Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Actualité de La grève de masse de Rosa Luxembourg

24 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Je mets en ligne cet article et cette vidéo de Solidarité et Progrès. Ce sont des analyses très claires.
Lire aussi cet article sur la faille de Marx:
composition technologique du capital contre composition organique.
Et mon analyse critique de cet article.
grossel


 

La Grève de masse de Rosa Luxemburg
et son actualité aujourd’hui
30 septembre 2009

 
 
De mémoire récente, la seule expérience des populations occidentales avec le ferment de grève de masse est la série de révolutions qui ont mené à la chute du mur en 1989. Des centaines de millions de gens sont descendus dans la rue et ont renversé en l’espace de quelques mois seulement les régimes socialistes d’Europe centrale. Ces événements avaient été anticipés un an plus tôt par l’économiste politique américain Lyndon LaRouche, lors d’une conférence de presse à l’Hôtel Kempinski de Berlin le 12 octobre 1988. Les raisons qu’il avait évoquées étaient de nature économique, l’Union soviétique ayant rejeté l’offre de l’administration Reagan pour une mise en œuvre conjointe de l’Initiative de défense stratégique, et s’étant lancée à corps perdu dans un processus d’accumulation primitive à l’encontre des peuples qui lui étaient assujettis.

LaRouche avait également affirmé, après la chute du mur, que l’« autre chaussure allait tôt ou tard tomber en Occident ». Après avoir pillé les pays du Tiers Monde, la Cité de Londres et ses satellites se sont maintenant rabattus, comme l’avait fait l’Union soviétique au cours des années 80, sur des méthodes d’accumulation primitive contre les peuples occidentaux plus ou moins épargnés jusqu’à présent.

Qui était Rosa Luxemburg ?

De la même manière, l’autorité de Rosa Luxemburg sur la question de la grève de masse est liée à son rôle en tant que dirigeante politique et à sa compétence en tant que l’un des rares grands économistes politiques des 150 dernières années. Elle avait compris que l’émergence de grèves de masse était, sous certaines conditions économiques et historiques, inévitable.

Née en 1871, troisième muse polonaise avec la claveciniste Wanda Landowska et la physicienne Marie Curie, Rosa Luxemburg était un économiste brillant, l’une des rares à critiquer Marx non pas d’un point de vue idéologique mais de celui de la recherche de la vérité. Elle était également une personnalité politique majeure à une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de vote.

Luxemburg fonda la Ligue Spartacus en 1914, en s’opposant résolument au soutien des sociaux-démocrates à la Première guerre mondiale, puis le Parti communiste allemand en décembre 1918, lorsqu’il devint évident que la social-démocratie allait trahir de nouveau la classe ouvrière. Lors de la vague de grève de masse qui éclata en Allemagne au lendemain de la Guerre, elle fonda avec Karl Liebknecht le Drapeau rouge (Rote Fahne), afin d’orienter le mouvement. Elle et Liebknecht furent assassinés par des miliciens d’extrême-droite le 19 janvier 1919, avec la complicité de certains sociaux-démocrates exerçant alors le pouvoir.

Rosa Luxemburg fut l’auteur de plusieurs études économiques d’envergure et de centaines d’articles touchant à la politique et à l’économie. Son essai de 1906, Grève de masse, parti et syndicat est une œuvre prémonitoire, résultant de son étude des conséquences économiques et politiques de l’impérialisme de la fin du XIXe siècle.

Dans une récente discussion concernant la mobilisation d’août aux Etats-Unis contre le projet de réforme de la santé du Président Obama, l’économiste américain Lyndon LaRouche faisait part de son estimation selon laquelle on assistait aux premières manifestations d’une grève de masse, au sens strict où l’entendait Rosa Luxemburg dans son essai.

Il ne s’agit pas ici de sémantique, ni d’un échange de rhétorique entre professeurs de Sciences politiques, mais d’une question urgente : la survie même des nations europénnes et des Etats-Unis dépend d’une mobilisation sans précédent de ses populations – en fait, d’une grève de masse. Mais quelles sont les conditions nécessaires à son émergence ?

Bien que les conditions économiques, sociales et culturelles ne soient pas identiques aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe à celles qui prévalaient en 1906 en Russie, en Pologne et en Allemagne lorsque Rosa Luxemburg écrivit son essai, les similarités sont plus importantes que les différences. Une grève de masse se déclenche pour des raisons qui sont historiquement spécifiques, certes, mais toujours parce qu’un peuple prend soudainement conscience que son existence même, que tout ce qui compte pour lui est menacé.

Ce n’est pas par hasard si LaRouche, pour qui l’économie doit toujours être vue comme un processus physique, a compris, comme Rosa Luxemburg en son temps, que la grève de masse une fois déclenchée est une force physique qui peut devenir irrésistible.

Pour toutes ces raisons, Luxemburg voyait la grève de masse comme un phénomène scientifique, et décriait les apprentis sorciers parmi les dirigeants de la gauche de son époque, qui prétendaient pouvoir déclencher voire interdire la grève de masse : « C’est sur le même terrain de la considération abstraite et sans souci de l’histoire que se placent aujourd’hui d’une part ceux qui voudraient déclencher prochainement en Allemagne la grève de masse à un jour déterminé du calendrier, sur un décret de la direction du Parti, et d’autre part ceux qui, comme les délégués du Congrès syndical de Hambourg, veulent liquider définitivement le problème de la grève de masse en en interdisant la ‘propagande’. L’une et l’autre tendances partent de l’idée commune et absolument anarchiste que la grève de masse n’est qu’une arme purement technique qui pourrait à volonté, selon qu’on le juge utile, être ‘décidée’ ou inversement ‘interdite’, tel un couteau que l’on peut tenir fermé pour toute éventualité dans la poche ou au contraire ouvert et prêt à servir quand on le décide. » [1]

Massenstreik (Grève de masse, parti et syndicat), édition allemande de 1919, publiée à Leipzig
En 1906, lorsque Luxemburg écrivit Grève de masse, parti et syndicat, nul n’ignorait les évènements révolutionnaires en Russie de 1905, mais c’est Luxemburg qui prit la peine d’en élucider les causes tant économiques que politiques : « Si le déclenchement des grèves dépendait de la ‘propagande’ incendiaire des ‘romantiques de la révolution’ ou des décisions secrètes ou publiques des Comités directeurs, nous n’aurions eu jusqu’ici aucune grève de masse importante en Russie. Il n’y a pas de pays où l’on ait aussi peu pensé à ‘propager’ ou même à ‘discuter’ la grève de masse que la Russie. (…) La révolution russe nous apprend donc une chose : c’est que la grève de masse n’est ni ‘fabriquée’ artificiellement, ni ‘décidée’ ou ‘propagée’, dans un éther immatériel et abstrait, mais qu’elle est un phénomène historique, résultant à un certain moment d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique ».

