Freud/Galilée (2) par Paul Mathis
Freud/Galilée par Paul Mathis (2)
Selon quels chiffres, l’inconscient et le corps féminin se font-ils signe? Selon quels symptômes où le chiffre semble être le maître d’oeuvre ? Comment s'instaurent les variances et les répétitions de la numérologie ?
Pourquoi les grossesses gémellaires et au-delà ?
Et d'une façon banale les multiples variantes des règles.
Y a-t-il dans les chiffres des règles, les marques de la satisfaction ou de l’insatisfaction signées par le corps de la femme ? Serait-il possible d'établir des lois précises entre les chiffres des saignements, les chiffres hormonaux, et la façon dont les chiffres s'inscrivent dans l’attente, l’impatience, la crainte ou la joie ?
L'enfant pose trois questions essentielles, sur la naissance, et la différence sexuelle, sur la mort et sur l’argent. Questions auxquelles l’adulte dans ses impasses ne répond pas ou répond de façon mensongère.
Ne serait-il pas plus judicieux de dire à l’enfant, garçon et fille, que les règles définissent dans leurs chiffres l’exactitude de ces temps du corps? Exactitude, connaissance scientifique permettant d’être loin de l’impureté pseudo-morale traditionnelle. Et l’on pourrait concevoir que le rite religieux pourrait désormais féliciter la jeune adolescente qui vient d'être réglée, lui tendre la main et non la récuser.
De la notion d'exactitude de la rencontre du signe et du chiffre pourrait découler un calcul rassurant sur les périodes fécondes et les périodes stériles, afin de donner, particulièrement au couple adolescent les données sereines de transparence, d'attention et peut-être d'amour au-delà de la technologie anticonceptionnelle communautaire, réintroduisant l’objet “ a ”.
S'impose pour l’approche d'une solution possible autre que celle de l’obédience à notre héritage le clivage suivant.
C’est en ce point que la destruction de l’autre différent de soi se perpétue dans la répétition, tout au long des siècles, conduisant a la mort des deux corps, et à la mort du troisième né de ce couple manqué, fonction de l’image de soi projetée dans l’autre identique.
L'advenir génital dans la différence sexuelle posée par le réel, est-il impossible du fait de l’hégémonie des pulsions partielles? Prévalence de l’oralité, de l’analité, de l’urinaire, du scopique.
Fellation créant dans les fantasmes une conjonction orale de succion et de dévoration. Où l’eau, le lait, le sang, le sperme sont confondus. Verre banal, ciboire liturgique, sont connotés autour de la castration et de la fellation.
Le discrédit jeté sur la sexualité, en particulier féminine, peut-il être levé ? Impureté de ce côté et perversion du côté masculin.
Si l’axe de l’analyse est la parole, un deuxième paramètre important est celui du temps. Le temps des séances, le temps de l’arrivée, le temps de l’attente, le temps du passage, le temps de la sortie, le temps du retour. Le temps de l’incertitude et le temps de l’acte.
Au-delà, aux deux pôles, le temps de la naissance et le temps de la mort. Et dans ce temps immense des millénaires, ce temps précieux de la femme, ce temps des règles qui a été bafoué par la faute.
La femme compte, consciemment, et surtout inconsciemment. Le chiffre retenu, classique est celui de 28 jours.
Où se situe le savoir exact, le lien de la connaissance et de l’inscription au niveau du corps ?
Le temps des règles s’intercale entre le temps de la naissance et le temps de la mort, qui peut atteindre le siècle.
Que signifie ceci, énoncé par une patiente :“ Je laisse tout tomber pour un temps et j’irai à mon rythme. ” N’est-ce pas une velléité de reprise par le désir des paramètres d’actions ponctuant les temps libres et les temps contraints ?
L’inconscient est-il le maître ou le traducteur du chiffre et d’autre part existe-t-il un lien entre les chiffres cosmiques et les chiffres biologiques ?
Ces derniers sont précis dans les dosages de laboratoire, mais pas toujours en rapports cohérents avec la clinique, et surtout avec l’angoisse du sujet morcelé qui interroge la certitude du technicien.
