À quoi sert un père ?/Michel Pouquet
Après l'agora du 11 janvier 2006 au CDDP de
Toulon, Michel Pouquet, un habitué des agoras du Revest, est intervenu à deux reprises, une fois à L'École des Parents à Toulon, une autre fois au centre culturel, Nelson Mandela, à La Seyne
sur le thème de la fonction paternelle. Nous le remercions de nous avoir communiqué le texte de sa causerie pour la mettre sur la place publique, l'agora, qui était aussi chez les Grecs, le
lieu du théâtre. On discutait, on se représentait.
"Les parents font des enfants, les protégent, les nourrissent, veillent sur leur santé, etc... En s'identifiant à eux - cela se fait tout seul - l'enfant construit la base du système de valeurs et de croyances de l'adulte qu'il sera demain. Mais le plus délicat à comprendre et mettre en place est certainement :
Le père, vous l'avez sans doute entendu déplorer un peu partout, est très mal en point aujourd'hui. Le terrorisme éducatif ayant été justement rejeté depuis déjà longtemps, il ne sait plus, bien souvent, depuis peut être un demi siècle, comment faire, quand il a le souci de faire au mieux pour élever ses enfants. Ce qui est déjà quelque chose, une bonne intention. Mais cela ne suffit pas. Comme vous le savez, l'enfer en est pavé. Aussi vais-je m'efforcer de vous éclairer, à la lueur de ma pratique d'analyste, témoin de la souffrance des enfants, des parents, et des enseignants; victimes, à des degrés divers, de la carence de la fonction paternelle.
Mon propos concerne donc au premier chef les parents, bien sûr, mais tout autant les enseignants et les éducateurs : ceux qui ont pour mission, avec les parents, d'accueillir l'enfant et de l'éduquer au mieux - parfois de suppléer totalement des parents désemparés. Eduquer, je vous l'indique au passage, c'est "conduire - hors" : hors de l'enfance, vers l'âge adulte, vers l'autonomie. Educateurs ou enseignants, ils sont face à l'enfant en position parentale, même quand on leur demande simplement de transmettre un savoir. Aucun enseignant, je pense, ne peut s'abriter derrière ce devoir d'instruire, en ignorant qu'il lui incombe aussi d'éduquer. S'il venait à le méconnaître, il en serait la premiere victime, de la part d'élèves gavés de savoir et méconnus dans leur être.
Même si elle déborde du cadre familial, c'est donc au coeur de la famille que commence la fonction paternelle. C'est là que s'illustrent le plus clairement ses déviations, ses carences, sa méconnaissance, de la part de parents qui s'en moquent, ou qui, croyant bien faire, font n'importe quoi.
Je vais vous illustrer ceci d'un court article, paru dans le magazine "ELLE" du 9 Mai dernier, témoignage de ce père d'un garçon de 9 ans et d'une fille de 7 ans, séparé de sa femme depuis deux ans. Ecoutez attentivement FRANCK.
"...Leur expliquer qu'on les aime toujours, faire prévaloir la joie, la bonne humeur, je fais tout pour qu'ils soient contents. Peut-être un peu trop... Je n'arrive pas à les punir, je ne leur refuse rien. Ils l'ont bien compris, ils adorents me faire tourner en bourrique. On est passés devant une boutique, il y avait un Marsupilami, ma fille a fait un caprice, je lui ai promis de le lui acheter pour son anniversaire, mais après un "s'il te plaît, mon papa chéri", j'ai cédé. Ce matin, ils m'ont traîné dans les boutiques, ils voulaient tous les deux une tenue complète... Je ne les ai qu'un week end sur deux et une fois sur deux pendant les vacances scolaires, alors, quand ils sont avec moi, c'est la fête ! Je ne suis là que pour les bons côtés : les cadeaux, les bonbons, les choses que l'on n'a pas le droit de faire chez maman, comme manger des McDo ou faire du vélo dans l'appartement !... On organise plein d'activités sympa...on adore partir tous les trois en Normandie... Le principal, c'est qu'on soit hyper complices, on rigole, on se titille, on se fait plein de câlins. Le dimanche je les raccompagne le coeur serré en attendant le prochain week end"
Rien d'extraordinaire, dans ce témoignage, vous avez certainement rencontré des pères qui se comportent comme FRANCK, sans que cela vous fasse sursauter. Car cet homme déborde de bonne volonté, de gentillesse, de souci de ses enfants, et ne manque pas d'intelligence même quand il perçoit vaguement "qu'il en fait peut être trop... qu'il n'a que les bons côtés". Mais on plaint la mère qui semble s'efforcer à plus de rigueur, et ne trouve chez son ex aucun appui. Car il ne sait pas ce que c'est qu'être père : il a tout faux. Gardez ce témoignage en mémoire, tout au long de mon exposé, que le contre-exemple de FRANCK illustrera.
A quoi sert donc un père ? A faire un enfant à la mère, bon, d'accord - là n'est pas le problème, encore qu'à l'époque actuelle, friande d'inventions perverses, on pourrait se poser quelques questions. Quelle est donc la fonction paternelle ? Je vais aller directement à l'essentiel. Eh bien un père sert à séparer les enfants de leur mère.
Et tout d'abord, séparer les corps. Car le désir de la mère, comme celui de l'enfant - garçon ou fille - est de retrouver cette fusion initiale, cette plénitude que l'accouchement a rompue (et que les seins et les bras de la mère, ensuite, permettent de retrouver approximativement). Du côté de la mère, le "baby blues" en est une trace, cette déprime plus ou moins marquée qui suit souvent l'accouchement (et que la mère retrouvera, beaucoup plus tard, quand les enfants quitteront la maison). Les fenêtres des maternités d'autrefois étaient protégées par des grilles : on ne parlait pas de "baby blues", mais on savait qu'il pouvait y avoir des suicides, tant le désarroi qui suit la perte de cette complétude pouvait être grand. Du côté de l'enfant, observez la jouissance du nouveau-né que l'accoucheur dépose sur le ventre de sa mère, et dont les cris s'apaisent aussitôt : parce qu'il retrouve les bruits familliers du ventre maternel, qui ont été son fond sonore pendant 9 mois. Mère et enfant désirent retrouver la plénitude perdue. Le père incarne cette barrière nécessaire s'opposaant à leurs pulsions convergentes. Il représente, par sa seule présence, LA Loi, qui se formule ici par l'interdit de l'inceste.
Car l'inceste ce serait cela : le retour in utero, l'abolition de la naissance, la quête d'une absolue plénitude. Bref : une jouissance mortelle, car LA Loi est là : il faut en sortir pour vivre. LA Loi n'est écrite nulle part, c'est la loi de la Nature, ou - en termes lacaniens - un donné du réel. Dont l'expérience banale de chacun, puis les découvertes progressives de la science, permettent d'élaborer peu à peu les énoncés.
Comprenez bien tout d'abord que l'inceste véritable, qui ne concerne que la mère et son enfant, n'a rien de sexuel, et ne risque pas d'être commis : on ne revient pas en arrière. Mais il existe des conduites incestueuses, lorsque les pulsions s'efforcent de réaliser, ne serait-ce qu'imaginairement, quelque chose qui va dans le sens de l'inceste. Conduites qui provoquent l'angoisse, signalant ce danger mortel. Exemple : la mère ne peut pas remettre le petit dans son ventre, mais elle peut le faire dormir dans son lit. Et là, gare aux dégats ! Ce sont ces conduites incestueuses génératrices d'angoisse et de souffrance que la fonction paternelle va s'efforcer d'éviter.
Que doit faire le père, pour cela ? Aimer sa femme, et savoir se faire aimer d'elle. Eh oui ! Pour contrer les pulsions incestueuses de la mère, il faut, s'interposant entre elle et son petit, quelqu'un qu'elle aime, qu'elle désire, qui vient empêcher le tête à tête pathogène. L'enfant va s'identifier à ce premier autre, distinct du corps maternel. Comment cela se réalise t-il ? Lorsqu'elle parle à l'enfant, et mentionne ce tiers qu'est le père (on dit le père pour simplifier, mais ce peut être un autre homme qui compte pour elle, qu'elle désire, et dont elle parle à l'enfant). Lacan en a fait un concept : le, ou les, Noms-du-Père, qui sont, dans les premiers mois de la vie, l'énoncé premier de LA Loi, séparant les âmes comme l'accouchement a séparé les corps.