C’est ainsi qu’elle décrit minutieusement la multiplication de soulèvements depuis la première et apparemment « insignifiante » grève économique de 40 000 ouvriers de Saint-Pétersbourg en mai 1896 jusqu’à la « troisième grève générale de masse », à caractère politique, « qui s’étendit à l’Empire tout entier » en décembre 1905 : « La grève de masse tel que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu’il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d’application, sa force d’action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l’on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l’Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux, tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades – toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre, c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. »

Avec cet esprit rigoureux qui la caractérise, Luxemburg insiste qu’il n’y aura pas de Grand Soir, en tant que tel, mais que les dirigeants de la classe ouvrière se doivent d’être attentifs, sur de longs mois, souvent sur des années, à tout ces petits cours d’eau qui confluent dans l’immense fleuve de la grève de masse : « Il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. (…) Si l’on considère les innombrables et différentes grèves de masse qui ont eu lieu en Russie dans la période récente, une seule variante, et encore d’importance secondaire, correspond à la définition [convenue, ndla] de la grève de masse, acte unique et bref de caractère purement politique, déclenché et stoppé à volonté selon un plan préconçu, il s’agit là de la pure grève de démonstration. (…) Toutes les autres grèves de masse partielles ou grèves générales furent non pas des grèves de démonstration mais de lutte ; comme telles elles naquirent spontanément à l’occasion d’incidents particuliers locaux et fortuits, et non pas d’après un plan préconçu et délibéré et, avec la puissance de forces élémentaires, elle prirent les dimensions d’un mouvement de grande envergure. »

La grève de masse naissante aux Etats-Unis

Depuis plusieurs mois déjà, des centaines de milliers de gens se sont précipités aux Etats-Unis à ce qu’on appelle des « town hall meetings » convoqués par les parlementaires chargés de défendre la politique de santé du Président Obama. Ces meetings sont devenus de véritables manifestations d’opposition au pouvoir en place, non pas une opposition sur un sujet particulier, mais un rejet général de sa trahison. Les revendications, à la fois précises et générales, à la fois économiques et politiques, la grande diversité dans les opinions politique et les origines sociale des citoyens, leur colère vis-à-vis de tous les partis officiels, la multitude des événements [2], tout correspond à la description qu’a faite Rosa Luxemburg de la grève de masse.

Délibérémment passés sous silence par les médias officiels, que ce soit la presse écrite ou audio-visuelle, ces évènements revêtent une couleur très particulière en raison du contexte, explosif. Après quarante années de désindustrialisation, de sous-investissement dans l’infrastructure et de paupérisation des ouvriers et agriculteurs, les américains ont subi l’éclatement en août 2007 de la bulle financière. Ensuite, le renflouement à hauteur de 24 000 milliards de dollars des banques et compagnies d’assurance par les administrations Bush et Obama, les quatres millions d’emplois perdus depuis le début de l’année 2009 et l’épuisement rapide des indemnités versées, la saisie de deux millions de propriétés et la multiplication des tent cities (des communautés de personnes ayant perdu leur logement et vivant dans des tentes) aux abords des grandes villes américaines, le nombre croissants de salariés nécessitant des coupons alimentaires pour compenser les nombreux jours de travail perdus (40% des bénéficiaires de coupons alimentaires sont aujourd’hui salariés, contre 25 % il y a deux ans), tout cela est accompagné d’un discours sur la montée des déficits budgétaires et la nécessité de mesures d’austérité encore plus draconiennes pour équilibrer les budgets.

Selon l’actuel économiste en chef du FMI, un keynésien se réclamant du « socialisme », la « stimulation » de l’économie (sous-entendu le renflouement des banques et des mesures de soutien à la consommation) n’est possible qu’en coupant massivement dans les budgets sociaux publics, et surtout dans les dépenses de santé et les retraites. Et selon le directeur général du FMI, « Keynes a fait davantage que Rosa Luxemburg pour la classe ouvrière » ! [3]

On entend souvent dire que grâce à la crise les salaires vont enfin pouvoir baisser et que la reprise sera malgré tout pauvre en emplois. Des dirigeants croulant sous les privilèges affirment que l’on peut à nouveau, comme l’avait prescrit Keynes en son temps, relancer la consommation tout en abaissant les niveaux de vie, grâce à une inflation délibérément organisée masquant la baisse des salaires réels et une bonne dose de propagande.

On voit bien ici que les contradictions sont nombreuses et que nous avons atteint les limites du système : les conditions pour l’éclosion d’une grève de masse sont aujourd’hui réunies tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

Nos contradicteurs de tous partis politiques confondus, ceux qui insistent qu’il n’y aura jamais de grève de masse en Occident, considèrent soit que la misère n’est pas « encore » assez terrible pour que la population se soulève, soit que l’action combinée des stupéfiants et de l’industrie du divertissement l’a tellement abrutie que son énergie vitale s’est définitivement éteinte.

C’est ignorer ces périodes exceptionnelles où le citoyen se trouve soudainement en état de recevoir ce que le poète anglais Shelley appelle « des conceptions profondes et passionées concernant l’homme et la nature » ou ignorer ce que disait Rosa Luxemburg en comparant la situation de l’Allemagne à celle de la Russie : « Six mois de révolution feront davantage pour l’éducation de ces masses actuellement inorganisées que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts. Et lorsque la situation en Allemagne aura atteint le degré de maturité nécessaire à une telle période, les catégories aujourd’hui les plus arriérées et inorganisées constitueront tout naturellement dans la lutte l’élément le plus radical, le plus fougueux, et non le plus passif. »

Au moment où Rosa Luxemburg écrivait ces lignes, l’Allemagne entrait dans une période de transition, qui faisait suite à quinze années de relative prospérité au cours desquelles s’étaient développées de puissantes organisations syndicales. Cette éphémère prospérité avait amené les syndicats à négliger leurs responsabilités politiques, et ainsi non seulement à proclamer leur neutralité vis-à-vis du Parti social-démocrate, mais surtout à ne prendre aucunement en compte les conséquences, pour la classe ouvrière, des agissements de l’impérialisme britannique, et plus généralement, européen.

« Les fonctionnaires syndicaux, explique Luxemburg, du fait de la spécialisation de leur activité professionnelle et de la mesquinerie de leur horizon, résultat du morcellement des luttes économiques en périodes de calmes, sont devenus victimes du bureaucratisme et d’une certaine étroitesse de vues. » Elle ajoute : « Les dirigeants syndicaux en sont venus peu à peu à perdre le sens des grands rapports d’ensemble et de la situation générale. Ainsi s’explique, par exemple, que beaucoup de dirigeants syndicaux aient mis l’accent avec tant de complaisance sur les succès des quinze dernières années, sur les millions de marks d’augmentations de salaires, au lieu d’insister au contraire sur les revers de la médaille : l’abaissement simultané et considérable du niveau de vie des ouvriers, dû au prix du pain, à toute la politique fiscale et douanière, à la spéculation sur les terrains, qui fait monter les prix de manière exorbitante, bref sur toutes les tendances objectives de la politique bourgeoise qui ont partiellement annulé les conquêtes de quinze ans de luttes syndicales. »

Le niveau de vie des ouvriers allait se dégrader beaucoup plus rapidement au cours de la décennie à suivre mais la grève de masse qu’avait anticipée Rosa Luxemburg en Allemagne n’a pas eu lieu. Se serait-elle trompée ?

Non ! Ce sont les dirigeants socialistes qui, en votant le 4 août 1914 les crédits de guerre au parlement allemand et abandonnant toute opposition à la Première Guerre mondiale, ont trahi Luxemburg et les travailleurs qu’ils prétendaient représenter.

