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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

note de lecture

Sorcière pour l'éternité David Irtal

27 Juin 2024 , Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #note de lecture, #pour toujours, #écriture- lecture

David Irtal Sorcière pour l'éternité

David Irtal Sorcière pour l'éternité

Rêve
Nuit du 25 au 26 juin 2024

Contexte :

Lors de la Sant-Joan à Corps Ça Vit, le 23 juin, il est allé spontanément à la rencontre d’un black, un peu rasta avec une femme et deux enfants. La rencontre est foisonnante.

David, guadeloupéen, au bout de quelques minutes d’échanges où ils s’aperçoivent mutuellement qu’ils ont beaucoup de points en commun, va chercher dans sa voiture, son dernier roman, Sorcière pour l’éternité. I

ls vont au cimetière, lisent le texte-épitaphe de Cyril :

Il existe encore des possibilités de départs, d’infimes moments d’absence où se retirer.
Il existe encore dans le reflux des vagues,
des lieux pour rêver, des rues qui sont des ports, des instants-navires, de longues mers pour changer d’enveloppe terrestre, de carte d’identité.
Il suffit parfois de prendre à droite,
ce chemin que je ne connais pas.
À nouveau. Voilà, peut-être, le plus beau des titres.
Il suffirait de s’accorder une trêve, un répit. Suis-je responsable des mouvements de lune? Et des courants de la mer ?
Suis-je responsable du temps?
L’eau et les vagues, le sel, l’écume, l’horizon inachevé,
à nouveau.

2001, Cyril Grosse

traduit à Corsavy en espagnol par Coralie C.

Siguen existiendo posibilidades de comienzos, instantes de ausencia en donde escaparse. Siguen existiendo en el reflujo de las olas, lugares para soñar, calles que son puertos, instantes-embarcaciones y largas mares para cambiar de cáscara terrestre, de identidad. Es suficiente a veces ir a la derecha, este camino que no conozco. De nuevo. Aquí, quizás, esta el titulo el mas hermoso de todos. Es suficiente darse una tregua. ¿Soy responsable por los movimientos de la luna? ¿Y de los corrientes del mar? ¿Soy responsable del tiempo? El agua y las olas, el sal, la espuma, el horizonte inacabado, de nuevo.

David a dédicacé ainsi son roman : Jean-Claude, tant de points en commun, la philosophie, le théâtre, le Var, les sorcières, tant de choses à recevoir de toi afin de poursuivre nos échanges.

Lui, fait la lecture du roman,  le 25 dans la journée et le soir.
Fin de lecture à 21 H 45. Mise au lit, rituel de remerciements.

Jusqu’à 1 H 15, conscient puis semi-conscient, il se demande ce qu’il va dire sur ce roman foisonnant de 158 pages à 14 entrées.
Tout ce qui relève de l’information adressée au lecteur au travers de discussions entre amis du personnage central Levy, qu’il s’agisse du microchimérisme foetal-maternel, de l’épigénétique, de la chasse aux sorcières pendant 3 siècles, des fêtes du Moyen-Âge, de l’histoire du féminisme, de la démocratie lui paraît intéressant, important mais touffu.
Ce qui l’accroche par contre, c’est ce qui concerne les vies antérieures à partir des messages que lui adresse par mail, un médium, rencontré par hasard, dans un restaurant al Casot à Alzine Redonne.
Il décide qu’il va jouer le jeu auquel Erik convie Levy : écrire une lettre à 3 siècles d’intervalle à ce paysan écossais qu’il a été, dont la femme accusée de sorcellerie a été pendue, lui-même se pendant une semaine après. Il a déjà écrit de telles lettres, jamais partagées, ensuite brûlées selon un rituel.


Après la miction de 1 H 15, jusqu’à 4 H 15, c’est la période la plus forte émotionnellement. Il prend conscience que ce qu’il appelle son travail d’épitaphier peut évoluer, le mettre plus au contact. Qu’il peut continuer bien sûr ce travail de création d’une légende pour chaque disparu à partir des matériaux laissés, donnant ainsi à lire une forte parole du vivant qu’il fut plutôt que les regrets éternels des survivants mais qu’il y a d’autres choses à faire, par exemple nettoyer la souffrance physique, psychique, morale, souvent secrète, ayant empêché le disparu de développer son être véritable, participer à l’apaisement de ces disparus qui ont nécessairement vécu comme tout un chacun, des événements qui les ont submergés, écrasés de culpabilité ou de honte, comme ce paysan, incapable de prendre la défense de sa femme innocente, y compris au prix de sa mise à mort.
Il pense au rabbin assailli et laissé pour mort par une bande de nazis sur un pont à Berlin en 1933 et qui en fin de vie revient sur ce pont pour pardonner à ses agresseurs et ainsi alléger le monde d’une violence perpétrée, acceptée, pardonnée, effacée.
Et là défilent la mère, le père, l’épousée, le fils, le gendre, l’ami Robert qui lui dit « on en reparlera en septembre ».
Il se voit en sanglots après ce que lui a raconté Robert sur son engagement.

2° miction. La fin de nuit est une clarification de ce qu’il pense être une tâche nécessaire, épitaphier.
 
Lever une contradiction. Il affirme que tout est mémorisé par exemple dans les nombres univers. Que tous les Levy ayant existé, existant, devant exister sont emplacés dans le nombre univers Pi, que ce qu’ils vivent au présent est déjà écrit mais doit être vécu par chacun en son temps. Que cette chaîne infinie des Levy est à considérer comme une chaîne de vies se transmettant des enseignements, des expériences contribuant à des répétitions quand c’est sclérosé, à des transformations légères ou profondes quand c’est possible, à des métamorphoses quand un miracle a lieu.
Pour reprendre une phrase de Tsvétaïéva : « Tous les poèmes qui furent, qui sont et qui seront écrits le sont par une seule femme, une femme - sans nom. »
Soit Toutes les vies qui furent, qui sont, qui seront sont vécues par une seule femme, une femme - sans nom, par un seul homme, un homme - sans nom.

Il trouve cette proposition réjouissante c’est-à-dire ouvrant des champs de possibles.
La contradiction : si tout est écrit d’une part, si tout doit tout de même être écrit par chacun d’autre part, pourquoi rajoute-t-il un travail d’épitaphier ? L’écriture de chacun s’inscrivant dans le récit infini, éternel, éternellement présent et sans nom d’auteur ne se suffit-elle pas ?
Il n’a pas de réponse logique à cela.
Il a l’intuition que c’est nécessaire.
Et il a tenté de faire cela avec les matériaux laissés par les disparus.
Pour qu’au moins le caveau familial au cimetière de son village du Vallespir devienne lieu de paroles mémorables des vivants pour leurs suivants et les visiteurs du cimetière. Mais après cette lecture et ce rêve, il saisit que la tâche est plus complexe (au sens de tisser ensemble) tout en restant simple : chacun est mystère à soi-même et mystère pour tout autre.
La connaissance de soi-même ne lui semble plus indispensable. Car comme le dit un rabbi : « Tu ne sais pas à quel point, tu ne sais pas ce que tu ne sais pas. »
Mais il sait aussi que la mise en mots fait exister, que changer les mots, c’est changer ce qu’on croit être la réalité. Bref que le verbe fait chair, donne corps, que le souffle fait émerger, naître.

David Irtal, l’auteur du roman Sorcière pour l’éternité, paru en juillet 2023, auteur de 4 romans précédant celui-ci, a mis l’accent sur la souffrance subie, sur la violence infligée, sur les souffrances subies par les femmes victimes, sur les violences infligées par les hommes bourreaux.
L’histoire récente avec la réhabilitation officielle par leurs noms des sorcières en pays catalan, en Écosse, en Suisse (on attend l’équivalent pour les massacrés et brûlés Cathares) semble montrer que les mentalités évoluent (pas linéairement ; il y a toujours des régressions possibles pour peu que les conditions de vie connaissent des reculs), que des prises de conscience se font, plus ou moins massives. Cette histoire nous échappe. S’agit-il du résultat de combats menés, de résistances visibles ou souterraines ? Difficile de trancher.


Par contre, tu peux être de plus en plus responsable ce qui n’annule pas le fait que tu sois complice des dominants de la société dans laquelle tu vis.
Tu peux être de plus en plus conscient, vigilant quant à tes choix de vie, quant au choix des mots, des réalités qu’avec eux tu crées.
Tu peux opter pour l’empathie, la compassion, le pardon, l’amour, la générosité, la bienveillance, la patience, le silence, le rire franc, la sincérité, le non-jugement, le non-agir…
Tu acquiers des outils comme rire de toi-même en te parlant à voix haute avec accent catalan pour calmer tes pulsions, réguler tes émotions, dégoupiller tes préjugés.

Il a décidé d’écrire à David :

Cher David,
tu as de toute évidence des acquis et un potentiel dans le domaine de l’éveil. Mais je sens que par la masse d’informations que tu brasses, historiques, scientifiques, tu sembles chercher des preuves à ce dont tu as l’intuition, à savoir que tout est continuum, qu’il n’y a pas de séparation. Je suis tenté de te dire : il n’y aura jamais de preuves scientifiques éternelles, incontestables, immuables. La science, la techno-science, l’IA sont outils de pouvoirs, de manipulations plus que de savoirs aujourd’hui et sont à traiter avec prudence, voire méfiance pour nos usages réflexifs. Il vaut mieux s’en passer. Elles sont déjà trop présentes dans nos vies.
Si tu crois que tout est continuum, alors avec tes mots, pourquoi pas ceux des psychologues américains Hal et Sidra Stone puisque c'est ton choix, décris-toi comme succession, émergence de sous-personnalités selon les moments, humeurs, circonstances.
Accentue ta perception de la fluidité de tout ce qui existe. Évite de catégoriser, de nommer car alors tu essentialises, tu figes, tu solidifies, tu scléroses, tu nécroses.
Préfère les verbes, invente-les.
Évidemment, ça te sera plus difficile de trouver une compagne de vie. Mais ce sera ta sorcière (comme c’est le mot de ceux qui leur font la chasse, raye-le de ton vocabulaire, change de titre), ta thérapeute, ta pharmacienne, ta Hildegarde de Bingen. Elle te délivrera deux pharmacons : Tu es aimé. Tu es mon bien-aimé.

Il me semble aussi cher David que malgré ton intuition du continuum, de l’UN, tu es tenté par la séparation, la dualité. Tu fais partie du groupe des éveillés. Les autres, non. Il y a toi, les tiens et les autres. Tu n’es pas contre les autres. Tu essaies de leur apprendre à Savoir Être Vivre Ensemble (SEVE). Tu t’es investi dans une mission. Cela est certainement gratifiant. Tu as tes raisons de penser cela. Peut-être cela  ralentit-il le retour du deux à l’UN.

Il a décidé de ne pas écrire de lettre à Levy. Levy a écrit les lettres qu’il pensait devoir écrire. Elles ont eu des effets. Histoire donc en cours pour Levy, sa mère, son frère, son père écossais retrouvé…, histoire pas seulement de papier car sur papier, elle devient réelle et se poursuit sans romancier.

Il a décidé, mis en mouvement par une intrigue tirée par les cheveux, d’écrire des lettres, à brûler, selon un rituel  qu’il a déjà pratiqué.
Il demandera pardon pour le mal fait par lui et tant d’autres aux disparus.
Il remerciera les disparus pour l’amour dispensé à lui et à tant d’autres.

Il a compris que les lettres mises dans les cercueils de deux amis récemment disparus, Georges et Alain, auraient pu, même si personne ne les lirait, être comme les charbons dont se servirent les hommes premiers pour inventer sur les parois des cavernes leur bestiaire.                       

À Corps Ça Vit, le 26 juin 2024

Billet de contrebande pour l’âmi Georges


À l’âmi Georges, âmi avec accent circonflexe. Pour faire vibrer ce mot, désignant la réalité immatérielle qui fait de nous des êtres vibrants, vivants.
Âme, voyelle d’arrière, bouche grande ouverte pour l’attaque en expir ou inspir, au choix, suivie de la labiale m, aime à durée variable selon l’émetteur. Absorption pleine  comme l’inspir régénérant (oxygène O), restitution lente comme l’expir empoisonné (gaz carbonique CO2). D’où de l’insolence du bavochard glouglouteux, selon l’expression de Frédéric Dard, alias San Antonio, ou le baiser comme empoisonnement consenti.
Âme comme souffle, notre souffle à chacun, échange intérieur-extérieur permanent, comme source de vie, cadeau de la Vie qui donne vie.
Chacun a sa version de ton âme, Georges :
âme mortelle, âme immortelle, âme éternelle.
En langue des oiseaux la mort peut s’entendre l'âme hors, l'âme or.
Dans 30 jours, soit 40 jours depuis le 18 mai, selon certaines très anciennes traditions, ton âme pourra se libérer de son enveloppe charnelle et entreprendre sa migration :
Réincarnation pour épuration karmique, résurrection pour se mettre debout.
Certains ne croient pas à cela, ton âme mortelle s'est éteinte avec la paix de ton corps réduit en cendres par le feu de la crémation.
A été choisi le temps très court de la destruction, sans possibilité aucune de te reproduire par clonage d’ADN, qui t’aurait survécu 1 million d’années, comme pour chacun d’entre nous.
Je choisirai le temps long de la décomposition, avec cette possibilité via le nonos cubitus, l’os qui a changé de sexe en devenant l’ulna.
D'autres se posent des questions ou s'abstiennent de trancher.
Aucune certitude fondée sur des preuves dans un sens comme dans l’autre. Des croyances, seulement des croyances et leur force créatrice de réalité (les mots que nous employons créent ce que nous croyons être la réalité, ma maladie c’est mon mal a dit)
Réalité de néant pour certains, d'éternité pour d'autres, de mystères insondables pour d’autres encore. Chacun ses mots et ses silences sur ces questions peu abordées, peu débattues.

Tu as fait un choix toi qui es mort depuis 10 jours déjà (18 mai-28 mai 2024).
Aujourd’hui, chacun des participants à cette cérémonie d'hommage choisit en son âme et conscience ce qu'il en est de ton âme et de la sienne
Je vous dirai donc, chers âmis, avec accents circonflexes ce que je crois aujourd’hui.

Un double pharmacon m’a été offert en décembre 2020, offert sans attente de ma part, surgissant dans ma conscience qui est d’une autre nature (on sait très peu de choses sur ce qu’est la conscience) que mon cerveau (on sait aussi très peu de choses sur ce qu’est le cerveau) :
Tu es aimé. Tu es mon bien-aimé.
Que j’ai reçu ainsi : Tu es aimé à égalité avec tout ce que je-euh crée, puissance créatrice que tu peux appeler comme tu veux (cessez donc de vous faire la guerre au nom de Dieu, non-de-dieux !), que je-euh crée par amour inconditionnel, sans tri, sans jugement (cessez donc de juger, donc de vous séparer, chacun étant évidemment du bon côté des gentils, les autres du mauvais côté des méchants ; trop habitués à juger, nous jugeons sans cesse, ne pas s’en vouloir, se distancier, tiens tu viens de juger).  De la bactérie à la galaxie, tout naît et meurt de cette force, l’agapé. J’ai compris que cet agapé est inépuisable, gratuit, grâce. Et que ma réponse à ce Kdo que je suis ne peut être que la gratitude. Pas l’inconvénient d’être né, pas le je n’ai pas demandé à naître mais merci comme sentiment à éprouver, mot à dire, redire jusqu’au sentiment éprouvé.
Tu es mon bien-aimé.
Que j’ai reçu ainsi : Tu es aimé dans ta singularité, ton unicité. Le Sans-Forme, le je-euh, Dieu, le Soi, יהוה , YHWH, l’imprononçable, Kyrios m’a donné forme pour s’éprouver, pour vivre avec ma forme. Alors Jean-Claude, éclate-toi. Vis dans la joie, l’enthousiasme. Laisse-toi inspirer par les dieux. Apparemment Georges s’est éclaté, inconscient de sa divinité.

Peut-être m’étais-je préparé à ce Kdo après une série de deuils violents, acceptés selon ce que j’avais compris d’un titre de spectacle du fils (c’est possible) ça va.
Ce qui arrive devait arriver, entre parenthèses. Tu ne peux rien changer. Tu ne peux que dire : ça va, accepter. Être dans l’acceptation sans colère, sans ressentiment, sans révolte, sans accusation, sans regret, sans espoir. Qu’il s’agisse d’événements douloureux pour toi, qu’il s’agisse d’événements douloureux pour des multitudes. Ça peut ressembler à de l’indifférence. Ça s’appelle l’ataraxie. Elle n’empêche pas sensations, émotions, ressentis, la compassion pour les victimes, le pardon pour les bourreaux, la gratitude parce qu’on apprend aussi des horreurs, des malheurs, des KO et du chaos.
Avec le temps, j’ai compris  qu’à partir de l’acceptation, une voie s’ouvrait, un chemin de vie : devenir l’épitaphier de celles et ceux qui sont partis, écrire, dire, raconter, inventer leur légende. Rien de mensonger dans cette démarche.

En effet, ma lecture de ce texte est un moment qui passe, never more, jamais plus. Mais il sera toujours vrai que j’ai fait cette lecture, for ever, pour toujours. Donc le passé passe mais ne s’efface pas. Où passe le passé qui ne s’efface pas ? Cela veut dire que tout est mémorisé, de toute éternité, pour l’éternité. Que le présent est éternel comme moment et comme Kdo.


Le 18 avril, je t’ai dit, âmi Georges, que dans le nombre univers PI, la séquence Georges soit 7515187519 est emplacée un nombre infini de fois, mais pas dans les deux cent millions premières décimales, la séquence Perpes soit 16518519 est emplacée 3 fois dans les deux cents millions premières décimales, en positions 6160060, 16518519, 79188721, que tous les Georges ayant existé, existant, à exister étaient emplacés, qu’un singe tapant infiniment à la machine sans savoir écrire, finit par taper l’oeuvre de Shakespeare, qu’on trouve dans tout nombre univers tous les livres déjà écrits et à venir, y compris celui de l'histoire de notre vie passée et future.
Ce fut un moment euphorique qui ne changea pas le choix déjà mûri de la destruction par crémation.

À se chercher dans la spirale du symbole infini, à positionner verticalement (être éveillé)  et non horizontalement (être aveugle, sourd et muet) et te dire ma gratitude pour t’avoir rencontré.
Katia et feu Vitya s’associent à moi pour ce billet de contrebande.

Adieu Georges, à dieu Georges, reconnaissons le divin en ton âme.