Cette séparation va se faire progressivement. Les premiers mois de la vie sont ceux du corps à corps mère-enfant, de leur jouissance sensuelle (à tous deux) dans ce contact qui les ravit. Elle va dorloter son bébé, éveiller sa sensualité aux caresses - sans aller bien sûr jusqu'à le masturber pour avoir la paix, comme cela se faisait dans le temps, avec des nourrices expéditives... Rien d'incestueux à cela, lorsque la mère sait garder sa place au père, dans son désir de femme, et ses ébats amoureux - en ne tombant pas dans le piège de faire couple avec son petit, sans plus s'occupper du père. Mais ce temps du "peau-à-peau" mère enfant doit prendre fin, avec le sevrage, et la maîtrise de la marche par l'enfant. La distance physique entre le corps de la mère et celui de son enfant se prend peu à peu, les caresses deviennent tendres, ne stimulant plus la sensualité de l'enfant.
Et le père, dans tout cela ? Beaucoup, aujourd'hui, croient être de bons pères, "en phase avec leur temps", en doublant la mère dans les soins de l'enfant, lui donnant le biberon, le torchant, jouant avec lui, etc... C'est très bien, mais tout à fait secondaire : la fonction paternelle, dans ces débuts, c'est simplement, je le rappelle, mais c'est capital, de garder sa place d'homme à côté de sa femme, de savoir l'aimer et se faire aimer d'elle.
Ajoutons encore ceci : que le père sache, lui aussi, éviter, les douceurs malsaines du corps à corps : c'est la mère ici, qui peut s'en apercevoir, et dire "stop" aux pères peloteurs. Cette remarque vaut aussi pour tous ceux qui ont charge éducative ou enseignante, hommes ou femmes.
Et cela semble bien concerner FRANCK : "...on rigole, on se titille, on se fait plein de câlins..." Ce ne sont pas des mots que l'on attend d'un père. Ceux d'un copain vaguement peloteur. Et en manque d'amour : car il se trouve, lui, le père, apparemment seul avec ses enfants. S'il y a une femme dans sa vie, elle ne tient pas beaucoup de place, ou bien il l'écarte lorsqu'il voit ses enfants. Aucune allusion n'est faite à une compagne, "ils partent en Normandie tous les trois". Les enfants semblent constituer l'essentiel de son univers, leur départ le laisse "le coeur serré". On fait comme on peut, mais FRANCK est dans la position difficile du parent solitaire, qui n'offre pas à ses enfants un foyer où un homme et une femme s'aiment. Bien sûr, cela ne se commande pas. Mais on peut savoir qu'il y a là un écueil, et savoir aussi que "se consacrer à ses enfants" est pour eux la pire des choses. FRANCK ne semble pas s'en douter.
Maintenant que l'enfant touche à tout, sait ce qu'il veut, découvre un moyen de pression en faisant des caprices, il va falloir lui dire non. La fonction paternelle va se faire interdictrice, elle va maintenant s'exercer en apprennant à l'enfant qu'il ne peut tout faire, tout avoir, bref : elle va lui donner le sens des limites. Comprenez bien, parents et éducateurs, cette nécessité de mettre une butée aux pulsions de l'enfant : en s'inclinant devant ceci ou cela, il apprend à renoncer à réaliser ses désirs, et, au-delà du quotidien banal, il se prépare à renoncer à ses désirs incestueux, évitant l'angoisse, et la pathologie qui en découle.
Qui s'oppose tout d'abord à l'enfant ? La mère, qui est son interlocuteur habituel. C'est par elle que passe, au début, LA Loi. Mais elle va progressivement déléguer son pouvoir au père, et se faire aider par lui. Elle va se référer à sa parole, il devient le représentant de LA Loi au sein de la famille. "Ton père a dit...", dira-t-elle à l'enfant. Ce n'est pas une nuance de style, c'est une nécessité qui s'impose lorsque l'enfant grandit : la loi se décroche de son ressort initial (faire ce qui fait plaisir à la mère, pour être aimé d'elle). La transgression se fait moins angoissante que chez le tout petit (perdre l'amour de la mère) parce qu'elle entraîne seulement une sanction, qui a valeur de rachat, déculpabilise, remet les choses en place.
Malheureusement, nombreux sont les parents qui répugnent à sanctionner, s'épuisent à "faire la morale", s'énervent, crient, multiplient les injonctions non suivies d'effet et perdent ainsi toute autorité. L'illusion d'une éducation "soft", dans la douceur, fait des ravages. Il faut à l'enfant un cadre - sécurisant - de règles de vie simples, minimales, non étouffantes, mais assorti de sanctions fermement appliquées. Sans sursis : le sursis ne se justifie que si la règle était ignorée. Sinon, il est signe de faiblesse, d'inconsistance de la loi, donc insécurisant.
Il y a pire : lorsque la mère trahit le père, bafoue son autorité, dissimule les incartades de l'enfant dont elle devient complice. Invoquant parfois comme excuse la violence du père. Ce peut être vrai, et il est alors nécessaire de remettre en cause la conduite du père - mais sans pour cela devenir complice de l'enfant. Là est l'origine de comportements infantiles et asociaux qui éclatent souvent à l'adolescence, et aboutissent parfois à faire de l'enfant un adulte psychopathe.
Et FRANCK ? Il ne sait rien de tout ceci. "je n'arrive pas à les punir, je ne leur refuse rien... ils adorent me faire tourner en bourrique" Il incarne jusqu'à la caricature la stupidité d'un brave homme qui croit aimer ses enfants et faire leur bonheur en les préparant bien mal à affronter les réalités de l'existence... On aimerait savoir la suite. Mais il nous pose, par sa bêtise même, une question cruciale : qu'est ce donc qu'aimer son enfant ?
Le conseil est de Françoise Dolto, à une mère qui se désole de penser que si elle dit non à son enfant, celui-ci se croira mal-aimé. Mais retenez de cete formule ce qu'elle implique et qui est capital : le "non" nécessaire, l'exercice de la fonction d'autorité, ne se conçoivent que s'il y a, d'abord, l'amour. Si l'enfant ne se sent pas aimé, l'interdit va être reçu comme une brimade, un rejet supplémentaire. Il s'inclinera peut-être devant la raison du plus fort, mais il n'intégrera pas LA Loi, baignera dans l'angoisse et la violence.
FRANCK, en contre-exemple, illustre ce qui se donne pour de l'amour, sans l'être. "Leur expliquer qu'on les aime toujours" : quand il s'agit d'aimer, les mots sont toujours suspects de mensonge, d'illusion, de manipulation. Ce sont les gestes qui disent l'amour, non les mots. Ici, FRANCK croit aimer ses enfants, mais quand il reconnaît "qu'il n'arrive pas à les punir", il est probable qu'il livre ce qui l'anime : un amour narcissique pour lui-même, FRANCK, à travers ses enfants. Il se complaît dans sa propre image infantile, à travers celle de ses enfants. Il s'identifie à eux, et les traite comme il aimerait qu'on le traite, ou qu'on l'ait traité, enfant. Tout son discours, optimiste et déréel, trahit le gamin qu'il est resté - comme bien des pères d'aujourd'hui.
Aimer un enfant n'est pas foncièrement différent d'aimer un adulte, dans le couple. Sauf que le sexe est laissé de côté. Notre code occidental étend à tous les enfants la règle de l'interdit de l'inceste, reconnaissant en tous les adultes des substituts parentaux. C'est d'ailleurs ainsi que l'enfant les perçoit.
L'élan vers l'autre, qui caractérise d'abord l'amour, n'est pas forcément au rendez-vous. On peut ne pas aimer ses enfants. Les éducateurs, en particulier, ont à s'occupper d'enfants qui peuvent leur être antipathiques. Mais l'élan vers l'autre n'est pas, ici, où le sexe est laissé de côté, nécessaire. C'est un "plus", certes, mais dont on peut se passer. Car aimer, c'est d'abord être attentif à l'autre, à l'écoute de ce qu'il dit, le reconnaître dans ses désir, même s'ils sont très différents des nôtres. Respecter "sa différence", comme on se plait à le répéter aujourd'hui, en pervertissant le sens de cette formule. Car le respect pour l'autre n'implique nullement de croire tout ce qu'il dit et de lui accorder tout ce qu'il demande. Et n'exclut nullement la fermeté à son égard, lorsqu'il le faut.