Il a fallu attendre la fin catastrophique de cette guerre, et le 9 novembre 1918, pour qu’éclate la révolution qui mit fin au règne de l’Empereur Guillaume II et jeta les bases de la République de Weimar, révolution « survenue après quatre ans de guerre, après quatre années au cours desquelles, grâce à l’éducation [4] que lui ont fait subir la social-démocratie et les syndicats libres, le prolétariat allemand a révélé une dose d’infamie et de reniement de ses tâches socialistes qui n’a son égal dans aucun autre pays ».

Donner une orientation politique générale à la grève de masse

Nous avons vu que Luxemburg parle « du degré de maturité nécessaire à une telle période ». Que veut dire « maturité » dans la situation actuelle, en 2009 ? Il s’agit non pas d’un concept « absolu » mais relatif, c’est-à-dire qui dépend de circonstances historiques spécifiques à chaque époque et aussi d’une subjectivité spécifique chez les individus susceptibles de participer à une grève de masse.

Toute la difficulté pour les dirigeants et militants politiques que nous sommes, est d’appréhender ces circonstances de « maturité » spécifiques lorsqu’elles surviennent et d’être prêts à agir avec non moins de sagesse que d’énergie le moment venu.

Cela, Luxemburg l’avait parfaitement compris, et elle l’a prouvé par ses propres actions : « Il est hors du pouvoir de la social démocratie de déterminer à l’avance l’occasion et le moment où se déclencheront les grèves de masse en Allemagne, parce qu’il est hors de son pouvoir de faire naître des situations historiques au moyen de simples résolutions de congrès. Mais ce qui est en son pouvoir et ce qui est de son devoir, c’est de préciser l’orientation politique de ces luttes lorsqu’elles se produisent et de la traduire par une tactique résolue et conséquente. »

Mais « les luttes politiques une fois ouvertes, l’objectif historique sera tout autre qu’aujourd’hui en Russie [où l’on cherchait d’abord à renverser le régime absolutiste des Tsars]. C’est justement parce qu’en Allemagne le régime bourgeois constitutionnel existe depuis longtemps, qu’il a eu le temps de s’épuiser et d’arriver à son déclin, c’est parce que la démocratie bourgeoise et le libéralisme sont parvenus à leur terme qu’il ne peut plus être question de révolution bourgeoise en Allemagne. Aussi une période de luttes politiques ouvertes n’aurait nécessairement en Allemagne pour seul objectif historique que la dictature du prolétariat. »

S’il est permis de ne pas partager les vues de Luxemburg sur la dictature du prolétariat, il est tout aussi permis de spéculer sur ce qu’aurait été le cours du socialisme, et le cours de l’histoire européenne tout court, si le grand stratège et grand économiste qu’elle était n’avait pas été assassiné en 1919. Sans doute aurait-elle été amenée à changer de vues sur la « dictature du prolétariat », sans doute aussi aurait-elle pu empêcher la prise du pouvoir par le parti National-socialiste. Et l’histoire même de la Russie socialiste aurait peut être pris un tout autre tournant que le stalinisme.

Or, de nos jours, le successeur de Luxemburg est Lyndon LaRouche ; la direction qu’il a imprimé à la lutte pour la justice sociale à travers les mouvements qu’il a inspirés aux Etats-Unis et en Europe permet d’espérer que les soulèvements de masse qui certainement auront lieu, n’iront pas se perdre dans le néant du désespoir et des provocations.

Aux Etats-Unis, ces « town hall meetings » sont les prémisses d’un processus de grève de masse qui s’étendra à tout l’Occident. Ces masses qui s’éveillent sont et seront bien obligées de s’éduquer dans le vif de l’action. D’où l’urgence de faire connaître partout le programme économique de LaRouche, objectif historique qui forcera les masses à transcender les petits égoïsmes et querelles étroites.

Dans les circonstances de 2009, après près de quarante ans de désindustrialisation dans les pays occidentaux, la réalité historique à laquelle se réfère Luxemburg lorsqu’elle parle de « dictature du prolétariat » n’existe plus, la classe ouvrière ayant été détruite. Cette fois, la grève de masse englobera la société tout entière et sans exception, à part un tout petit groupe de spéculateurs qui ont su profiter de la crise mondiale. Cette fois, la grève de masse visera – consciemment ou pas – à reconstruire une classe « ouvrière », c’est-à-dire une classe de gens qui ont du travail qualifié, des outils de production, une classe qui produit - que ce soit dans l’industrie, l’agriculture, les travaux publics, le génie civil, la santé, l’éducation … pourvu que ce travail ait une utilité sociale objective et réelle !

Pour conclure, et de façon nécessairement trop sommaire, nous en venons à des aspects de l’analyse de Luxemburg qui divergent sur des points fondamentaux soit avec Karl Marx, soit, encore, avec Lyndon LaRouche. C’est important pour comprendre la recherche de la vérité si caractéristique de Rosa Luxemburg, et dont découlait l’autorité – légitime – qu’elle exerçait tant sur les intellectuels de son époque que sur les masses.

Pour Luxemburg, la grève de masse explose en raison d’un processus inéluctable, économique et social, que décrit la « loi générale de la diminution tendancielle du taux de rendement » de Marx. Elle l’explique ainsi dans L’accumulation du capital : « La partie du capital constant [que nous appellerons ici les machines pour simplifier, ndla] qu’oublie régulièrement l’économie classique croît constamment par rapport à la partie variable, dépensée en salaires. Ce n’est là que l’expression capitaliste des effets généraux de la productivité croissante du travail. (…) La reproduction élargie doit par conséquent non seulement commencer avec la division de la partie capitalisée [nous dirions aujourd’hui réinvestie, ndla] de la plus-value en capital constant et en capital variable, mais encore cette division doit, au fur et à mesure du progrès technique de la production, comporter une part relativement de plus en plus grande pour la partie constante du capital, et une part relativement de plus en plus petite pour la partie variable. »

Or, et c’est là où LaRouche corrige Marx sur cet aspect absolument fondamental, ce taux de rendement ne va baisser mécaniquement que lorsque la société comme un tout, ainsi que l’entrepreneur individuel, décident de laisser stagner, voire carrément interdire, les investissements dans la recherche fondamentale et la technologie. Le mouvement dit « écologiste », instrument des cartels financiers, a créé les conditions pour l’application de cette politique malthusienne dans le monde occidental, depuis quarante ans.

Contrairement à ce que Marx aurait pensé, ce n’est pas la multiplication des machines (ce qu’il appelait le capital constant) qui a tari le taux de rendement des dernières décennies, mais plutôt la rente financière associée à une expansion cancéreuse de « capitaux fictifs », formés grâce à l’extrême complaisance des organismes d’émission monétaire et bancaires. Dans nos entreprises actuelles, la pression de la finance mondiale s’exerce aujourd’hui tant au détriment du capital constant (sous investissement dans l’équipement et la recherche), que du capital variable (baisse des salaires réels, augmentation des cadences, détérioration des conditions de travail), permettant même aux actionnaires de bénéficier de taux de rendements supérieurs à la normale : c’est pourquoi nous pouvons ici parler d’« accumulation primitive du capital », dans le sens où les profits sont accumulés sous forme de richesse brute sans déduction adéquate des coûts liés à la production, c’est-à-dire au détriment de l’avenir.