PS : je réserve à ceux qui me le demanderont, ce que j’ai dit à l’âmi Georges sur l’âme éternelle du théâtre et ses deux masques tragédie et comédie.

achevé l'écriture du billet de contrebande écrit pour l'âmi Georges
je ne le lirai pas, je l'offrirai à la famille pour mise avec le cercueil avant crémation et à quelques personnes quand on arrivera aux 40 jours, par mail,

le vendredi 28 juin 2024

 

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La mémoire et la mer / Léo Ferré

16 Novembre 2023 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #album, #note de lecture, #pour toujours, #écriture- lecture, #FINS DE PARTIES

l'album de 70 et Léo Ferré en 70 chantant la mémoire et la mer / partitions de Léo Ferré, exposées à Beaune pour les 100 ans
l'album de 70 et Léo Ferré en 70 chantant la mémoire et la mer / partitions de Léo Ferré, exposées à Beaune pour les 100 ans
l'album de 70 et Léo Ferré en 70 chantant la mémoire et la mer / partitions de Léo Ferré, exposées à Beaune pour les 100 ans

l'album de 70 et Léo Ferré en 70 chantant la mémoire et la mer / partitions de Léo Ferré, exposées à Beaune pour les 100 ans

La mémoire et la mer
par Léo Ferré


La marée, je l’ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur, de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment
On l’arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j’en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts de sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l’écume
Cette bave des chevaux ras
Au raz des rocs qui se consument
O l’ange des plaisirs perdus
O rumeurs d’une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu’un chagrin de ma solitude
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
Ö parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j’allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d’aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen
Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tans
Qu’on dirait l’Espagne livide
Dieux de granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s’immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu’on pressent
Quand on pressent l’entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D’où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Cette rumeur qui vient de là
Sous l’arc copain où je m’aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l’anathème
Comme l’ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sous mon maquillage roux
S’en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C’est fini, la mer, c’est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des moutons d’infini…
Quand la mer bergère m’appelle

 

Texte intégral
 
Christie quand je t'ai vue plonger
Mes vergues de roc où ça cogne
Des feuilles mortes se peignaient
Quelque part dans la Catalogne
Le rite de mort aperçu
Sous un divan de sapin triste
Je m'en souviens j'étais perdu
La Camarde est ma camériste
C'était un peu après-midi
Tu luisais des feux de l'écume
On rentrait dans la chantilly
Avec les psaumes de la brume
La mer en bas disait ton nom
Ce poudrier serti de lames
Où Dieu se refait le chignon
Quand on le prend pour une femme
Ô chansons sures des marins
Dans le port nagent des squelettes
Et sur la dune mon destin
Vend du cadavre à la vedette
En croix granit christ bikini
Comme un nègre d'enluminure
Je le regarde réjoui
Porter sur le dos mon carbure
Les corbeaux blancs de Monsieur Poe
Géométrisent sur l'aurore
Et l'aube leur laisse le pot
Où gît le homard nevermore
Ces chiffres de plume et de vent
Volent dans la mathématique
Et se parallélisent tant
Que l'horizon joint l'ESThétique
L'eau cette glace non posée
Cet immeuble cette mouvance
Cette procédure mouillée
Me fait comme un rat sa cadence
Me dit de rester dans le clan
A mâchonner les reverdures
Sous les neiges de ce printemps
A faire au froid bonne mesure
Et que ferais-je nom de Dieu
Sinon des pull-overs de peine
Sinon de l'abstrait à mes yeux
Comme lorsque je rentre en scène
Sous les casseroles de toc
Sous les perroquets sous les caches
Avec du mauve plein le froc
Et la vie louche sous les taches
Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du flafla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur qui me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
A dessiner mon théorème
Et sur mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue aux musiques mortes
C'est fini la mer c'est fini
Sur la plage le sable bêle
Comme des moutons d'infini
Quand la mer bergère m'appelle
Tous ces varechs me djazzent tant
Que j'en ai mal aux symphonies
Sur l'avenue bleue du jusant
Mon appareil mon accalmie
Ma veste verte de vert d'eau
Ouverte à peine vers Jersey
Me gerce l'âme et le carreau
Que ma mouette a dérouillé
Laisse passer de ce noroît
À peine un peu d'embrun de sel
Je ne sais rien de ce qu'on croit
Je me crois sur le pont de Kehl
Et vois des hommes vert-de-gris
Qui font la queue dans la mémoire
De ces pierres quand à midi
Leur descend comme France-Soir
La lumière du Monsignor
Tout à la nuit tout à la boue
Je mets du bleu dans le décor
Et ma polaire fait la moue
J'ai la leucémie dans la marge
Et je m'endors sur des brisants
Quand mousse la crème du large
Que l'on donne aux marins enfants
Quand je me glisse dans le texte
La vague me prend tout mon sang
Je couche alors sur un prétexte
Que j'adultère vaguement
Je suis le sexe de la mer
Qu'un peu de brume désavoue
J'ouvre mon phare et j'y vois clair
Je fais du Wonder à la proue
Les coquillages figurants
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu'on dirait l'Espagne livide
Je fais les bars américains
Et je mets les squales en laisse
Des chiens aboient dessous ton bien
Ils me laisseront leur adresse
Je suis triste comme un paquet
Sémaphorant à la consigne
Quand donnera-t-on le ticket
A cet employé de la guigne
Pour que je parte dans l'hiver
Mon drap bleu collant à ma peau
Manger du toc sous les feux verts
Que la mer allume sous l'eau
Avec les yeux d'habitants louches
Qui nagent dur dedans l'espoir
Beaux yeux de nuit comme des bouches
Qui regardent des baisers noirs
Avec mon encre Waterman
Je suis un marin d'algue douce
La mort est comme un policeman
Qui passe sa vie à mes trousses
Je lis les nouvelles au sec
Avec un blanc de blanc dans l'arbre
Et le journal pâlit avec
Ses yeux plombé dessous le marbre
J'ai son Jésus dans mon ciré
Son tabernacle sous mon châle
Pourvu qu'on s'en vienne mouiller
Son chalutier sous mon bengale
Je danse ce soir sur le quai
Une rumba toujours cubaine
Ça n'est plus Messieurs les Anglais
Qui tirent leur coup capitaine
Le crépuscule des atouts
Descend de plus en plus vers l'ouest
Quand le général a la toux
C'est nous qui toussons sur un geste
Le tyran tire et le mort meurt
Le pape fait l'œcuménique
Avec des mitres de malheur
Chaussant des binettes de biques
Je prendrai le train de marée
Avec le rêve de service
A dix-neuf heures GMT
Vers l'horizon qui pain d'épice
O boys du tort et du malheur
O beaux gamins des revoyures
Nous nous reverrons sous les fleurs
Qui là-bas poussent des augures
Les fleurs vertes des pénardos
Les fleurs mauves de la régale
Et puis les noires de ces boss
Qui prennent vos corps pour un châle
Nous irons sonner la Raison
A la colle de prétentaine
Réveille-toi pour la saison
C'est la folie qui se ramène
C'est moi le dingue et le filou
Le glob'trotteur des chansons tristes
Décravate-toi viens chez nous
Mathieu te mettra sur la piste
Reprends tes dix berges veux-tu
Laisse un peu palabrer les autres
A trop parler on meurt sais-tu
T'a pas plus con que les apôtres
Du silence où tu m'as laissé
Musiquant des feuilles d'automne
Je sais que jamais je n'irai
Fumer la Raison de Sorbonne
Mais je suis gras comme l'hiver
Comme un hiver analgésiste
Avec la rime au bout du vers
Cassant la graine d'un artiste
A bientôt Raison à bientôt
Ici quelquefois tu me manques
Viens je serai ton fou gâteau
Je serai ta folie de planque
Je suis le prophète bazar
Le Jérémie des roses cuisses
Une crevette sur le dard
Et le dard dans les interstices
Je baliverne mes ennuis
Je dis que je suis à la pêche
Et vers l'automne de mes nuits
Je chandelle encore la chair fraîche
Des bibelots des bonbons surs
Des oraisons de bigornades
Des salaisons de dessous mûrs
Quand l'œil descend sous les oeillades
Regarde bien c'est là qu'il gît
Le vert paradis de l'entraide
Vers l'entre doux de ton doux nid
Si tu me tends le cœur je cède
Ça sent l'odeur des cafards doux
Quand le crépuscule pommade
Et que j'enflamme l'amadou
Pour mieux brûler ta chair malade
O ma frégate du palier
Sur l'océan des cartons-pâtes
Ta voilure est dans l'escalier
Reviens vite que je t'empâte
Une herbe douce comme un lit
Un lit de taffetas de carne
Une source dans le Midi
Quand l'ombre glisse et me décharne
Un sentiment de rémission
Devant ta violette de Parme
Me voilà soumis comme un pion
Sur l'échiquier que ta main charme
Le poète n'est pas régent
De ses propriétés câlines
Il va comme l'apôtre Jean
Dormant un peu sur ta poitrine
Il voit des oiseaux dans la nuit
Il sait que l'amour n'est pas reine
Et que le masculin gémit
Dans la grammaire de tes chaînes
Ton corps est comme un vase clos
J'y pressens parfois une jarre
Comme engloutie au fond des eaux
Et qui attend des nageurs rares
Tes bijoux ton blé ton vouloir
Le plan de tes folles prairies
Mes chevaux qui viennent te voir
Au fond des mers quand tu les pries
Mon organe qui fait ta voix
Mon pardessus sur ta bronchite
Mon alphabet pour que tu croies
Que je suis là quand tu me quittes
Un violon bleu se profilait
La mer avec Bartok malade
O musique des soirs de lait
Quand la Voie Lactée sérénade
Les coquillages incompris
Accrochaient au roc leurs baroques
Kystes de nacre et leurs soucis
De vie perleuse et de breloques
Dieu des granits ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leurs castagnettes figures
Le dessinateur de la mer
Gomme sans trêve des pacages
Ça bêle dur dans ce désert
Les moutons broutent sous les pages
Et la houle les entretient
Leur laine tricote du large
De quoi vêtir les yeux marins
Qui dans de vieux songes déchargent
Ô lavandière du jusant
Les galets mouillés que tu laisses
J'y vois comme des culs d'enfants
Qui dessalent tant que tu baisses
Reviens fille verte des fjords
Reviens gorge bleue des suicides
Que je traîne un peu sur tes bords
Cette manie de mort liquide
J'ai le vertige des suspects
Sous la question qui les hasarde
Vers le monde des muselés
De la bouche et des mains cafardes
Quand mon ange me fait du pied
Je lui chatouille le complexe
II a des ailes ce pédé
Qui sont plus courtes que mon sexe
Je ne suis qu'un oiseau fardé
Un albatros de remoulade
Une mouche sur une taie
Un oreiller pour sérénade
Et ne sais pourtant d'où je viens
Ni d'où me vient cette malfide
Un peu de l'horizon jasmin
Qui prend son "té" avec Euclide
Je suis devenu le mourant
Mourant le galet sur ta plage
Christie je reste au demeurant
Méditerranéen sauvage
La marée je l'ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur
De mon enfant et de mon cygne
Un bateau ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années-lumière et j'en laisse
Je suis le fantôme Jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baisers
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Rappelle-toi le chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le matin mouillé de mousse
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais géométrisant
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé par les draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus
Et toi fille verte de mon spleen
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue
Dans cette mer jamais étale
D'où nous remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Ces étoiles qui font de l'œil
A ces astronomes qu'escortent
Des équations dans leur fauteuil
A regarder des flammes mortes
Je prierais Dieu si Dieu priait
Et je coucherais sa compagne
Sur mon grabat d'où chanteraient
Les chanterelles de mon pagne
Mais Dieu ne fait pas le détail
Il ne prête qu'à ses Lumières
Quand je renouvelle mon bail
Je lui parlerai de son père
Du fils de l'homme et du chagrin
Quand je descendais sur la grève
Et que dans la mer de satin
Luisaient les lèvres de mes rêves
Je ne suis qu'un amas de chair
Un galaxique qui détale
Dans les hôtels du monte-en-l'air
Quand ma psycho se fait la malle
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
Je vais tout à l'heure fauchant
Des moutons d'iceberg solaire
Avec la Suisse entre leurs dents
A brouter des idées-lumière
Et des chevaux les appelant
De leur pampa et des coursives
Que j'invente à leurs naseaux blancs
Comme le sperme de la rive
Arrive marin d'outre temps
Arrive marine d'extase
Quand je m'arrête tu me prends
Comme je te prends dans ta case
Négresse bleue blues d'horizon
Et les poissons que tu dégorges
Depuis ton ventre et tes façons
Quand ton "sexo" joue dans ta gorge
Dans cette plaie comme d'un trou
Grouillant de cris comme la vague
Quand les goélands sont jaloux
De l'architecte où s'extravaguent
Des maçons aux dents de velours
Et le ciment de leur salive
A te cimenter pour l'amour
Ton cul calculant la dérive
Mes souvenirs s'en vont par deux
Moi le terrien du Pacifique
Je suis métis de mes aveux
Je suis le silence en musique
Le parfum des mondes perdus
Le sourire de la comète
Sous le casque de ta vertu
Quand le coiffeur sèche ta tête
Muselle-moi si tu le peux
Toi dans ton ixe où le vacarme
Sonne le glas dans le milieu
Moi planté là avec mon arme
Tu es de tous les continents
Tu m'arrives comme la route
Où s'exténuent dix mille amants
Quand la pluie à ton cul s'égoutte
Ô la mer de mes cent mille ans
Je m'en souviens j'avais dix piges
Et tu bandes ton arc pendant
Que ma liqueur d'alors se fige
Tu es ma glace et moi ton feu
Parmi les algues tu promènes
Cette déraison où je peux
M'embrumer les bronches à ta traîne
Et qu'ai-je donc à lyriser
Cette miction qui me lamente
Dans ton lit j'allais te braquer
Ta culotte sentait la menthe
Et je remontais jusqu'au bord
De ton goémon en soupente
Et mes yeux te prenaient alors
Ce blanc d'écume de l'attente
Aime-moi donc ta parallèle
Avec la mienne si tu veux
S'entrianglera sous mes ailes
Humant un peu par le dessous
Je deviendrai ton olfacmouette
Mon bec plongeant dans ton égout
Quand Dieu se vide de ta tête
Les vagues les vagues jamais
Ne viendront repeupler le sable
Où je me traîne désormais
Attendant la marée du diable
Ce copain qui nous tient la main
Devant la mer crépusculaire
Depuis que mon cœur dans le tien
Mêle ton astre à ma Lumière
Cette matière me parlant
Ce silence troué de formes
Mes chiens qui gisent m'appelant
Mes pas que le sable déforme
Cette cruelle exhalaison
Qui monte des nuits de l'enfance
Quand on respire à reculons
Une goulée de souvenance
Cette maison gantée de vent
Avec son fichu de tempête
Quand la vague lui ressemblant
Met du champagne sur sa tête
Ce toit sa tuile et toi sans moi
Cette raison de ME survivre
Entends le bruit qui vient d'en bas
C'est la mer qui ferme son livre
 
 
La mémoire et la mer / Léo Ferré
La mémoire et la mer / Léo Ferré

En 1960, Léo Ferré réalise un rêve en acquérant en Bretagne l’île du Guesclin, sur laquelle est bâti un ancien fort datant de 1026, grâce à la vente de ses droits d’auteur. C’est sur cet îlot minuscule relié à la terre ferme à marée basse que Léo Ferré habitera jusqu’en 1968, avec sa femme Madeleine, sa belle-fille et sa femelle chimpanzé Pépée. Quoique le cadre fût idyllique, l’histoire finira en drame : Madeleine sombrera dans l’alcoolisme tandis que Pépée, gravement blessée et refusant de se laisser soigner, devra être abattue, précipitant la séparation du couple. La chanson « La mémoire et la mer », parue en 1970, fait référence à cette période et à sa relation avec sa femme Madeleine. Lors d’un enregistrement public en 1990, Léo Ferré explique vaguement le contexte dans lequel il l’a écrite : « J’ai acheté une île, en Bretagne, entre Saint Malo et Cancale et, quand je suis arrivé là-bas, je me suis agenouillé, j’ai regardé cette maison, c’était fantastique, c’était le crépuscule qui s’évanouissait, enfin, c’était extraordinaire. Et après, j’ai fait un jour une chanson. Je ne comprends pas, les gens aiment beaucoup cette chanson ; elle n’est compréhensible que pour les gens qui ont connu ma vie à cette époque-là et, enfin, je peux vous en raconter là-dessus, vraiment il y a des choses qui se passent dans la vie qui ne sont pas très belles… »

 

La mémoire et la mer / Léo Ferré

Clefs


RAPPELLE-TOI CE CHIEN DE MER QUE NOUS LIBÉRIONS SUR PAROLE Évocation d’une
partie de pêche de Léo Ferré avec son ami Maurice Frot. Le « chien de mer » est une petite roussette (Scyliorhinus canicula). Ce requin de petite taille est surnommé ainsi à cause de son habitude de se déplacer et de chasser en meute. Robert Belleret raconte cet épisode dans « Léo Ferré : une vie d’artiste » : « Une roussette se prit dans le filet des deux amis. “Qu’est-ce que c’est ?demanda Léo – C’est un chien de mer ! répondit Maurice, plutôt fier de ramener sa science acquise lors de son équipée chez les terre-neuvas. – Quoi un Arkel [nom du berger allemand de Léo Ferré] ! refous-le vite à l’eau !” s’exclama Ferré. »