Mais pas plus qu'il ne faut... Combien de parents infligent à leurs enfants les retombées de leur propre névrose, les engluent dans leur désir sans se rendre compte - comme FRANCK - de leur méconnaissance d'eux-mêmes et de la pathologie qu'ils suscitent. Au moins peut-on savoir que l'inconscient qui nous anime nous joue des tours, dont nos enfants peuvent être victimes. Les conseils éducatifs sont ici de peu de poids. Il peut être alors nécessaire de parler à un psychanalyste, pour y voir un peu plus clair en nous-même et dans notre relation à nos enfants.
Eduquer un enfant, c'est enfin l'amener à assumer sa sexuation, son désir d'homme, ou de femme : qui n'est pas simplement accès au plaisir génital, mais fonde le dynamisme de tout l'être. On entre maintenant dans le "roman d'amour" oedipien, largement vulgarisé aujourd'hui. Cela commence lorsque l'enfant se tripote, et s'interesse à la différence des sexes.
Il s'agit, pour le petit garçon, de renoncer à posséder un jour sa mère, pour la petite fille d'épouser un jour son papa - comme elles le disent souvent naïvement. L'intégration de LA Loi, sous la forme - maintenant clairement vécue - de l'interdit de l'inceste, permettra à l'enfant de s'intéresser à autre chose qu'à l'amour pour papa-maman, au travail scolaire en particulier.
Un petit garçon qui rêve en classe, rêve de vous, Madame... C'est au papa de dire au garçon que la mère n'est pas pour lui, non pas parce qu'il est le plus fort... mais parce que c'est comme ça, que tous les hommes doivent s'y soumettre. N'essayez pas de justifier rationellement LA Loi : nous buttons ici sur le réel. Que l'enfant découvre qu'il lui faut s'incliner, même s'il ne comprend pas pourquoi, est un apprentissage de la sagesse - mais pour cela, il faut que le père lui-même lui donne l'exemple de cette soumission à ce qui nous dépasse.
Lorsque votre petite fille vous déclare que, quand elle sera grande, elle se mariera avec vous, ne vous contentez pas de sourire gentiment, Monsieur, car c'est sérieux ! Elle essaie d'obtenir ce qu'elle croit qui lui "manque" : un pénis, ou un enfant qui en sera le substitut, pour enfin, après avoir comblé le "manque", espérer se sentir rassurée sur son identité de femme. Pourquoi, croyez-vous, les petites filles jouent-elles à la poupée ? Pour faire comme maman, bien sûr, et posséder cet "enfant-phallus" comblant leur manque imaginaire (leur manque : d'une image visible de leur sexe). Même si tout cela vous paraît rocambolesque, restez sérieux et attentif, et efforcez vous - dans les termes qui vous conviennent - de lui faire parvenir ce message : "mais oui ma fille, tu es belle, tu as tout ce qu'il faut pour plaire à un homme plus tard (vous efforçant ainsi d'apaiser sa crainte de n'être pas "finie" comme l'est le garçon) — mais je ne suis pas pour toi". Fort peu de père comprennent ce qui se joue de douloureux dans la tête de leur petite fille, n'étant pas eux-mêmes passés par là. A vous les mamans de le leur expliquer. A vous aussi, les éducateurs, d'essayer d'éclairer les enfants sur ce qu'est la différence des sexes que tous, garçons comme filles, ont du mal à comprendre comme une différence, en étant les jouets de leurs perceptions, n'y voyant qu'une soustraction.
Au bout du compte, l'enfant est ainsi préparé à aimer "de tout son corps", lorsqu'il en aura la possibilité physique, à l'adolescence. Cette évolution vers la maturation sexuelle peut être entravée si les parents ne jouent pas leur rôle, si le père se désintéresse de ses enfants, si la mère s'accroche à eux du fait de sa névrose, ou compense avec eux le ratage de l'amour du couple.
Elle est facilitée lorsque depuis la petite enfance, la règle du "chacun dort dans son lit" est fermement appliquée : le prendre avec vous, les parents, parce qu'il est malade, est un piège : il risque de retomber souvent malade pour "remettre ça". L'évolution oedipienne se fait enfin au mieux lorsque le couple parental est un vrai couple, où le désir sexuel concrètement vécu par les parents, fait comprendre à l'enfant qu'il y a des moments où il est exclu - mais oui, l'exclusion est ici une nouvelle formulation de LA Loi. Nombreux sont les parents qui sont génés de fermer à clef la porte de leur chambre, comme si leur enfant avait le droit d'y pénétrer quand il le veut, sous peine de se sentir mal aimé ! Assumer la fonction paternelle, c'est savoir la valeur d'un tour de clef... et ne pas en faire mystère avec les enfants. Comme dans ce foyer où les enfants comprennent fort bien ce qui se passe, et vous le disent avec un sourire entendu : "tous les Dimanches matins les parents font la grass'mat' et il ne faut pas les déranger..."
FRANCK ici ne dit plus de bêtises. Justement, parce qu'il n'est plus dans le coup : une femme dans sa vie, s'il y en a une, ne tient guère de place, il la cache lorsque ses enfants sont là. Là encore, il a tout faux : une belle mère ou une copine du papa ne plairait peut être pas aux enfants, mais elle serait à la place de la mère, occupperait le lit du père, et ferait concrètement comprendre aux enfants qu'ils ne sont pas tout l'horizon affectif de ce dernier. Alors que cet homme sans femme, en position duelle face aux enfants, se trouve dans la position d'une mère. Ils n'ont plus de père quand ils sont avec lui...
Retenez l'essentiel de mon propos : la fonction paternelle, qui met en place LA Loi au coeur de l'être, est incarnée par la présence de ce tiers entre mère et enfant, le père. Mais c'est la mère qui lui donne sa place, et assume initialement la fonction interdictrice. L'un et l'autre sont nécessaires pour que l'enfant découvre son désir, et les limites qui s'imposent à son désir.
Méconnaître l'importance de la fonction paternelle se paie très cher. C'est par elle que l'enfant apprend à maîtriser ses pulsions, accepte la solitude, évite les retombées pathologiques de l'angoisse : névrose, psychoses, psychopathie, dépression, perversions, etc... sans parler des ravages de l'idéologie, parade, au niveau social, à l'angoisse.. On se préoccuppe beaucoup actuellement des troubles de l'adolescence, face auxquels on est bien souvent désarmé, en oubliant que l'adolescent perturbé a été, le plus souvent, un enfant mal élevé. Pourquoi cet oubli ? Pourquoi cette carence de la fonction paternelle ? Deux raisons principales.
1 - Une psychiatrie importée des USA, qui oublie de rencontrer un sujet et sa souffrance, et patauge dans des références quasi exclusivement comportementales et biologiques.
L'invention de cette "maladie" nouvelle qu'est l'enfant "hyperactif" en est un exemple. Auparavant, on parlait d'instabilité psychomotrice, ou d'instabilité caractérielle, dont il fallait rechercher la cause. Aujourd'hui, puisqu'il est malade, on lui donne un médicament. C'est même parce qu'on voulait vendre ce médicament nouveau qu'on a inventé la maladie nouvelle... Ce médicament peut calmer l'enfant, en effet, mais laisse de côté la cause de son anxiété. Car sous l'agitation de l'enfant, il y a l'anxiété. Et celle-ci, le plus souvent, trouve sa source au sein de la famille, en particulier lorsque la carence de la fonction paternelle insécurise l'enfant. Bref : ce "malade" hyperactif est en général un enfant mal élevé. Mais le déclarer malade convient à tout le monde : au médecin satisfait de la réussite de son art, aux parents qui ne sont pas mis en cause ("s'il est malade, je n'y suis pour rien"), aux laboratoires pharmaceutiques qui vendent leur produit. Tout le monde y gagne - sauf l'enfant dont l'environnement pathogène inchangé pourra déclencher d'autres troubles, une fois l'accalmie médicamenteuse passée.