Dans L’accumulation du capital, Rosa Luxemburg explore certaines contradictions dans l’analyse de Marx, notamment l’apparente impossibilité pour le capitaliste de vendre sa production de manière à payer les nouveaux investissements nécessaires à l’expansion de la production. Elle fait remarquer que malgré cette impossibilité toute théorique, selon le schéma de Marx, de l’accumulation de capital, ce phénomène eut bel et bien lieu tout au long de l’histoire du capitalisme, l’attribuant malheureusement à tort à des méthodes d’accumulation primitive.

Elle fut également amenée à considérer la possibilité que la loi générale de Marx ne corresponde pas à la réalité des faits. Au chapitre 25 de L’accumulation du captial « Les contradictions du schéma de la reproduction élargie », elle écrit :

« La productivité croissante du travail fait que le volume de moyens de production s’accroît plus rapidement que leur valeur, en d’autres termes le prix des moyens de production diminue. Comme il s’agit, dans les progrès de la technique, non pas de la valeur [monétaire] mais de la valeur d’usage, c’est-à-dire des éléments matériels du capital, on peut supposer que malgré le déficit en valeur, il y a jusqu’à un certain point une quantité suffisante de moyens de production pour poursuivre l’accumulation. C’est le même phénomène qui par exemple freine la baisse du taux de profit pour n’en faire qu’une baisse tendancielle. Dans notre exemple pourtant, la baisse du taux de profit ne serait pas freinée mais totalement stoppée. » (Passage souligné par nous.)

Si Luxemburg a effectivement reconnu que seul le progrès technologique permet aux travailleurs de se former et de se qualifier, elle pensait néanmoins que l’augmentation inévitable et incessante du coût des machines finirait par peser sur les salaires et les conditions de travail et qu’il suffirait, pour rétablir la justice sociale, de socialiser les moyens de production. L’histoire économique des Etats-Unis jusqu’à la fin des années soixante, les succès du Commissariat au plan du Général de Gaulle, aboutissant aux « trente glorieuses », de même que l’évolution subséquente des pays socialistes, prouvent le contraire.

Le même type d’erreur affleure dans ses études, pourtant extrêmement poussées, du phénomène des économies impérialistes et du colonialisme. Pour elle, c’est « la baisse du taux de rendement » et la nécessité de monétiser les excédents de production en ayant recours à un système de prêts internationaux, qui poussaient les « capitalistes » à exploiter de la sorte les nations sous-développées. Contrairement à LaRouche, Luxemburg n’avait pas su identifier l’origine du problème : il s’agissait des pressions exercées par un cartel financier directement associé, depuis la fin du XVIIème siècle, à la Banque d’Angleterre et qui a su tantôt s’arroger, tantôt tenir d’une main de fer, le contrôle sur l’émission monétaire. [5] Aujourd’hui, ces méthodes impérialistes jadis infligées au « Tiers Monde » sont imposées de manière tout aussi impitoyable aux populations occidentales.

Le mérite de Luxemburg reste toutefois d’avoir précisément cherché le fil conducteur, le facteur universel et nécessaire d’un point de vue scientifique, qui tisse ensemble ces formes en apparence si diverses d’injustice sociale.

En 2009, la pérennité de l’espèce humaine est menacée à très court terme par la destruction des moyens mêmes d’existence qu’a provoquée ce système usurier. Obscure ou pas, la conscience de la réalité de cette menace déclenchera la grève de masse, et de cela, nous pouvons en être sûrs. Pour nous qui sommes dirigeants et militants politiques, la principale orientation stratégique à donner à cette gigantesque vague qui se soulève est d’en finir avec ce « privilège des privilèges » de l’émission monétaire dont jouissent actuellement des intérêts privés.

L’émission monétaire doit redevenir un service véritablement public, entre les mains des seuls gouvernements souverains. Ainsi que l’explique LaRouche, il s’agit maintenant de passer d’un système monétaire privé à un système de crédit public, qui sera dirigé par les Etats en priorité vers les grands investissements dans la production sans lesquels l’humanité n’a pas d’avenir. Le véritable fondement de ce système est l’essor des capacités créatrices de chaque être humain dont l’économie a pour objet d’organiser le financement, à l’opposé de l’accaparement monétariste du système actuel.

Benoit Chalifoux


Vidéos :

 

Rosa, la vie

 
Lettres de Rosa Luxemburg, choisies par Anouk Grinberg
traduites par Laure Bernardi et Anouk Gringberg
249 pages
France culture, Les Editions de l’Atelier

Ce « petit recueil », composé presque entièrement de lettres écrites de prison, où Rosa s’est trouvée enfermée pendant trois ans pour s’être opposée à la Première Guerre mondiale, est un témoignage de premier plan de ce que c’est qu’être touché par la grâce, être mu par un amour indéfectible pour l’humanité. Car c’est bien cela que doit refléter tout engagement politique, au-delà de tous les clivages idéologiques.

Ce recueil est également le livre de chevet idéal du militant, car Rosa nous y donne une incroyable leçon de courage et de persévérance, indispensable pour toute personne engagée à contre-courant dans un combat à long terme et se trouvant confrontée à l’adversité la plus extrême. Car Rosa est une amie franche et sincère, se livrant entièrement à nous comme le ferait un grand artiste, partageant avec nous ses états d’âme tout en demeurant, avec la plus grande sensibilité, à l’écoute des nôtres. Elle n’hésite pas non plus à partager avec ses amis le secret de sa grande persévérance.

Dans une lettre à Mathilde Wurm, une copine de jeunesse qui s’est ensuite détachée d’elle pour rejoindre le clan du compromis alors à la tête de la social-démocratie, Rosa y va de sa franchise légendaire : « Je tiens à répondre sur le champ à ta lettre de Noël, avant que ne retombe la colère qu’elle a fait naître en moi. Oui, ta lettre m’a mise en rage, parce que si courte soit-elle, chaque ligne montre à quel point tu es retombée sous l’emprise de ton milieu. Ce ton geignard, et ces jérémiades à propos des "déceptions" que vous auriez subies, imputables aux autres soi-disant, alors qu’il vous suffirait de vous regarder dans une glace pour y voir la réplique la plus parfaite de ce que l’humanité a de plus pitoyable ! (…) Fais donc en sorte de rester un être humain. C’est ça l’essentiel : être humain. Et ça, ça veut dire être solide, clair et calme, oui, calme, envers et contre tout, car gémir est l’affaire des faibles. Etre humain, c’est s’il le faut, mettre gaiement sa vie tout entière "sur la grande balance du destin", tout en se réjouissant de chaque belle journée et de chaque beau nuage. »

Dans une autre lettre à Mathilde, elle nous livre le fond de sa pensée : « Toute ton argumentation contre ma devise : je suis là, je ne puis agir autrement ! revient à dire : tout cela est bien beau, mais les hommes sont trop lâches et trop faibles pour un tel héroïsme, ergo, adaptons notre tactique à leur faiblesse et au principe : chi va piano, va sano. Mon petit agneau, quelle vision étriquée de l’histoire ! Il n’y a rien de plus changeant que la psychologie des hommes. D’autant que la psyché des masses renferme toujours en elle, comme Thalassa la mer éternelle, toutes les possibilités latentes : un calme de mort et la tempête furieuse, la lâcheté la plus vile et l’héroïsme le plus fou. La masse est toujours ce qu’elle doit être, selon les circonstances historiques, et elle est toujours sur le point de devenir tout à fait autre que ce qu’elle paraît être. (…) Ma petite fille, "être déçu par les masses", pour un dirigeant politique, c’est comme un zéro pointé. Un dirigeant de grande envergure ne règle pas sa tactique sur l’humeur momentanée des masses, mais sur les lois d’airain de l’évolution ; il s’en tient à sa tactique, en dépit de toutes les déceptions, et pour le reste, il laisse l’histoire tranquillement mener son œuvre à maturité. »

Rosa pouvait aimer l’humanité, car elle avait une grande connaissance de l’histoire de la pensée humaine. Ses lettres nous montrent à quel point elle aimait les arts, en particulier la littérature et le théâtre. Elle connaissait presque par cœur toutes les pièces de Shakespeare, de Goethe et de Schiller, et ses amis lui faisaient parvenir les romans publiés par les principaux auteurs de son époque. Sa grande connaissance de la botanique lui permettait de suivre avec la plus grande attention le déroulement des saisons, et elle pouvait décrypter avec beaucoup de sensibilité le chant des oiseaux, nouant une amitié des plus intimes avec ceux qui venaient la visiter régulièrement à la fenêtre de sa cellule.