Dans son livre « Comment voulez-vous que j’oublie... », Annie Butor a contesté cette version : « Le “chien de mer” était une roussette qui a émis un bruit tel un aboiement. Cette roussette, la première que nous ayons pêchée, ne fut pas remise à la mer, il était
trop tard, mais elle avait la vie dure et ce fut pénible de la voir agoniser en se tortillant sur le sol.
Nous étions seuls, nous trois. Toutes les roussettes pêchées par la suite furent rejetées
immédiatement à l’eau. » Mais une petite roussette peut-elle aboyer ? Si les requins sont dépourvus d’organes pour émettre des sons, quelques rares espèces ont la capacité d’émettre un bruit semblable à un aboiement en relâchant l’air qu’elles aspirent : l’holbiche ventrue (Cephaloscyllium ventriosum) des côtes californiennes, mexicaines et chiliennes, et l’holbiche à damier (Cephaloscyllium isabellum) de Nouvelle-Zélande. En revanche ce n’est le cas, semble-t-il, d’aucun requin vivant le long des côtes françaises, ce qui rend dès lors le témoignage d’Annie Butor sujet à caution.
CELUI QUE JE VOYAIS BRILLER AU DOIGT DU SABLE DE LA TERRE L’île du Guesclin
possède un bras de sable, ressemblant à un doigt, qui est recouvert par la mer à marée haute. Léo Ferré y installait probablement, à marée basse, un filet de pêche. Pris dans ses mailles une nuit de juillet, un loup de mer, scintillant par la magie de l’éclat lunaire, semblait être une bague (un « solitaire ») au doigt de sable de l’île du Guesclin.
D’OÙ ME REMONTE PEU À PEU CETTE MÉMOIRE DES ÉTOILES Cette mémoire des étoiles : la lumière ne voyageant qu’à une vitesse limitée, ce que nous voyons n’est donc pas vraiment les étoiles, mais l’image qu’elles avaient il y a des milliers ou des millions d’années, leur mémoire.
JE SUIS SÛR QUE LA VIE EST LÀ AVEC SES POUMONS DE FLANELLE Flanelle : tissu doux
et léger La vraie vie est dans cet environnement naturel, où l’air est tellement pur qu’il laisse les poumons aussi doux et légers que de la flanelle.
REVIENS VIOLON DES VIOLONADES Violonade = morceau joué au violon Il assimile le départ de Madeleine et d’une manière, la perte de ce cadre idéal, à la disparition de la musique dans sa vie, laquelle symbolise le bonheur.
QUAND TU PLEURES DE CES TEMPS-LÀ LE FROID TOUT GRIS QUI NOUS APPELLE
Quand tu te remémores avec nostalgie la vie là-bas. Le froid tout gris : hypallage consistant à attribuer la couleur grise au froid, et non au temps qui était à la fois gris et froid.
REVIENS FILLE VERTE DES FJORDS Fjord : ancienne vallée glacière envahie par la mer qui
s’enfonce profondément dans les terres. On en trouve notamment dans le nord de l’Écosse, pays célèbre pour le phénomène des Green Ladies (filles vertes), apparitions fantomatiques de jeunes femmes. En comparant Madeleine à un fantôme, Ferré veut dire que son souvenir, en s’estompant, devient comme irréel.
LA MARÉE, JE L’AI DANS LE CŒUR Sens équivoque : « La marée me tient à cœur, j’y suis
profondément attaché » ou « J’ai en moi des remous, mon âme est agitée ».
IL PLEURE DE MON FIRMAMENT DES ANNÉES-LUMIÈRE ET J’EN LAISSE Des années-
lumière : par métonymie, les étoiles situées à des années-lumière L’assimilation des pleurs à la pluie ou à la neige est une figure de style fréquente. Ainsi Albert Samain a-t-il écrit : « Le ciel pleure ses larmes blanches sur les jours roses trépassés. » D’autre part, pleuvoir signifie au sens figuré « survenir à profusion ». Cf. Victor Hugo : « Il pleut des pardons ! Il grêle de la miséricorde ! » Léo Ferré évoque les étoiles qui émaillent le ciel (« le firmament ») ; par leur apparition en grand nombre à la tombée de la nuit, elles semblent en pleuvoir. Quant à l’emploi du verbe pleurer plutôt que pleuvoir , il évoque le sentiment de tristesse que font naître en l’auteur ces souvenirs. Et j’en laisse : Des années-lumière et plus encore.
C’EST FINI, LA MER, C’EST FINI SUR LA PLAGE, LE SABLE BÊLE COMME DES
MOUTONS D’INFINI... QUAND LA MER BERGÈRE M’APPELLE L’épisode de la vie sur l’île
du Guesclin est bien fini, mais Ferré en garde une nostalgie lancinante. Bien d’autres poètes avant lui ont comparé la mer à un troupeau de vagues en jouant sur la double acception du nom « mouton » (mammifère de la famille des ovinés ou vague frangée d’écume). Cf. Victor Hugo dans « Pasteurs et troupeaux » : « Regarde se lever la lune triomphale / Pendant que l’ombre tremble, et que l’âpre rafale / Disperse à tous les vents avec son souffle amer / La laine des moutons sinistres de la mer ». Ou Arthur Rimbaud dans « Le bateau ivre » : « J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides /Mêlant […] des arcs-en-ciel tendus comme des brides / Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ! » Ferré assimile le doux chuintement des vagues venant caresser le sable de la plage à un bêlement. La mer, gardienne (« bergère ») de moutons d’écume qui s’étendent à l’infini, continue de l’appeler vers elle.
CELUI QUI VIENT LES SOIRS DE FRIME La beauté de ce phénomène naturel est assimilée à de la frime. La nature, ici personnifiée, se pare de ses plus beaux atours pour impressionner le spectateur.
QUAND J’ALLAIS, GÉOMÉTRISANT MON ÂME AU CREUX DE TA BLESSURE
Géométrisant mon âme : donnant à mon désir une forme géométrique. Les métaphores du géomètre, comparant le coït à l’acte du géomètre-expert effectuant des mesures, et de la blessure, symbolisant le sexe de la femme, se retrouvent dans la chanson de Ferré intitulée « Cette blessure » : « Cette blessure, drapée de soie sous son triangle noir / où vont des géomètres de hasard / bâtir de rien des chagrins assistés / en y creusant parfois pour le péché. »
JE ME SOUVIENS DES SOIRS LÀ-BAS ET DES SPRINTS GAGNÉS SUR L’ÉCUME CETTE
BAVE DES CHEVAUX RAS AU RAS DES ROCS QUI SE CONSUMENT L’île du Guesclin,
accessible à pied à marée basse, est entourée par les flots à marée haute. Si l’on est à mi-chemin par la montée des eaux, il faut donc courir (« sprinter ») pour arriver sur l’île avant d’être submergé. L’écume qui monte rapidement est comparée à une bave, à des chevaux qui engloutissent les rochers à mesure que les eaux atteignent une hauteur plus élevée. On retrouve la même image chez Mallarmé : « Comme un vierge cheval écume de tempête. »
QUI ME REMONTE COMME UN SIGNE Deux significations possibles, dans la continuité de
l’ambiguïté précédente : 1) la mer, qu’il porte dans son cœur, revient subitement à sa mémoire, apparaissant ex nihilo comme un signe divin ; ou 2) le mal de mer symbolique qui l’incommode entraîne une remontée, une régurgitation des sentiments qui l’habitent.
Ô PARFUM RARE DES SALANTS DANS LE POIVRE FEU DES GERÇURES Salant : terrain
proche de la mer qui contient du sel Gerçure : petite fissure douloureuse apparaissant sur la peau ou les muqueuses Les métaphores comparant le sexe de la femme à la mer sont récurrentes dans les chansons de Ferré. Cf. Cette blessure (« Cette blessure / Où meurt la mer comme un chagrin de chair / Où va la vie germer dans le désert »), Géométriquement tien (« Ma symphonie dans ton jardin, / La mer dans ta rivière close, / L’aigre parfum de mon destin / Sur le delta d’où fuit ta rose ») ou encore Ta source (« Elle naît tout en bas d’un lieu géométrique / À la sentir couler, je me crois à la mer » ; « Ta dune, je la vois, je la sens qui m’ensable / Avec ce va-et-vient de ta mer qui
s’en va / Qui s’en va et revient mieux que l’imaginable »). La strophe étant de nature érotique et ayant pour cadre un décor marin, il est malaisé de savoir si la mer dont il est question ici est à prendre au sens propre ou au figuré. Au sens propre, on comprendra qu’au cours d’une partie de jambes en l’air sur la plage, le sel contenu dans le sol et dans l’eau provoque chez Léo Ferré une vive sensation de brûlure (« poivre feu ») dans le creux de ses gerçures, que celles-là fussent occasionnées à ses mains et à ses pieds par une exposition régulière au sel ou à une autre partie de son corps par la pratique assidue d’une activité plus intime. Au sens figuré, l’odeur reconnaissable entre mille de la mer est comparée à celle, tout aussi caractéristique quoique très différente, de la cyprine. Le « poivre-feu des gerçures » doit alors se comprendre comme le processus d’inflammation et l’état d’intense excitation causés par le frottement des muqueuses des organes
sexuels.
CETTE RUMEUR ME SUIT LONGTEMPS COMME UN MENDIANT SOUS L’ANATHÈME
COMME L’OMBRE QUI PERD SON TEMPS À DESSINER MON THÉORÈME Le bruit des
vagues reste présent à son esprit, sans qu’il puisse s’en défaire. Il le compare à un mendiant qui refuse de nous lâcher quand bien même on l’agonit d’injures, qu’on le frappe d’anathème, ou encore à sa propre ombre, qui s’ingénie à reproduire sa silhouette en appliquant quelque savant théorème mathématique.
JE MEURS DE MA PETITE SŒUR, DE MON ENFANT ET DE MON CYGNE Mourir de
quelqu’un : en éprouver un manque tel qu’on a la sensation de mourir. Cf. Anna de Noailles : « Je meurs de vous. Si j’étais gaie, ô morts, vous ne le sauriez pas ! » Ma petite sœur : Annie Butor, fille unique de Madeleine Rabereau. Elle a cinq ans lorsque sa mère épouse Léo Ferré en secondes noces en 1952. Mon enfant : Pépée, femelle chimpanzé, que Léo Ferré et sa femme Madeleine considéraient comme leur enfant. Robert Belleret, dans son livre Léo Ferré : une vie d’artiste, cite ces propos du chanteur monégasque : « Il faudrait pour nous voir maintenant accepter notre enfant Pépée… » Mon cygne : cet oiseau majestueux est considéré par les poètes comme un symbole de la beauté. « Son œil, à l’horizon de lumière gorgé / Voit des galères d’or, belles comme des cygnes »,
écrit ainsi Stéphane Mallarmé. Léo Ferré utilise ce vocable pour désigner sa femme Madeleine.
UN BATEAU, ÇA DÉPEND COMMENT ON L’ARRIME AU PORT DE JUSTESSE Évocation de
souvenirs sur l’île du Guesclin. Le verbe « arrimer » est utilisé ici dans le sens d’« amarrer », emploi impropre mais largement entré dans l’usage. Lorsque la mer est agitée, il faut promptement amarrer le bateau pour que celui-ci ne soit pas emporté par les flots.
S’EN VIENT BATTRE COMME UNE PORTE CETTE RUMEUR QUI VA DEBOUT DANS LA
RUE AUX MUSIQUES MORTES Et tandis qu’il porte encore le deuil de sa relation et de ses
souvenirs, le chahut de la ville, le bruit des gens marchant (« allant debout ») dans la rue, le vacarme de cette vie moderne désenchantée, sans musique, c’est-à-dire sans joie ni beauté, vient frapper à sa porte, perturbant sa méditation et l’invitant à le rejoindre.
DANS CETTE MER JAMAIS ÉTALE Étale : immobile L’eau de la mer, par le jeu de la succession des marées, n’est jamais stagnante.
UNE MATHÉMATIQUE BLEUE, Une infinité bleue, se multipliant à l’identique à perte de vue. L’idée est la même que dans le célèbre vers de Paul Valéry : « Et c’est la mer, la mer toujours recommencée. »
ET SUR MON MAQUILLAGE ROUX Ses yeux sont cerclés d’un maquillage roux car il a pleuré des larmes de sang, symbolisant l’extrême douleur. Cf. Voltaire : « Pourvu qu’Adélaïde, au désespoir réduite, / Pleure en larmes de sang l’amant qui l’a séduite. »
ET JE VOYAIS CE QU’ON PRESSENT QUAND ON PRESSENT L’ENTREVOYURE ENTRE
LES PERSIENNES DU SANG ET QUE LES GLOBULES FIGURENT Persienne : sorte de volet
muni de lamelles disposées de sorte qu’il existe entre chacune d’elles une fine ouverture laissant passer la lumière. Contempler l’immensité bleue de la mer lui procure la même sensation d’infini que lorsqu’on observe des amoncellements de cellules sanguines (« globules ») à travers la fine ouverture de la lentille du microscope (= « les persiennes du sang »).
Ô L’ANGE DES PLAISIRS PERDUS Probable référence à Madeleine, qui incarne les plaisirs de la chair. Le mot en apostrophe est précédé de l’article pour éviter l’hiatus, interdit en poésie classique.
CETTE RUMEUR QUI VIENT DE LÀ SOUS L’ARC COPAIN OÙ JE M’AVEUGLE Arc :
portion de la circonférence d’un cercle Ferré contemple le spectacle aveuglant du coucher du soleil, où seul un arc du disque solaire en train de passer sous l’horizon reste visible. Rumeur : bruit de la mer La rumeur de la mer vient du fond de l’horizon, là où se couche le soleil.
ET LE DIABLE DES SOIRS CONQUIS AVEC SES PÂLEURS DE RESCOUSSE Le soleil
couchant, en raison de sa couleur rouge, est comparé à un diable. Étant donné le caractère profondément intimiste du texte, il n’est pas à exclure que Ferré fasse référence à un épisode précis où le soleil couchant, dardant derrière les nuages, laissa apparaître une forme ressemblant à un diable. Des soirs conquis : L’adjectif « conquis » peut ici être compris de deux manières : envahi ou séduit. Dans le premier cas, il fait référence à la lumière rouge du soleil qui envahit le ciel crépusculaire ; dans le second, il veut dire que devant la beauté d’un tel spectacle, le soir lui-même fut conquis (= séduit). Avec ses pâleurs de rescousse : La pâleur du ciel gris de Bretagne, dont les couleurs froides contrastent avec les couleurs chaudes des rayons du soleil, vient à la rescousse pour
accroître la beauté de la scène.
Ô RUMEURS D’UNE AUTRE HABITUDE Rumeur est à prendre ici dans son acception de « bruit sourd, confus ou lointain d’origine naturelle ou produit par des objets ou des mécanismes ». On parle ainsi des rumeurs de la forêt, de la mer, de cloches, d’une usine… Les rumeurs dont il est question sont les bruits diffus de la mer, du mouvement habituel des marées. Une autre habitude : autre que celle des bruits de la ville, dans laquelle Ferré est depuis retourné vivre.
CES MAINS QUI ME FONT DU FLA-FLA CES MAINS RUMINANTES QUI MEUGLENT
Faire du fla-fla : faire de l’effet Il compare la caresse des vagues à des mains, mais des mains qui émettent un bruit semblable au meuglement des vaches (animaux ruminants). L’assimilation du murmure des vagues à un mugissement est une image courante dans la langue poétique, dont l’exemple le plus célèbre se trouve dans le Lac de Lamartine : « Ô lac ! […] tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ». De même chez Chateaubriand : « Les vagues [...] n’offraient plus qu’une surface huileuse, marbrée de taches noires, cuivrées ou verdâtres, selon la couleur des bas-fonds sur lesquels elles mugissaient. » Les verbes « mugir » et « meugler » sont synonymes, si ce n’est que le premier est plus soutenu et a donc eu la faveur de la plupart des poètes. Ferré emploie le second pour les besoins de la rime. De même, la figure de style consistant à attribuer aux forces agissantes de la nature des membres humains n’est pas rare dans la poésie classique. Cf. Théophile Gautier : « Vous n’aurez pas de croix ni de marbre superbe, / Ni d’épitaphe d'or, où quelque saule en pleurs / Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe ». Et Joachim Gasquet : « Dans les bras de la mer dorée, / Midi sommeille, l’air est lourd. / Comme tes yeux, mon adorée, / Le ciel est imprégné d’amour. »
ET QUI GUEULE DANS LE DÉSERT DES GOÉMONS DE NÉCROPOLE Dans le désert : Tout
comme le désert est souvent comparé à une mer de sable, la mer est souvent assimilée à un désert. Cf. Théophile Gautier : « Des flots rasant la cime, / Dans le grand désert bleu / Nous marchons avec Dieu ! » ; Éphraïm Mikhaël : « Viens, nous sommes les souverains / Des lumineux déserts marins / Sur les flots ravis et sereins. » Qui gueule : Une roussette ne poussant pas de cris, gueuler doit ici être compris dans son emploi transitif signifiant « saisir avec la gueule ». Les dépôts de goémons, algues vertes dont la forme rappelle celle d’ossements, sont comparés à une nécropole. Ferré joue sur cette ressemblance et sur le surnom de chien de mer donné à la roussette en imaginant que celle- ci prend ces algues dans sa gueule, comme un chien le ferait avec un os.
TE LANCER LA BRUME EN BAISER En baiser : en guise de baiser. Le baiser lancé symbolise le sentiment d’amour et la vive émotion que fait naître ce spectacle grandiose dans le cœur de celui qui le contemple. Léo Ferré, comme on peut le voir dans certaines vidéos, avait pour habitude de porter sa main aux lèvres et de lancer un baiser chaque fois qu’il se retrouvait face à une expression particulièrement saillante de la beauté.
JE SUIS LE FANTÔME JERSEY Le fantôme Jersey : l’île anglo-normande de Jersey, visible
depuis l’île du Guesclin où résidait Léo Ferré. Certains soirs de brume, le brouillard confère à l’île de Jersey un aspect fantomatique. On retrouve une image similaire chez Paul Verlaine : « Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie / Au long de l’étang, parmi la saulaie / Où la brume vague évoquait un grand / Fantôme laiteux se désespérant. » En s’identifiant à un fantôme, Ferré indique qu’il se sent sans consistance, presque irréel. Ernest Renan écrivait : « Je ne pourrai arrêter un moment son regard ? Il ne m’accordera pas que j’existe ? Je ne serai, quoi que je fasse, pour lui qu’une ombre, qu’un fantôme, qu’une âme entre cent autres ? »
DIEUX DES GRANITS, AYEZ PITIÉ DE LEUR VOCATION DE PARURE QUAND LE
COUTEAU VIENT S’IMMISCER DANS LEUR CASTAGNETTE FIGURE Les coquilles du
coquillage, une fois ouvertes et débarrassées du mollusque qu’elles abritent, ont vocation à servir de bijou. Il prie pour que, ce faisant, le coquillage ne se brise pas quand s’y introduit le couteau et qu’il puisse donc se transformer en parure.
COMME LE TRÉMAIL DE JUILLET OÙ LUISAIT LE LOUP SOLITAIRE Trémail : grand filet
de pêche Comme un trémail : La façon dont la scène captive le spectateur est assimilée à la capture d’un poisson dans un filet de pêche. Loup solitaire : détournement de l’expression commune « loup solitaire » (personne qui vit ou agit seule, à la manière d’un loup qui aurait quitté sa meute). Le loup ne désigne pas ici le mammifère carnassier, mais le poisson aussi connu sous le nom de bar. Solitaire n’est pas l’adjectif signifiant « sans compagnie » mais le substantif désignant le diamant monté seul en bague.
ET TOI FILLE VERTE, MON SPLEEN L’ellipse du verbe rend le vers équivoque. Faut-il
comprendre ce passage comme « je voyais un vitrail et toi fille verte, tu voyais mon spleen » ou comme « je voyais un vitrail et je te voyais fille verte, toi qui est mon spleen » (c’est-à-dire : la source de mon spleen) ? La première explication nous semble plus convaincante.
LES COQUILLAGES FIGURANT SOUS LES SUNLIGHTS, CASSÉS, LIQUIDES, JOUENT DE
LA CASTAGNETTE TANT QU’ON DIRAIT L’ESPAGNE LIVIDE Figurer sous les sunlights :
être sous les projecteurs, être l’objet de toutes les attentions La lumière du soleil est comparée à des projecteurs éclairant un spectacle, en l’occurrence de castagnettes. Castagnette : petit instrument de musique espagnol, composé de deux coquilles que l’on fait claquer l’une contre l’autre Livide : d’une pâleur terne Accrochés aux récifs de granit, les coquillages cassés dont les deux coquilles s'entrechoquent au gré du vent rappellent des castagnettes et, partant, le pays d'origine de ces instruments à percussion. Mais alors que l’Espagne, pays de soleil, évoque des couleurs chaudes, il en va tout autrement des paysages grisâtres qui prédominent sur les côtes du nord de la Bretagne.
On dirait donc l’Espagne, mais une Espagne aux couleurs froides, une « Espagne livide ».
DANS LE PORT FANFARENT LES CORS POUR LE RETOUR DES CAMARADES Fanfarer =
sonner Tout en lui l’appelle à un retour à la situation antérieure, à ce que les camarades d’antan soient réunis.
DANS LE DÉSORDRE DE TON CUL POISSÉ DANS DES DRAPS D’AUBE FINE JE VOYAIS
UN VITRAIL DE PLUS, S’agit-il de draps véritables éclairés par la lumière de l’aube, ou
simplement de cette dernière qui semble couvrir le postérieur de Madeleine d’un drap lumineux ? Le « désordre » fait penser à un drap froissé, et nous inciterait à privilégier la première interprétation. Quoi qu’il en soit, ses fesses couvertes de transpiration (« poissées ») et revêtues d’un drap, réel ou métaphorique, rappellent à Ferré, qui s’extasie devant un tel spectacle, les vitraux des églises.
ET LE SQUALE DES PARADIS DANS LE MILIEU MOUILLÉ DE MOUSSE Squale : requin.
Probable métaphore sexuelle. Ferré a en effet recouru à la même image pour désigner son phallus, de manière plus explicite, dans sa chanson « Géométriquement vôtre » : « Tes bijoux, ton blé, ton vouloir / Le plan de tes folles prairies / Mon squale qui viendra te voir / Du fond de moi si tu l’en pries. » Des paradis : qui apporte un plaisir paradisiaque. Le milieu mouillé de mousse : le vagin humide de la femme La reprise oratoire de la conjonction « et » au début de chaque vers donne l’impression d’une énumération de souvenirs revenant comme des flashs, sans lien véritable les uns avec les autres.

 

Sur la couverture du Cahier d’études Léo Ferré n° 11- mai 2013 - "La
Mémoire et La Mer", Richard Martin est avec Léo Ferré qui disait à
Françoise Travelet :
 « À propos de cette chanson, il se passe une chose extraordinaire et
inexplicable : l’engouement du public. Pourtant, il n’est pas possible
qu’il la comprenne parce que c’est une poésie à décrypter et, pour la
lire, il faut avoir la grille de ma vie. Si quelqu’un me connaît, il comprend
tout, mot après mot. S’il ne connaît pas ma vie, tous les mots lui
échappent. "La Mémoire et la Mer" n’est pas une poésie hermétique : si
elle l’était, on pourrait tout y mettre, tout prétendre.
Or c’est impossible ! C’est pourquoi, je l’affirme, c’est une poésie qui
possède une clé précise et cette clé c’est moi-même ».
Léo Ferré, dans les années soixante, écrit sur l’îlot du Guesclin, à
proximité de Saint-Malo et de Cancale, dans cette Bretagne tant
aimée, "La Mémoire et la Mer" qui se nommera d’abord "Ma Bretagne à
moi" puis "Les Chants de la fureur" dans un seul chant intitulé
"Guesclin". Ce monument (selon Robert Belleret), cette œuvre dans
l’œuvre (selon Bruno Blanckeman), se compose de 55 strophes,
chacune de 8 octosyllabes, soit 440 vers. Il aura fallu une quinzaine
d’années à Léo Ferré pour y mettre le point final. Le poète musicien en
tirera comme d’un vin nouveau sept partitions/chansons : "FLB", "La
Mer noire", "Géométriquement tien", "Des Mots", "La Marge",
"Christie" et cette "Mémoire et la Mer", clé de voûte du fameux double
album "Amour Anarchie" des années soixante-dix.
Richard Martin, homme-comédien, homme-metteur en scène, homme-
diseur de poèmes, interprète sur scène ces 440 vers et donne à
entendre et à lire un Léo Ferré différent et particulièrement émouvant
sur les origines de ce poème-monde. Richard est le seul à dire ce
magnifique élan qui est un des sommets de la poésie et de la chanson
française peut-être jamais égalé. Ce n’est pas le seul texte de Ferré que
Martin joue. "Poètes… vos papiers !" fut parmi les concerts
mémorables que Richard donna sur le bateau de l’Odyssée, au service
de la poésie de son frère-ami. Ses "Nuits de l’Anarchie" au Toursky
illustrent l’âme vivante de son théâtre. Si Richard sert inlassablement
cette œuvre, Léo s’est mis
au service de Richard humblement sur la création théâtrale de son
"Opéra des rats" en lui écrivant le livret. Richard, en jouant "La
Méthode" a fait toucher du doigt à l’artiste l’art du théâtre et son
miracle.
Trente ans déjà que le poète-musicien nous a quittés. Trente ans que
son œuvre gueule dans le désert médiatique. Dérangerait-il ? Ce
silence autour de son lyrisme est d’ailleurs un hommage involontaire.
Sa révolte est celle du poing levé et dans le même mouvement de la
main tendue. Ce qui caractérise l’homme-artiste Léo Ferré c’est
l’insurrection du cœur et de l’esprit. Voilà une œuvre haute, fine et libre
programmée pour le service de l’amour et de la paix.
Richard Martin, en son théâtre Toursky, s’est fabriqué une âme tissée
par la même étoffe créatrice et fraternelle.
Richard à son tour est parti, le 16 octobre 2023.
Pour leur œuvre respective et leur amitié indéfectible, les deux hommes
sont deux frères inséparables en éternité.