Ce qui est grave n'est pas le médicament lui-même, qui peut être très utile (comme le sont les tranquillisants ou les antidépresseurs), mais ce discours sur une maladie qui n'existe pas, déresponsabilisant parents et médecins. Allez donc voir, si la TV veut bien lui redonner une place, comment s'y prend "Super Nanny", pour apaiser les agités ! Pour une fois qu'un "sujet de société" est présenté intelligemment, ne manquez pas l'émission !
On met Freud au panier, et on voit des maladies partout - en particulier dans la névrose, cette "maladie de la vie", qui touche tout le monde, peu ou prou, et nécessite une remise en cause personnelle, si l'on veut améliorer les choses, bien au-delà de l'aide que peut apporter le médecin. Le prestige actuel des neuro-sciences n'arrange rien : utiles pour la recherche, ou la découverte de nouveaux médicaments, elles ne servent strictement à rien sur le terrain. On sait tout sur le neurone, et on oublie que le malade est un être en souffrance, dont la parole en dit plus que tous les discours savants sur les neuro-transmetteurs. Quand vous aurez appris que vous fonctionnez avec votre cerveau gauche, ou votre cerveau droit, vous serez bien avancé...
Bref, la psychiatrie devient une médecine du corps malade, qui vous traite comme vous traitez votre autommobile en panne : au garagiste de s'en occuper. Si cela n'a guère d'importance pour l'appendicite ou la rougeole, dans la sphère psy c'est catastrophique. Le psychiatre est devenu un chimiste qui ne sait plus écouter et observe votre comportement, comme d'autres observent celui des canards ou des chimpanzés.
2 - Il y a pire : un discours médiatique pétri d'optimisme et d'illusions - il faut tenir compte de l'audimat... Le droit au bonheur est inscrit dans la constitution américaine, être positif s'impose (et culpabilise un peu plus ceux qui n'y arrivent pas), nos oreilles vibrent d'entendre évoquer partout le "top niveau", et les beaux discours nous parlent d'abolir "la fracture" (sociale) et "l'exclusion". Ce n'est pas le dessein politique qui est criticable, mais les mots. Or les mots mènent le monde, et la fracture (au coeur d'un être radicalement divisé) et l'exclusion (évoquée plus haut) sont deux manières de vivre LA Loi. Pas étonnant qu'à vouloir faire rêver les citoyens à son abolition, on ne rencontre ensuite que morosité, désillusion, sentiment d'être victime d'injustice (les avocats n'ont jamais tant travaillé), et violence.
Ce qui est méconnu, comme l'est le sujet et sa parole par la psychiatrie new look, c'est le réel, ce qui est, dont la science découvre les lois, sans prétendre pouvoir en faire jamais le tour. Mais en nous permettant de vivre mieux, si nous tenons compte de l'enseignement et des contraintes qu'il nous impose. L'électricité a bien des avantages - mais Claude François a payé de sa vie la méconnaissance de cette règle bien simple, qui veut que l'on ne tripote pas une ampoule dans une salle de bain.
L'approche du réel de l'âme humaine nous fait découvrir les règles qui régissent la "nature humaine", sans nier pour autant l'impact de la biologie et de la société. C'est ce qu'un discours médiatique dominé par une vision strictement sociologique de l'homme a tendance à oublier. Certes la société fait l'homme - mais elle ne fait pas tout l'homme. Nous sommes frères de l'homme de Cro Magnon. Il y a des invariants qui s'imposent, au fil des âges et des cultures, et parmi ceux-ci, la fonction paternelle. La découverte freudienne du complexe d'Oedipe a pu être contestée par certains qui l'ont réduite au roman d'amour oedipien : le petit garçon amoureux de sa maman, etc... Ceci n'est qu'une superstructure, variable selon la culture : chez les mélanésiens, c'est l'oncle frère de la mère qui représente LA Loi, le géniteur ne jouant qu'un rôle effacé. L'essentiel se joue au niveau de la structure intime de l'être, que j'ai exposée en décrivant la fonction interdictrice du tiers.
Or ce tiers paternel est volontiers bafoué aujourd'hui, par exemple dans les discours réclamant l'instauration d'un mariage gay, ou par la suppression de la prépondérance du patronyme paternel. Il n'est pas sûr que ces inventions perverses (qui s'efforcent de transgresser LA Loi) aient, dans le concret, des conséquences dramatiques : personne ne peut le dire avant de l'avoir observé, il peut se faire des suppléances (les grand mères vont avoir du travail), cela ne concernerait sans doute que peu de cas, etc... Et combien de couples hétérosexuels massacrent leurs enfants sans que personne s'en émeuve, tant qu'ils n'ont pas de bleus bien visibles ? Ce qui est nocif, c'est la pagaille que cela introduit dans les esprits : les enfants de parents paumés perdent leurs repères, en particulier à l'adolescence, où les garçons sont particulièrement tourmentés par leur identité sexuelle, et par la perception de leur bisexualité. D'où un surcroit d'angoisse, à cet âge déjà difficile. Or, en dehors des protestations idéologiques qui ne peuvent influencer que les croyants convaincus, qui entend on réagir, aujourd'hui, au nom d'une connaissance rationnelle de l'être, face à ces discours pervers ? A part quelques isolés dans la rubrique "opinions" des quotidiens, pratiquement personne. C'est la dictature médiatique d'un "politiquement correct" bafouant La Loi, le réel, la fonction paternelle et la science.
Jamais un enfant ne représentera la même chose pour l'homme que pour le femme. Prétendre remplacer l'un par l'autre est une ineptie. Et il a besoin des deux. Bien sûr il y a des familles monoparentales, et il y a toujours eu des veufs et des veuves qui ont su élever leurs enfants (en parlant à l'enfant du conjoint disparu). On fait comme on peut. Mais présenter en modèle alternatif n'importe quoi et le soumettre à la décision des électeurs, est une ânerie. Le législateur le sait-il vraiment ? Est-il soucieux de s'informer auprès de ceux dont c'est le métier de savoir de quoi il retourne ? Saura-t-il résister aux revendications des pères frustrés qui donnent un écho paradoxal aux revendications féministes, aux pressions en faveur d'un mariage gay ? En attendant, sur le terrain, ce sont souvent des décisions malheureuses concernant les enfants du divorce (exemple : la garde alternée), et - comme l'illustre FRANCK - la multiplication des "papas poules" et des "pères copains".
***
Ce qui est ainsi bafoué, et de multiples façons, bien au-delà des deux domaines évoqués ci-dessus, c'est le réel, qui impose à l'être de n'exister que séparé, exclu, sans espoir d'une parfaite complétude, en gardant présent à l'esprit le sens des limites et de sa finitude. Or notre société occidentale vit dans le leurre d'idéologies diverses, dans son avidité à croire en un monde enfin harmonieux. Chaque groupe de pression essayant d'imposer ses vues, au gré de ses désirs.
L'idéologie nous apporte certitudes, jouissance — et déboires.
La science, en quête du réel, impose à la fois le doute et la rigueur.
On souhaiterait que les médias aient davantage conscience de leur responsabilité dans l'information, et ne se préoccupent pas simplement de faire grimper l'audimat...
On aimerait que le législateur sache que le vrai ne sort pas obligatoirement des urnes, et que le réel peut avoir des exigences qui ne plaisent pas aux citoyens. Et qu'il ait le courage de le leur dire...
Chacun de nous enfin pourrait se souvenir que le réel est, et commande. Ceci nous concerne tous, dans une société dont nous sommes acteurs, donc responsables, dans notre contexte démocratique. Nous lisons, nous parlons, nous votons, nous avons un certain pouvoir - ne serait-ce que celui de témoigner - dans notre entourage proche.
Découvrir et assumer ces petits bouts de vérités, émanant du réel, au hasard des rencontres, des lectures, ou des discours, comme je viens de m'y efforcer, peut être dur, voire choquant — et va vous faire traiter de "ringard" par ceux à qui cela ne plait pas. Eh oui ! Mais cela peut déboucher sur un mieux vivre, à condition d'accepter une remise en cause de vos options idéologiques : une petite révolution personnelle...
Mais "seule la vérité est révolutionnaire", comme l'a dit... Freud ? Lacan ?
Non ! Lénine !"
