La poésie en politique, dans la vie, à l'école
On a vu l'impact de la lecture de poèmes bien interprétés lors des réunions publiques de Jean-Luc Mélenchon, pendant la campagne présidentielle du 1° tour. Hugo, Eluard, Ritsos, Prévert et d'autres sont venus conclure ces réunions, donnant un souffle différent, élargissant l'horizon, faisant monter une autre émotion, quelque chose de moins éphémère que la parole politique, un moment d'éternité aussi intense que la minute de silence pour les noyés de la Méditerranée à Marseille (le seul à avoir eu un tel geste, merci).
La poésie dans la vie, c'est la lire, la dire, l'écrire. Elle accompagne, apaise, par exemple, il y a des poèmes de "deuil" magnifiques quand on a perdu quelqu'un, je pense à celui d'Elizabeth Frye:
Ne reste pas là à pleurer devant ma tombe,
Je n'y suis pas, je n'y dors pas...
Je suis le vent qui souffle dans les arbres
Je suis le scintillement du diamant sur la neige
Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr
Je suis la douce pluie d'automne...
Quand tu t'éveilles dans le calme du matin, Je suis l'envol de ces oiseaux silencieux
Qui tournoient dans le ciel...
Alors ne reste pas là à te lamenter devant ma tombe
Je n'y suis pas, je ne suis pas mort !
Pourquoi serais-je hors de ta vie simplement
Parce que je suis hors de ta vue ?
La mort tu sais, ce n'est rien du tout.
Je suis juste passé de l’autre côté.
Je suis moi et tu es toi.
Quel que soit ce que nous étions l'un pour l'autre avant,
Nous le resterons toujours.
Pour parler de moi, utilise le prénom
Avec lequel tu m'as toujours appelé.
Parle de moi simplement comme tu l'as toujours fait.
Ne change pas de ton, ne prends pas un air grave et triste.
Ris comme avant aux blagues qu'ensemble nous apprécions tant.
Joue, souris, pense à moi, vis pour moi et avec moi.
Laisse mon prénom être le chant réconfortant qu'il a toujours été.
Prononce-le avec simplicité et naturel,
Sans aucune marque de regret.
La vie signifie tout ce qu'elle a toujours signifié.
Tout est toujours pareil, elle continue, le fil n’est pas rompu.
Qu'est-ce que la mort sinon un passage ?
Relativise et laisse couler toutes les agressions de la vie,
Pense et parle toujours de moi autour de toi et tu verras,
Tout ira bien.
Tu sais, je t'entends, je ne suis pas loin, Je suis là, juste de l’autre côté.
On comprend alors l'importance de la poésie à l'école.
J'ai édité en 2004 un livre de 400 pages, 1 Kg, Pour une école du gai savoir; il m'en reste; 3 auteurs (Philippe Granarolo, philosophe, adjoint à La Garde, Laurent Carle et moi-même); pages 247 à 252, on trouve des textes poétiques de jeunes et les deux dernières pages, 392, 393, sont deux poèmes d'élèves de 6°; le livre s'achève sur cette citation de Flaubert : la civilisation est une histoire contre la poésie;
Les Cahiers de l'Égaré ont édité aussi 5 Printemps des poètes dans les collèges du Var (2000-2004), livres présentant les poèmes obtenus par la BIP, brigade d'intervention poétique, une trentaine de poètes intervenant une journée dans 30 collèges; et puis, ça s'est arrêté; les sous, vous savez, il paraît que des fois, il n'y en a plus et puis, ça s'est arrêté l'année où j'ai été éjecté de la Maison des Comoni; c'était une opération financée par le Conseil Général du Var, à l'initiative de Rémy Durand, détaché et attaché culturel de l'IA du Var et de l'Académie de Nice; je faisais partie de la BIP. J.C. Grosse
Voici un vieil article d'Evelyne Charmeux sur ce sujet. Il date d'avril 2008. Comme quoi les blogs ont aussi leur éternité.
La mémoire : quel rapport avec la récitation ? Et avec la poésie ?