Ainsi, à travers ses lettres, Rosa nous donne une magistrale leçon dans l’art de vivre, c’est-à-dire dans l’art d’agir et d’être.

Le recueil d’Anouk Grinberg permet au citoyen d’aujourd’hui de se libérer de l’emprise du carriérisme et du repli sur soi, et de se réconcilier avec le véritable engagement politique, celui qui vise à changer le monde « envers et contre tout », sans jamais perdre de vue l’intérêt de tous. Le livre contient également un CD, sur lequel a été enregistré le spectacle créé par Anouk Grinberg à partir de quelques-unes des lettres de Rosa.

B.C.

Notes

1. Les citations sur la grève de masse utilisées dans cet article proviennent de la traduction en français disponible ici : http://marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve.htm.

2. Entre 200 et 3000 citoyens se rendent à chacun des nombreux « town hall meetings » convoqués par leur député pour discuter du projet de réforme de la santé du Président Obama. Des dizaines de milliers, ou même des centaines de milliers d’américains ont par ailleurs participé, la plupart d’entre eux pour la première fois de leur vie, à diverses manifestations au cours de la même période.

3. Les deux prétendus socialistes en question sont Olivier Blanchard et Dominique Strauss Khan, respectivement économiste en chef et directeur général du Fonds monétaire international. La citation de Strauss-Kahn est tirée d’un discours à l’Assemblée nationale, en 1999.

4. Rosa Luxemburg utilise ici le terme « éducation » avec sarcasme, afin de marquer son désaccord avec les faux semblants des dirigeants de la social-démocratie. Citation tirée de son discours au Congrès de fondation du Parti communiste allemand (Ligue Spartacus) le 31 décembre 1918.

5. Ici aussi, Luxemburg était partagée entre son adhésion à la loi générale de Marx et son intuition concernant l’existence d’un courant impérialiste permanent, transcendant les divers systèmes d’organisation économique. Dans L’accumulation du capital, elle consacre le chapître 30 au caractère usurier des prêts internationaux accordés par les impérialistes anglais à des pays comme l’Egypte à la fin du XIX e siècle.

Lire la suite

identité toi-même

7 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

 Identité



Ma seule contribution, cher Benoist, va porter sur deux choses, mais d'abord merci pour ces Echos logiques (et très raisonnables...).

1. L'expression "fier d'être français" témoigne de la part de celui qui l'utilise de son ignorance du sens des mots en langue française, ce qui serait savoureux si ce n'était surtout grotesque ; on ne peut être "fier" que de ce dont on est, au moins partiellement, responsable : je peux être fier d'avoir tenu un engagement difficile, d'avoir réussi une épreuve quelconque grâce à mes efforts, etc. ; en aucun cas, je ne peux être "fier" d'une situation (être français) qui n'est que le résultat d'une très longue série de causalités (ce qu'on appelle le hasard) qui m'échappent complètement. Certes, quand je regarde les conditions d'existence de l'immense majorité des hommes et des femmes de cette planète, je suis plutôt content d'être français, mais je ne saurais en aucun cas en être fier.
Paradoxalement, et c'est ce que ne voient pas nos ignorants grotesques du sens des mots, les seuls qui peuvent légitimement se dire "fiers d'être français" sont tous ceux qui ont réussi, voulant échapper à la misère, aux persécutions de dictatures, aux tortures, et au prix de souffrances et d'épreuves considérables (les trois jours et quatre nuits passés par le père kurde d'un de mes élèves coincé sous la banquette arrière d'une camionnette sans boire ni manger pour traverser clandestinement les frontières et échapper aux geôles turques...) : effectivement, ceux-là, oui, peuvent être fiers d'être devenus français et d'avoir réussi à assurer un avenir à peu près correct à leurs enfants (Yavuz, le fils, bac avec mention, aujourd'hui informaticien).

2. Mon nom me trahit : DEFRANCE, descendant des envahisseurs immigrés de l'est, il y a déjà quelque temps, installés initialement dans la plaine de France au nord de l'actuel Paris, libres par rapport à l'empire romain ("francs") ; et je suis, disons... plutôt content de porter ce nom, (France était le prénom d'une de mes grands-mères : France Langhade épouse, Defrance) parce qu'il rassemble en lui seul les deux concepts de vérité (quelqu'un qui dit la vérité est qualifié de "franc") et de liberté (ce qu'on retrouve dans "commerce en franchise", "Franche-Comté", etc.) : il n'y a pas de liberté sans vérité, ni de vérité sans liberté - vérité et liberté piétinées par l'innommable Besson, mais qui n'est en lui-même qu'un épiphénomène dérisoire et grotesque (mais aussi malfaisant).
Seule ombre au tableau à propos de ce patronyme : s'il se rencontre le plus fréquemment dans l'Yonne (mon grand-père était d'Auxerre), c'est parce que, à une époque où il n'y avait pas encore de nom à proprement parler mais des prénoms, on appelait souvent les gens par leur origine provinciale (Lebreton, Picard, Lelorrain, etc.), et ces gens avaient au moment de la guerre de Cent Ans fait le choix des Bourguignons et des Anglais contre le roi de France et s'étaient exilés en Bourgogne : ils venaient "de France" ; et c'est ainsi que ceux qui portent ce nom descendent donc de "traîtres" à la "nation française" ! Vous avez dit "identité française" ?

Une troisième remarque pour finir et qui n'a aucun rapport avec ce qui précède : il est amusant (?) de noter que le convoyeur de fonds parti avec quelques millions d'euros ne risque que trois ans de prison : vol seul et sans violence ; en revanche deux gamins qui s'associent pour piquer le portable d'un troisième risquent sept ans de prison : vol en réunion avec violence... Qui vole un boeuf ne vole pas toujours un oeuf ! (c'est Jean-Pierre Rosenczveig qui a trouvé cette formule aujourd'hui pour souligner le paradoxe).
Je transfère message et réponse à quelques amis...