La peinture de la Renaissance, particulièrement celle de Duccio, de Giotto, de Fra Angelico, nous donne-t-elle le meilleur gage de ce que le désir humain peut concevoir de beauté, de paix et d’intelligence ? L’Europe n’aurait-elle pas dû se créer à cette époque ?
Pourrait-on dire que la beauté de la peinture de Fra Angelico serait fonction des scènes de bonheur représentées, telles les annonciations, les nativités et les adorations des Mages, et d’autre part qu’un autre style de peinture tel celui de Bosch et de Breughel, également de haut niveau, serait fonction de l’horreur mais s’en échappant en se réintégrant dans le signifiant ?
Le bleu et l’or de Fra Angelico semblent du côté du paradis, tandis que les bruns, les noirs, les rouges foncés seraient du côté de l’enfer. Oppositions s’effaçant dans leurs juxtapositions.
Le style, l’impact du signifiant, sont probablement de même qualité chez Fra Angelico et Giotto que chez Breughel et Bosch par une harmonie issue de la disparité des interférences.
A propos de l’Adoration des Mages de San Marco, Spike écrit : “Fra Angelico décrit picturalement le processus grâce auquel ceux qui cherchent de façon désordonné - ils occupent le côté droit de la lunette - sont progressivement illuminés au fur et à mesure qu’ils se rapprochent du Christ. (Il s’agit ici du Christ nouveau-né). Au centre de la composition, sur l’axe vertical qui descend vers le tabernacle du sacrement, un des visiteurs orientaux tient une sphère armillaire, très certainement un attribut de la sagesse du Christ. La sphère armillaire est un assemblage de sphères concentriques, évidées en anneaux de sorte que le spectateur peut voir leurs interrelations. Les érudits de la Renaissance avaient dû considérer ce mécanisme comme un présent inappréciable parce qu’il intègre les connaissances en astronomie de Pythagore, le philosophe grec qui conçut la théorie du cosmos comme une série de sphères concentriques, soumise aux loi diverses de la mathématique et de la géométrie.” (5)
Ce mouvement circulaire des sphères célestes créant une “harmonie sublime.” (6)
A ceci, il faut ajouter selon Platon dans la République, que le “cosmos, composé de huit sphères qui tournent sur elles-mêmes”, offrait “sur chacun des bords circulaires”, “une sirène qui chantait une note de musique, toujours sur le même ton. Leur huit notes composaient la gamme musicale.”(6)
Et Fra Angelico nous montre dans son jugement dernier, comment “les âmes des élus s’étreignent dans la joie. Avec les anges, elles dansent sereinement, accompagnées par la musique des sphères. ” (6)
Le parcours pictural et de référence scientifique de Fra Angelico est aussi corrélatif de remarquables amitiés, indiquant que ce qui compte c’est l’accord des corps et des intelligences. Reflet de l’art, du livre et de la dimension religieuse entre Fra Angelico et Nicolas V, pape bibliophile, pressenti par Cosme de Médicis, recommandant au peintre : “En venant, apporte (...) les livres, surtout les parchemins. ” (6) Signifiant, dé - fiant, les deux corps mortels du pape et du peintre.
Cette notion des sphères est reprise par György Seböck liant la musique à l’univers stellaire. Et jouant les pièces enfantines de Bela Bartok il souligne dans son âme de musicien ce que l’enfant signe d’exactitude face aux stéréotypies de l’adulte. Est-ce là la limite des liens, des articulations multiples entre la géométrie, les mathématiques, la numérologie, la musique, le
chant, le verbe et la place de l’homme dans une harmonie possible ? Ceci repris dans la chorégraphie de la danse liée à la musique. Car le corps est le suprême lieu des inscriptions codifiées dans l’inconscient, et peut-être essentiellement dans ces moments très particuliers de la naissance de l’enfant.
Mais comment ces interférences peuvent-elles se coordonner, pour que la dimension du sujet rejoigne celle du Grand Autre ou s’en distingue ? Ceci est repris par Spike de la façon suivante.