Georges Jean, immense poète et théoricien de la poésie en classe, disait : "Il faut tuer la récitation pour sauver la poésie". Apparemment, nos dirigeants n'ont pas lu Georges Jean, et n'ont sans doute ni lu, ni écrit beaucoup de poésie... Les nouveaux programmes qui, avec la démagogie qui les anime, réintroduisent ce terme familier (mais non dépourvu de connotations inquiétantes), nous amènent à réfléchir sur la poésie en classe et sur le rôle de la mémoire dans l'éducation de nos petits.
Parlons de poésie d'abord : on en parle si peu aujourd'hui !
Je voudrais commencer par donner la parole à ceux qui, en leur temps, ont dit des choses, bien oubliées aujourd'hui, mais essentielles sur la poésie et l'école. En commençant par rappeler le cri d'alarme poussé par Josette Jolibert, en 1971, à ce propos, sous le titre : "Il faut réconcilier poésie et pédagogie".
Nous sommes tous des sous-développés en poésie, comme lecteurs et comme créateurs .
Pour combien d’entre nous la poésie est-elle autre chose qu’un “supplément d’âme” occasionnel ?
Et quelle poésie,
plus récente que celle de Baudelaire,
et autre que celle qui “veut dire” quelque chose immédiatement ?
Pour combien d’entre nous René Char ou tel autre poète de notre temps sont-ils confrontation quotidienne?
Et combien d’entre nous écrivent ? créent ?
Prenons-en acte sans nous culpabiliser. C’est une situation historiquement datée. Il est facile de situer les responsabilités en posant ces questions :
quelle formation ?
quelle disponibilité ?
quel environnement culturel ?
quand a-t-on sollicité notre créativité ?
Quand on lit cela, on ne peut qu'être bouleversés : il y a trente-sept ans que ces choses ont été dites, et qu'y a-t-il eu de changé depuis ?
Pourtant, à cette époque, sous l'impulsion des propositions que Georges Jean avait développées dans le chapitre intitulé : "Poésie et approche de la langue poétique" du Plan de Rénovation de l'enseignement du français à l'Ecole Elémentaire, (dont il faut savoir qu'il devait devenir texte officiel, avec l'accord du ministre de l'époque, mais qui subit le veto absolu de Monsieur Georges Pompidou, nouveau président de la République), les propositions concrètes ne manquaient pas.
je souhaite ici faire connaître à nos collègues, quelques extraits au moins du texte de G. Jean, ne serait-ce que pour pouvoir les comparer à ce que disent les nouveaux programmes.
Il serait tout d'abord préférable de remplacer le terme de « récitation » par celui de « poésie ».
Non que la mémorisation des textes poétiques soit abandonnée mais parce que la "récitation" — la diction, plutôt — proprement dite n'est et ne doit être qu'un moment dans l'activité de poésie qu'il est souhaitable de voir instituer à tous les niveaux de l'enseignement élémentaire. (...)
La poésie est propre à rendre à l'enfance ce que l'enfance lui a donné. Et à susciter chez l'enfant le besoin de dire, enfin, tout ce que l'on a à dire, et à le faire partager.
La poésie aurait donc à l'école élémentaire la double fonction de «donner à voir» et de provoquer chez l'enfant le désir de rendre conscient l’inexprimable.
il serait bon d'introduire le plus souvent possible au cours de la classe, des lectures de un ou plusieurs poèmes, lectures faites par le maître ou par des enfants, que traverse la poésie.
Chaque semaine, le ou les textes ayant obtenu la plus grande audience ou celui qui plaît tout particulièrement à un enfant ou au maître, seraient plus spécialement étudiés en vue de la diction et éventuellement de la mémorisation.