 

 

Amitiés !
Bernard Defrance

 

 

 

Identité, vous avez dit identité

 

 

 
Si pour un peuple, pour se sentir uni dans une nation, il a besoin d’éliminer une partie de ses citoyens, il prend une posture funeste et macabre.
Le peuple français en ayant voté majoritairement Sarkozy ou Le Pen croit encore « sauver son âme » en déportant une grande partie des citoyens étrangers. Le peuple suisse avec Blocher et son parti l’UDC (entre l’UMP et le Front national), en a fait le parti le plus représenté électoralement de ce petit pays.
Le peuple croit s’unir avec cette mise à part, mais il retranche une partie de sa vitalité, il croit renforcer son image, mais il la dénature par son rejet de l’Autre. Il se confine dans une forteresse qu’il croit assiégée et au-delà de ses murailles dans un désert d’horizon, il y invente des mirages terrifiants. Bientôt son cœur et son entendement s’emprisonne dans la pierre, il devient sourd au Monde.
Il a abreuvé ses sillons de sang dans la colonisation et maintenant, il croit trouver une identité dans cette posture de repli et de rejet. Un citoyen peut avoir ses pieds ancrés dans une terre « son pays », mais son imaginaire doit s’imprégner des musiques lointaines, s’enrichir des langues et connaissances multiples et engager des rencontres. Ce mélange, comme un arbre qui s’enracine et laisse en même temps son feuillage fleurir aux caresses des vents, ce mélange terrien et culturel devient le ciment d’un peuple ou d’une citoyenneté toujours en mouvement, toujours prête à regarder l’Autre ou l’étranger avec des yeux d’enfants, ceux qui cherchent à découvrir avec passion les secrets et les bonheurs du Monde.

 

 

Benoist Magnat

 

 

 

 

«Qu’est-ce qu’être français ? -
Cela ne vous regarde pas»
Par MATHIEU POTTE-BONNEVILLE
philosophe, enseignant, et membre de la revue "Vacarmes"


Eric Besson a annoncé, le lundi 26 octobre, le lancement d’un grand débat national sur l’identité du même nom. Mobilisant préfets et sous-préfets (ceux-là même qui, depuis deux ans, ont été dotés de marges d’initiatives accrues afin de décliner sur leurs territoires respectifs la politique de reconduite aux frontières impulsée par le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale), le débat devrait solliciter les «forces vives de la nation» autour de la question suivante : «Qu’est-ce qu’être français ?»
 
Une telle initiative, intervenant à quelques mois avant les élections régionales et quelques jours après l’expulsion de plusieurs migrants vers un pays en guerre, devrait assez logiquement susciter dans l’opinion des réactions variées. Gageons d’ores et déjà que certaines d’entre elles consisteront à tenter de retourner la question contre son initiateur : être français, rappellera-t-on, c’est hériter d’une tradition d’accueil, d’hospitalité et d’ouverture, tradition à l’évidence incompatible avec la politique d’immigration actuellement menée ; c’est se reconnaître dans une citoyenneté définie non par l’origine géographique ou culturelle, mais par la défense et la promotion commune des droits humains partout où ceux-ci sont niés - conception de la citoyenneté inconciliable, tant avec les dérives xénophobes dont a fait régulièrement preuve le précédent ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, qu’avec son action et celle de son successeur. Etre français, arguera-t-on en bref, c’est être en tout point opposé à l’horizon de fermeture, de surveillance, de délation réciproque et de contrainte par corps, d’opportunisme et de xénophobie aujourd’hui symbolisés par l’existence d’un ministère de l’Immigration, et incarné par Eric Besson avec un dévouement dans la duplicité qui ne laisse pas d’impressionner.
 
Une telle réplique est juste et sensée, et elle a pour elle l’évidence ; mais elle est trop évidente, justement, pour n’être pas prévue dans la question elle-même, question construite pour faire de ce genre d’objections autant de répliques, aux deux sens du terme : au sens où répliquer, c’est répondre, mais aussi répéter, reproduire ou propager cela même qu’on entend combattre. Le piège tient à ce que, posant la question «Qu’est-ce qu’être français ?», le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale n’entend évidemment pas faire l’éloge dans les mois qui viennent d’un nationalisme étroit, fondé sur la communauté de l’ethnie ou du sang (de cela, d’autres se chargeront au fil des débats, ce que la synthèse finale ne manquera pas de cautionner comme «une préoccupation», «une légitime inquiétude des Français face à la mondialisation», etc.)
 
La parole gouvernementale, subtilement relayée au fil des échanges par de multiples canaux, consistera au contraire à faire constamment valoir l’ouverture, l’égalité des droits et le pacte républicain, le refus des discriminations de races et de sexes comme autant de composantes de l’identité française. A les faire valoir, désarmant l’adversaire, non seulement dans la dimension neutralisée de l’échange d’idées, mais comme autant de motifs d’isoler et d’exclure, autant de raisons pour justifier la reconduite aux frontières. Invoquerez-vous le pacte républicain ? Mais «le pacte républicain suppose le respect des lois». Rappellerez-vous l’hospitalité ? Mais «l’hospitalité suppose d’avoir les moyens d’accueillir dignement».
Dans ce jeu de dupes, surtout, l’ouverture, la tolérance et l’égalité, constitutives de notre identité nationale, seront présentées et utilisées ainsi qu’elles le sont depuis deux ans : comme autant de valeurs fragiles qui exigent une sélection d’autant plus sévère de ceux qui, présents sur notre territoire, pourraient être suspects de ne pas les partager. Déjà, dans le même entretien où il annonce le grand débat national, le ministre Besson réitère son refus de la burqa - pratique certes ultraminoritaire, mais symbolique de la nécessité où nous serions, face à des étrangers si proches à chaque instant de verser dans l’intolérance et l’oppression, de discriminer pour sauvegarder notre sens de l’égalité, et de fermer les frontières de notre identité pour la conserver si ouverte.
 
C’est pourquoi, à la question «Qu’est-ce qu’être français ?» posée par le ministère de l’Immigration, il ne saurait y avoir dans les mois qui viennent qu’une seule réponse, endurante, ressassée, monotone, obstinée : «Cela ne vous regarde pas». Vous avez perdu le droit de poser cette question au moment même où, liant identité nationale et contrôle de l’immigration, vous avez aménagé le renversement systématique des composantes de la citoyenneté en autant de critères d’exclusion. A cette captation, il ne saurait y avoir de réponse qu’en acte ; libre à vous, lorsque ce temps viendra, d’interpréter la violence de notre refus comme une composante de la «francité».

 
A vos calculettes :
 
2 millions de Gaulois assassinés par les Romains ;
Des millions de morts lors des croisades, des pèlerinages armés et dévoyés, durant la Guerre de cent ans et au fil d’innombrables guerres de religions ;
10 à 40 millions de Chinois massacrés par les Mongols au XIIIe siècle ;
Le peuple de Tasmanie liquidé par les Britanniques lors du génocide "le plus parfait" de l’histoire ;
Des centaines de milliers d’Aborigènes australiens décimés par les mêmes colons britanniques ;
L'extermination de 20 à 60 millions d’Amérindiens, depuis la "découverte" espagnole, l'évangélisation et la colonisation, jusqu'à la Conquête de l'Ouest ;
Les traites négrières (orientale, intra-africaine et atlantique) totalisèrent plus de 50 millions de victimes ;
1.200.000 Arméniens périssent dans le premier génocide du XXe siècle ;
40 millions de morts lors de la Première Guerre mondiale et 65 millions durant la Seconde (dont les 5 millions de la Shoah) ;
Le démocide stalinien : 43 millions de morts ;
Le démocide de Mao : 30 millions de victimes et des famines à la chaîne ;
La terreur sanguinaire de Paul Pot : 1.500.000 Cambodgiens.
Rajoutons le million de victimes du Biafra, les 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi, ayant trouvé la mort durant les trois mois du génocide au Rwanda, sans omettre les 300 000 morts et les 3 millions de déplacés de la guerre au Darfour.
 