Il écrit : “Quand Marie reçut le Verbe, expliquent les théologiens, elle fut immédiatement exaltée au-dessus de tous les anges.” (7)
“L’association du sein et du tombeau, souligne-t-il est une affirmation puissamment concentrée sur la mortalité ; elle fait allusion de surcroît à la connaissance anticipée de la Passion du Christ que Marie porta en elle dès l’instant de son incarnation.” (8)
Presque dans une surenchère, “Selon Saint Thomas d’Aquin, le tombeau du Christ pourrait être compris comme un symbole du sein virginal de Marie, également glorifié par le séjour qu’y fit le corps du Christ.” (9)
Le Verbe annonçait la naissance. Mais aussi le tombeau. Et peut-être au détriment de la parole et du désir du Christ, c’est-à-dire de tout enfant.
Un rapprochement singulier est fait par Fra Angelico, dans le Reliquaire de l’Annonciation et de l’Adoration des Mages. (10)
Deux scènes où le désir de l’enfant est confronté au désir des autres. D’une part le désir parental inscrit dans l’ordre social par la parole de l’ange ; d’autre part l’ordre politique venu reconnaître l’enfant nouveau né porteur d’une nouvelle Renaissance concevable, envisagée, espérée, mais contestée dans les faits.
Face à l’ordre de l’Autre, c’est-à-dire le système du pouvoir, prend naissance, le nouvel ordre de chaque sujet possible dans son inventivité propre dans la correspondance avec les autres. L’ordre des couleurs dans le génie propre du peintre fait du signifiant visuel, le correspondant des mots et des sons, pour une harmonie à laquelle convie cette ligne droite, oblique ascendante et descendante, reliant les interférences des regards de la mère, de l’enfant et de l’un des rois Mages. Cette ligne des regards répond à celle des doigts qui eux aussi se portent garants de la rencontre de ces trois personnes.
György Seböck, évoque l’inanité du droit face au bonheur. Il écrit : “Est-il illégal d’être heureux ?” Malicieuse incorporation ; le juridique interrogeant le politique.
Nous avons le droit de vivre heureux. Au nom de quoi maintenir l’expiation ?
Demeurer prisonnier depuis des millénaires, d’une culpabilité à laquelle nous prenons plaisir ? Pourquoi ?
On peut concevoir une inversion du mythe chrétien des martyrs, et le mythe de l’immaculée conception peut offrir un autre horizon.
N’y aurait-il pas là, l’opposition entre le père juif représentant de la loi et la mère chrétienne, de l’immaculée conception ?
Le terme d’immaculée conception peut être au cœur de ce qui peut devenir le chemin non plus de la croix, mais de la réjouissance de la conception, en tant que le réceptacle utérin, lieu d’alliance de l’ovule et du spermatozoïde, signe la rencontre du corps de l’homme et du corps de la femme, dans la netteté de leurs désirs, c’est-à-dire de ce qui est immaculé, dépourvu de tout élément étranger c’est-à-dire étrange. Car le désir de vie est radical. Le secret, l’intimité de l’acte sexuel, porté, assumé par le corps de la femme assure l’immaculé, c’est-à-dire l’impossible du désir de mort, l’impossible de la faute sexuelle, l’impossible de l’inceste.
Le désir de l’homme et le désir de la femme, apparaissent là, radicaux, sans impureté, immaculés. L’immaculée conception concerne, engage les deux partenaires et évince la mort. Mais cette immaculée conception est inhérente au corps féminin, rendant la mort et l’inceste impossibles. L’inceste c’est vouloir tuer l’enfant par la négation de son advenir, et faire du ventre de la mère une sépulture.
Comment l’acte sexuel se départage-t-il de la mort, pour se définir du seul côté valable, celui de la vie, de la beauté, de l’intellect, de la réjouissance traduisant la rencontre des amants ?
Il n’y a plus d’indétermination du sujet.
L’écriture est-elle plus étayante que la parole . Si c’est écrit, y a-t-il là un déterminisme plus absolu ? Dans une esquisse de Michel-Ange, un texte tenu par la Vierge-mère, est offert à la lecture des deux cousins, Jésus et Saint Jean, traçant la ligne de la Passion, incontournable, écrite dès l’annonciation.
La parole n’est-elle pas plus libre que les mots écrits et plus apte à maintenir un horizon ouvert ?