"Les parents font des enfants, les protégent, les nourrissent, veillent sur leur santé, etc... En s'identifiant à eux - cela se fait tout seul - l'enfant construit la base du système de valeurs et de croyances de l'adulte qu'il sera demain. Mais le plus délicat à comprendre et mettre en place est certainement :
LA FONCTION PATERNELLE
"À quoi sert un père ?"
"À quoi sert un père ?"
Le père, vous l'avez sans doute entendu déplorer un peu partout, est très mal en point aujourd'hui. Le terrorisme éducatif ayant été justement rejeté depuis déjà longtemps, il ne sait plus, bien souvent, depuis peut être un demi siècle, comment faire, quand il a le souci de faire au mieux pour élever ses enfants. Ce qui est déjà quelque chose, une bonne intention. Mais cela ne suffit pas. Comme vous le savez, l'enfer en est pavé. Aussi vais-je m'efforcer de vous éclairer, à la lueur de ma pratique d'analyste, témoin de la souffrance des enfants, des parents, et des enseignants; victimes, à des degrés divers, de la carence de la fonction paternelle.
Mon propos concerne donc au premier chef les parents, bien sûr, mais tout autant les enseignants et les éducateurs : ceux qui ont pour mission, avec les parents, d'accueillir l'enfant et de l'éduquer au mieux - parfois de suppléer totalement des parents désemparés. Eduquer, je vous l'indique au passage, c'est "conduire - hors" : hors de l'enfance, vers l'âge adulte, vers l'autonomie. Educateurs ou enseignants, ils sont face à l'enfant en position parentale, même quand on leur demande simplement de transmettre un savoir. Aucun enseignant, je pense, ne peut s'abriter derrière ce devoir d'instruire, en ignorant qu'il lui incombe aussi d'éduquer. S'il venait à le méconnaître, il en serait la premiere victime, de la part d'élèves gavés de savoir et méconnus dans leur être.
Même si elle déborde du cadre familial, c'est donc au coeur de la famille que commence la fonction paternelle. C'est là que s'illustrent le plus clairement ses déviations, ses carences, sa méconnaissance, de la part de parents qui s'en moquent, ou qui, croyant bien faire, font n'importe quoi.
Je vais vous illustrer ceci d'un court article, paru dans le magazine "ELLE" du 9 Mai dernier, témoignage de ce père d'un garçon de 9 ans et d'une fille de 7 ans, séparé de sa femme depuis deux ans. Ecoutez attentivement FRANCK.
"...Leur expliquer qu'on les aime toujours, faire prévaloir la joie, la bonne humeur, je fais tout pour qu'ils soient contents. Peut-être un peu trop... Je n'arrive pas à les punir, je ne leur refuse rien. Ils l'ont bien compris, ils adorents me faire tourner en bourrique. On est passés devant une boutique, il y avait un Marsupilami, ma fille a fait un caprice, je lui ai promis de le lui acheter pour son anniversaire, mais après un "s'il te plaît, mon papa chéri", j'ai cédé. Ce matin, ils m'ont traîné dans les boutiques, ils voulaient tous les deux une tenue complète... Je ne les ai qu'un week end sur deux et une fois sur deux pendant les vacances scolaires, alors, quand ils sont avec moi, c'est la fête ! Je ne suis là que pour les bons côtés : les cadeaux, les bonbons, les choses que l'on n'a pas le droit de faire chez maman, comme manger des McDo ou faire du vélo dans l'appartement !... On organise plein d'activités sympa...on adore partir tous les trois en Normandie... Le principal, c'est qu'on soit hyper complices, on rigole, on se titille, on se fait plein de câlins. Le dimanche je les raccompagne le coeur serré en attendant le prochain week end"
Rien d'extraordinaire, dans ce témoignage, vous avez certainement rencontré des pères qui se comportent comme FRANCK, sans que cela vous fasse sursauter. Car cet homme déborde de bonne volonté, de gentillesse, de souci de ses enfants, et ne manque pas d'intelligence même quand il perçoit vaguement "qu'il en fait peut être trop... qu'il n'a que les bons côtés". Mais on plaint la mère qui semble s'efforcer à plus de rigueur, et ne trouve chez son ex aucun appui. Car il ne sait pas ce que c'est qu'être père : il a tout faux. Gardez ce témoignage en mémoire, tout au long de mon exposé, que le contre-exemple de FRANCK illustrera.
A quoi sert donc un père ? A faire un enfant à la mère, bon, d'accord - là n'est pas le problème, encore qu'à l'époque actuelle, friande d'inventions perverses, on pourrait se poser quelques questions. Quelle est donc la fonction paternelle ? Je vais aller directement à l'essentiel. Eh bien un père sert à séparer les enfants de leur mère.
SÉPARER LES CORPS
Et tout d'abord, séparer les corps. Car le désir de la mère, comme celui de l'enfant - garçon ou fille - est de retrouver cette fusion initiale, cette plénitude que l'accouchement a rompue (et que les seins et les bras de la mère, ensuite, permettent de retrouver approximativement). Du côté de la mère, le "baby blues" en est une trace, cette déprime plus ou moins marquée qui suit souvent l'accouchement (et que la mère retrouvera, beaucoup plus tard, quand les enfants quitteront la maison). Les fenêtres des maternités d'autrefois étaient protégées par des grilles : on ne parlait pas de "baby blues", mais on savait qu'il pouvait y avoir des suicides, tant le désarroi qui suit la perte de cette complétude pouvait être grand. Du côté de l'enfant, observez la jouissance du nouveau-né que l'accoucheur dépose sur le ventre de sa mère, et dont les cris s'apaisent aussitôt : parce qu'il retrouve les bruits familliers du ventre maternel, qui ont été son fond sonore pendant 9 mois. Mère et enfant désirent retrouver la plénitude perdue. Le père incarne cette barrière nécessaire s'opposaant à leurs pulsions convergentes. Il représente, par sa seule présence, LA Loi, qui se formule ici par l'interdit de l'inceste.
Car l'inceste ce serait cela : le retour in utero, l'abolition de la naissance, la quête d'une absolue plénitude. Bref : une jouissance mortelle, car LA Loi est là : il faut en sortir pour vivre. LA Loi n'est écrite nulle part, c'est la loi de la Nature, ou - en termes lacaniens - un donné du réel. Dont l'expérience banale de chacun, puis les découvertes progressives de la science, permettent d'élaborer peu à peu les énoncés.
Comprenez bien tout d'abord que l'inceste véritable, qui ne concerne que la mère et son enfant, n'a rien de sexuel, et ne risque pas d'être commis : on ne revient pas en arrière. Mais il existe des conduites incestueuses, lorsque les pulsions s'efforcent de réaliser, ne serait-ce qu'imaginairement, quelque chose qui va dans le sens de l'inceste. Conduites qui provoquent l'angoisse, signalant ce danger mortel. Exemple : la mère ne peut pas remettre le petit dans son ventre, mais elle peut le faire dormir dans son lit. Et là, gare aux dégats ! Ce sont ces conduites incestueuses génératrices d'angoisse et de souffrance que la fonction paternelle va s'efforcer d'éviter.
Que doit faire le père, pour cela ? Aimer sa femme, et savoir se faire aimer d'elle. Eh oui ! Pour contrer les pulsions incestueuses de la mère, il faut, s'interposant entre elle et son petit, quelqu'un qu'elle aime, qu'elle désire, qui vient empêcher le tête à tête pathogène. L'enfant va s'identifier à ce premier autre, distinct du corps maternel. Comment cela se réalise t-il ? Lorsqu'elle parle à l'enfant, et mentionne ce tiers qu'est le père (on dit le père pour simplifier, mais ce peut être un autre homme qui compte pour elle, qu'elle désire, et dont elle parle à l'enfant). Lacan en a fait un concept : le, ou les, Noms-du-Père, qui sont, dans les premiers mois de la vie, l'énoncé premier de LA Loi, séparant les âmes comme l'accouchement a séparé les corps.