Bienvenue sur la Terre à Laurac-en-Vivarais ou sur les traces de Léo Ferré / Dans la continuité de Voyage autour de ma cabane, l’auteur raconte un autre voyage, celui qu’il a fait de l’Ardèche à la Toscane sur les traces de Léo Ferré. Il le raconte à une enfant qui vient de naître, lui parle des poètes, des musiciens, des peintres... de tous les artistes qui enchantent le monde. Il lui dit aussi la beauté de la nature, à l’heure où elle est plus que jamais menacée par nos excès. Une manière pour lui de souhaiter la bienvenue sur la Terre à tous les enfants qui naissent aujourd’hui. Roger Lombardot sera accompagné dans cette aventure par son fils Manuel, auteur des photos du voyage, et par Gari Grèu (Massilia Sound System) au chant.
Bienvenue sur la Terre à Laurac-en-Vivarais ou sur les traces de Léo Ferré / Dans la continuité de Voyage autour de ma cabane, l’auteur raconte un autre voyage, celui qu’il a fait de l’Ardèche à la Toscane sur les traces de Léo Ferré. Il le raconte à une enfant qui vient de naître, lui parle des poètes, des musiciens, des peintres... de tous les artistes qui enchantent le monde. Il lui dit aussi la beauté de la nature, à l’heure où elle est plus que jamais menacée par nos excès. Une manière pour lui de souhaiter la bienvenue sur la Terre à tous les enfants qui naissent aujourd’hui. Roger Lombardot sera accompagné dans cette aventure par son fils Manuel, auteur des photos du voyage, et par Gari Grèu (Massilia Sound System) au chant.

Bienvenue sur la Terre à Laurac-en-Vivarais ou sur les traces de Léo Ferré / Dans la continuité de Voyage autour de ma cabane, l’auteur raconte un autre voyage, celui qu’il a fait de l’Ardèche à la Toscane sur les traces de Léo Ferré. Il le raconte à une enfant qui vient de naître, lui parle des poètes, des musiciens, des peintres... de tous les artistes qui enchantent le monde. Il lui dit aussi la beauté de la nature, à l’heure où elle est plus que jamais menacée par nos excès. Une manière pour lui de souhaiter la bienvenue sur la Terre à tous les enfants qui naissent aujourd’hui. Roger Lombardot sera accompagné dans cette aventure par son fils Manuel, auteur des photos du voyage, et par Gari Grèu (Massilia Sound System) au chant.

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7 Août 2023 , Rédigé par grossel Publié dans #assaisonneur, #note de lecture, #théâtre, #écriture- lecture

Corps ça vit, au kilomètre 2 route de Montferrer, le paysan du moyen-âge et le chien de berger bienveillant au rocher des sorcières, le rocher de Batère où les mineurs s'affrontaient à l'escalade, l'abbaye d'Arles sur Tech, Céret après l'orage
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emporter à Corps ça vit et lire plusieurs N° de La revue des deux mondes, la plus ancienne revue française; abonné, pouvoir accéder aux archives, c'est respirer un air rare
dans le N° de mai-juin, Nietzsche, Pascal, Prokofiev mort le même jour que Staline, le 5 mars 1953, les jouissances de Barbara Cassin (curieusement, je pense à Marcel Conche), Oleanna de David Mamet ...
Ce jour-là, John, un professeur d’université, discute au téléphone avec sa femme quand Carol, une de ses étudiantes, s’invite  dans  son  bureau.  La  jeune  femme  réclame  des explications :  pourquoi  ses  résultats  scolaires  sont-ils  si mauvais alors qu’elle fait tout ce qu’on attend d’elle ? Car  il  faut  le  reconnaître,  Carol  est  une  élève  tout  à  fait  sérieuse. Assidue à ses cours, elle écoute attentivement son professeur, noircit des pages de notes et, le soir venu, elle travaille encore de longues heures sous la lumière jaune de sa petite lampe de bureau. Or, malgré tous ses efforts, rien n’y fait ; sa moyenne reste désespérément basse et chaque jour qui passe la fait se sentir un peu plus stupide et un peu plus en échec. Or, pour Carol, réussir ses examens revêt une importance particulière. Issue d’un milieu social  défavorisé,  ses  moyens  sont  limités. Aller  à  l’université  lui  réclame,  ainsi  qu’à  sa  famille, de gros sacrifices. Accaparé par sa conversation téléphonique, John ne prête qu’une oreille distraite à son élève. De toute façon, son esprit est ailleurs car, après des années passées à enchaîner des contrats précaires, il va enfin .............................
Ancien policier, Bertrand Dal Vecchioest scénariste et dramaturge. Dernier ouvrage  publié : La Loi et la rue (Pocket, 2023).bertrand.dalvecchio@gmail.com

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1° août, 5 H 45, je sors de la bibliothèque, le théâtre complet d'Eschyle, traduit par l'ami Dimitri Analis dont j'ai édité Sana'a-Aden(1995), paru en juin 2004 à La Différence, suite à la lecture hier soir de l'entretien entre Wajdi Mouawad et Judith Sibony dans la revue des deux mondes de juillet 2022, consacré à Michel Audiard, le mauvais esprit de la France glorieuse et gouailleuse (livre et film Vive la France, 1974)
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Dimitri T. Analis
Nationalité : Grèce
Né(e) à : Athènes , le 04/12/1938
Mort(e) à : Athènes , le 10/02/2012
Biographie :
Dimitri T. Analis est un poète et écrivain.
Après des études de droit et de sciences politiques en France et en Suisse, il a travaillé pour la presse suisse et ensuite pour les journaux ‘’Le Monde’’ et ‘’ Nouvelles littéraires ‘’.
Traducteur grec de Julien Gracq et d'Yves Bonnefoy, Dimitri T. Analis choisit la langue française pour écrire ses propres poèmes.
Il a publié de nombreux recueils de poèmes, à L’Âge d’Homme, au Mercure de France et chez Obsidiane.
Également spécialiste de géostratégie, ancien conseiller aux Affaires étrangères, Dimitri T. Analis est l'auteur d'essais sur les Balkans, les crises internationales et les questions des minorités.
Il a reçu plusieurs prix, parmi lesquels la Grande médaille de l’Académie Française pour la Francophonie et le prix Stendhal de la part du ministère français des Affaires étrangères, pour sa contribution aux lettres et aux sciences.
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Pourquoi une nouvelle traduction d'Eschyle ? Dimitri T. Analis s'est évidemment posé la question. " Le monde, la société, la relation avec la langue évoluent. Être classique ne signifie pas refuser le changement. " Il n'est pas indifférent que Dimitri T. Analis - écrivain de langue française, auteur de plusieurs recueils de poèmes, d'essais sur l'art et les voyages, et d'ouvrages sur les relations internationales - se soit attelé à une tâche d'une telle envergure. Il a étudié les classiques à l'école en grec ancien et les a vu représenter, en grec moderne, au théâtre Hérode Atticus ou à Épidaure. Que veut-il nous faire entendre ? Qu'une mélodie a survécu à travers les millénaires ; que ce théâtre-là peut émouvoir le spectateur d'aujourd'hui ; que, simplifié sans être trahi, il a des choses à nous dire. L'œuvre est vivante : c'est le rôle des poètes de la soustraire aux érudits et aux universitaires et de la rendre au public pour lequel elle a été écrite. LES SUPPLIANTES LES PERSES LES SEPT CONTRE THÈBES PROMÉTHÉE ENCHAÎNÉ AGAMEMNON LES CHOÉPHORES LES EUMÉNIDES
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Wajdi Mouawad constate qu'Eschyle, 1° auteur de théâtre,  fait compatir, pleurer les spectateurs Athéniens aux malheurs des ennemis Perses, battus par 3 fois; à méditer
"La plus ancienne pièce du répertoire occidental a été créée en Grèce, elle s’appelle Les Perses, et à la fin, le public pleure alors que c’est l’ennemi qui meurt. Je crains qu’on n’ait pas du tout cette capacité à garder l’ennemi dans le cercle de l’humain. Enfin si, on l’a, mais on l’étouffe. Dans le théâtre grec antique,  le  premier  mouvement,  c’est  cela  :  replacer  la  figure  du  méchant dans le giron humain." À comparer avec "nos" attitudes, celles des dirigeants dans la guerre russo-ukrainienne-otanienne.

les trois grâces d'Eugène Leroy, 1954 et 1990
les trois grâces d'Eugène Leroy, 1954 et 1990

les trois grâces d'Eugène Leroy, 1954 et 1990

Revue des deux mondes, juillet-août 2022, je tombe sur une note concernant deux expositions consacrées à Eugène Leroy (1910-2000) au musée d'art moderne de Paris et au musée de Tourcoing.
Tilt : Pof- Michel Bories, Gilbert Desclaux
"Les tableaux de cette vaste rétrospective se tiennent sur la frontière du visible et de l’illisible. L’épaisseur des couches de couleur, le tourbillon des matières ne favorisent guère le regard touristique. À défaut de traverser les salles à toute allure, il faut  ralentir  pour  apprivoiser  ce  qui  vient  vers  nous.  Car  au  vu  de  l’empâtement, de ce débordement qui de partout nous assaille, il y a très certainement une distance à respecter puisque dans cet emportement pictural tout change au fur et à mesure que l’on se rapproche ou que l’on s’éloigne. Ici pas de quoi pavoiser, ni remplir notre compte en  banque  oculaire,  car  c’est  à  nous  de  répondre  de  ce  que  nous  voyons,  nous  devons  nous  ajuster,  abandonner  nos  triomphalismes  visuels.  Difficile  de  parler  de  ce  que  l’on  aperçoit,  d’en  faire  le  tour  en  quelques  mots.  Nous  sommes  pour  ainsi  dire  mis  au  défi  d’être  défaits, et avouons-le, le plus souvent démunis. Bref, une fois n’est pas coutume, l’image ne règne pas en sa puissance, elle est à la question. Tel est l’enjeu de ce parcours qui, hors de toute chronologie linéaire, revient constamment sur les mêmes thèmes traités année après année, où  portraits,  autoportraits,  paysages,  sujets  abordés  par  les  maîtres  anciens sont sans cesse reconduits, longuement réfléchis. Prenons par exemple Les Trois Grâces de Raphaël, peintes en 1954 puis en 1990. La silhouette des trois déesses émerge à peine sous les strates juxtaposées de  pigment.  Mais  entre  la  version  plus  ancienne  et  la  nouvelle,  on  passe d’une évanescence des formes enveloppées dans leur blancheur à  un  enfouissement  plus  profond  opéré  dans  les  masses  colorées.  Et  curieusement, au plus fort de leur disparition sous les sédiments accumulés, les trois déesses apparaissent plus distinctement comme si leur ensevelissement  favorisait  leur  visibilité.  Eugène  Leroy  ne  s’inquiète  guère  de  l’idée  émanant  du  tableau  de  Raphaël,  encore  moins  de  le  reproduire,  il  l’enterre  pour  mieux  se  libérer  de  son  emprise  afin  de  poursuivre sa propre voie, d’assurer la mise en place de son mode opératoire. Et cette libération s’incarne très physiquement dans un corps-à-corps avec l’huile, à travers le modelage de la matière, cette manière très  particulière  d’additionner  les  giclures  sortant  des  tubes  comme  s’il  fallait  à  tout  prix  façonner  l’immense  grotte  où  coule  sans  fin  le  fleuve de la peinture. Par voie de conséquence, l’horizon mimétique écrasé par ce brassage matériel permanent s’écroule bel et bien mais on aurait tort de s’en tenir là, car un autre combat acharné s’entame entre la  surface  et  les  fonds.  On  ne  peut  manquer  de  remarquer  les  effets  de cette lutte où, toile après toile, les fonds chancellent, tanguent, et dans le remuement continu de leurs dépôts successifs donnent naissance à des figures inédites et fragiles. La légèreté dansante de nos trois déesses dépend pour une large part de la lourdeur qui les assiège. Les fonds chez Eugène Leroy, comme le rapporte Pierre Wat (2) dans le catalogue, ont une valeur substantielle. Ils représentent le limon de la peinture, ses alluvions fécondantes. Dans l’atelier du peintre, les toiles entassées pêle-mêle, maculées d’éclaboussures, attendaient de devenir des tableaux, patientant parfois des années. Ceux qui sont sortis de ce prodigieux entassement portent le témoignage de cette relation étroite avec le courant qui les a nourris." Bertrand Raison
-----------------------------
quand, comment Pof  a t-il découvert Eugène Leroy ?
Je vois les influences dans L'homme assis, une des dernières oeuvres de Pof. Je la montrerai quand j'accèderai au PDF du livre Disparition.
ou dans les gouaches de Cuba.

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Après deux N° de la revue des deux mondes, deux N° de la revue Front populaire.
Avec Jean-François Kahn, dans la revue des deux mondes, tu te confirmes dans ce jugement que chiffres et sondages des « experts » de plateau TV et autres tribunes ne sont là que pour habiller, voiler, maquiller, bidouiller, manipuler, orienter, formater l’opinion, ne sont là que pour se substituer à l’opinion, à la voix citoyenne, ne pouvant s’exprimer par la voie référendaire (au sens du RICCARL) localement, régionalement, nationalement, européennement, onusiennement.
Chiffres et sondages, conseils des cabinets de conseils étrangers (américains, allemands) grassement payés contre la voix des gens ordinaires, contre la voie démocratique dégageant une majorité que Tocqueville a décrit comme « le despotisme de la majorité » dans De la démocratie en Amérique.

Voilà une "bible" dont il faut reconsidérer l'impact.


Soit aujourd’hui, « démocratie directe » pas du tout réalisée contre « démocratie représentative » où les représentants élus se servent, s’accordent privilèges et prébendes avec cynisme et mépris du peuple = des gens ordinaires = des périphériques, invisibilisés au profit de minorités agissantes de toutes sortes, les plus gueulardes ayant le plus pignon sur plateau, contribuant à la fragmentation de la société, à son éclatement, à sa décomposition, à la guerre civile, à bas bruits pour le moment, selon Michel Onfray, décrivant par exemple ce qui se passe régulièrement quartier Perseigne, à Alençon, Orne, son département aimé, quartier devenu « territoire perdu de la République » selon un euphémisme pudique, territoire devenu territoire d’une tribu marquant son territoire par « tirs de mortiers, incendies de poubelles et de voitures, barricades, dégradations de mobilier urbain, caillasses, guets-apens de policiers  et de pompiers, une bande d’une cinquantaine de personnes masquées, cagoules, armées de barres de fer est allée au contact de la police forte de 35 membres pendant 3 heures. » N° 12, pages 5-6
Avec les N° de Front populaire, N° 12, La tyrannie des minorités, l’art de détruire la France et N° 13 Guerre à la guerre, contre les impérialismes, te voilà en présence d’analyses argumentées, de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part comme se présente la revue.
Ça déboulonne, ça renverse les statues, ça jette à bas quantité de logiciels, de paradigmes, de discours admis sans distance, par méconnaissance (puisque tout est voilé, truqué) et ça fait un bien fou, tout en déstabilisant au point de ne pas en dormir, sans doute pour remettre un peu de cohérence dans tes convictions.
Tu es confirmé dans ta conviction récente (depuis 2020 environ) que tout un tas de récits sur des épisodes du roman national sont des faux,

- la révolution française (il vaut mieux lire Taine que Michelet ou Jean Tulard),

- l’universalisme des droits de l’homme,

- la colonisation civilisatrice (le célèbre discours de Victor Hugo du 21 août 1849 au Congrès de la Paix, souvent cité mais toujours caviardé, coupé de ce qui aujourd’hui gêne),

- la résistance sous Vichy,

- le gaullisme, le mitterrandisme, le chiraquisme;
qu’il en est de même de tout un tas de récits sur des épisodes internationaux :

- la révolution bolchevique, le stalinisme,

- la libération de la France par les américains,

- la guerre du Viet-nam,

- les guerres du Golfe (l’énorme mensonge de Colin Powell montrant une fiole d’ « arme bactériologique » du régime de Sadam Hussein aux TV),

- les guerres de l’axe du bien contre les axes du mal,

- les guerres justes qui fonctionnent selon un schéma hérité de Saint-Paul, Saint-Augustin, Saint-Thomas d’Aquin, médiatisé par deux Bernard, BK et BHL: je te fais la guerre préventivement à toi dictateur dangereux, au nom des droits de l’homme, de la démocratie, de l’universalisme, d’une façon active, pas réactive, pour t’empêcher de me faire la guerre liée à ta folie. Je tue des gens réels, je cause des souffrances réelles, des injustices réelles au nom d’injustices virtuelles, de souffrances virtuelles. (N°13, pages 2 à 9)

Tu es effaré de voir comment on est passé
- de la génération de 68, dite des Boomers,  rimbaldienne, utopiste, qui rêvait d’une société différente, de courir le monde, d’inventer une contre-culture, de définir une liberté neuve
- à la génération des Millennials  qui font choix d’un monde fait d’interdits, de censures de tous calibres, de frontières pathologiques entre les races, les cultures, les sexes, les âges.
Comme si on était passé, en quelques décennies, d’« il est interdit d’interdire » à « il faut faire taire celui qui m’offense ». Selon Brice Couturier (N° 12, page 157)

exit avec cette génération, la résilience: ce qui ne te tue pas, te rend plus fort

Tu penses à Marcel Conche, à ses fondements de la morale, au devoir de prendre la parole pour ceux qui ne l'ont pas

(à mettre en contraste avec ce qui est arrivé au Canada à Ariane Mnouchkine, voulant donner la parole dans un spectacle aux indiens autochtones, sans eux et se faisant tailler en pièces, parce que sans eux c'est contre eux = = activisme décolonial; voir aussi ce qui est arrivé à J.K. Rowling)


Woke veut dire éveillé, qui s'éveille, prend conscience. Comment l’éveil a t-il pu engendrer le Wokisme, source de régressions impensables il y a une dizaine d'années ?

Le wokisme est la rencontre selon Jean-François Braunstein d'un courant américain du protestantisme théorisant la notion de péché d'un point de vue collectif et pas seulement individuel (tous coupables, le méchant blanc) et de la french theory, les philosophes français dits de la déconstruction (Foucault, Derrida, Baudrillard).

Pour ma part, j'approuve que l'on révèle la réalité coloniale, dominatrice, exterminatrice, extractrice, prédatrice de l'Occident. Après vient le débat : réparation, repentance... Avec le wokisme, plus de débat possible : il faut passer par la revanche, la vengeance.

Autre point à évoquer : la question de l'identité. Là encore, l'idée de définir, de faire évoluer son identité, ses identités, n'est pas en soi une "mauvaise" idée. Personnellement, je suis favorable à ce que j'appelle la fluidification de l'identité puisque cela correspond à la variété de nos humeurs, sensations, émotions, sentiments, pensées. Mais de là à exiger la reconnaissance par autrui ou par la loi de mes choix personnels me semble correspondre à ce proverbe : les chemins de l'enfer sont pavés de bonnes intentions.