Certes dans les deux cas, les mots écrits et les mots parlés structurent une démarche d’investigation, de créativité, de création, d’apaisement, de sérénité, de bonheur possible. Mais ce qui est écrit fixe un moment de trajectoire qui peut paraître définitif. Seuls d’autres moments
ultérieurs, successifs, peuvent maintenir cheminement et inauguration. Et le style sera l’agent de ce renouveau incessant, dont l’origine est dans la parole de l’enfant.
Je voudrais interroger un paradoxe. D’une part le contraste, l’opposition, et d’autre part la concordance entre deux remarquables productions artistiques, la nativité de Piero della Francesca et la crucifixion d’Antonello da Messina. L’une expose un horizon qui semble propice à toutes les possibilités, issues de la naissance du nouveau-né. L’autre nous donne un arrêt définitif de la vie. Et ce dernier par la noblesse des personnages restés vivants, la mère et Saint Jean, semble nous faire accepter avec sérénité l’inadmissible. Crucifixion sobre, dépouillée, apaisée, qui semble devenir une sauvegarde, par le style introduit. Mais il y a là, une tromperie. Le style ne justifie pas la mise à mort.
Le point de départ de l’inscription sur le corps nous a-t-il été confirmé par Saint François d’Assise, dans le phénomène des stigmates ? Phénomène d’identification, nous incitant à participer directement aux souffrances du Christ ? Inscription qui a peut-être pérennisé tout au long des siècles l’impossible d’une réjouissance de la vie face à la jouissance de la mort.
Les crucifixions de l’horreur, de Mathias Grünewald nous maintiennent dans cette dépendance. Un pas de plus et nous avons la crucifixion de Bacon. Plus rien de la croix traditionnelle, mais l’horreur poussée à un degré extrême par la torture.
Ceci repris par David Nebreda qui marque lui-même sur son corps à l’aide du couteau et du rasoir la jouissance douloureuse qu’il s’inflige face au miroir et à la photographie qu’il utilise personnellement pour une interrogation provocatrice.
Dans la même ligne se pose un autre rapprochement, celui de Bacon et de Lucian Freud, le petit-fils de Freud. Les figurations des deux peintres sont voisines. C’est l’inscription maximale dans le matériau du corps, de la souffrance, du tourment, de la déchéance. Les tableaux de Bacon par le style s’écartent davantage de l’inconscient, questionné par Freud que ceux repris dans l’héritage du petit-fils qui semble avoir transposé directement au corps, les fantasmes exhumés par le grand-père, dans une matérialité visuelle vis à vis de laquelle l’écriture de Freud avait pris de la distance.
Qu’en est-il de l’absolu du style traduisant dans l’impact du signifiant une force de métamorphose risquant de nous donner le droit de nous éloigner du désastre ? Le Saint Jérome d’Antonello da Messina, seul dans sa cellule, dans les résonances des mots et des bois, conduit-il vers une vérité du signifiant pur, dont le corps, signifiant premier pourrait être le seul à bien traduire les liens entre l’imaginaire et le réel ? Y aurait-il là la matrice liant le beau, le bien à la connaissance loin des pulsions de souffrance et de mort?
Le signifiant pur que peut être le corps vivant, dans ses capacités d’actes, visant les interférences des sons, des lignes, des couleurs et des mots dans l’harmonie de ces multiples concordances, pourrait-il instaurer un ordre que Dante avait pressenti dans la dimension de l’univers et auquel Galilée avait forgé les marques ?
C’est la certitude incroyable de Dante, pleine d’espoir dans l’ampleur de son génie, dans le contexte de cette première Renaissance qui semble s’être démise de son projet, mais qui lui faisait écrire
“mais déjà, mon désir et ma volonté s’élançaient, emportés
comme la roue que toute entière une impulsion fait mouvoir,
par l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles ?” (11)
Le désir de vie et de création est absolu, délivré de la brutalité du Grand Autre dont on veut faire un héritage inamovible.
Circoncision, baptême et excision ne sont plus nécessaires. L’incontournable du regard des amants, renvoie à la langue et à la main, c’est à dire aux actes, témoins de la pureté de la différence sexuelle, et de l’impossible de l’inceste et du matricide.
