'il s'agisse de raconter, d'expliquer ou de décrire, ce qui permet de définir les choix langagiers, et l'organisation du texte, ce ne sont ni les règles de grammaire, ni celles d'orthographe, ni la question de la cohérence, — toutes données qui joueront, certes, un rôle, après, dans un second temps —, mais bien les réponses aux questions suivantes : qui parle, à qui, où et quand et surtout, pour obtenir quel résultat ?.
Apprendre à les poser et à y répondre, ce n'est possible que si les enfants commencent par des situations en vraie grandeur, dont les enjeux sont aisément repérables par eux-mêmes, et s'ils ont pu eux-mêmes découvrir l'importance de ces données et transformer ces découvertes en règles d'écriture archivées dans leurs "outils pour lire et pour écrire".
C'est dans des situations de communication sociale que peut être construite la notion de variations langagières — capitale pour la maîtrise de la langue, dont résonnent pourtant ces "nouveaux" programmes, à grand renfort de formules pompeuses et mensongères.
C'est là seulement que les enfants vont pouvoir apprendre "comment ça fonctionne", pour ensuite pouvoir s'amuser à "faire semblant", c'est-à-dire, à s'entraîner (mais oui !) sur des situations simulées —, non des "rédactions" à sujets, mais des situations-problèmes d'écriture, qui consistent à produire des écrits en imaginant telle ou telle situation, pour tel ou tel destinataire, avec tel ou tel type d'enjeu.
S'entraîner, activité indispensable à la maîtrise, cela fonctionne toujours comme un jeu, où l'on imagine des problèmes à résoudre : qu'il s'agisse du foot, des échecs ou des apprentissages scolaires, la nature des entraînements est toujours la même : reprendre des points précis des situations vraies et imaginer de façon ludique des difficultés particulières, liées à des situations précises, dont il s'agit de trouver les moyens de les surmonter.
En matière d'écriture, il s'agit de s'entraîner à partir d'un même sujet, à écrire des textes différents en faisant varier les destinataires et les enjeux. Par exemple, pour décrire une même forêt, on va inviter les élèves à :
1- en faire une description, telle qu'elle pourrait apparaître au début d'un roman policier en imaginant qu'un crime affreux s'y est produit
2- en faire une description telle qu'elle apparaîtrait dans un prospectus du Syndicat d'Initiatives du coin, pour inviter les touristes à venir la visiter
3- en faire la description que pourrait en donner un ouvrage de géographie qui la trouve représentative des paysages de cette région.
4- en faire la description humoristique d'une personne qui raconte dans une lettre à des amis, comment elle a pu s'y perdre... etc.
Toutes ces situations sont avant tout ludiques (un entraînement doit être une occasion de s'amuser, sinon, c'est un pensum : ce n'est pas un entraînement !) et sont les moments où les stratégies pour surmonter les difficultés rencontrées sont confrontées et analysées ensemble, pour être objets d'appropriation : chacun des élèves est ainsi enrichi par le groupe tout entier.

 
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