Cette séparation va se faire progressivement. Les premiers mois de la vie sont ceux du corps à corps mère-enfant, de leur jouissance sensuelle (à tous deux) dans ce contact qui les ravit. Elle va dorloter son bébé, éveiller sa sensualité aux caresses - sans aller bien sûr jusqu'à le masturber pour avoir la paix, comme cela se faisait dans le temps, avec des nourrices expéditives... Rien d'incestueux à cela, lorsque la mère sait garder sa place au père, dans son désir de femme, et ses ébats amoureux - en ne tombant pas dans le piège de faire couple avec son petit, sans plus s'occupper du père. Mais ce temps du "peau-à-peau" mère enfant doit prendre fin, avec le sevrage, et la maîtrise de la marche par l'enfant. La distance physique entre le corps de la mère et celui de son enfant se prend peu à peu, les caresses deviennent tendres, ne stimulant plus la sensualité de l'enfant.
Et le père, dans tout cela ? Beaucoup, aujourd'hui, croient être de bons pères, "en phase avec leur temps", en doublant la mère dans les soins de l'enfant, lui donnant le biberon, le torchant, jouant avec lui, etc... C'est très bien, mais tout à fait secondaire : la fonction paternelle, dans ces débuts, c'est simplement, je le rappelle, mais c'est capital, de garder sa place d'homme à côté de sa femme, de savoir l'aimer et se faire aimer d'elle.
Ajoutons encore ceci : que le père sache, lui aussi, éviter, les douceurs malsaines du corps à corps : c'est la mère ici, qui peut s'en apercevoir, et dire "stop" aux pères peloteurs. Cette remarque vaut aussi pour tous ceux qui ont charge éducative ou enseignante, hommes ou femmes.
Et cela semble bien concerner FRANCK : "...on rigole, on se titille, on se fait plein de câlins..." Ce ne sont pas des mots que l'on attend d'un père. Ceux d'un copain vaguement peloteur. Et en manque d'amour : car il se trouve, lui, le père, apparemment seul avec ses enfants. S'il y a une femme dans sa vie, elle ne tient pas beaucoup de place, ou bien il l'écarte lorsqu'il voit ses enfants. Aucune allusion n'est faite à une compagne, "ils partent en Normandie tous les trois". Les enfants semblent constituer l'essentiel de son univers, leur départ le laisse "le coeur serré". On fait comme on peut, mais FRANCK est dans la position difficile du parent solitaire, qui n'offre pas à ses enfants un foyer où un homme et une femme s'aiment. Bien sûr, cela ne se commande pas. Mais on peut savoir qu'il y a là un écueil, et savoir aussi que "se consacrer à ses enfants" est pour eux la pire des choses. FRANCK ne semble pas s'en douter.
SAVOIR DIRE NON
Maintenant que l'enfant touche à tout, sait ce qu'il veut, découvre un moyen de pression en faisant des caprices, il va falloir lui dire non. La fonction paternelle va se faire interdictrice, elle va maintenant s'exercer en apprennant à l'enfant qu'il ne peut tout faire, tout avoir, bref : elle va lui donner le sens des limites. Comprenez bien, parents et éducateurs, cette nécessité de mettre une butée aux pulsions de l'enfant : en s'inclinant devant ceci ou cela, il apprend à renoncer à réaliser ses désirs, et, au-delà du quotidien banal, il se prépare à renoncer à ses désirs incestueux, évitant l'angoisse, et la pathologie qui en découle.
Qui s'oppose tout d'abord à l'enfant ? La mère, qui est son interlocuteur habituel. C'est par elle que passe, au début, LA Loi. Mais elle va progressivement déléguer son pouvoir au père, et se faire aider par lui. Elle va se référer à sa parole, il devient le représentant de LA Loi au sein de la famille. "Ton père a dit...", dira-t-elle à l'enfant. Ce n'est pas une nuance de style, c'est une nécessité qui s'impose lorsque l'enfant grandit : la loi se décroche de son ressort initial (faire ce qui fait plaisir à la mère, pour être aimé d'elle). La transgression se fait moins angoissante que chez le tout petit (perdre l'amour de la mère) parce qu'elle entraîne seulement une sanction, qui a valeur de rachat, déculpabilise, remet les choses en place.
Malheureusement, nombreux sont les parents qui répugnent à sanctionner, s'épuisent à "faire la morale", s'énervent, crient, multiplient les injonctions non suivies d'effet et perdent ainsi toute autorité. L'illusion d'une éducation "soft", dans la douceur, fait des ravages. Il faut à l'enfant un cadre - sécurisant - de règles de vie simples, minimales, non étouffantes, mais assorti de sanctions fermement appliquées. Sans sursis : le sursis ne se justifie que si la règle était ignorée. Sinon, il est signe de faiblesse, d'inconsistance de la loi, donc insécurisant.
Il y a pire : lorsque la mère trahit le père, bafoue son autorité, dissimule les incartades de l'enfant dont elle devient complice. Invoquant parfois comme excuse la violence du père. Ce peut être vrai, et il est alors nécessaire de remettre en cause la conduite du père - mais sans pour cela devenir complice de l'enfant. Là est l'origine de comportements infantiles et asociaux qui éclatent souvent à l'adolescence, et aboutissent parfois à faire de l'enfant un adulte psychopathe.
Et FRANCK ? Il ne sait rien de tout ceci. "je n'arrive pas à les punir, je ne leur refuse rien... ils adorent me faire tourner en bourrique" Il incarne jusqu'à la caricature la stupidité d'un brave homme qui croit aimer ses enfants et faire leur bonheur en les préparant bien mal à affronter les réalités de l'existence... On aimerait savoir la suite. Mais il nous pose, par sa bêtise même, une question cruciale : qu'est ce donc qu'aimer son enfant ?
"JE TE DIS NON PARCE QUE JE T'AIME !"
Sculpture
sur brique réfractaire de François Pous (1911-2003). Photo JCG.
Le conseil est de Françoise Dolto, à une mère qui se désole de penser que si elle dit non à son enfant, celui-ci se croira mal-aimé. Mais retenez de cete formule ce qu'elle implique et qui est capital : le "non" nécessaire, l'exercice de la fonction d'autorité, ne se conçoivent que s'il y a, d'abord, l'amour. Si l'enfant ne se sent pas aimé, l'interdit va être reçu comme une brimade, un rejet supplémentaire. Il s'inclinera peut-être devant la raison du plus fort, mais il n'intégrera pas LA Loi, baignera dans l'angoisse et la violence.
FRANCK, en contre-exemple, illustre ce qui se donne pour de l'amour, sans l'être. "Leur expliquer qu'on les aime toujours" : quand il s'agit d'aimer, les mots sont toujours suspects de mensonge, d'illusion, de manipulation. Ce sont les gestes qui disent l'amour, non les mots. Ici, FRANCK croit aimer ses enfants, mais quand il reconnaît "qu'il n'arrive pas à les punir", il est probable qu'il livre ce qui l'anime : un amour narcissique pour lui-même, FRANCK, à travers ses enfants. Il se complaît dans sa propre image infantile, à travers celle de ses enfants. Il s'identifie à eux, et les traite comme il aimerait qu'on le traite, ou qu'on l'ait traité, enfant. Tout son discours, optimiste et déréel, trahit le gamin qu'il est resté - comme bien des pères d'aujourd'hui.
Aimer un enfant n'est pas foncièrement différent d'aimer un adulte, dans le couple. Sauf que le sexe est laissé de côté. Notre code occidental étend à tous les enfants la règle de l'interdit de l'inceste, reconnaissant en tous les adultes des substituts parentaux. C'est d'ailleurs ainsi que l'enfant les perçoit.
L'élan vers l'autre, qui caractérise d'abord l'amour, n'est pas forcément au rendez-vous. On peut ne pas aimer ses enfants. Les éducateurs, en particulier, ont à s'occupper d'enfants qui peuvent leur être antipathiques. Mais l'élan vers l'autre n'est pas, ici, où le sexe est laissé de côté, nécessaire. C'est un "plus", certes, mais dont on peut se passer. Car aimer, c'est d'abord être attentif à l'autre, à l'écoute de ce qu'il dit, le reconnaître dans ses désir, même s'ils sont très différents des nôtres. Respecter "sa différence", comme on se plait à le répéter aujourd'hui, en pervertissant le sens de cette formule. Car le respect pour l'autre n'implique nullement de croire tout ce qu'il dit et de lui accorder tout ce qu'il demande. Et n'exclut nullement la fermeté à son égard, lorsqu'il le faut.
