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Du corps, signifiant premier/Paul Mathis

Du corps, signifiant premier/Paul Mathis
 

Du corps, signifiant premier
 
par Paul Mathis
Note: Cet exposé a été présenté lors d’une table ronde (avec performances d’artistes italiens) consacrée au corps, à la Maison des Comoni au Revest-les-Eaux, en mai 1995.
Pour ceux qui s’intéressent au corps, on peut conseiller comme lectures :
Stanislavski : Le travail de l’acteur
Grotowski : Vers un théâtre pauvre (Ed. L’Age d’Homme 1971)
Thomas Richards : Travailler avec Grotowski sur les actions physiques (Ed. Actes Sud 1993)
JCG
 
Dante écrit  :
    « lorsque la colombe se pose
auprès de son compagnon, l’un à l’autre, ils se témoignent,
    tournant et roucoulant, leur affection, » (1)

De quoi s’agit-il ?
De maîtrise, de performance ou d’engagement ?
Qu’est-ce qui est engagé là ? De performance ? De maîtrise sur les pulsions partielles, ou d’articulations signifiantes entre deux corps, deux désirs, deux reconnaissances, dans un registre qui pourrait être d’attention, d’aménité, de vie, de sagesse, et non de conflit, de rapport de force et de mort ?
Cette table, ronde, tourne autour du corps. Le corps, réel, vivant ou mort, est le signifiant premier et dernier. Autour de quoi tourne-t-il ? Et qu’est-ce qui peut l’empêcher de tourner en rond, de faire prévaloir les répétitions, les stéréotypies qui à la limite sont les courriers de la souffrance et de la mort où se glisse la jouissance.
Comment s’élabore la dimension du sujet face à toutes les maîtrises qu’il sollicite ou qu’on veut lui imposer depuis le sacrifice demandé à Abraham ?
Car le sacrifice est toujours exigé par le maître, qui est toujours un politique et jamais un artiste.
Paul Celan a écrit une phrase terrible. « Der Tod ist ein Meister aus Deutschland ». « La mort est un maître d’Allemagne. »
Pour sortir de ce piège, impliquant que le maître suprême est la mort, je vous parlerai de musique. Or l’Allemagne présente un panorama musical des plus importants. Musique c’est-à-dire signifiant des plus spécifiques dans les lieux et les temps d’articulations intrinsèques, dont le corps assurera les correspondances, les échos et les reflets.
Qu’est-ce qu’un signifiant ? Lacan le définit comme étant ce qui représente « un sujet pour un autre signifiant.
Mais si le signifiant est fondamental, primordial, il interroge les cernes de son territoire, le plaisir qu’il apporte et les limites de son pouvoir. Le signifiant doit compter avec le corps, avec ses réussites et ses échecs. Pourquoi est-il parfois si exhaustif, et à d’autres moments si insuffisant ?
Composantes écrites, dessinées, gravées ou peintes  ; lettres entendues, parlées ou chantées, glissant d’un registre à un autre, vers de multiples signifiants, face à l’exigence du corps, parfois antinomique.
A quel travail, à quels investissements, à quelles jouissances le corps est-il affecté, condamné, s’il n’est pas dans la liberté de ses options ? Le corps est toujours présent, sexué. Il est à la fois le support, l’exécuteur, l’inventeur, dans la joie ou le désagrément, dans la vérité ou la tromperie. A quel partage, est-il convié au nom de la lettre? A quels symptômes est-il réduit, si la lettre est absente, et même si la lettre est présente, cette lettre ne suffit pas totalement.
Le corps à corps avec le signifiant traduit ce qui de la culture et du sujet s’efforce de parer à l’insuffisance du corps à corps  dans une rencontre singulière.
La musique instaure d’incessants ricochets, d’innombrables feed-backs, de la lecture du manuscrit, à l’inscription sur le matériau de l’instrument et ceci à travers le jeu exécutif opéré par le corps. Le corps fait la musique et celle-ci se réincarne sur le corps  et fait le corps.
Je prendrai comme référent, un musicien canadien , Glenn Gould, mort prématurément, et paraissant au nœud de ce que le corps est capable de produire de plus exemplaire.
Ce qui peut paraître exorbitant, paradoxal, c’est l’importance du travail mental exigé par Glenn Gould loin de l’instrument. Il semble même dire qu’il n’est pas essentiellement pianiste. Et c’est peut-être, dit-il, parce qu’il est d’abord musicien, qu’il est devenu excellent pianiste. Et il énonce qu’il est impératif de posséder « une bonne faculté de concentration, l’oreille absolue et une mémoire musicale excellente ».
La musique lue, entendue, mémorisée, restructurée dans les circuits neuroniques du cerveau, diffuse à travers de multiples composantes corporelles pour se conclure dans les actes qui communiqueront la musique  à l’instrumentation.
On assiste là à un travail intellectuel immense, préalable à toute interprétation, pour cette articulation subtile de la pensée et des actes, vers une performance extrême selon une grande pluralité.