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(Une vague de folie et d’intolérance submerge le monde occidental. Venue des universités américaines, la religion woke, la religion des «  éveillés  », emporte tout sur son passage  : universités, écoles et lycées, entreprises, médias et culture.
  Au nom de la lutte contre les discriminations, elle enseigne des vérités pour le moins inédites. La «  théorie du genre  » professe que sexe et corps n’existent pas et que seule compte la conscience. La «  théorie critique de la race  » affirme que tous les Blancs sont racistes mais qu’aucun «  racisé  » ne l’est. L’«  épistémologie du point de vue  » soutient que tout savoir est «  situé  » et qu’il n’y a pas de science objective, même pas les sciences dures. Le but des wokes : «  déconstruire  » tout l’héritage culturel et scientifique d’un Occident accusé d’être «  systémiquement  » sexiste, raciste et colonialiste. Ces croyances sont redoutables pour nos sociétés dirigées par des élites issues des universités et vivant dans un monde virtuel.
  L’enthousiasme qui anime les wokes évoque bien plus les «  réveils  » religieux protestants américains que la philosophie française des années 70. C’est la première fois dans l’histoire qu’une religion prend naissance dans les universités. Et bon nombre d’universitaires, séduits par l’absurdité de ces croyances, récusent raison et tolérance qui étaient au cœur de leur métier et des idéaux des Lumières. Tout est réuni pour que se mette en place une dictature au nom du "bien" et de la «  justice sociale  ». Il faudra du courage pour dire non à ce monde orwellien qui nous est promis.
Comme dans  La philosophie devenue folle, Braunstein s’appuie sur des textes, des thèses, des conférences, des essais, qu’il cite et explicite abondamment, afin de dénoncer cette religion nouvelle et destructrice pour la liberté.
Un essai choc et salutaire.)

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Appliqué à l'école, ça donne : "l’école inclusive est la « révolution copernicienne » du système éducatif, la fin heureuse d’une école « ségrégationniste et élitiste » avec l'extension du domaine du handicap...La dyslexie a ouvert le bal à la fin du siècle dernier, destinée à camoufler l’échec de l’apprentissage de la lecture par la méthode globale, bientôt suivie de tous ses avatars poursuivant peu ou prou le même objectif : dissimuler l’échec des réformes pédagogiques engagées depuis quarante ans en l’attribuant aux supposés « dysfonctionnements » neurocérébraux d’élèves chaque année plus nombreux. Cette extension organisée du domaine des « dys » explique sans doute l’étrange statistique  selon lequel un quart des élèves français relèverait aujourd’hui du handicap… La déconstruction de la norme – par rapport à laquelle se définit nécessairement le handicap – et l’idéologie victimaire qui sert de boussole aux instances supranationales ont pour effet de pathologiser la société. Pour preuve, la catégorie de « handicap ressenti », strictement déclarative et très sérieusement utilisée par l’INSEE dans l’établissement de ses statistiques sur le handicap en France... Tous handicapés, tous victimes, tel serait donc l’idéal de l’école inclusive." Anne-Sophie Nogaret, N°12, pages 126 à 131.

 

3 philosophes face à la bombe : Camus et la bombe, article du 8 mai 1985 dans Combat, Karl Jaspers, Günther Anders
3 philosophes face à la bombe : Camus et la bombe, article du 8 mai 1985 dans Combat, Karl Jaspers, Günther Anders
3 philosophes face à la bombe : Camus et la bombe, article du 8 mai 1985 dans Combat, Karl Jaspers, Günther Anders

3 philosophes face à la bombe : Camus et la bombe, article du 8 mai 1985 dans Combat, Karl Jaspers, Günther Anders

Du N° 13, Guerre à la guerre, tu retiens pour t’interroger, l’article Trois philosophes face à la bombe (Camus, Jaspers, Anders) pages 145-151. Tu ignores si le complexe militaro-intellectuel qui vend la guerre sur les plateaux TV, sans la faire, évoque la possibilité de l’usage de l’arme nucléaire dans la guerre russo-ukrainienne.
L’article de Combat du 8 mai 1945 dans lequel Camus développe sa position est écrit à chaud, deux jours après Hiroshima qui selon la lettre de Claude Heatherly, pilote ayant participé à l’opération, adressée au révérend N., le 8 août 1960, est une erreur accidentelle (la ville n’était pas la cible). Camus dégage l’enjeu, avec cette arme c’est le suicide collectif de l’humanité qui est possible. La science censée apporter la connaissance et de meilleures conditions d’existence, contribuer au bonheur des gens dans leur vie quotidienne est utilisée pour des meurtres de masse avec une bombe de la grosseur d’un ballon de football. On a fait de gros progrès depuis, la bombe la plus puissante ayant jamais explosé en essai aérien est la bombe russe Tsar Bomba (3300 fois celle de Hiroshima).
 
Jaspers fait une conférence 11 ans après Camus, en août 1956 « La bombe atomique et l’avenir de l’homme » qu’il développera ensuite dans un livre de 700 pages, épuisé, paru en 1963 chez Buchet-Chastel. Il met en avant le fait que la théorie de la dissuasion est une folie. Croire qu’on empêchera la guerre parce qu’on possède l’arme nucléaire, c’est ne pas comprendre que toute arme nouvelle finit toujours par être utilisée. Donc, une guerre nucléaire est possible. Ce qui confirme cette hypothèse, ce sont les essais nucléaires (le chiffre des essais aériens, souterrains, sous-marins sur une trentaine d’années est ahurissant) et l’impossibilité d’empêcher la dissémination de l’arme nucléaire (sauf à faire une injuste guerre juste).

Anders publie en 1956, le 1° tome de son magistral livre L’obsolescence de l’homme. Il pense comme Jaspers que la bombe est appelée à être utilisée, que c’est pour cela qu’on l’essaie, que ce ne sont pas des essais de dissuasion. Au delà de Jaspers, il voit les effets désastreux sur de très longues durées  sur les humains, la faune, la flore. Tchernobyl entre autres est là pour nous raconter ce qui se passe au niveau des sols contaminés, des eaux radioactives, des peaux brûlées, des modifications génétiques…

Avec la guerre russo-ukrainienne, on est sorti (on est en voie de sortie) de la pax americana c’est-à-dire des guerres innombrables menées par l’impérialisme US (je devrais citer aussi les guerres menées par la France en tout un tas d’endroits en Europe et en Afrique) sous couvert de démocratie et de droits de l’homme pour entrer dans une recomposition géo-politique entre divers impérialismes, dans une ère de choc des civilisations où ce qui était annoncé se déroule tout à fait différemment (une guerre russe rapide qui s’éternise, un effondrement de l’économie russe suite aux sanctions qui a fort bien résistée, une Europe et un OTAN dépassant toutes les lignes rouges en laissant les Ukrainiens payer le prix fort de la guerre, les États-Unis  faisant ce qui s’appelle une proxy war (une guerre médiée par un adversaire-tampon, l’empire visé au-delà de la Russie étant la Chine), des BRICS de plus en plus nombreux et puissants, optant pour un monde multi-polaire.
Ce qui m’étonne, c’est apparemment, le peu de crédit accordé au risque de nucléarisation de ce conflit. Je préfère penser le contraire. Oui, cette guerre peut devenir une guerre nucléaire et le conflit peut se mondialiser. Personne ne me semble maître du « jeu ». On est dans un conflit portant sur des valeurs et pas seulement des territoires, des ressources. Comme les guerres de religion, les conflits de valeurs, de visions du monde, sont des croisades et donc ce n’est pas la guerre pour faire la paix, c’est la guerre pour s’imposer, imposer sa foi, sa vision. L’enfer est peut-être devant nous. Avec son prix, le meurtre, le suicide  ? collectif d’une partie de l’humanité.
Pour Camus, le suicide dans un monde absurde est l’ultime liberté de l’individu.
Le suicide collectif, comment doit-il être considéré ? Il est clair qu’il ne s’agira en aucune manière d’une décision libre de chacun et de tous. Aucune concertation des peuples n’a eu lieu. Nous sommes en guerre par le fait de « nos » dirigeants. Aucun vote de l’Assemblée, aucun consultation du peuple par référendum. Donc, s’il y a suicide collectif, c’est plutôt d’un meurtre de masse qu’il faudra parler, meurtre imposé, subi. Le prince sera un criminel, devant quel tribunal ? Que les princes, dictateurs, présidents puissent en arriver à cette solution finale, cela s’expliquera-t-il par notre passivité, notre soumission volontaire, notre lâcheté, notre impuissance, notre insouciance, notre inconscience ? Quel activisme pourrait nous en garder ? Camus proposait de combattre pour la paix par la raison, aspirant à un gouvernement mondial (ce sera l’ONU en 1948). Jaspers propose la raison et la sensibilité. Vivre en paix, en harmonie avec les gens qu’on côtoie, qu’on aime, avec la nature, en contemplant la beauté de ce qui s’offre, tant que cela s’offre. J’ignore ce qu’Anders propose.

Vers qui se tourner ? Des 300 livres d’Épicure, il ne reste que quelques pensées de lui sur la politique, dans les maximes capitales. Épicure a été « détruit » par le christianisme. Raison : sa philosophie et sa politique sont immanentes et non transcendantes. Il était incompatible avec Dieu et les fables qui en sont issues, la naissance d’un enfant sans père, une femme qui donne naissance sans géniteur, un fils de Dieu qui meurt et ressuscite.…
« La justice n’est pas quelque chose en soi mais quand les hommes se rassemblent en des lieux, peu importe, chaque fois, lesquels et leur grandeur, un certain contrat sur le point de ne pas faire de tort ou de ne pas en subir. » M.C. XXXVIII.
Pour Épicure, la politique c’est l’art de produire les conditions de possibilités sociales d’une vie hédoniste pour tous. Il veut que le contrat vise l’établissement de lois justes pour tous, pas pour une minorité de privilégiés. Il sait que l’homme n’est pas naturellement bon et que c’est culturellement qu’il peut le devenir par la philosophie politique épicurienne en particulier. Il est le penseur de la puissance de la majorité, l’antidote à la tyrannie des minorités, des maîtres sur les esclaves. (N°12, pages 6-7).
On voit en quoi des initiatives comme Construisons notre bonheur sont éminemment épicuriennes et sans doute une des bonnes façons de passer contrat. C’est du local, de l’action décidée par RIC.
Si on prend en compte, toutes les initiatives, installées dans le temps, à périodicité stable, (mensuel, bimensuel), on se rend compte que certes, les dirigeants nous feront tuer en masse (et cela nous dépasse) mais que nous avons encore de la latitude pour nous rencontrer, discuter, décider.

 

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le phallus ? et le néant ?

17 Mars 2023 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #Michel Pouquet, #assaisonneur, #films, #écriture- lecture, #note de lecture, #développement personnel, #cahiers de l'égaré, #agora, #agoras, #Paul Mathis, #FINS DE PARTIES

le phallus ? et le néant ?

voilà un article comportant 35 liens

il y aura très peu de lecteurs ouvrant les liens

mais au moins je pose la tentation

les liens en lien avec mes blogs sont sous le signe de Freud et Lacan (ce fut une partie de ma formation universitaire) que tente de déconstruire Sophie Robert

aujourd'hui, je suis sorti de cette matrice ou de ce paradigme

je pense qu'il faut plus recevoir que voir

voir en voyant la lumière qui éclaire par derrière ou sur le côté ou par en dessous...

place au miracle et au mystère de la naissance, de la vie, de la mort, des origines, des chemins, des fins

de la faim sans fin par tous les moyens

à la fin sans faim

mise entre parenthèses des prétendus savoirs

les mondes de chacun, de chaque espèce nous sont opaques et inaccessibles; et sans doute notre propre monde (conscience et inconscient, individuel, transgénérationnel, collectif)

JCG

je ne sais plus comment je suis arrivé sur ce documentaire de Sophie Robert, dont le titre est le phallus et le néant (2 H)
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je l'ai visionné,
puis j'ai cherché Sophie Robert (FB, Wikipédia, articles de journaux, polémique et procès contre son autre documentaire Le mur (sur l'autisme), un temps interdit puis autorisé à nouveau)
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je pense que les pratiques et discours théoriques sont à interroger, à soumettre au débat comme tout ce qui relève des savoirs-pouvoirs
(et ce n'est pas facile d'amener gens de savoir-pouvoir à faire preuve d'humilité, de distance par rapport à leurs pratiques;
il y faut conflit, provocation, scandale et peut-être alors débat ou justice)
on va voir ce qui va se produire dans les années à venir à propos des vaccins anti-covid à ARN messager qu'on nous a imposés
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le travail de Sophie Robert me semble salutaire pour un devoir et un droit d'inventaire des effets de la psychanalyse;
il serait bien que d'autres se mettent au travail pour comparer;
existe déjà Le livre noir de la psychanalyse (auquel a répondu L'anti-livre noir de la psychanalyse)
ou le travail d'Elizabeth Roudinesco
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- pour avoir invité plusieurs fois aux Comoni, lors d'agoras, Paul Mathis, psychanalyste lacanien décédé, Michel Pouquet, psychiatre décédé,
- pour avoir rendus publics sur le blog des bric à bracs, leurs causeries attirant une salle pleine
- pour avoir édité Les petits riens dans la clinique analytique de Jean-Paul Charancon, jeune psychanalyste décédé
pour avoir accompagné Annie dans son analyse dite didactique de 15 ans au moins, dans son parcours de psychologue clinicienne puis de psychanalyste
- pour avoir entrepris une analyse de six mois avec une analyste Carmen M.
sans parler de ma fréquentation de Lacan à Guyancourt vers 1964, à mon retour d'Algérie, écoeuré
 
- pour avoir bien étudié Freud et Lacan dès 1964
- pour avoir été interpellé par les scissions dans les mouvements analytiques (comme dans les mouvements politiques se prétendant émancipateurs), me semblant indiquer des tendances sectaires (en lien avec la toute puissance de ceux qui se prétendent détenteurs de la Vérité)
- pour m'interroger depuis de longues années sur mes rapports et relations à certaines femmes, cheminement qui me semble "tordu", idéalisé, style amour courtois (à réinventer si je ne fais pas un usage fantasmé de Lacan), à installer dans la durée du toujours, pour toujours
- ça a donné Your last video (porn theater), texte non paginé, non indiqué dans le sommaire de Et ton livre d'éternité, paru le 14 février 2022
 
- pour avoir fait écrire un livre pluriel Elle s'appelait Agnès (paru après les deux procès en février 2016) sur le viol et meurtre d'Agnès (13 ans) par Matthieu (17 ans, psychopathe qui entend des voix) à Chambon-sur-Lignon en novembre 2011
- pour avoir édité Battements d'ailes (Clichés Féminins/Masculins aujourd'hui) d'Elsa Solal et Dominique Loiseau, préfacé par Michelle Perrot en 2015
- pour avoir consacré le chapitre XII Livre III du livre d'éternité à metoo, l'affaire Weinstein, balance ton porc ainsi qu'au livre Le consentement de Vanessa Springora sous emprise de Gabriel Matzneff
- et pour avoir mis en ligne un docu très bien réalisé sur l'affaire Olivier Duhamel

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documentaire (bien réalisé) dont pas mal de choses me semblent audibles à l'opposé de beaucoup de réactions hostiles des commentaires comme du sous-titre du documentaire
(à la découverte du vrai visage de la psychanalyse);
 
à chacun de se demander ce qu'il va mettre en question,
ce qu'il va garder
faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ?
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dès qu'il y a le mot vrai, méfie-toi
il y a de la guerre dans l'air
et même si selon Héraclite, la guerre est...
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voici le commentaire que j'ai posté sur you tube :
le devoir et le droit légitimes d'inventaire des effets "pervers-père-vers" sur les individus et la société des théories et pratiques analytiques freudienne et lacanienne se transforment en réquisitoire hostile, sans contrepartie vraiment scientifique ; dans la mesure où on est au niveau de "sciences" dites humaines et animales, et même si on allait jusqu'au niveau biologique, génétique, il me semble impossible de dire le vrai visage de la psychanalyse;
le prétendre comme dit le sous-titre est du même registre performatif que le registre analytique :
dire c'est faire;
si je dis que c'est vrai, c'est vrai;
documentaire bien réalisé mais pour moi, peu convaincant;
ou pour le dire autrement, documentaire dans l'air du temps
c'est-à-dire à la mode avant d'être démodé car l'air du temps c'est l'air à la mode
donc la réalisatrice situe son documentaire dans un contexte de combats multiples, du genre déconstructions
(tout est en déconstruction en ce moment
comme d'ailleurs psychanalyse et structuralisme déconstruisaient le sujet sartrien et sa liberté)
allant jusqu'à la destruction;
évidemment les TCC sont préférés au divan
la réalisatrice sait qu'elle est une femme, sait ce qu'est une femme, un sexe de femme, une sexualité féminine, elle n'est pas un néant, un trou et que sais-je;
elle substitue aux "concepts" scandaleux de la psychanalyse d'autres versions qui lui semblent acceptables et surtout vraies
donc à prendre avec beaucoup de prudence, au 3° degré
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cela n'enlève rien à la nécessaire clarification (impossible, dois-je préciser) des notions de désir, de fantasme, d'inceste, de viol, de masculin, de féminin
mais je crois plus au travail sur soi (prendre soin de soi-Soi) qu'au travail monnayé sur un divan
et plus à l'hypnose style Roustang qu'à la psychanalyse ou aux TCC
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la 1° partie du film Un ange à ma table, de Jane Campion, To the Island, montre on ne peut plus clairement l'intérêt vif des fillettes pour le phallique
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en lien avec le film Un ange à ma table de Jane Campion qui évoque les 8 ans d'hôpital psychiatrique et les 200 électrochocs subis par la poétesse Janet Frame, une amie Voragine Fosproy m'a donné le lien d'une série de 4 docus sur l'hystérie, une parole confisquée
 
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Méphisto Rhapsodie / Samuel Gallet

6 Octobre 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #agora, #note de lecture, #spectacle, #développement personnel

A quoi bon faire du théâtre quand l’extrême droite frappe aux portes du pouvoir ? Mephisto {rhapsodie} traverse les petitesses de la scène pour donner à penser l’avenir brûlant.

C’est la première création de Jean-Pierre Baro mise à l’affiche du Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN qu’il dirige depuis le mois de janvier. Mephisto {rhapsodie} raconte l’ascension d’un comédien arriviste, ses compromissions pour accéder au succès, jusqu’à sa nomination à la tête d’un théâtre, dans un contexte de montée de l’extrême droite. Fruit d’une commande passée à Samuel Gallet, auteur dramaturge avec lequel Jean-Pierre Baro travaille pour la seconde fois, Mephisto (rhapsodie) est inspiré d’un roman de Klaus Mann, fils de Thomas, qui, à partir d’une histoire vraie, développe cette trame du carriérisme à tout prix dans le contexte de l’Allemagne nazie. Parallèlement à l’intrigue, au cœur de ce spectacle d’envergure porté par huit comédiens aux multiples rôles, une question taraude les personnages : « Pourquoi faire du théâtre aujourd’hui ? ». On aimerait bien le savoir, en effet. Pour tenter de trouver des réponses, suivons donc l’action de Mephisto se déployer à Balbek, imaginaire petite ville de province, rampe de lancement de la carrière d’Aymeric Dupré, cet acteur obsédé par le nombre de rappels qu’opère le public à l’issue de la représentation. Autour de lui, une directrice vieillissante ne jure que par Tchekhov, un comédien cherche à articuler son travail avec le territoire qui l’entoure, et un apprenti du cru, lui, est tenté par l’idéologie des « Premières lignes », groupe fasciste à l’irrésistible ascension. Pendant ce temps, à la capitale, se déploie le territoire bourgeois, mondain et décadent du show business et des pouvoirs.

Pourquoi faire du théâtre aujourd’hui ?