Mais pas plus qu'il ne faut... Combien de parents infligent à leurs enfants les retombées de leur propre névrose, les engluent dans leur désir sans se rendre compte - comme FRANCK - de leur méconnaissance d'eux-mêmes et de la pathologie qu'ils suscitent. Au moins peut-on savoir que l'inconscient qui nous anime nous joue des tours, dont nos enfants peuvent être victimes. Les conseils éducatifs sont ici de peu de poids. Il peut être alors nécessaire de parler à un psychanalyste, pour y voir un peu plus clair en nous-même et dans notre relation à nos enfants.
LA DIFFERENCE DES SEXES,
NOUVELLE PRESENTATION DE LA LOI
NOUVELLE PRESENTATION DE LA LOI
Eduquer un enfant, c'est enfin l'amener à assumer sa sexuation, son désir d'homme, ou de femme : qui n'est pas simplement accès au plaisir génital, mais fonde le dynamisme de tout l'être. On entre maintenant dans le "roman d'amour" oedipien, largement vulgarisé aujourd'hui. Cela commence lorsque l'enfant se tripote, et s'interesse à la différence des sexes.
Il s'agit, pour le petit garçon, de renoncer à posséder un jour sa mère, pour la petite fille d'épouser un jour son papa - comme elles le disent souvent naïvement. L'intégration de LA Loi, sous la forme - maintenant clairement vécue - de l'interdit de l'inceste, permettra à l'enfant de s'intéresser à autre chose qu'à l'amour pour papa-maman, au travail scolaire en particulier.
Un petit garçon qui rêve en classe, rêve de vous, Madame... C'est au papa de dire au garçon que la mère n'est pas pour lui, non pas parce qu'il est le plus fort... mais parce que c'est comme ça, que tous les hommes doivent s'y soumettre. N'essayez pas de justifier rationellement LA Loi : nous buttons ici sur le réel. Que l'enfant découvre qu'il lui faut s'incliner, même s'il ne comprend pas pourquoi, est un apprentissage de la sagesse - mais pour cela, il faut que le père lui-même lui donne l'exemple de cette soumission à ce qui nous dépasse.
Lorsque votre petite fille vous déclare que, quand elle sera grande, elle se mariera avec vous, ne vous contentez pas de sourire gentiment, Monsieur, car c'est sérieux ! Elle essaie d'obtenir ce qu'elle croit qui lui "manque" : un pénis, ou un enfant qui en sera le substitut, pour enfin, après avoir comblé le "manque", espérer se sentir rassurée sur son identité de femme. Pourquoi, croyez-vous, les petites filles jouent-elles à la poupée ? Pour faire comme maman, bien sûr, et posséder cet "enfant-phallus" comblant leur manque imaginaire (leur manque : d'une image visible de leur sexe). Même si tout cela vous paraît rocambolesque, restez sérieux et attentif, et efforcez vous - dans les termes qui vous conviennent - de lui faire parvenir ce message : "mais oui ma fille, tu es belle, tu as tout ce qu'il faut pour plaire à un homme plus tard (vous efforçant ainsi d'apaiser sa crainte de n'être pas "finie" comme l'est le garçon) — mais je ne suis pas pour toi". Fort peu de père comprennent ce qui se joue de douloureux dans la tête de leur petite fille, n'étant pas eux-mêmes passés par là. A vous les mamans de le leur expliquer. A vous aussi, les éducateurs, d'essayer d'éclairer les enfants sur ce qu'est la différence des sexes que tous, garçons comme filles, ont du mal à comprendre comme une différence, en étant les jouets de leurs perceptions, n'y voyant qu'une soustraction.
Au bout du compte, l'enfant est ainsi préparé à aimer "de tout son corps", lorsqu'il en aura la possibilité physique, à l'adolescence. Cette évolution vers la maturation sexuelle peut être entravée si les parents ne jouent pas leur rôle, si le père se désintéresse de ses enfants, si la mère s'accroche à eux du fait de sa névrose, ou compense avec eux le ratage de l'amour du couple.
Elle est facilitée lorsque depuis la petite enfance, la règle du "chacun dort dans son lit" est fermement appliquée : le prendre avec vous, les parents, parce qu'il est malade, est un piège : il risque de retomber souvent malade pour "remettre ça". L'évolution oedipienne se fait enfin au mieux lorsque le couple parental est un vrai couple, où le désir sexuel concrètement vécu par les parents, fait comprendre à l'enfant qu'il y a des moments où il est exclu - mais oui, l'exclusion est ici une nouvelle formulation de LA Loi. Nombreux sont les parents qui sont génés de fermer à clef la porte de leur chambre, comme si leur enfant avait le droit d'y pénétrer quand il le veut, sous peine de se sentir mal aimé ! Assumer la fonction paternelle, c'est savoir la valeur d'un tour de clef... et ne pas en faire mystère avec les enfants. Comme dans ce foyer où les enfants comprennent fort bien ce qui se passe, et vous le disent avec un sourire entendu : "tous les Dimanches matins les parents font la grass'mat' et il ne faut pas les déranger..."
FRANCK ici ne dit plus de bêtises. Justement, parce qu'il n'est plus dans le coup : une femme dans sa vie, s'il y en a une, ne tient guère de place, il la cache lorsque ses enfants sont là. Là encore, il a tout faux : une belle mère ou une copine du papa ne plairait peut être pas aux enfants, mais elle serait à la place de la mère, occupperait le lit du père, et ferait concrètement comprendre aux enfants qu'ils ne sont pas tout l'horizon affectif de ce dernier. Alors que cet homme sans femme, en position duelle face aux enfants, se trouve dans la position d'une mère. Ils n'ont plus de père quand ils sont avec lui...
Retenez l'essentiel de mon propos : la fonction paternelle, qui met en place LA Loi au coeur de l'être, est incarnée par la présence de ce tiers entre mère et enfant, le père. Mais c'est la mère qui lui donne sa place, et assume initialement la fonction interdictrice. L'un et l'autre sont nécessaires pour que l'enfant découvre son désir, et les limites qui s'imposent à son désir.
QU'EN EST-IL AUJOURD'HUI DE LA FONCTION PATERNELLE ?
Méconnaître l'importance de la fonction paternelle se paie très cher. C'est par elle que l'enfant apprend à maîtriser ses pulsions, accepte la solitude, évite les retombées pathologiques de l'angoisse : névrose, psychoses, psychopathie, dépression, perversions, etc... sans parler des ravages de l'idéologie, parade, au niveau social, à l'angoisse.. On se préoccuppe beaucoup actuellement des troubles de l'adolescence, face auxquels on est bien souvent désarmé, en oubliant que l'adolescent perturbé a été, le plus souvent, un enfant mal élevé. Pourquoi cet oubli ? Pourquoi cette carence de la fonction paternelle ? Deux raisons principales.
1 - Une psychiatrie importée des USA, qui oublie de rencontrer un sujet et sa souffrance, et patauge dans des références quasi exclusivement comportementales et biologiques.
L'invention de cette "maladie" nouvelle qu'est l'enfant "hyperactif" en est un exemple. Auparavant, on parlait d'instabilité psychomotrice, ou d'instabilité caractérielle, dont il fallait rechercher la cause. Aujourd'hui, puisqu'il est malade, on lui donne un médicament. C'est même parce qu'on voulait vendre ce médicament nouveau qu'on a inventé la maladie nouvelle... Ce médicament peut calmer l'enfant, en effet, mais laisse de côté la cause de son anxiété. Car sous l'agitation de l'enfant, il y a l'anxiété. Et celle-ci, le plus souvent, trouve sa source au sein de la famille, en particulier lorsque la carence de la fonction paternelle insécurise l'enfant. Bref : ce "malade" hyperactif est en général un enfant mal élevé. Mais le déclarer malade convient à tout le monde : au médecin satisfait de la réussite de son art, aux parents qui ne sont pas mis en cause ("s'il est malade, je n'y suis pour rien"), aux laboratoires pharmaceutiques qui vendent leur produit. Tout le monde y gagne - sauf l'enfant dont l'environnement pathogène inchangé pourra déclencher d'autres troubles, une fois l'accalmie médicamenteuse passée.