René Major écrit : “Au commencement, la vie la mort.” Et St Jérôme d’énoncer, d’annoncer ou de répondre par cette phrase énigmatique, provocatrice : “dans la main de la langue sont mort et vie.”
Sur cette ligne cette double citation de René Major, la seconde en ajout renforçant singulièrement la première. Celle-ci énonce “si quelque chose n’est pas arrivé, jusqu’ici, à la psychanalyse, c’est bien la psychanalyse.” (12) ; à quoi, la prière d’insérer, d’une feuille surajoutée, catégorique, confirme l’horizon pressenti : “Comme la démocratie, toujours à venir, aussi impossible que possible, la psychanalyse dessine le futur d’une question - celle du rapport à la parole et au silence, à l’autre et à soi, à la vérité et à la non-vérité qui œuvre dans le paradoxe de l’aporie et remet en cause les valeurs de l’éthique traditionnelle.” (13)
Ceci rejoint “L’inaltérable dualisme” de Humboldt, repris par Jürgen Habermas, que constituent le discours et la réplique, la question et la réponse, le propos et la répartie. “C’est pourquoi, écrit-il la plus petite unité analytique est formée par la relation entre l’acte et la parole d’ego et la prise de position d’alter. Humboldt prend grand soin d’analyser l’emploi des pronoms personnels ; il pense en effet trouver dans la relation Je-Tu et dans la relation entre toi et moi, distinctes de la relation Je-il et Je-cela, les conditions spécifiques de cette synthèse non violente qu’est l’entente au moyen du langage et qui, à la fois, socialise et individualise ceux qui y participent.” (14)
Cette autre éthique possible à partir de l’écoute de l’analyste articule deux points corrélatifs ; l’un procédant de la langue, l’autre introduit par la femme dans son désir d’enfant. Ce à quoi l’homme est convié, seul paravent à l’égard de la castration et face au pouvoir du Grand Autre. Ce qui est vivant, heureux, beau, de l’ordre de la joie, dans la diversité de tous les lieux du monde.
Ce qui est vivant, ce sont les interférences des structures cellulaires, dont le centre est le cerveau et dont les émissaires, tels que les organes vasculaires, endocriniens, pulmonaires, digestifs, et peut-être surtout utérins, représentent les points d’impact des symptômes et des actes.
Et particulièrement, bien au-delà du désespoir de Médée, stigmatisé dans la plume et le cadavre de Sénèque.
Médée fait entendre à Jason ceci : “Si un seul meurtre suffisait à ma vengeance je n’en aurais commis aucun.
Je vais les égorger tous les deux
Mais cela ne suffira pas à ma douleur
Elle est trop grande
Si dans mon ventre peut se trouver encore quelque fœtus
Je m’ouvrirai le corps d’un coup d’épée
Et j’arracherai l’embryon.”
Est-ce là la cause du suicide de Sénèque ?
Galilée a rendu la terre sensible à la lumière du soleil et Freud a ouvert le destin de la vie dans cette lumière. Ils ont tous deux levé l’imposture du ciel après la mort, et si la terre reste la prison du corps mort, elle a pour s’excuser le socle qu’elle représente pour la beauté de ses réponses.
Ce que j’ai voulu énoncer, c’est la radicalité du sujet vivant, face à certaines tromperies à travers lesquelles notre société est édifiée.
J’ai placé au départ d’une mutation possible la naissance de l’enfant, le désir qui a présidé à sa vie ; la netteté de sa joie de vivre, son sourire, son rire, sa beauté, son attention, sa perspicacité ceci questionnant les répétitions, les routines et l’obédience de l’adulte enfermé dans sa prison.
Et là, la parole d’un père peut s’introduire.
L’un deux énonce ceci : “J’ai découvert dit-il le paradis. Et je pense que je pourrais reproduire encore une fois ce miracle de la naissance d’un enfant ?”
Si la main est parfois devant la langue, c’est pour interdire la plénitude de l’acte de parole. Si Saint Jérôme allie vie, mort, langue et main, c’est pour donner à la vie sa prévalence dans ce duo de la main et de la langue, corrélativement.