Depuis l'esclavage du peuple Noir jusqu’au Nouvel Ordre mondial, soit de 1900 à l’aube du troisième millénaire, en passant par la guerre au Vietnam, le capitalisme porte à lui seul la responsabilité d'un bilan de quelque 100 millions de morts.
 
Michel R. Tarrier
 
  Le basson sarkoïde
 
    S'interroger sur " l'identité nationale ", c'est présupposer que la question pourrait se poser en ces termes. Or, la notion d'identité tend fortement à exclure ou à subsumer toute différence significative à soi et à donner toute autre identité dans les mêmes conditions et comme irréductiblement différente de la précédente. Le principe d'identité absolue que connote cette notion, entraîne immanquablement celui de contradiction absolue. (Si, comme B à B, A est identique à A, il est absolument impossible que A soit aussi B et que B soit aussi A.)
    A la limite (effleurée), s'il y a une identité nationale française, il n'y a plus dans ce pays aucune différence qui demeure significative (il y a donc homogénéité) et toute autre identité " nationale " peut seulement être conçue comme une identité irréductiblement différente (donc déjà hostile).
    Si l'on ne veut pas arbitrairement gommer les différenciations et les dédifférenciations qui font un pays comme la France, si l'on refuse de poser l'étranger comme un " pur " étranger, c'est en d'autres termes qu'il faut poser la question. Le recours à la " nation " (civilisation, religion, voire " race " ?) n'est évidemment pas neutre non plus. Il est aujourd'hui, notamment de la part de " mondialisateurs " sans scrupules, particulièrement paradoxal.
    C'est bien plutôt sur fond de désidentification nationale et, à l'intérieur du pays comme au plan international, de stérilisation des différences prometteuses en termes de dépassements féconds, que vient se greffer un tel débat institutionnel très intéressé. Toutes souples qu'elles paraissent, les divinités              " hypermodernes " cherchent toujours à tirer parti d'un éveil " maniable " des lourds démons du passé - preuve, s'il en était besoin, qu'il entre dans l'identité de tout un hypermodernisme d'être à l'occasion conciliable avec la pire réaction ou du moins ses confins.
    Le but d'un tel débat, c'est (au minimum) un gain d'embrouillamini.
 
G.L.


 

 

 

 

Lire la suite

Maths et crise boursière

1 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Maths et crise boursière
Maths et crise boursière, l'avis de Jean-Pierre Bourguignon
1 déc
2009
 

Cours à l'IHES   Aujourd'hui et demain se tient à la Mutualité (Paris) le colloque Maths à venir 2009. A cette occasion, voici l'interview que m'a accordé Jean-Pierrre Bourguignon, mathématicien et directeur de l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques (Bures sur Yvette).

Ce colloque va permettre deux jours de débats sur cette discipline «au cœur de la science contemporaine, mais aussi à la base d’innombrables réalisations technologiques et processus industriels ; (et qui) fournit des outils de modélisation et de prévision qui jouent un rôle croissant dans la conduite des affaires du monde» comme l'affirment ses organisateurs. Il sonne comme un écho au colloque Mathématiques à venir tenu en 1987 et qui déboucha sur des mesures en faveur des mathématiques.

Dans cette interview, Jean-Pierre Bourguignon revient sur le rôle des mathématiques dans la crise boursière, qui déclencha la crise économique en cours. Il y voit «un déséquilibre entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Il aurait fallu se pencher sur ces outils utilisés par les banques, les confronter aux données financières et économiques globales, étudier la stabilité du système financier mondial…

Ce qui était impossible puisque les banques gardaient pour elles les données qu’elles collectaient dans un contexte de compétition féroce, d’égoïsme, et aussi d’aveuglement idéologique, d’absence de réflexion épistémologique et éthique. Bref, pour anticiper la crise au plan mathématique, il aurait fallu un partage des connaissances, une vue d’ensemble et la construction d’un sous-bassement théorique sérieux comme bien public. En résumé, une bonne recherche fondamentale.»

Voici l'interview de Jean-Pierre Bourguignon (photo ci dessous) en intégralité.

A quoi rêvent les matheux ?

Nous ne poursuivons pas une sorte de Graal, comme les physiciens des particules qui sont partis à laJean Pierre Bourguignon chasse au boson de Higgs au CERN. Nous fonctionnons plus souvent sous forme de petites groupes très mobiles dont les sujets évoluent assez vite et non par gros bataillons concentrés sur un sujet défini. Nos rêves sont donc très éclatés, voire presque individualisés. Cela nous pose d’ailleurs un problème avec la politique de recherche actuelle: nous ne savons pas vivre et prospérer intellectuellement dans système de recherche trop piloté par une commande extérieure. Notre pas de temps typique, c’est la dizaine d’années, pas le contrat de trois ans standard de de l’Agence nationale de la recherche.

Prenons l’exemple de la géométrie non commutative. Le rêve d’Alain Connes, son fondateur, fut annoncé dès sa leçon inaugurale du Collège de France, en 1986. Aujourd’hui plusieurs centaines de matheux se sont joint à ce rêve dont la réalisation a conduit à créer de nombreux concepts nouveaux, à tisser des liens inattendus avec la théorie des nombres ou la physique des particules.

Peut-on parler de ce que font les mathématiciens aux non mathématiciens?

Souvent, le grand public assimile maths et calcul. C’est très réducteur. Les objets manipulés par les mathématiciens ce sont certes des nombres, mais tout autant des formes, des processus : de façon lapidaire, les maths sont la science des structures. Faire des maths c’est donner le même nom à des choses différentes disait Henri Poincaré. Car on observe, ou l’on démontre, que la manière dont des choses ou des processus très différents s’organisent suit les mêmes principes. Cette démarche débouche sur des processus d’abstraction de plus en plus profonds, qui relient nombres, structures, formes, topologies, hasard, probabilités…

Les maths nous parlent-elles vraiment de la Nature selon le propos de Galilée ?

Grand débat qui peut se poser ainsi : le mathématicien découvre t-il ou invente t-il ?{SH : lire ici et ici une interview d'Alain Connes} Pour moi, les maths ne sont pas qu’un langage du quantitatif mais bien une science qui se développe autour de pôles de connaissances, des concepts clés. Ainsi le concept de courbure, né à la fin 18ème siècle. Il a permis d’inventer les géométries non euclidiennes… donc laEinstein_17 physique d’Einstein. Au tout début des relations entre mathématique et réalité sensible, avec l’astronomie, les maths s’identifiaient à leurs objets astronomiques réduits à des points en mouvement. Il n’y avait donc pas besoin de la notion, fondamentale en sciences modernes, de modèle. Faire les maths de la mécanique céleste, c’était (presque) faire de la mécanique céleste. Aujourd’hui, faire les maths de l’astrophysique n’est pas faire de l’astrophysique, il y manquerait, au moins, les concepts de la physique nucléaire ou de l’électromagnétisme. Inversement, il faut revenir à la formulation de Henri Poincaré qui, dans Science et hypothèse,  affirme que la question de savoir si une géométrie est vraie ou non n’a pas de sens (par référence au monde sensible) car on ne lui demande que d’être cohérente. Mais si on veut utiliser  une géométrie pour comprendre le monde sensible, il faut simplement utiliser celle qui est la plus commode. D’où la nécessité d’utiliser la notion de modèle, une appréhension en termes mathématiques d’une réalité, juge en dernier ressort de la qualité du modèle. Le résultat paradoxal de cette évolution c’est que le 20ème siècle est la conquête d’une autonomie véritable des maths par la prise de conscience de l’autonomie de la construction mathématique relativement au monde sensible. Le paradoxe, pour le grand public, c’est que des mathématiciens vivent cette autonomie en se posant comme les découvreurs d’un monde et non comme ses inventeurs.