Il y a des éléments agaçants dans cette pièce. Des personnages caractérisés à l’excès. Des dilemmes rebattus. Des morceaux de bravoure un peu bavards. Une association du peuple à l’extrême droite potentiellement simpliste. Et le risque du propos endogame, d’une pièce qui ambitionne d’ouvrir le théâtre au monde mais parle avant tout du monde du théâtre. Néanmoins, convenons-en, le texte de Gallet, très bien servi par la mise en scène simple, fluide et rythmée de Jean-Pierre Baro, et par un jeu aux multiples couleurs, emporte le morceau. Sans concession sur le narcissisme de l’artiste, le surplomb moralisateur du monde du théâtre et son asthénie tchekhovienne d’univers moribond, Mephisto n’épargne rien à une société du spectacle qu’il griffe de partout – son propos mordant jusqu’au public même. Mais il porte en même temps une véritable tendresse pour le théâtre, un attachement, un amour. Avec ses personnages complexes et profonds, pris dans leurs contradictions, cherchant la meilleure façon d’agir, avec ou sans le théâtre, face aux dangers qui menacent, Mephisto rend de plus plausible, présente, là, véritablement devant nous, cette dystopie malheureusement de plus en plus probable d’un monde où s’imposera l’extrême droite. Quels choix cette situation nous demandera-t-elle d’opérer ? Préparons-nous à cet avenir brûlant, propose Méphisto. De réponse définitive on ne trouvera pas dans le théâtre. Mais en s’aidant du théâtre, peut-être.

Eric Demey La Terrasse, 23 octobre 2019, N° 281

Méphisto de Klaus Mann vu dans la mise en scène d'Ariane Mnouchkine 

Mephisto, Le roman d'une carrière 1979  De Klaus Mann  

Traduction et adaptation Ariane Mnouchkine  

Le roman Méphisto pose la question du rôle et de la responsabilité des intellectuels à la naissance du Troisième Reich. La fable qui, pour nous, s’est dégagée du roman pourrait se formuler ainsi : le spectacle serait l’histoire de deux comédiens, liés par l‘amitié, également passionnés de théâtre, également talentueux, également préoccupés de la fonction politique, voire révolutionnaire, de leur art, dans l’Allemagne de 1923.  « Pour qui est-ce que j’écris ? Qui me lira ? Qui sera touché ? Où se trouve la communauté à laquelle je pourrais m’adresser ? Notre appel lancé vers l’incertain tombe-t-il toujours dans le vide ? Nous attendons quand même quelque chose comme un écho, même s’il reste vague et lointain. Là où on a appelé si fort, il doit y avoir au moins un petit écho. » Klaus Mann

Mes nouvelles convictions politiques

J'ai assisté samedi 4 octobre 2020 à 17 H à une lecture d'une durée d'1 H à la Bibliothèque Armand Gatti à La Seyne sur Mer dans le cadre de la résidence d'écriture de Samuel Gallet accueilli pour un mois par la Saison Gatti-Le Pôle, lecture d'entrée de résidence, à 8 voix, d'un découpage de son dernier texte Méphisto Rhapsodie, inspiré du Méphisto de Klaus Mann. Lecture puissante qui m'a interpellé.

J'ai pu mesurer à cette occasion combien j'avais évolué.

Le combat politique mondial (un certain combat politique, au minimum à gauche, plus souvent à l'extrême-gauche, pro-révolution tendance trotskyste, PCI, anti-stalinien, anti-social-démocrate, anti-capitaliste, anti-impérialiste / jugement de François Mauriac dans ses Mémoires intérieures : « Du point de vue de l'Europe libérale, il était heureux que l'apôtre séduisant de la révolution permanente ait été remplacé par l'horreur stalinienne : la Russie est devenue une nation puissante, mais la Révolution (en Europe) a été réduite à l'impuissance. Plus j'y songe et plus il apparaît qu'un Trotsky triomphant eût agi sur les masses socialistes de l’Europe libérale et attiré à lui tout ce que le stalinisme a rejeté dans une opposition irréductible : Staline fut à la lettre " repoussant ". Mais c'est là aussi qu'il fut le plus fort, et les traits qui nous rendent Trotsky presque fraternel sont les mêmes qui l'ont affaibli et perdu et de mettre Trotsky au niveau de Tolstoï et Gorki) qui me paraissait nécessaire il y a peu encore, jusqu'à l'épuisement du mouvement des Gilets Jaunes quand le mouvement syndical a repris la main avec le combat pour la défense des retraites (décembre 2019), entraînant confusion et collusion a cessé de me paraître nécessaire avec la crise de la Covid 19 et la sortie partielle du confinement (quelle aubaine pour un pouvoir déliquescent de pouvoir faire ramper des millions de gens à coups de mensonges et manipulations médiatiques !). Dès octobre 2019, je participais à un groupe Penser l'avenir après la fin des énergies fossiles (en lien avec la collapsosophie de Pablo Servigne) tout en continuant à participer à un groupe Colibris (faire sa part). J'avais renoncé à assister à des assemblées citoyennes de Gilets Jaunes tant à Toulon qu'à Sanary dès juillet 2019.

Le combat politique local que j'ai aussi mené comme conseiller municipal d'une majorité (1983-1995) puis comme tête de liste d'une opposition éco-citoyenne (2008) me paraît encore jouable. Encore faut-il gagner les élections municipales ? Dans l'opposition, on ne change pas les choses.

Où en suis-je aujourd'hui, à quelques jours de mes 80 ans, le jour de la révolution d'octobre (sans doute un coup d'état de Lénine, mensonge inaugural du régime soviétique), le même jour que Pablo ?

J'ai enfin décidé que personne ne peut se substituer à nous pour prendre conscience de sa place et de sa mission de vie (qui est autre chose que vivre comme feuilles au vent selon l'image d'Homère). Aucun porte-voix, aucune instance dite représentative ne peut (ne doit) parler et agir à ma place. Décision : je ne voterai plus. Abstention.

La démocratie représentative ne représente que les intérêts du pouvoir en place (république bananière, corrompue jusqu'à la moelle) et des rapaces qu'il représente pour l'avoir mis en place (cette prise de conscience est essentielle, la démocratie représentative n'est pas la démocratie, il m'a fallu 60 ans pour l'admettre). La démocratie représentative est le leurre savamment entretenu nous faisant croire qu'en changeant de gouvernement par les élections - qui sont la dépossession de nos voix, un vol de voix - (nous perdons notre pouvoir constituant, Octave Mirbeau, Etienne Chouard, et quelques autres sont indispensables à lire), que passer de droite à gauche, de gauche à l'extrême-centre puis un jour à l'extrême-droite, on va changer les choses. Mais il est possible de savoir maintenant, par expérience depuis 40 ans avec la pensée unique, le TINA thatchérien (There is no alternative) que droite, gauche, extrême-gauche, extrême-droite, extrême-centre n'ont qu'un objectif : arriver au pouvoir et le garder. Il est possible de se convaincre aussi que les gens au pouvoir savent depuis relativement peu (20 ans) qu'en cas de mouvements profonds, durables, pacifiques ou révolutionnaires, insurrectionnels, il ne faut surtout pas lâcher le pouvoir, le quitter comme de Gaulle ou Jospin. Il faut le garder coûte que coûte par la répression, la négociation. Il faut s'accrocher, laisser passer la colère. Il faut en conclure que tout affrontement frontal n'a aucune chance d'aboutir, de changer l'ordre des choses (le mouvement des GJ autour des ronds-points fut une forme géniale; les GJ manifestant sur les Champs-Elysées, inaccessibles jusqu'à eux aux mouvements revendicatifs ou insurrectionnels, ce fut un sacré challenge réussi mais un échec).

Il faut aussi constater que dans le cadre des nations, la politique ne peut défendre que les intérêts particuliers de la nation. Et ce particularisme ne change pas avec les entités supra-nationales comme l'UE, qui ne sont pas mondiales. L'ONU elle-même ne peut être le lieu d'une politique universelle.

Deux paradoxes sont à signaler. Le 1° paradoxe c'est que les GAFA (les géants du web, américains et chinois) ont une politique mondiale, une visée de domination mondiale, haïssant la démocratie (c'est le libertarianisme anglo-saxon d'une part et l'autoritarisme bureaucratique chinois d'autre part). Le 2° paradoxe, c'est que pour les révolutionnaires, la révolution est toujours imminente alors que la réalité montre depuis 40 ans que comme le dit un ultra-riche Warren Buffet : « il existe bel et bien une guerre des classes mais c'est ma classe, la classe des riches qui fait la guerre et c'est nous qui gagnons".

Seule peut-être une politique universelle en vue du Bien serait souhaitable, en vue du Bien c'est-à-dire satisfaisant la nourriture, la santé, l'instruction et le divertissement de tous. À ce niveau universel, souhaitable ? nécessaire ? la question démographique est peut-être la plus difficile à aborder : ne sommes-nous pas trop sur une terre aux ressources limitées. Déjà Lévi-Strauss le pensait et avant lui, Malthus.

Individu n'ayant qu'un peu de pouvoir sur moi, ne croyant qu'au travail sur soi pour devenir meilleur, j'ai fait choix de ne pas écouter les informations, de ne pas regarder la télé, de ne pas aller sur les réseaux sociaux. Finie la pollution anxiogène, finie la manipulation par les fake news, dont la plupart sont distillées par les médias et le pouvoir.

Quant à toi qui es au pouvoir, tu veux y rester, tu n'y es que pour un temps, tu passeras de toute façon, tu es déjà passé. Il en sera de même pour tes successeurs. Tchao, pantins et magiciens.

Vous êtes au pouvoir, vous prenez des mesures, vous légiférez à tour de bras mais votre pouvoir sur moi est réduit à quasiment rien, j'ignore par ignorance 99% de vos lois qui ne modifient quasiment rien à mes conditions de vie. Je respecte le minimum, je porte un masque, je respecte les règles du savoir-vivre, du code de la route.

Je m'invisibilise de vos systèmes de contrôle, je suis cosmopoli avec ce qui existe, minéraux, faune, flore, vivants. Je choisis qui je fréquente (quelques amis), je travaille sur moi (à gérer mes émotions souvent archaïques, mes pulsions souvent excessives). Je n'ai plus d'ennemis; même les adversaires politiques, je les ignore dorénavant. Cette affirmation n'est pas à prendre comme un constat mais comme un processus vivant (quand je me découvre un ennemi, y compris moi-même, je m'observe, je me mets à distance, je me nettoie de l'agressivité avec une technique de clown s'ébrouant, se débarrassant de sa poussière jusqu'à ce que l'indifférence me gagne). Je n'ai plus de boucs émissaires (processus vivant avec nettoyage, dépoussiérage) : les arabes et musulmans pour les racistes (dont je suis parfois), les blancs pour les ex-colonisés (dont je suis parfois), les machistes pour les féministes (dont je suis parfois), les putes pour les machistes (dont je suis souvent). Ces binarisations du monde sont toutes douteuses : elles nous font croire que nous sommes du bon côté, du côté de la justice, de la vérité. Par exemple, la théorie du Grand Remplacement justifie les mouvements néo-fascistes. Inversement, le refus de toute relation avec la Haine du FN et du RN justifie l'extrême-gauche et l'islamo-gauchisme.

Qui aura raison, Michel Houellebecq avec Soumission, Boualem Sansal avec 2084, Alain Damasio avec Les furtifs... ?

J'ai vu au tout début des GJ (novembre 2018), le rejet de ceux-ci par tout un tas de gens bien-pensants (tous bords politiques) qui n'ont même pas compris que ceux qu'ils appelaient des bruns, venaient de la périphérie, les petits blancs invisibilisés par la société marchande et touristique, la société des bobos. Ce que j'ai compris et accepté, c'est que tout ça existe, co-existe, s'affronte et que c'est en moi, potentiellement, réellement. J'ai vu des GJ aux idées racistes être changés en deux, trois discussions. Cela veut dire que prendre pour du dur, des opinions de circonstances, en lien avec un mal-être, un mal-vivre est préjudiciable à la recherche de la paix, civile et sociale. Rien de pire qu'une guerre civile, qu'une société qui se délite, les uns dressés contre les autres.

Cela dit, nos opinions de circonstances peuvent tenir longtemps. Nous les faisons nôtres comme si le monde allait s'effondrer si on cessait de les croire nôtres. 60 ans pour moi de fidélité imbécile aux valeurs "humanistes" de la gauche radicale. C'est cette fidélité toxique aux "convictions politiques" d'à peine plus de 50% des électeurs (qui faisait que rien ne changeait si ce n'est l'alternance des couleurs politiques) qui a expliqué la montée de plus en plus massive de l'abstention pendant une vingtaine d'années, phénomène repéré mais pas pris au sérieux (c'étaient les déçus de la politique, les pêcheurs à la ligne du dimanche, les traîtres au devoir électoral, au droit de vote arraché de haute lutte par nos anciens) et qui explique en 2017, le dégagisme qui a frappé à droite, à gauche, a vu sortir du chapeau une bulle de savon miroitante.

Avec ces nouvelles convictions (plus question d'être fidèle sur le plan des soi-disant convictions politiques, ce ne sont qu'opinions largement induites par le milieu, l'époque et on les prétend siennes, c'est "mon" opinion et on s'y accroche, 60 ans durant comme moi), je n'attends plus du théâtre qu'il donne de la voix, qu'il m'ouvre la voie, une voie. J'ai fait partie du milieu, bénévolement, pendant 22 ans, créateur du festival de théâtre du Revest puis directeur des 4 Saisons du Revest dans la Maison des Comoni (1983-2004). J'ai cru par passion à la nécessité de soutenir la création artistique, de l'écriture à la mise en scène, de soutenir et susciter des formes innovantes, de soutenir et susciter l'émergence de jeunes créateurs. Ce fut une période passionnante que je ne renie pas. Mais j'ai pris conscience progressivement vers 2017-2019 que le "vrai" travail est à faire sur soi et par soi. Pas d'agir sur les autres, d'influencer les autres. Pas d'être agi par les autres, influencé par les autres.

Au théâtre, au spectacle, on est dans la représentation, pas dans la présence, pas dans le présent (le moment et le cadeau), je suis spectateur, spectacteur pour certains, je ne suis pas acteur de mon destin, de mes choix de vie à mes risques et périls. Le théâtre, lieu de représentation est comme la politique représentative. Enjeux de pouvoir, luttes de pouvoir, narcissisme exacerbé, carriérisme, opportunisme, compromissions, monde de petits requins persuadé d'avoir une mission de "création" et d'éducation (en fait, de formatage des goûts selon les critères de l'administration qui subventionne), se comportant comme le monde des grands requins (le marché de l'art est particulièrement instructif à cet égard).

Quand je vois l'éclectisme des programmations actuelles, quand je vois la pléthore de propositions faites par les lieux, je pourrais être au théâtre, au concert tous les soirs, si les moyens suivent, le cul dans un fauteuil, à applaudir ou à bouder, comme si je passais ma soirée devant la télé. Je suis un consommateur culturel et je perds mon temps, je me distrais. On sait ce que reproche Pascal au divertissement.

Impossible d'aller à l'essentiel : je suis mortel, le monde s'effondre peut-être, l'humanité va peut-être se suicider. En quoi puis-je me mettre au service de plus grand que moi, de quelle mission de vie ? Pour un autre et même pour moi, à mon insu ou consciemment car nous sommes tous complices du système, ce sera : en quoi puis-je profiter un max de ce système ?

Pour moi aujourd'hui après 60 ans de fixation, de fixette idéologique : Contemplation des beautés de la nature. Action personnelle sur soi par la méditation en particulier. Actions d'harmonie, d'harmonisation, d'élévation. Ne pas ajouter la guerre à la guerre, ne pas faire le jeu du conflit, de la mort, même si je sais que l'inhumanité a encore de très beaux jours devant elle.

Dernier point : il est évident que l'on sait, si on le veut, reconnaître ce qui est inhumain en soi, en autrui. On sait que c'est possible, que c'est réel, on ne juge pas, c'est dégueulasse, injuste, à combattre. On fait choix tant que faire se peut de l'amour de la vie, de la Vie.

Bémol de taille : ce que j'ai écrit vaut pour les "démocraties" à l'occidentale (je peux l'écrire, le publier). Je ne sais comment je me comporterais tant en Chine qu'en Russie, en Arabie saoudite ou en Turquie.

Merci à cette lecture de m'avoir permis de faire le point sur moi, être changeant et sur mes "engagements" changeants.

Jean-Claude Grosse, 6 octobre 2020

Antigone aujourd’hui ?

Antigone, dans la tradition venue de la mythologie et du théâtre grecs, est celle qui dit NON à une loi inique de la cité, Thèbes, gouvernée par le tyran Créon et lui oppose une loi universelle, au-dessus de la loi d’état, une loi dite de droit naturel pouvant être opposée au droit positif. À la loi écrite, édictée par le tyran lui interdisant de donner sépulture à son frère Polynice, elle oppose la loi non écrite mais s’imposant à elle et à tous que tout défunt doit avoir une sépulture digne et non être livré aux chiens.

Enterrés, incinérés comme des « chiens », ce fut le sort des décédés par la Covid 19 dans les EPHAD pendant le confinement du printemps 2020. Quelles Anti- gones ont bravé l’ignominie des directives gouvernementales ?

Dans les sociétés modernes, on a tendance à considérer que le concept de droit naturel doit servir de base aux règles du droit objectif. Kant (1785) et la révo- lution française (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789) ont donc participé au progrès moral de l’humanité (en droit, mais pas dans les faits). Le droit naturel s’entend comme un comportement rationnel qu’adopte tout être humain à la recherche du bonheur (le droit au bonheur est inscrit dans la déclaration d’indépendance des Etats-Unis du 4 juillet 1776 : Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inalié- nables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur). Le droit naturel présente un caractère universel dans la mesure où l’homme est capable de le découvrir par l’usage de sa raison, en cherchant à établir ce qui est juste. L’idée est qu’un ensemble de droits naturels existe pour chaque être humain dès sa naissance (comme le droit à la dignité ou le droit à la sécurité) et que ces droits ne peuvent être remis en cause par le droit positif. Le droit naturel est ainsi considéré comme inné et inaltérable, valable partout et tout le temps, même lorsqu’il n’existe aucun moyen concret de le faire respecter. Les droits naturels figurent aujourd’hui dans le préambule de la Constitution française et dans les fondements des règles européennes. Le droit à la vie et le droit au respect pour tous ne sont cependant pas reconnus partout sur le globe. Pensons aux fous de Dieu. Le droit naturel selon cette conception s’impose moralement et en droit à tous. Dans les faits, ces droits naturels sont souvent bafoués, par des individus, des sociétés, des états. Ce qui fait que le droit naturel n’est pas universellement appliqué dans les faits c’est l’existence du mal radical, du mal absolu, injustifiable (la souffrance des enfants pour Marcel Conche, la souffrance des animaux d’élevage et de consommation pour d’autres), du mal impossible à éradiquer parce que si l’homme est un être de raison, il est aussi un être de liberté et c’est librement que l’on peut choisir le mal plutôt que le bien.

Le problème du mal radical et de la liberté de l’homme a conduit Kant à écrire les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785)Selon Kant, la loi morale n’est imposée par personne. Elle s’impose d’elle-même, par les seuls concepts de la raison pure. Tout être raisonnable, du simple fait de sa liberté, doit respecter les deux impératifs, le catégorique et le pratiquepage19image1596576  page18image1668544 page18image1668752 page18image1668960

Impératif catégorique de Kant : «Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle. »

Impératif pratique de Kant : «Agis de telle sorte que tu traites l’humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »

Un principe mauvais, que le sujet se donne librement à lui-même, corrompt à la racine le fondement de toutes nos maximes : le mal radical.
L’intérêt commun pour le beau dans l’art ne prouve aucun attachement au bien moral, tandis qu’un intérêt à contempler les belles formes de la nature témoigne d’une âme bonne

Ces considérations m’amènent à tenter de dire ce que serait Antigone aujourd’hui. Antigone pourra aussi bien être une femme qu’un homme, un jeune, adolescent, adolescente, enfant même. Devant les atteintes massives, permanentes aux droits universels de l’Homme (de la Femme, de l’Enfant, des Animaux, des Végétaux, de la Terre, de la Mer, de l’Air, de l’Eau...) partout dans le monde, individuellement comme collectivement, devant cette insistance de la barbarie, du mal partout dans le monde, j’en arrive à penser que dire NON à tout cela, à cette barbarie, à tel ou tel aspect de ce mal sciemment infligé (l’exci- sion, le viol comme arme de guerre par exemple) n’est plus la seule attitude que devrait avoir l’Antigone d’aujourd’hui. Les résistants à la barbarie, celles et ceux qui disent NON servent souvent d’exemple. Leurs méthodes comme leurs buts, leurs champs d’action sont variés, de la désobéissance civile à la lutte armée, de la non-violence à l’appel insurrectionnel, des semences libres à l’abolition de la peine de mort ou de l’esclavage, de la lutte contre l’ignorance à la lutte contre le viol. D’une action à grande échelle, internationale à une action locale.