Il s'agit d'une imprégnation plus globale qu'analytique et qui concerne aussi bien la sensibilité et l'imaginaire que la conscience claire des formes du discours. On ne cherchera pas à fixer des structures, mais à faciliter pour les enfants qui le désirent la constitution d'un « trésor » personnel de poèmes, susceptible de renaître à chaque appel. Cependant on n'oubliera jamais que la poésie est une langue « qui parle et qui se parle » et l'on accordera la plus grande importance à la perception par l'enfant de la respiration, de la prosodie, de l'accentuation, de l’articulation des textes poétiques. Le premier souci de celui qui dit un poème devrait être de faire entendre le poème, sans le trahir. En même temps, il devrait chercher à ne pas effacer l’originalité unique de sa voix. Car il ne s'agit pas de sacrifier la personnalité de chaque enfant à une perfection académique ou faussement expressive. On se gardera même dans ce sens d'imposer de l'extérieur une expression, une intonation qui ne peut provenir que du seul respect du texte. La plus grande difficulté résultant de cette orientation nouvelle concerne sans doute le choix des textes. « Le meilleur choix de poème est celui que l'on fait pour soi » disait Eluard. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup à attendre dans ce domaine de la curiosité, de la sensibilité, de la culture des maîtres. Par ailleurs, il n'est pas vain de parler à ce sujet, « d'expériences poétiques », dans la mesure où le maître et les enfants «essaient» les textes les plus divers et retiennent ceux qui semblent convenir aux uns et aux autres, et même s'inscrivent dans certaines circonstances précises.
Je voudrais souligner, dans ce très beau texte, l'immense respect de l'enfant qui l'anime et le sens poétique profond qui s'en dégage.
Aujourd'hui, que trouve-t-on dans le projet de nouveaux programmes ?
1- Pour l'école maternelle : "Dire ou chanter une dizaine de comptines avec une bonne prononciation".
Il n'est pas précisé ce qu'est une "bonne" prononciation...
Il est vrai que dès la grande section, il s'agit d'avoir en plus "un ton approprié". On ne précise pas non plus ni à quoi doit être approprié ce ton, ni en quoi il consiste.
2- Au CP et au CE1 : "Dire de mémoire de courts poèmes ou des comptines, en mentionnant le titre et l'auteur, en respectant le rythme et en ménageant des respirations, et sans commettre d'erreurs (sans oublis ou substitutions)".
Avouez que c'est là une conception délicieusement romantique, et tout à fait propre à éveiller le sens poétique des enfants ! Josette Jolibert doit être rassurée...
3- Quant aux CE2, CM1 et CM2, ils devront "dire sans erreurs et de manière expressive, une dizaine de textes en prose ou de poèmes"
Comme plus haut, on ne précise pas ce qu'est une "manière expressive", mais on peut surtout remarquer que la sanction des erreurs prime de toute évidence le sentiment poétique... On est loin des "moments de poésie" ; on est loin du "trésor" personnel et de la langue "qui parle et qui se parle ", on est très loin de la culture.
Il est donc incontestable que le retour de ce terme de récitation a fait disparaître non seulement le terme de "poésie", mais tout l'esprit de cette "rose inutile et nécessaire" (G. Jean), dont le rôle dans l'éducation est une évidence démontrée depuis toujours.
Mais il y a plus grave.
Je vois dans l'utilisation de ce terme, — amalgame (encore un) entre mémoire et récitation —, une volonté, sans doute parfaitement consciente, de mise au pas des élèves.
Avez-vous remarqué que toutes les formes d'obscurantisme, religieux ou non, n'enseignent qu'avec de la récitation de textes appris par cœur ? Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi ?
C'est que, figurez-vous, pendant qu'on récite, on ne pense pas ! La récitation occupe tout le cerveau qui n'a plus besoin même de comprendre ce qu'il débite, et qui se laisse dévorer de l'intérieur par des mots étrangers à lui.
Rien à voir avec la mémoire, qui est nourriture de la pensée et qui se nourrit elle-même, non point d'apprentissage par cœur, mais de mille, cinq mille lectures. C'est en lisant et en relisant des poèmes chaque jour, avec le texte sous les yeux — parce que la poésie ne souffre pas que l'on ait des trous de mémoire, et parce que le vécu poétique n'a rien à voir avec un contrôle de mémorisation — que la mémoire se nourrit.
Qu'elle soit chose essentielle et qu'il faille la développer, cela va de soi.