Et si le passage d’un signifiant à l’autre est toujours de l’ordre de la disparité, la mutation intrinsèque à l’intérieur d’un même signifiant, traduit une conversion interne tendant à circonscrire davantage le noyau d’un désir ou d’une création. Tout créateur est opérateur privilégié d’un même signifiant, pour un même parcours, même s’il interfère  avec  d’autres  signifiants  ; s’il travaille aussi, tout au long de son histoire, pour le même signifiant, à travers les mutations d’un temps à un autre temps et d’un musicien à un autre. Ainsi peut-on apercevoir la progression opérée, partant de la polyphonie du Moyen-Age et du contre point de Bach, vers une reprise de la fugue par Beethoven pour aboutir au système dodécaphonique de Shoenberg.
Est-ce ces trois maîtres qui ont contribué à l’armature de Glenn Gould propice à une telle constance de lecture, d’écoute et de re-création ?
Disparité des métamorphoses ; mutations intrinsèques dans le parcours d’un signifiant, et glissement vers un autre. Et ceci dans une avancée toujours renouvelée, autour d’un axe, qui est probablement celui de la radicalité du désir dont les paramètres demeurent toujours dans une zone d’ombre.
La trajectoire de Glenn Gould, a été particulièrement décisive dans sa détermination. Musicien dès la petite enfance, les notes connues avant les lettres des mots, il manifeste tout au long de sa vie la netteté de ses options. Il persuade ou il s’impose, non point au nom d’un conflit, mais en fonction de son lien à la musique. Cette harmonie des rapports, il l’a traduit dans la critique qu’il expose à l’égard du concerto, qui pour lui ne doit pas être un rapport de force entre le chef d’orchestre et le soliste, mais une correspondance attentive.
Lors d’un concert avec Karajan, exécutant le concerto en ré mineur
de Bach, fatigué, fiévreux, transpirant, les paupières closes par la musique et la sueur, soudain il ouvre les yeux, surpris. » Karajan, écrit-il, ne faisait pas le moindre geste. Depuis combien de temps il avait cessé de diriger, je n’en avais aucune idée ; nous faisions de la musique de chambre ! » (3)
L’aménité des échanges dans un lien au style, rejoindrait-elle dans le même jeu de Glenn Gould les performances de l’écriture chinoise annoncées dans les soixante-douze traits de la « stratégie du pinceau » de Dame Wai? On y lit qu’ils sont corrélatifs de la vigueur, de la chair, de la charpente et du muscle. La vigueur et le muscle, la rapidité, simultanément dans la pensée et dans le maniement du pinceau apparaissant dans la peinture chinoise comme une preuve de génie. (4)
Inscription et traduction dans le corps des similarités apportées par la musique. Car Glenn Gould parle lui aussi « d’extraordinaire vigueur ». (5)
La chaise basse dont on s’est moquée, n’était pas un artifice. Elle était pour lui un socle sûr, familier, à bonne hauteur, pour les meilleurs développements gestuels, par l’assise qu’elle représentait. De ce socle émerge une gestique extrêmement puissante et nuancée où le corps lui-même apparaît musique dans une approche de la danse.
Dans les mouvements rapides et scandés, staccato, son corps reste droit, animé seulement de mouvements de flexion et d’extension, particulièrement au niveau de la tête, de petite amplitude.
Le tronc prend l’allure d’un balancier lorsque le rythme se ralentit. Et s’il accentue sa lenteur, apparaît un mouvement de rotation, très souple, du torse et de la tête.
A ceci s’ajoute, presque toujours, une rythmique du menton accompagnant le chant nécessaire à tout musicien. « Le chant est toujours le fondement de la musique », écrit Fischer Dieskau (6). Ou encore :  « Quiconque  joue d’un instrument doit savoir
chanter. » (6)
Les yeux se ferment parfois, puis s’entre-ouvrent, créant au front des plis. Attention, maîtrise, et parfois extrême détente. Béatitude peut-être.
Lorsque l’une des mains quitte le clavier, elle emprunte au chef d’orchestre sa chorégraphie, offrant à la main restante, l’appui nécessaire à l’ampleur exigée par la musique. Car si cette main, maintient seule le jeu pianistique, celle-ci ne peut proposer l’envergure suffisante que grâce à ce bras volant témoignant de l’absolu de cette totalité du corps. La musique, non au bout des doigts, mais procédant d’une concordance des équilibres du corps entier.
Glenn Gould, a fait de son corps le matériau des interférences interpellant d’une façon nouvelle, provocatrice, la création musicale, l’interprétation, la relation de l’interprète avec le public, et la façon dont l’exigence du musicien fait acte, ou passage à l’acte avec le corps.
Glenn Gould nous ravit, nous étonne, plus qu’il ne nous angoisse. Ses gestes qui paraissent insolites, auxquels avant lui aucun pianiste ne nous avait autant convié, invitent le mélomane à entendre la musique dans un contexte où le corps fait écho à l’instrument de façon moins conventionnelle.
Ce corps qui semble s’exhiber, crée de nouveaux rapports, donnant à la musique écrite une autre ampleur, prolongeant l’intention créatrice du compositeur, au-delà de la salle de concert, au sein du studio, qui devient un laboratoire de re-création et de gravure.