Ce qui est grave n'est pas le médicament lui-même, qui peut être très utile (comme le sont les tranquillisants ou les antidépresseurs), mais ce discours sur une maladie qui n'existe pas, déresponsabilisant parents et médecins. Allez donc voir, si la TV veut bien lui redonner une place, comment s'y prend "Super Nanny", pour apaiser les agités ! Pour une fois qu'un "sujet de société" est présenté intelligemment, ne manquez pas l'émission !
On met Freud au panier, et on voit des maladies partout - en particulier dans la névrose, cette "maladie de la vie", qui touche tout le monde, peu ou prou, et nécessite une remise en cause personnelle, si l'on veut améliorer les choses, bien au-delà de l'aide que peut apporter le médecin. Le prestige actuel des neuro-sciences n'arrange rien : utiles pour la recherche, ou la découverte de nouveaux médicaments, elles ne servent strictement à rien sur le terrain. On sait tout sur le neurone, et on oublie que le malade est un être en souffrance, dont la parole en dit plus que tous les discours savants sur les neuro-transmetteurs. Quand vous aurez appris que vous fonctionnez avec votre cerveau gauche, ou votre cerveau droit, vous serez bien avancé...
Bref, la psychiatrie devient une médecine du corps malade, qui vous traite comme vous traitez votre autommobile en panne : au garagiste de s'en occuper. Si cela n'a guère d'importance pour l'appendicite ou la rougeole, dans la sphère psy c'est catastrophique. Le psychiatre est devenu un chimiste qui ne sait plus écouter et observe votre comportement, comme d'autres observent celui des canards ou des chimpanzés.
2 - Il y a pire : un discours médiatique pétri d'optimisme et d'illusions - il faut tenir compte de l'audimat... Le droit au bonheur est inscrit dans la constitution américaine, être positif s'impose (et culpabilise un peu plus ceux qui n'y arrivent pas), nos oreilles vibrent d'entendre évoquer partout le "top niveau", et les beaux discours nous parlent d'abolir "la fracture" (sociale) et "l'exclusion". Ce n'est pas le dessein politique qui est criticable, mais les mots. Or les mots mènent le monde, et la fracture (au coeur d'un être radicalement divisé) et l'exclusion (évoquée plus haut) sont deux manières de vivre LA Loi. Pas étonnant qu'à vouloir faire rêver les citoyens à son abolition, on ne rencontre ensuite que morosité, désillusion, sentiment d'être victime d'injustice (les avocats n'ont jamais tant travaillé), et violence.
Ce qui est méconnu, comme l'est le sujet et sa parole par la psychiatrie new look, c'est le réel, ce qui est, dont la science découvre les lois, sans prétendre pouvoir en faire jamais le tour. Mais en nous permettant de vivre mieux, si nous tenons compte de l'enseignement et des contraintes qu'il nous impose. L'électricité a bien des avantages - mais Claude François a payé de sa vie la méconnaissance de cette règle bien simple, qui veut que l'on ne tripote pas une ampoule dans une salle de bain.
L'approche du réel de l'âme humaine nous fait découvrir les règles qui régissent la "nature humaine", sans nier pour autant l'impact de la biologie et de la société. C'est ce qu'un discours médiatique dominé par une vision strictement sociologique de l'homme a tendance à oublier. Certes la société fait l'homme - mais elle ne fait pas tout l'homme. Nous sommes frères de l'homme de Cro Magnon. Il y a des invariants qui s'imposent, au fil des âges et des cultures, et parmi ceux-ci, la fonction paternelle. La découverte freudienne du complexe d'Oedipe a pu être contestée par certains qui l'ont réduite au roman d'amour oedipien : le petit garçon amoureux de sa maman, etc... Ceci n'est qu'une superstructure, variable selon la culture : chez les mélanésiens, c'est l'oncle frère de la mère qui représente LA Loi, le géniteur ne jouant qu'un rôle effacé. L'essentiel se joue au niveau de la structure intime de l'être, que j'ai exposée en décrivant la fonction interdictrice du tiers.
Or ce tiers paternel est volontiers bafoué aujourd'hui, par exemple dans les discours réclamant l'instauration d'un mariage gay, ou par la suppression de la prépondérance du patronyme paternel. Il n'est pas sûr que ces inventions perverses (qui s'efforcent de transgresser LA Loi) aient, dans le concret, des conséquences dramatiques : personne ne peut le dire avant de l'avoir observé, il peut se faire des suppléances (les grand mères vont avoir du travail), cela ne concernerait sans doute que peu de cas, etc... Et combien de couples hétérosexuels massacrent leurs enfants sans que personne s'en émeuve, tant qu'ils n'ont pas de bleus bien visibles ? Ce qui est nocif, c'est la pagaille que cela introduit dans les esprits : les enfants de parents paumés perdent leurs repères, en particulier à l'adolescence, où les garçons sont particulièrement tourmentés par leur identité sexuelle, et par la perception de leur bisexualité. D'où un surcroit d'angoisse, à cet âge déjà difficile. Or, en dehors des protestations idéologiques qui ne peuvent influencer que les croyants convaincus, qui entend on réagir, aujourd'hui, au nom d'une connaissance rationnelle de l'être, face à ces discours pervers ? A part quelques isolés dans la rubrique "opinions" des quotidiens, pratiquement personne. C'est la dictature médiatique d'un "politiquement correct" bafouant La Loi, le réel, la fonction paternelle et la science.
Jamais un enfant ne représentera la même chose pour l'homme que pour le femme. Prétendre remplacer l'un par l'autre est une ineptie. Et il a besoin des deux. Bien sûr il y a des familles monoparentales, et il y a toujours eu des veufs et des veuves qui ont su élever leurs enfants (en parlant à l'enfant du conjoint disparu). On fait comme on peut. Mais présenter en modèle alternatif n'importe quoi et le soumettre à la décision des électeurs, est une ânerie. Le législateur le sait-il vraiment ? Est-il soucieux de s'informer auprès de ceux dont c'est le métier de savoir de quoi il retourne ? Saura-t-il résister aux revendications des pères frustrés qui donnent un écho paradoxal aux revendications féministes, aux pressions en faveur d'un mariage gay ? En attendant, sur le terrain, ce sont souvent des décisions malheureuses concernant les enfants du divorce (exemple : la garde alternée), et - comme l'illustre FRANCK - la multiplication des "papas poules" et des "pères copains".
***
Ce qui est ainsi bafoué, et de multiples façons, bien au-delà des deux domaines évoqués ci-dessus, c'est le réel, qui impose à l'être de n'exister que séparé, exclu, sans espoir d'une parfaite complétude, en gardant présent à l'esprit le sens des limites et de sa finitude. Or notre société occidentale vit dans le leurre d'idéologies diverses, dans son avidité à croire en un monde enfin harmonieux. Chaque groupe de pression essayant d'imposer ses vues, au gré de ses désirs.
L'idéologie nous apporte certitudes, jouissance — et déboires.
La science, en quête du réel, impose à la fois le doute et la rigueur.
On souhaiterait que les médias aient davantage conscience de leur responsabilité dans l'information, et ne se préoccupent pas simplement de faire grimper l'audimat...
On aimerait que le législateur sache que le vrai ne sort pas obligatoirement des urnes, et que le réel peut avoir des exigences qui ne plaisent pas aux citoyens. Et qu'il ait le courage de le leur dire...
Chacun de nous enfin pourrait se souvenir que le réel est, et commande. Ceci nous concerne tous, dans une société dont nous sommes acteurs, donc responsables, dans notre contexte démocratique. Nous lisons, nous parlons, nous votons, nous avons un certain pouvoir - ne serait-ce que celui de témoigner - dans notre entourage proche.
Découvrir et assumer ces petits bouts de vérités, émanant du réel, au hasard des rencontres, des lectures, ou des discours, comme je viens de m'y efforcer, peut être dur, voire choquant — et va vous faire traiter de "ringard" par ceux à qui cela ne plait pas. Eh oui ! Mais cela peut déboucher sur un mieux vivre, à condition d'accepter une remise en cause de vos options idéologiques : une petite révolution personnelle...
Mais "seule la vérité est révolutionnaire", comme l'a dit... Freud ? Lacan ?
Non ! Lénine !"
Dr Michel Pouquet, Psychanalyste, Toulon, Février 2006
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