La musique répond-elle particulièrement, et essentiellement dans le chant à cette alliance de la langue et de la main, dont le soliste et le chef d’orchestre risquent de nous conduire par le
corps, à la notion d’harmonie ; ambition suprême dévolue à la musique et au vivant. Traduction dans les sons et les actes confondus, de ce que le corps est capable de créer dans ce signifiant électif qu’est la musique, à travers d’infinies variantes, dans ce jeu du musicien et de l’instrument, de la langue et de la main. Je mettrais là, dans la musique la suprême mutation.
“L’art, écrit Marc Dachy, en préface à un livre sur John Cage, est le prototype de la transformation du monde et de nous même, tel est l’enseignement que développe John Cage par une pratique libre de l’art, c’est-à-dire par l’intervention de procédures créatrices nouvelles et de modèles de liberté, par une œuvre musicale qui ouvre à la perception du son, à la joie pure de l’art et de la vie elle-même.” (15)
Au monde réel des étoiles de Galilée, Freud a ajouté la vie des corps.
Reste à mettre en place les paramètres d’action, afin que le sujet sache dire non à tous les dispositifs de dépendance pour ne plus être consentant de sa propre aliénation dictée par les pouvoirs.
Dans cette ligne de construction et d’édification j’ajouterai une référence à la langue, empruntée à Claude Hagege, opposant “le parfait latin référant au passé,” au “parfait grec, au résultat toujours actuel d’un acte que l’on vient d’accomplir.” (16)
L’acte inscrivant dans le corps l’exactitude du désir.
Ce qui fait écrire à Charles de Tolnay à propos de Michel-Ange qu’il “a subordonné la beauté physique à l’irradiation de l’âme.” (17)
Et Michel-Ange de proclamer dans ses poèmes, “l’ardente desio”, “le désir ardent”.
Alliance du désir du sujet et de l’ordre cosmique. C’est dire que l’analyste ne peut être que du côté de la vie. Œuvre conjointe de Freud et de Galilée.
Entre les formules mathématiques qui conduisent vers Jupiter, et les règles féminines qui cadencent le temps, il y a le corps du nouveau-né qui consacre le réel de la vie dans la commémoration de toutes les naissances.
Je conclurai sur ceci de Hawking : “Plus peut-être que toute autre grande figure, Galilée fut responsable de la naissance de la science moderne. Son célèbre conflit avec l’église catholique était au centre de sa philosophie, car il fut l’un des premiers à montrer que l’homme pouvait espérer comprendre comment le monde marchait et, de plus, que l’on pouvait le faire en observant le monde réel.” (18)
Paul Mathis, L’Agora du 6 juin 2001
(1) Bertolt BRECHT, Galiléo, Théâtre complet, L’arche, 1957, p. 17
(2) SENEQUE, L’Exil, Consolation à Helvia, ma mère, Editions Alternatives, Paris, 1995, p. 48
(3) Hubert REEVES, Compagnons de Voyage, Le Seuil, 1992, p. 101
(4) Hubert REEVES, Ibid., p. 111
(5) John T. SPIKE, op. cit., p. 161
(6) John T. SPIKE, Fra Angelico, op. cit., p. 100
(7) (8) (9) John T. SPIKE, Fra Angelico, op. cit., p. 146
(10) John T. SPIKE, Ibid., pp. 93, 94, 95
(11) DANTE, La Divine Comédie, Les Libraires Associés, Paris, 1965, Trad., de L. Espinassse-Mongenet, p. 553
(12) René MAJOR, Au commencement, la vie la mort, Editions Galilée, 1999, p. 130
(13) Ibid., p. 164
(14) J. HABERMAS, La pensée post-métaphysique, A. Collin, 1993, P. 201-
(15) Richard KOSTELAUETZ, Conversations avec John Cage, Editions des Sytes.
(16) Claude HAGEGE, Halte à la mort des langues. Editions Odile Jacob, 2000, p. 182
(17) Charles de TOLNAY, Michel-Ange, Editions Pierre Tisne, Paris 1951, p. 159
(18) HAWKING, Une brève histoire du temps, Flammarion, 1991, p. 223
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