Sappho, Marie Le Jars de Gournay, Olympe de Gouges, Louise Michel, Vandana Shiva, Angela Davis, Naomi Klein, Gisèle Halimi, Audrey Hepburn, Simone Veil, Simone Weil, Emma Goldmann, Ada Lovelace, Marie Curie, Margaret Hamilton, Germaine Tillon, Rosa Parks, Rosa Luxemburg, Joan Baez, Lucie Aubrac, Frida Khalo, George Sand, Anna Politkovskaïa, Anna Akhmatova, Sophie Scholl, Aline Sitoé Diatta, Brigitte Bardot, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Greta Thunberg, Carola Rackete, Weetamoo, Solitude, Tarenorerer, Gabrielle Russier // Gandhi, Luther King, Trotsky, Che Guevara, Lumumba, Sankara, Nelson Mandela, Soljenitsyne, Vaclav Havel, Jean Jaurès, Victor Hugo, Victor Jarra, Victor Schoelcher, Aimé Césaire, Pablo Neruda, Jacques Prévert, Primo Levi, Janusz Korczac, Federico Garcia Lorca, Emile Zola, Joseph Wresinski, le dominicain Philippe Maillard, Charles de Gaulle, François Tosquelles, Malcolm X, Célestin Freinet, Jacques Gunzig, Stéphane Hessel, Marcel Conche, Jean Cavaillès, Muhammad Yunus, Socrate, Siddhārtha Gautama, Jésus

Le mal radical étant l’expression de la liberté de l’homme, un choix donc (même si les partisans de l’inconscient freudien et jungien posent que la « mons- truosité » n’est pas choisie mais causée), une attitude possible d’Antigone aujourd’hui serait de dire OUI à tout ce qui existe, y compris le mal radical. Antigone en disant OUI à tout ce qui existe n’extérioriserait pas sa responsabi- lité (c’est la faute de l’autre, de Créon). Tout ce qui existe est en elle et donc elle est co-responsable de tout ce qui existe et co-créatrice de tout ce qui s’essaie. C’est à un travail sur soi qu’Antigone s’attelle pour mettre en lumière dans sa conscience, ses peurs, ses envies, ses jalousies, ses espoirs, ses rêves, ses désirs. Antigone tente de se nettoyer, d’élever sa conscience, de gérer ses émotions (c’est autre chose que de les contrôler, il s’agit de les laisser émerger mais sans y adhérer, en témoin). La méditation est un puissant outil pour ce travail sur soi. À partir de ce travail personnel, spirituel, Antigone agit comme le formulent les deux impératifs kantiens (« agis »). Elle agira sous l’horizon de l’universalité de son action, animée par l’amour inconditionnel de tout ce qui existe, sans jugement. Elle sera animée plus par son devoir concret à accomplir (sa mission de vie exercée avec passion, enthousiasme) que par la défense abstraite du droit naturel.

Elle saura prendre la défense du « monstre » (comme l’avocat Jacques Vergès).

Elle, Il saura proposer des actions « bigger than us ». Elle s’appelle Melati, Indo- nésienne de 18 ans, et agit depuis 6 ans pour interdire la vente et la distribution de sacs en plastique à Bali. Il s’appelle Mahamad Al Joundé du Liban, 18 ans, créateur d’une école pour 200 enfants réfugiés syriens. Elle s’appelle Winnie Tushabé d’Ouganda, 25 ans et se bat pour la sécurité alimentaire des commu- nautés les plus démunies. Il s’appelle Xiuhtezcatl Martinez des USA, 19 ans, rappeur et voix puissante de la levée des jeunes pour le climat. Elle s’appelle Mary Finn, anglaise, 22 ans ; bénévole, elle participe au secours d’urgence des réfugiés en Grèce, en Turquie, en France et sur le bateau de sauvetage Aqua- rius. Il s’appelle René Silva du Brésil, 25 ans, créateur d’un média permettant de partager des informations et des histoires sur sa favela écrite par et pour la communauté, « Voz das Comunidades ». Elle s’appelle Memory du Malawi, 22 ans, figure majeure de la lutte contre le mariage des enfants. Il s’appelle le docteur Denis M., il est gynécologue au Congo, surnommé l’homme qui répare les femmes, Nobel de la paix, menacé de mort. Elle s’appelle Malala Y., à 17 ans elle obtient le Nobel de la Paix pour sa lutte contre la répression des enfants ainsi que pour les droits de tous les enfants à l’éducation. Elle s’appelait Wangari M., surnommée la femme qui plantait des arbres, Nobel de la paix 2004.

Elle s’appelle Michelle du Revest, anime un groupe colibri et un groupe penser l’avenir après la fin des énergies fossiles. Il s’appelle Norbert du Mourillon et Gilet jaune, il anime un atelier constituant (RIC et Constitution). Elle s’appelle Marie de La Seyne, a écrit sur José Marti, soigne des oiseaux parasités par la trichomonose. Il s’appelle Guillaume et après 17 ans dans la rue, il œuvre pour un futur désirable quelque part. Elle s’appelle Chérifa de Marrakech et s’oc- cupe de 47 chats SDF dans sa résidence à Targa Ménara. Il s’appelle Alexandre, a créé son univers auto-suffisant, Le Parédé, et a rendu perceptible le Chant des Plantes au Grand Rex en 2015. Ils s’appellent Aïdée et Stéphane de Puisser- guier et créent un collectif gardien d’un lieu de vie, à Belbèze en Comminges, organisme vivant à part entière, bulle de résistance positive.

Jean-Claude Grosse, Corsavy, 9/9/2020

D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020
D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020
D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020
D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020

D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020

De quoi parler au théâtre aujourd'hui ?

D’autres mondes (Science frictions)

NOUS SOMMES tout ce que nous n’avons pas fait. Notre vie est faite de tout ce que nous n’avons pas vécu. Tous les possibles, toutes les variantes, tous les chemins pas empruntés, toutes les virtualités, toutes les bifurcations. Non seulement un autre monde est possible, mais il est probable. Peut-être même qu’un autre monde, que d’autres mondes, que des infinités d’autres mondes sont bel et bien là, qui coexistent avec le nôtre, lui sont à la fois parallèles, et superposés, et même perpendiculaires, on ne sait pas bien. Houlà. Comment faire une pièce de théâtre avec tout ça ? Avec le principe d’indétermination d’Heisenberg, la physique quantique, les particules élémentaires, le chat de Schrödinger (remplacé ici par un lapin blanc tout droit jailli du pays des Merveilles), les doutes et les tremblements et la magie que la science jette sur notre connaissance du monde, mais aussi le présentisme, qui nous fait ignorer le passé et nous rend aveugles aux multiples possibles que recèle l’avenir ?

L’auteur et metteur en scène Frédéric Sonntag a pris toutes ces questions, et même plus, à bras-le-corps, et cela donne un spectacle qui déborde de partout, plein de vie et d’élans, de chausse-trappes et de prestidigitation, d’acteurs (ils sont jusqu’à neuf sur scène, plus un enfant) et de musique (les neuf acteurs jouent de la guitare, de la trompette, du piano, de la batterie, de l’accordéon, etc.), terriblement bavard (en français et en russe) mais jamais ennuyeux, avec même quelques écrans télé et cinéma en prime (heureusement, pas trop).On y suit les trajectoires entrecroisées de deux hommes, le physicien Jean-Yves Blan-chot (l’épatant Florent Guyot) et le romancier Alexei Zinoviev (l’excellent Victor Ponomarev), qui sont censés avoir travaillé tous deux, dans les années 60, dans leur coin et à leur façon, sur les univers parallèles. Ces deux personnages imaginaires, Sonntag leur construit des biographies plus que plausibles, et les incruste astucieusement dans notre réel. C’est ainsi qu’on pourra assister à une émission d’« Apostrophes » consacrée à la nouvelle science-fiction, avec le vrai Bernard Pivot de 1978, mais avec le faux Zinoviev. Lequel sidère les participants avec cette sortie : « L’un d’entre vous se souvient-il, même confusément, d’une Terre, aux alentours de 1978, qui soit pire que celle-ci ? Moi, oui. » Une scène qui ravira tous les amateurs de science-fiction, lesquels n’ont pas l’habitude de voir leur genre de prédilection ainsi honoré sur scène.Tout ça pour quoi ? Pour nous rouvrir l’imaginaire, combattre l'« atrophie de l’imagination utopique » qui est la nôtre, ridiculiser le très dominant « Tina » (There is no alternative). Ouf, de l’air !

Jean-Luc Porquet• Le Canard enchaîné. 30 septembre 2020.

Au Nouveau Théâtre de Montreuil

1- un retour de Samuel G

Merci Jean-Claude pour cet article

Je comprends parfaitement ce que tu pointes et la nécessité d'aller trouver de l'oxygène ailleurs loin des pouvoirs et des réifications. 
Je partage comme toi cette détestation du pouvoir et rêve parfois (c'est mon défaut) à des systèmes politiques où le pouvoir pourrait circuler et où des espaces de délibération permettrait d'éviter sa confiscation. Mais ces enjeux sont vieux comme les phéniciennes d'Euripide et je comprends qu'on puisse parfois avoir envie d'ailleurs. 
Belle journée et au plaisir, 
 

2 - un retour de Philippe C

Beau texte camarade Jean Claude, très stimulant ! bon ça t’arrive à 80 ans c’est pas un hasard … 

Plaisanterie mise à part, ce retrait du monde que tu prônes et que tu t’appliques, de plus en plus de gens se l’appliquent aussi je pense, ou commencent à y penser…. C’est  dans l’air du temps je crois. Mais je reconnais que ta lucidité fait du bien : que tu te résolves après 60 ans d’activisme à lâcher prise dans une forme de bonheur et de détermination est tout à fait salutaire !  

J’ai commencé à lire Tocqueville « de la démocratie en Amérique », il dit une chose au début du bouquin que la démocratie est un mouvement qui a commencé et qui ne peut plus s’arrêter, qui va tout emporter sur son passage. Il parle du temps long et entend la démocratie par l’affirmation de chacun, si j’ai bien compris. 

Et donc si l’affirmation de chacun est, aujourd’hui, à notre niveau d’évolution démocratique de se retirer de cette grande mascarade, parce qu’il considère qu’on est arrivé à un stade qui ne correspond plus à l’idée qu’on se fait de la démocratie, il se pourrait bien que le système actuel s’effondre tout seul sans combat, ni révolution. 

De la casse, ça il va y en avoir, c’est sûr ! mais n’est-on pas arrivé au bout ?  

Bien sûr il y a la Chine et tous les nouveaux impérialistes et les grandes multinationales ; mon optimisme tendrait à me faire penser qu’ils sont des colosses aux pieds d’argile, vivant uniquement de nos superficialités (consommation, bavardage sur les réseaux, etc…). Et donc si les gens se retirent c’est la fin, et leur stratégie sera bonne pour la poubelle.

 

3 - 

un échange avec le maire du Revest informé de la démarche d'harmonie effectuée à Corsavy.

- c'est une démarche intéressante. Dommage que ça ne mobilise pas davantage

- dans l'état actuel des consciences, ça ne peut pas mobiliser beaucoup, ça mobilise au mieux les créatifs culturels, les cellules imaginatives

- ça a au moins eu le mérite de décrisper la situation provoquée par l'emplacement de la 4G ; avec la 5G, on va être confronté à un sacré problème ; comme les antennes font moins de 15 m, les fournisseurs n'auront pas besoin de demander une autorisation ; la seule façon que nous aurons de réagir sera d'empêcher le raccordement sur le réseau électrique; action en justice du fournisseur...

- quand tu penses que ça sera pour voir des films, des séries, du porno sur son smartphone

- oui et pour jouer; plus de vie sociale, le confinement permanent dans sa bulle virtuelle


 


 

 
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La boucherie industrielle du 22 août 1914 à Rossignol

8 Novembre 2018 , Rédigé par grossel Publié dans #FINS DE PARTIES, #pour toujours, #note de lecture

article emprunté au blog de Didier Long

Le brouillard de Rossignol

Qui connaît le village de Rossignol en Belgique ? C’est pourtant là que sont tombés au champ d’honneur 27 000 soldats français le 22 aout 1914. C’est cette terrible journée et le contexte qui l’a rendue possible que nous raconte Jean-Michel Steg dans Le Jour le plus meurtrier de l’histoire de France, 22 aout 1914 (Fayard).

27 000 morts français en une journée, moitié moins côté allemand. Derrière cette abstraction comptable Jean-Michel Steg, financier de profession, remarque que c’est en un jour autant de mort que pendant toute la guerre d’Algérie qui dura de 1954 à 1962, presque la moitié de soldats américains tués pendant la guerre du Vietnam entre 1969 et 1975 (58 000 soldats américains tués en 16 années de combat)… Et pourtant qui connaît la bataille de Rossignol. Car derrière l’abstraction mathématique, le constat clinique qui met à distance et anesthésie l’émotion note Jean-Michel Steg : « plus je travaille sur les circonstances de la mort, il y a un siècle, de ces milliers d’hommes, et plus leur humanité m’envahit, rendant souvent l’écriture plus difficile encore qu’elle ne l’est déjà pour moi ».

"Un livre sur la mort violente au XXe siècle"

Comment un tel nombre de morts dans un espace aussi restreint a-t-il été possible se demande l’habitué des chiffres ? Le killing field, à la sortie de Rossignol sur la route de Neufchâteau mesure seulement quelques dizaines de mètres de large pour un peu plus d’une centaines de mètres de long. Tout déploiement était impossible car la forêt est entourée de marécage, le traquenard parfait. Les soldats pénétraient « dans un véritable entonnoir de feu, dense et continu » . En filigranne de cette question comptable c’est l’absurdité de la mort industrielle au XXème siècle qu’interroge Jean-Michel Steg qui avoue écrire, « un livre sur la mort et plus particulièrement sur la mort violente au XXe siècle ». Un livre trés personnel qu’il a mis des années à écrire en forme de solde de tout compte.

Le killing field

JM Steg décrit minutieusement et avec recul tous les facteurs qui ont conduit à ce désastre : tactiques (ignorance des mouvements de l’adversaire), techniques (la guerre menée avec des armes d’une puissance létale inconnue qui oblige le soldat à s’enterrer au lieu de combattre debout ou à cheval sabre au clair), politiques et idéologiques, culturels… Une partie des troupes faisait partie la 3ème division d’infanterie coloniale: dont la Ière et la 3ème brigade d’infanterie coloniale (1er, 2eme, 3eme et 7eme RIC), soit deux fois 6 800 hommes, ainsi que le deuxième Régiment d’artillerie de campagne coloniale (36 canons); mais aussi le 3ème régiment de chasseurs d’Afrique avec 600 cavaliers. Tous seront anéantis.

troupes coloniales en manoeuvre, Août 1914

La « furia francese », faux-nez de l’incompétence militaire française

Après-guerre on accusa la « furia francese », cette furie française qui permit aux troupes de Charles VIII se repliant en France après avoir échoué dans la tentative d’occuper Naples, de vaincre une armée supérieure en nombre. Cette furia francese « l’offensive à outrance » aurait servi d’axiome stratégique inapproprié en ce jour analysa-t-on après-guerre (d’où la ligne Maginot ! défensive elle). Mais aussi… le brouillard (le modèle littéraire est celui de Victor Hugo à Waterloo)… En réalité un grand vide stratégique (le Génie Joffre n’a pas de plan de bataille et il n’est pas Napoléon… le général de Langle de Cary analysera aprés guerre "nous ne savions rien nous ne savions rien des intentions du général en chef. C’est sa méthode d’agir avec le seul concours de son entourage intime, sans consulter ses commandants d’armée, sans même les mettre au courant, autrement que par les instructions et les ordres qu’il leur envoie"), l’organisation française médiocre, les renseignements inexacts, les troupes –dont les soldats coloniaux, peu mobiles restent exposées à découvert, debout, officiers en tête sous le bombardement d’artillerie pendant que l’ennemi caché dans la forêt tire à bout portant à la mitrailleuse à travers les feuillages, sans compter « L’incompétence, l’annihilation progressive de la volonté du commandement français », l’incapacité de donner un ordre de repli pour reculer devant le feu … expliquent en partie ce désastre.

Mais par-dessus tout ce qui frappe c’est « le décalage entre l’évolution technologique profonde du matériel et la rigidité des systèmes de pensée et d’organisation des militaires », les français partaient dans une guerre industrielle moderne avec un « harware résolument du XXe siècle », et un software des siècles précédents, « dans leurs mains il y avait des mitrailleuses ; dans leur tête ils étaient encore à Austerlitz ».

Les pertes qui vont sembler considérables à l’Etat-major côté allemand vont conduire à arrêter 108 civils du village de Rossignol, accusés d’être de « franc-tireurs », « entassés dans des wagons à bestiaux […] d’où il sont extraits le 26 aout au matin en gare d’Arlon au Luxembourg, pour être fusillés par groupe de dix le long d’un talus ». Une première européenne qui fera florès note-t-il.

Rossignol, cimetière de l’orée du bois

Une leçon européenne

Le livre de Jean-Michel Steg, qui allie à la fois une description chiffrée, minutieuse des faits, des armes… est traversé par une forme de modestie dans le style, la fragilité humaine de celui qui tente simplement de comprendre et d’éclaircir, non seulement le brouillard du petit matin de la bataille de Rossignol, une journée qui symbolise la folie meurtrière qui va déchirer le XXe siècle. Ce memento mori,[1] est à la fois une anamnèse des disparus morts au champ d’honneur, de ces hommes français-mais aussi de l’Afrique coloniale, que la mémoire européenne a préféré oublier, est indispensable aujourd’hui.

On peut lire en filigrane de cette folle journée meurtrière de l’histoire de France un ensemble de questions qui ont traversé l’histoire de l’Europe et conduit à son déclin. Aprés la perte de l’Alsace et une partie la Lorraine en 1871, la revanche de 1918 aboutira au démantèlement de l’ancien empire austro-hongrois. La "belle", la seconde guerre mondiale, devait rétabli la Grande Allmemagne, Hitler rêvait de Germania. Cette absurdité conduira à l’extermination des juifs d’Europe dont Jean-Michel, le fils d’ Ady Steg, connait parfaitement la mémoire des disparus.

Les 40 millions de morts de la première guerre mondiale doivent s’ajouter aux 50 millions de morts de la seconde guerre. Une « épopée européenne » en forme de suicide collectif qui a redessiné la carte de l’Europe. En 1913, l’Europe avec la Russie et représentaient 50% de la production industrielle mondiale et produisaient 90% des prix Nobel (61 sur 65). Depuis 1950 cette part est passée de 50 à 35% de l’économie mondiale. La perte de leadership européen, la mort ou la fuite des élites intellectuelles, scientifiques, artistiques… est directement corrélée aux deux grands conflits mondiaux qui ont ensanglanté l’Europe au XXe siècle. La raison occidentale arrivée à son apogée industrielle a aussi bien produit les sciences et les techniques qui ont permis à l’homme de maitriser la nature, que la mort de masse. Cela vaut la peine d’être médité.

La mémoire de chaque européen est hantée, souvent à son insu, par cette gratuité des massacres de masse qui se sont produits. Chacun connait le nom d’un proche qui apparait sur ces monuments de village qui célébraient à distance les tristes victoires du front. L’Holocauste par son aspect gratuit et blasphématoire est le sommet de cette absurdité folle : les nazis ont voulu tuer le peuple de la révélation, la racine des valeurs des peuples d’Europe.

Cette mémoire du passé engage notre avenir. Le passé nous convoque. Qu’est ce que l’Europe, quel est notre projet commun ? Quelle amitié franco-allemande à l’heure des politiques purement gestionnaires ? Quels projets nationaux, régionaux et européens voulons nous construire dans le concert des nations du monde ? Quelle y serait la place des religions ?