Fischer-Dieskau souligne cette fonction re-créatrice de l’interprète, « le poussant à accomplir des choses dont il ne sait pas encore quelles formes elles pourraient prendre. » (7) Ce que pourrait faire l’analysant s’il se laissait aller à la créativité de son discours.
Ou encore « le texte musical dont nous disposons n’est pas la vérité absolue, mais une partie seulement de cette vérité. » (7)
Yehudi Menuhin sous une autre forme dit que le musicien est un manuel, un artisan. Ne souligne-t-il pas ainsi la corrélation la plus étroite entre l’imaginaire et l’acte, entre le fantasme et la lettre, dont le corps sera le récipiendaire heureux ou malheureux ?
Quel lien y a-t-il entre la trajectoire proposée ou imposée par un signifiant, et les moments épars paraissant introduire une cassure ou au contraire donner une nouvelle impulsion ?
La cassure de Glenn Gould avec le public se fait en 1964, à Chicago.
C’est la sonate op. 110 de Beethoven, qui en est l’alibi, le prétexte ou la cause.
N’y a-t-il pas au cœur de certains mouvements lents de Beethoven, l’essence de la musique dans son lien à la souffrance, à la mort, et corrélativement à la vie et à la joie, à partir du style du musicien, si la technique rejoint l’éthique, sans compromis ? Est-ce le Klagener Gesang, le chant de douleur qui conduit Glenn Gould vers un autre Heiligenstadt lui aussi dépassé ? Beethoven aussi sauvage que Glenn Gould, faisait fuir Goethe. Il était sans concession. Glenn Gould reprend sa trace. Le studio correspond à la nécessité pour lui de mettre son corps au plus près de la création et de la re-création musicale dégagé des postures à l’égard du public.
Glenn Gould a-t-il voulu condenser dans un temps de vie relativement court ce que la musique pouvait offrir de mieux de son rapport au monde ? C’est-à-dire articuler la lettre au corps, la lettre portant témoignage du désir sur le corps lui-même, en dépit peut-être d’une mort prématurée, si l’objet « a » de Lacan, prévalent, cadavérise par anticipation ?
L’adagio de la sonate op. 110, en la bémol majeur nous sollicite par une lenteur extrême, soulignée par un staccato très marqué par Glenn Gould.
Il débute par une frappe dominante de la main droite  ; attaques lentes, soutenues, un peu martelantes, mais diffusant vers une sonorité cadencée comme celle d’un gong. A la main gauche quelques notes égrenées, puis cette main se lève animée d’une sorte de battement accompagnant silencieusement la main droite exposant une frappe lente rythmique, très lente.
La main gauche enchaîne à son tour, sur un mode de marche funèbre, éclairci par quelques notes parsemées à la main droite. Puis les deux mains glissent à l’unisson, lentement, vers ce chant nostalgique, lourd dans les basses, tandis que la main droite s’échappe du clavier.
Puis de nouveau retrouvailles des deux mains, tandis que la tête se redresse, que les yeux mi-clos semblent dire l’allégresse et qu’un sourire s’ébauche sur les lèvres lorsque le rythme devient plus allègre dans la joie retrouvée de la fugue. Chant d’adieu au public, mais chant d’un nouveau contrat avec la musique. Les deux mains chantent ensemble, dans le grave et dans l’aigu  ; reprises intermittentes des séquences lentes, résurgences du début de l’adagio, vers la réjouissance, malgré une nostalgie indélébile, inamovible, mais qui n’a pas dit le dernier mot, qui ne dit pas la dernière lettre, qui ne fait pas entendre la dernière note, en dépit de la répétition qu’elle instaure. Car au-delà, il y a toujours un nouveau staccato, sûr de lui, tel que l’exige la Fugue, prélude à cette Grande Fugue offerte par Beethoven en conclusion de son dernier quatuor, ouvrant sur la musique moderne. « Es muss sein », avait-il écrit.
Glenn Gould assure par son corps, les variations les plus extrêmes de Beethoven, de la cadence la plus lente, la plus douce, à l’allégro le plus soutenu  ; axe autour duquel bat la vie, vers l’exubérance de la danse.
D’autres allusions Beethovéniennes offrent à Glenn Gould l’ambition de son champs et particulièrement s’il est de concert avec Yehudi Menuhin.
Ceci est remarquablement illustré par la sonate pour piano et violon en sol majeur, op. 96 de Beethoven, où l’adagio mesure l’ampleur de la double détermination des deux musiciens. Adagio se terminant sur l’égrènement du piano et les notes prolongées du violon. Accords de sons distants, progressivement évanouis vers un silence, auquel fait suite un allegro où le visage de Glenn Gould rayonne d’un sourire discret, mesuré mais absolu. Un court adagio terminal, très chantant sur le violon, plus rythmé au piano, redonne à Beethoven, par ces deux re-créateurs, un nouveau départ vers un indispensable brio. Notes rapides sur les deux instruments laissant à la mélodie sa marque nécessaire alliée à la cadence rapide vers un arrêt net. Cadence précipitée, frôlant la virtuosité des notes aiguës, mais restant en déca de la vélocité para-musicale. Car Glenn Gould, s’arrête toujours à temps pour redonner aux notes appuyées, mais non percutantes, une prévalence de ce que le silence et le temps lent vont recréer d’envergure. Jamais les accélérations ne sont insistantes. Exubérance, mais pas dans le désordre.