Lagarde-ce-nest-pas-un-krach Peut-on appliquer cette réflexion aux mathématiques financières qui ont joué un rôle dans la crise des bourses et de l’économie mondiale ?

Curieusement oui. J’y vois le résultat d’un manque de réflexion épistémologique sur les modèles utilisés et une dérive liée à la dérégulation massive. Chaque banque a embauché des mathématiciens pour développer des produits financiers de plus en plus sophistiqué, par une application des maths à leur objet. Mais, ce faisant, les mathématiques ont dépassé leur rôle d’outils de modélisation pour créer une nouvelle réalité, certes virtuelle au plan économique, mais dont l’impact fut important.

Tout cela a dégénéré non seulement en raison de l’écart croissant entre finance et économie réelle - des économistes, peu nombreux, l’avaient vu - mais aussi en raison d’un déséquilibre entre recherche appliquée et recherche fondamentale. Il aurait fallu se pencher sur ces outils utilisés par les banques, les confronter aux données financières et économiques globales, étudier la stabilité du système financier mondial… Ce qui était impossible puisque les banques gardaient pour elles les données qu’elles collectaient dans un contexte de compétition féroce, d’égoïsme, et aussi d’aveuglement idéologique, d’absence de réflexion épistémologique et éthique. Bref, pour anticiper la crise au plan mathématique, il aurait fallu un partage des connaissances, une vue d’ensemble et la construction d’un sous-bassement théorique sérieux comme bien public. En résumé, une bonne recherche fondamentale.

Comment se portent les mathématiques ?

Le grand public a du mal à imaginer à quel point les mathématiques sont une science vivante, créatrice, et même en croissance accélérée aujourd’hui. Elle est toujours mue par deux dynamiques. L’une est purement interne et repose sur les questions posées par les mathématiciens eux-mêmes qui conduisent à perfectionner les outils, les concepts, à construire de nouvelles visions. La seconde qui provient de la stimulation par d’autres disciplines et le monde extérieur. Dans le passé, la mécanique et la physique ont joué un rôle décisif dans cette démarche:l’ambition fut d’écrire en termes mathématiques les lois de la physique, c’est l’héritage fameux de Galilée.

Aujourd’hui, cette dimension continue de s’élargir: la chimie, la biologie, les sciences sociales (elles ont joué un grand rôle historique dans l’essor des probabilités), les mathématiques financières, la haute technologie. Cet élargissement a maintenant un impact certain sur l’emploi croissant de mathématiciens en entreprises à cause de la multiplication des champs où la modélisation mathématique apporte des informations importantes et quelquefois décisives. Ces extensions n’affectent pourtant pas l’unité de notre discipline. Elle ne vit pas repliée sur elle même, mais est transformée par les croisements entre ses grandes branches - algèbre, analyse, géométrie, théorie des nombres et probabilités - qui se fécondent les unes les autres pour répondre à ces stimulations. L’architecture interne des maths est du coup toujours mouvante, signe de leur vitalité.

Si les maths se portent bien, pourquoi organiser un colloque - maths à venir - où l’on tire desMaths-a-venir-2009 signaux d’alarme ?

C’est que si la planète maths se porte excellemment, et si la France y joue toujours un rôle de tout premier plan, cette position pourrait être affectéee dans un proche avenir. La planète maths, c’est aujourd’hui 90 000 chercheurs actifs, producteurs de mathématiques nouvelles… à comparer toutefois aux deux millions de biologistes. Elle est en croissance rapide dans les pays émergents, en Chine, en Asie du Sud-Est, en Inde, au Brésil… En revanche, l’Europe de l’est traverse une crise grave. L’Australie a perdu le tiers de ses effectifs en une dizaine d’années. L’Europe de l’ouest et la France sont confrontées à la désaffection des jeunes pour les études scientifiques en général,  les maths et la physique. En France, des départs à la retraite massifs sont programmés dans un avenir proche et on peut craindre que la diminution du nombre d’étudiants en maths peut conduire les universités à ne pas les remplacer. Il y a donc une réelle menace si l’on laisse faire la tendance actuelle sans réfléchir aux effets à long terme et sans une vision stratégique.

L’école de maths française fait partie du podium mondial, pourquoi ?

Le système attire encore certains des jeunes les plus brillants de leur génération vers les maths, notamment grâce aux classes préparatoires et de certaines grandes écoles. Le paradoxe, c’est que ce système ne fait pas beaucoup de place à la création et beaucoup de concours sont plutôt conformistes, sauf ceux des Ecoles Normales Supérieures. Cependant, ceux qui brillent en maths sont considérés tant par leurs enseignants que leurs condisciples comme des leaders, des exemples. Cette valorisation joue un grand rôle dans la formation de ces esprits et le choix professionnel qui est ensuite fait. Pourtant, onWeb_werner peut dire qu’ avec la dégradation terrible de la situation des jeunes chercheurs, faite de précarité de plus en plus longue, beaucoup se détournent de la recherche en mathématiques. 

Une des grandes forces de l’école française c’est qu’elle ne présente que peu de lacunes. Le flux a été assez régulier et dense pour couvrir presque tous les sujets avec un excellent niveau. Si on regarde les conférenciers invités dans les grands congrès internationaux, la France est n°1, rapporté à la taille du pays. Il faut toutefois noter que l’on maintient cette place grâce à l’installation en France d’un flux important d’enseigants-chercheurs étrangers qui représentent 30% des recrutements actuels. Ce flux s’explique par l’attractivité et la capacité d’ouverture de la communauté française. {En 2006, lors du dernier congrès mondial des maths, Wendelin Werner (Cnrs, Université d'Orsay) a reçu la médaille Fields}.

Comment pérenniser cette place ?

La menace immédiate porte sur la diminution du nombre de jeunes en master recherche de maths, à l’exception de quelques universités comme Paris-6. Il faut retrouver un flux suffisant d’étudiants. Et faireSmf-geodis que des jeunes passant par d’autres grandes écoles que l’ENS et l’X choisissent de faire des maths. Le maintien à des niveaux très bas des salaires de début de carrière marqués par l’attente dans des postes précaires provoque un écart déraisonnable avec leurs condisciples allant dans les entreprises. Beaucoup de jeunes sous-estiment souvent les emplois et les carrières qui s’offriraient à eux avec une formation plus avancée en mathématiques dans les entreprises. Il appartient aux mathématiciens de les rendre plus visibles afin que cette nouvelle frontière soit bien perçue et rende évidente que les étudiantes et les étudiants en mathématique ont aujourd’hui bien une option ouverte entre le monde académique et celui de l’industrie et des services.

Le site de la Société Mathématique de France.

Lire la suite