La remontée en force des nationalismes en Europe actuellement avec des ‘airs connus’: « La France aux français, la Russie aux Russes, L’Allemagne d’abord, Les arabes à la mer, etc… » en réaction à la provincialisation européenne dans la mondialisation d’une part, et à la peur de l’immigration à l’heure où le modèle d’intégration français échoue, d’autre part [2], doivent passer au blind test de ces catastrophes qui nous habitent et dont le jour le plus meurtrier de l’histoire de France est l’archétype.

Jean-Michel Steg, dans ce livre trés personnel, citant George L. Mosse interroge le concept de brutalisation: « le mythe de la guerre a-t-il provoqué un phénomène d’indifférence pour la vie individuelle qui se perpétuerait encore de nos jours ? ». L’acceptation d’un état d’esprit issu de la Grande guerre entrainerait-il la poursuite d’attitudes agressives sous d’autres formes en temps de paix ? C’est-à-dire aujourd’hui. La mémoire des disparus peut nous protèger de notre folie.

La boucherie industrielle du 22 août 1914 à Rossignol
Le killing field, à la sortie de Rossignol sur la route de Neufchâteau mesure seulement quelques dizaines de mètres de large pour un peu plus d’une centaines de mètres de long.

Le killing field, à la sortie de Rossignol sur la route de Neufchâteau mesure seulement quelques dizaines de mètres de large pour un peu plus d’une centaines de mètres de long.

le combat de Rossignol vers midi, le 22 août 1914

le combat de Rossignol vers midi, le 22 août 1914

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Les lieux communs d'aujourd'hui / Christian Godin

25 Juin 2018 , Rédigé par grossel Publié dans #note de lecture, #J.C.G.

Le traité de l'argumentation, un livre essentiel de 1958, réédité; les 3 tomes de critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre
Le traité de l'argumentation, un livre essentiel de 1958, réédité; les 3 tomes de critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre
Le traité de l'argumentation, un livre essentiel de 1958, réédité; les 3 tomes de critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre
Le traité de l'argumentation, un livre essentiel de 1958, réédité; les 3 tomes de critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre
Le traité de l'argumentation, un livre essentiel de 1958, réédité; les 3 tomes de critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre

Le traité de l'argumentation, un livre essentiel de 1958, réédité; les 3 tomes de critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre

 

Les lieux communs d'aujourd'hui

Christian Godin

collection L'esprit libre

Champ Vallon

 

J'ai découvert ce livre à la librairie Baba Yaga à Bandol en allant au vernissage de l'exposition Du papier à l'oeuvre à l'Espace Saint-Nazaire rassemblant les œuvres de 14 artistes du papier.
Ayant tenté une thèse de sociologie des lieux communs sous la direction de Henri Lefebvre, à Nanterre entre 1967 et 1969, thèse inachevée, je n'ai jamais oublié ce qui m'avait motivé dans le choix de ce sujet : le rôle des lieux communs dans la vie quotidienne, leur poids idéologique, leur rôle dans les résistances aux changements, dans l'évolution lente, très lente des mentalités. Ces formules toutes faites qui accompagnent nos propos, émaillent nos discussions, qui se présentent comme évidences, vérités éternelles, qui sont utilisées comme arguments, preuves, méritaient d'être étudiées d'un point de vue sociologique, pas simplement comme outils de discours. Classer les lieux communs selon l'origine socio-économique (lieux communs propres aux travailleurs, aux médecins, aux commerçants, aux jeunes), géographique (lieux communs propres aux chtis, aux Marseillais) du locuteur, selon l'âge (ceux des retraités, ceux des actifs), le sexe (F, H)... dégager leurs fonctions selon les situations dialogiques les plus fréquentes (brèves de comptoir, mariages, enterrements, matchs, fêtes, disputes conjugales et familiales, déclarations séductrices et amoureuses, discours de départ en retraite, discours d'accueil dans un nouveau poste, discours des prêtres accompagnant les grands moments de la vie...), c'était un défi qui me tentait beaucoup. J'avais pris au sérieux la Critique de la vie quotidienne (en 3 tomes, chez L'Arche) de Henri Lefebvre. J'avais 27 ans en 1967, j'enseignais déjà dans un lycée du nord, français en 5° et philo en terminales (quel bonheur, ce grand écart) et en même temps, je fréquentais la Sorbonne et Nanterre. J'étais rimbaldien (parce que poète ?, aujourd'hui encore, j'ai deux T-shirts avec photo et quatrain de Rimbaud), à la fois pour le dérèglement de tous les sens, la pratique des correspondances horizontales et verticales et pour changer la vie (avec ce bémol de taille, changer la vie, pour moi, c'était prendre la vie quotidienne dans toute son épaisseur, lui enlever son poids d'ennui, de répétition d'habitudes, de lassitude, la valoriser – je m'éloignais donc de l'apologie des loisirs – parce que la vie quotidienne c'est quasiment tout notre temps de vie, des temps morts des transports au temps de travail, aux temps domestiques). Je me souviens d'avoir écrit des pages et des pages dans un cahier que je possède toujours et dans lequel je décris minutieusement comment « poétiser » les moments de vie quotidienne. Je crois bien que ce programme de valorisation de la vie quotidienne m'a guidé, nourri dans l'assumation consciente des moments constitutifs d'une journée : je dis encore bonjour le jour, j'ai tout un tas de petits rituels qui m'accompagnent, renouvelables, rien de systématique, rien de pesant, du spontané, pas d'originalité à tout prix, adhésion à ce que je dis et fais, prise en compte des surprises offertes par la vie ou provoquées (il suffit de s'adresser aux gens et souvent, souvent, ce sont quelques minutes de bonheur qu'on se donne même si sont évoqués les malheurs du moment).

Ce contexte explique je pense mon absence d'hésitation quand j'ai repéré ce livre chez Baba Yaga.


La préface de 6 pages dit beaucoup sur l'intérêt que certains ont porté aux lieux communs, à commencer par Flaubert avec son dictionnaire des idées reçues ou catalogue des opinions chics (il a eu le projet de combattre la bêtise, son Bouvard et Pécuchet est une charge contre la bêtise des savoirs reçus sans distance), suivi par Léon Bloy, exégèse des lieux communs, traquant les lieux communs catholiques, par Jacques Ellul, nouvelle exégèse des lieux communs, traquant des lieux communs plutôt politiques. Les fonctions essentielles des lieux communs sont énoncées, fonction idéologique de masquage de la réalité, d'occultation de la réalité, d'inversion de la réalité, fonction de barrage à la discussion, au dialogue, à la contradiction.
154 lieux communs d'aujourd'hui sont traités alphabétiquement par Christian Godin. Pour l'essentiel des stéréotypes d'origine politique, médiatique (les grands pourvoyeurs de langue de vent et de lange de bois, les confisqueurs de la vie démocratique publique puisque la communication s'est imposée contre le débat argumenté et contradictoire : il n'y en a plus) mais aussi quelques lieux communs issus des conversations privées (il y a du bon et du mauvais en tout ; on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux). Au passage, Christian Godin introduit des considérations historiques, remarquant par exemple que les proverbes, autrefois lieux de la sagesse populaire, ne sont plus utilisés par la jeunesse, montrant, autre exemple, les transformations subies par le lieu « la dignité » au temps de l'aristocratie, puis des Lumières et au temps de la post-modernité avec ceux qui réclament le « droit de mourir dans la dignité » où se dit l'indignité de ceux qui veulent provoquer, accompagner la mort de ces vivants qui ont perdu leur dignité, devenus « légumes », « épaves ».

Prenons le lieu « différence », il faut respecter les différences. Imparable ! Y a-t-il une pensée amenant à cette injonction ? Il est évident que deux êtres humains sont différents dans les faits mais ce sont deux êtres humains, ils ont en commun d'être humains et je décide de respecter cette humanité en eux, je lui reconnais une valeur universelle, ils sont égaux en droits à moi, je les considère comme une fin, non comme un moyen, le respect est une valeur ajoutée, une valeur morale créée par l'homme, au moment des Lumières, par Kant bien sûr. Le respect des différences est donc un lieu commun idiot, on respecte ce qui est commun aux différences, l'humain. Alors pourquoi ce lieu ? La différence indique une relation, la différence est le contraire de l'identité. On est différent de. Mais avec ce lieu, la différence est substantialisée, la différence devient l'identité. Je dois respecter le fait qu'il est noir, noir est son identité = sa différence. Je dois respecter l'homosexuel, le transgenre, chaque trait identitaire entraîne obligation de respect de la différence. S'instaure une impossibilité de ne pas aimer tel mode ou style de vie, l'impossibilité de critiquer telle croyance, telle attitude. Le droit à la différence sert à mettre à l'abri de la pensée critique et de la discussion tel individu, telle culture, tel goût, telle transgression (le respect des différences ira-t-il jusqu'à respecter le sadisme de l'officier nazi?)

Un livre d'accompagnement pour diminuer la part de bêtise, de connerie, de « commerie » que nous véhiculons, croyant que ce que nous disons nous est propre alors que nous perroquons (du nom « perroquet »), répétons des idées reçues, des lieux communs. D'où la force du texte de Francis Ponge : Rhétorique.

 

« Je suppose qu'il s'agit de sauver quelques jeunes hommes du suicide et quelques autres de l'entrée aux flics ou aux pompiers. Je pense à ceux qui se suicident par dégoût, parce qu'ils trouvent que « les autres » ont trop de part en eux-mêmes.

On peut leur dire : donnez tout au moins la parole à la minorité de vous-mêmes. Soyez poètes. Ils répondront : mais c'est là surtout, c'est là encore que je sens les autres en moi-même, lorsque je cherche à m'exprimer je n'y parviens pas. Les paroles sont toutes faites et s'expriment : elles ne m'expriment point. Là encore j'étouffe.

C'est alors qu'enseigner l'art de résister aux paroles devient utile, l'art de ne dire que ce que l'on veut dire, l'art de les violenter et de les soumettre. Somme toute fonder une rhétorique, ou plutôt apprendre à chacun l'art de fonder sa propre rhétorique, est une œuvre de salut public.

Cela sauve les seules, les rares personnes qu'il importe de sauver : celles qui ont la conscience et le souci et le dégoût des autres en eux-mêmes.

Celles qui peuvent faire avancer l'esprit, et à proprement parler changer la face des choses. »

On appelle lieu commun une idée générale, dont la vérité est admise par la communauté à laquelle on s'adresse. Les lieux communs (ou clichés) sont le reflet de l'opinion d'une époque et sont souvent utilisés comme des arguments qui se passent de justification. Ils sont pour cette raison à la base du discours démagogique.
Ainsi, tel homme politique, impliqué dans une affaire de corruption, mettra en avant l'honneur de sa femme et de ses enfants ; tel autre réveillera le zèle de ses compatriotes en faisant référence aux « anciens », à « la mère patrie », au « déclin des valeurs », etc.
• En rhétorique, le mot désigne très tôt le réservoir d'arguments, mais aussi les « passages obligés » du discours (exorde, péroraison) dans lequel l'orateur vient puiser pour soutenir son propos.
l'argumentation, genèse d'une anthropologie du convaincre
sur la critique de la vie quotidienne de Henri Lefebvre
Les formes de l'argumentation
Un texte dit « argumentatif » est un texte qui défend une thèse et tente de la faire partager à son lecteur. Cet objectif particulier ne concerne pas que le « fond » : il a une influence sur la forme même du texte. 
1. Les objectifs et les procédés du texte argumentatif
Thème et thèse
Tout texte comporte un thème, c'est-à-dire un sujet dont il s'empare et qu'il traite. Mais le texte argumentatif comprend aussi une thèse, c'est-à-dire un avis, un jugement qu'un locuteur défend. Il faut donc, face à ce type de textes, identifier (et distinguer) le thème et la thèse. Par exemple, un texte peut traiter du thème de l'école, et défendre la thèse selon laquelle l'école telle qu'elle existe n'est plus adaptée au monde contemporain. 
Comme le montre cet exemple, le thème peut être reformulé par un mot ou un groupe de mots (ici : l'école), tandis que la thèse peut être reformulée par une phrase verbale (ici : l'école telle qu'elle existe n'est plus adaptée au monde contemporain). 
À la thèse soutenue par l'auteur s'oppose la thèse adverse, ou thèse réfutée. 
Arguments et exemples
Afin de défendre sa thèse, l'auteur du texte emploie des arguments : des idées, des causes, des références. Il les appuie et les rend plus concrets grâce à des exemples.
  • Un argument est abstrait, général : il fait le plus souvent appel à la logique.
  • Un exemple est plus concret, plus particulier, voire même anecdotique.
Cependant, un exemple particulièrement frappant peut prendre valeur d'argument.
Convaincre et persuader
Un locuteur cherchant à faire adhérer un lecteur à la thèse qu'il développe peut emprunter deux directions :
  • soit il s'adresse à la raison de son destinataire, auquel cas il tente de le convaincre ;
  • soit il essaie de toucher les sentiments du récepteur, auquel cas il passe par la persuasion.
En pratique, les textes mêlent le plus souvent ces deux voies, et allient la pertinence d'arguments convaincants à un style frappant et persuasif.
L'énonciation dans un texte argumentatif
Puisque l'auteur défend une position, il s'exprime généralement dans le registre du discours plus que dans celui du récit (même si des exceptions existent). On trouve donc dans le texte argumentatif :
  • la présence plus ou moins nettement marquée du locuteur : « je », termes modalisateurs (indiquant une évaluation, une vision subjective), mots mélioratifs ou péjoratifs… ;
  • la présence de l'interlocuteur : l'auteur s'adresse parfois directement au lecteur (pronom « vous »), lui pose des questions, l'interpelle… ;
  • des interrogations rhétoriques, c'est-à-dire dont la réponse est en quelque sorte contrainte ;
  • le pronom « on » qui offre des possibilités multiples : « on » généralisant, permettant de délivrer une sentence ; « on » inclusif, dans lequel l'auteur et/ou le lecteur sont compris ; « on » exclusif, grâce auquel l'auteur se détache d'un groupe pour montrer que son opinion diffère.
On trouve également, outre ces indices énonciatifs :
  • des liens logiques de cause, de conséquence, de concession… ;
  • une structure logique, visible en particulier dans l'emploi de paragraphes distincts ;
  • des figures de style : amplification, images… ;
  • un ou plusieurs registres (suivant les intentions de l'auteur) : ironique, satirique, polémique…
2. Les formes de l'argumentation
L'argumentation peut être directe ou indirecte : elle est dite « indirecte » ou « oblique » lorsque le locuteur emprunte le biais de la fiction pour faire passer sa thèse ou son message. 
Les formes directes
  • l'essai est un ouvrage, de forme assez libre, dans lequel l'auteur expose ses opinions (cf. Montaigne, Les Essais) ;
  • le pamphlet est un écrit satirique, souvent politique, au ton virulent (Voltaire) ;
  • le plaidoyer est la défense d'une cause, le réquisitoire est une accusation ;
  • le manifeste est une déclaration écrite, publique et solennelle, dans laquelle un homme, un gouvernement ou un parti expose un programme ou une position (on trouve ainsi des manifestes de groupes d'artistes, autour d'un programme esthétique : cf. Le Manifeste du surréalisme) ;
  • la lettre ouverte est un opuscule souvent polémique, rédigé sous forme de lettre ;
  • la préface est un texte placé en tête d'un ouvrage pour le présenter, en préciser les intentions, développer ses idées générales (Préface de Cromwell, ou encore Préface du Dernier Jour d'un condamné, de Victor Hugo) ;
  • l'éloge, le panégyrique, le dithyrambe sont des textes marquant l'enthousiasme et l'admiration que leur auteur voue à quelque chose ou quelqu'un.
Les formes liées à la presse écrite
Journaux et revues accueillent régulièrement des textes argumentatifs :
  • l'éditorial est un article émanant de la direction du journal. Il engage la responsabilité du rédacteur en chef et de l'ensemble du journal, tout en restant une parole individuelle (celle du journaliste qui le signe) ;
  • le billet d'humeur est une courte chronique où le rédacteur s'adresse en son nom à une ou plusieurs personnes, sur un sujet d'actualité ;
  • un journal peut également publier une lettre ouverte : cf. le célèbre J'accuse, de Zola, paru dans l'Aurore.
Les formes obliques
  • la fable (La Fontaine) ;
  • le conte (Perrault, Le Petit Chaperon rouge) et le conte philosophique(Voltaire, Candide) ;
  • l'apologue (récit souvent bref contenant un enseignement : on voit que les deux premières formes citées appartiennent au genre de l'apologue) ;
  • l'utopie (genre littéraire dans lequel l'auteur imagine un univers idéal, par exemple l'abbaye de Thélème, chez Rabelais) et la contre-utopie (1984, d'Orwell) ;
  • le dialogue (parfois dialogue philosophique, cf. Diderot, ou Sade) ;
  • le théâtre (Marivaux, L'Île des esclaves).
3. Littérature et argumentation
La liste des genres au travers desquels peut se déployer l'argumentation montre que celle-ci n'est pas réservée aux essais abstraits, aux traités théoriques, ou aux articles. L'argumentation a toujours été liée à la littérature, et en particulier à la fiction. En effet, pour transmettre une idée, pour convaincre et persuader, le style est un auxiliaire extrêmement efficace : la force d'un argument est d'autant plus grande qu'il est exprimé de manière séduisante. Ainsi, on comprend l'intérêt que ceux qui cherchent à étayer une thèse portent à la qualité littéraire de leurs textes. Les Essais de Montaigne, les Pensées de Pascal, les Salons de Diderot, les préfaces de Hugo, etc. sont encore lus aujourd'hui, non seulement en raison des idées et réflexions qu'ils contiennent, mais aussi parce que la force et la beauté de leur écriture nous touchent. Sartre dit que « l'écrivain engagé sait que la parole est action […] Il sait que les mots, comme dit Brice Parrain, sont des "pistolets chargés". S'il parle, il tire ». Cette citation souligne le pouvoir qu'ont certaines formules – capables de « faire mouche » – d'atteindre ce qui est visé et celui qui est destinataire, et ce pas uniquement dans la littérature dite engagée. 
Mais l'argumentation ne se contente pas de réclamer un « style », un talent d'écriture. Elle passe parfois par la fiction, c'est-à-dire que, paradoxalement, elle utilise l'imaginaire afin de soutenir une opinion sur un élément bien réel. Cette association de l'argumentation et de la fiction existe dès les premiers récits fondateurs : dans L'Iliade et L'Odyssée d'Homère, ou encore dans les chansons de geste du Moyen Âge, s'opère une alliance entre le récit d'exploits et l'exaltation de valeurs, de positions, que l'auteur cherche à faire partager à ses auditeurs ou lecteurs. Pourquoi donc ce « détour » par la fiction ? La Fontaine écrit, dans les Fables, à propos de l'apologue :
C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive
 
Selon le fabuliste, la fiction séduit le lecteur, et fonctionne comme un appât : elle ensorcelle par le récit du conte ou de la fable, et la moralité (ou la thèse défendue) devient ainsi plus « digeste ». L'essai peut en effet apparaître comme ardu et rebutant. Un récit au contraire est toujours plaisant par les animaux qu'il met en scène, les dialogues qu'il utilise, etc. 
 
Conclusion
Les Classiques, au xviie siècle, avaient pour devise « instruire et plaire » – et l'apologue est précisément le lieu où les deux actes peuvent se conjuguer. Le xviiie siècle a lui aussi fait le détour par la fiction, pour défendre les idées des Lumières : les contes de Voltaire sont des essais ou des pamphlets rendus concrets et vivants grâce aux personnages et aux registres comique, satirique, etc. Marivaux ou Beaumarchais illustrent la réflexion sur l'individu et la justice sociale dans leurs pièces de théâtre : au travers des dialogues et des confrontations de personnages, le spectateur voit s'incarner des idées et des avis contradictoires. L'Île des esclaves, de Marivaux, mêle par exemple à la fois le genre théâtral et l'utopie. D'autres formes fictionnelles sont encore convoquées, comme le dialogue, chez Diderot (Le Neveu de Rameau). Des origines jusqu'à nos jours, la fiction est donc toujours l'alliée de l'argumentation : au xxe siècle, la contre-utopie (1984, d'Orwell) et l'apologue (Matin brun, de Franck Pavloff) sont encore bien présents. 
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