La mécanique rapide, métronomique, martelée, selon laquelle, souvent, nous entendons Bach, est modulée, cassée par les mouvances de Glenn Gould. Avant lui, il était difficile de penser que la beauté des adagio de Beethoven pouvait être égalée. Certes, demeure de ce musicien une ligne mélodique et nostalgique dont il restera toujours le créateur incontesté.
Dans la sonate pour piano et violon en ut mineur de Bach, apparaissent, allusifs, les temps lents de Beethoven, mesurés, fabriqués par les doigts caressants, glissants, non langoureux, de Glenn Gould, alternant avec les attaques rapides, fermes, mais non dures, cessant vite leur préemption, pour redonner aux notes adoucies le temps nécessaire à la prolongation  ; temps plus lent, disposant plus de lui-même. Comme de coutume, le corps dans sa totalité, dans ses modulations de reptation, d’enroulement, d’amplitude accentuée, crée les alternances avec les flexions et les extensions rapides du staccato. On imagine ces mouvements du corps tourbillonnant, tordant la verticalité des marteaux, pour donner à la courbe une prévalence sur la ligne droite.
Et ceci apparaît particulièrement exhaustif dans l’adagio. Lenteur appuyée transmise au violon de Yehudi Menuhin. Cadences en phases parfaites, encore plus exemplaires dans l’adagio de la sonate pour un piano et un violon en sol majeur de Beethoven.
Glenn Gould a redonné à la musique, les contrastes, la lenteur, tonique et non lancinante, et les ressauts brillants, mais non de fioriture, tel que l’allegro qui fait suite à l’adagio de cette sonate  en sol majeur.
Au-delà, du contrepoint et de la dominance mélodique, Glenn Gould, entraîne Yehudi Menuhin vers la fantaisie pour piano et violon, op.47 de Schœnberg. Le staccato cher à Glenn Gould semble trouver là son aboutissement extrême, tandis que le violon paraît rappeler au pianiste le glissando nécessaire.
La musique est probablement au niveau de ce qui pourrait être au plus près de la quintessence du signifiant. Le signifié est lointain, fuyant, perçu par paliers, et cependant inaccessible, car toujours au-delà du dernier échelon.
Les accords, les cadences, les tonalités, sont une réplique de ce qui  dans le corps les produit, c’est-à-dire les systèmes neuroniques et biochimiques, mais sans qu’aucun des deux côtés, aucune signification réductrice prenne le pas sur une structure particulière.
Il semblerait naître de cette conjonction, une harmonie double cassant la dichotomie dont nous avons hérité.
Et si les signifiants atteignent un tel niveau, dominant un sens impatient par leurs caractéristiques intrinsèques, ils confèrent à la langue, à l’écrit, à la gestique du corps ce que Glenn Gould désignait comme « liberté d’émerveillement et de sérénité » au-delà de tout apparentement faussaire.
On pourrait penser que le jeu de Glenn Gould serait contesté par ce que dit Magdalena Bach à propos de son mari  : « Même lorsque ses pieds volaient, comme s’ils avaient des ailes, son corps ne paraissait pas faire le plus petit mouvement. » (8) Mais ceci n’est pas antinomique. Et on peut appliquer à Glenn Gould, ce que l’épouse de Bach ajoutait  : « Son jeu était la perfection qui semble facile et ne trahit aucun effort. » (8)
Si le signifiant peut atteindre le niveau ultime envisagé, il opère aussi un retour vers l’imaginaire, afin que le corps reprenne le message et contribue à sa rediffusion. Ceci oscille entre la pulsion de mort et le désir de vie dont le signifiant est la pièce maîtresse, dans la référence à la primauté de ce qui est vivant, quelque part dans le creuset du désir, et peut-être même au niveau moléculaire.
« Les sons parlent et les mots chantent » écrit Fischer-Dieskau. (9)
« Töne sprechen, Worte Klingen ». Impossible mésalliance entre les variances des lettres, des sons, de la voix, de la parole et des actes qui sont toujours ceux du corps, ce corps qui écrit et chante le nom de BACH.
Scherchen dit que « Bach a toujours su que son nom était de la musique. » (10)
L’écriture de ce nom apparaît en conclusion à l’art de la fugue  ; (« B-A-C-H), si bémol, la, do, si, dans le troisième et dernier thème de la dernière fugue et la partition s’arrête inachevée, sur ce nom. » (10)
Le parcours du musicien est un exemple particulièrement exhaustif des interférences entre l’imaginaire et le réel, jointant le rôle de la lettre, la fonction du signifiant, entre la violence et la pulsion de mort et l’harmonie possible, de l’ordre de l’univers à l’ordre du sujet.
En écho, au début de mon propos, se référant à Dante, je conclurai, sur le sourire, sur le sourire d’une femme, qu’Elias Canetti semble proposer à notre ravissement.
« Le mystère de Véza était tout entier dans son sourire... Arc-en-ciel éclatant, son sourire allait d’elle vers celui qui la contemplait... On s’efforce d’aller chercher des mots que l’on espère trouver derrière le sourire, là où ils attendent le visiteur. » (11)

 
Paul Mathis

(1) Dante, La Divine Comédie, Libraires associés, Galaxies, Paris, 1965, p. 505, Traduction de L. Espinasse, Montgenet.
(2) Glenn Gould, Non je ne suis pas du tout un excentrique, Monsaingeon, Fayard,1992,p.147   
(3) Glenn Gould, Non je ne suis pas du tout un excentrique, Monsaingeon, Fayard,1992,p.147
(4) William Watson, L’art de l’ancienne Chine, Mazenod, 1979,  pp.249-251
(5) Glenn Gould, Pluriel, François Delalande, La Gestique de Gould, Louise Courteau, éditrice, 1988, p.106
(6) Fischer-Dieskau, Op. cit., p.126
(7) Fischer-Dieskau, Op. cit., p.126
(8) La petite chronique d’Anna Magdalena BACH, Editions Corréo, Paris, 1952, p.16
(9) Fischer-Dieskau, Les sons parlent et les mots chantent, Buchet-Chastel, Paris, 1993
(10) Jean-Sébastien BACH, Génies et Réalités, Hachette, 1969, Hermann Scherchen, l’Art de la fugue  : ouverture sur la musique de Schoenberg, p.269
(11) Elias Canetti, Histoire d’une vie, le flambeau dans l’oreille, Albin Michel, 1982,p. 175

 
On pourra lire aussi 4 articles de Jean-Louis Chassaing sur
Le corps à la trace

 
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