Le problème, c'est que jamais le fait de "réciter" n'a développé la mémoire, ni quoi que ce soit d'autre, du reste.
Ce qui est essentiel, c'est de savoir par cœur des quantités de textes (pas une "dizaine"... !). Et ce n'est pas du tout pour les réciter : Ils servent, ces textes, à fabriquer le miel culturel de chacun, celui qui fait réfléchir, qui structure la pensée et qui équilibre la personne. La mémoire, il faut le répéter, n'existe et ne se développe que par des lectures, encore et toujours recommencées.
Est-il certain qu'une méthode syllabique d'enseignement d'icelle prépare bien à cela ?
Commentaires de Christian Montelle
Pour inspirer l'amour et non la haine des poèmes, le récital de poésie commence à être connu : il marche vraiment très bien. De nombreux collègues peuvent en témoigner.
Le récital de poésie
Bon ! la récitation ennuie à mourir beaucoup d’élèves, même si elle en réjouit d’autres. Comment la rendre attractive ? Imaginez-vous (souvenir…) en train de dire un poème devant des camarades qui ne vous écoutent pas, puisque tous connaissent déjà le texte par cœur, et à l’intention d’un professeur qui ne guette que vos oublis ; vous voilà donc en train de réciter un poème que vous n’aimez pas forcément et que vous avez plus ou moins compris. Cette perspective vous plonge-t-elle dans l’allégresse ou dans la morne acceptation d’une corvée inévitable ? Ne peut-on imaginer de donner vie de façon plus jubilatoire aux beaux poèmes de notre patrimoine ? Je veux en présenter une, parmi tant d’autres, et qui plaît beaucoup aux élèves : le récital. Avec mes élèves nous avons constitué au fil des ans des fichiers de poésie, un pour les 6e/5e et un autre pour les 4e/3e. Nous approchons des trois cents poèmes dans chaque fichier : que des beaux, des bons, des gouleyants, des signifiants, des qui nous plaisent (le maître participe au choix), en toute subjectivité. Fiches au format B5, poèmes collés proprement, et comprenant au verso une notice sur l’auteur.
Le travail sur la voix, évoqué plus haut, a été effectué, des poèmes étant lus par le professeur ou les élèves comme exemples. Le récital est annoncé avec quinze jours d’avance (ou un mois…). Des paquets de fiches sont distribués à chaque élève. Lecture silencieuse, choix du poème que chacun va « offrir » à la classe (ou à un auditoire plus large).
Le jour du récital arrive, réservé à la classe aujourd’hui. Consignes : après la musique de début (une musique qui reviendra de temps en temps lors des silences, une musique douce, un peu envoûtante : Suite pour violoncelle de Bach, par exemple), seule la poésie aura la parole. Aucun commentaire d’élève ou de professeur, mais tout le monde, y compris le professeur, pourra dire, lire, chanter, crier, psalmodier — en un mot donner voix — à un ou plusieurs poèmes, du lieu de la classe qu’il choisira, de la façon qui lui semblera convaincante. Le récitant doit articuler, prendre son temps, car les autres ne connaissent pas son poème ; il leur offre, d’amitié, le texte qui l’a conquis lui-même. L’écoute est maximale, le silence d’une densité incroyable. Il faut avoir vécu une de ces séances pour savoir l’émotion que peut engendrer un poème dit, vraiment dit, quand le silence est un berceau dans lequel la parole prend une vie nouvelle. La musique clora doucement la séance et permettra de revenir dans le monde de la classe où, toutefois, aucun jugement ne sera porté, aucune note ne sera donnée. En effet, cette prestation est tellement personnelle et authentique que ce serait juger la personne de façon terrible que d’ajouter quelque chose à la voix entendue. Ces récitals plaisent tellement aux enfants qu’ils sont une récompense : Monsieur, s’il vous plaît, on prépare un récital de poèmes ? Je ne rêve pas : essayez !
Bien sûr, un récital peut être donné à une autre classe qui rendra la pareille, à des parents lors d’une fête, mais cela est secondaire. Le premier objectif visé est l’émotion partagée qui fonde la classe, pas la représentation qui place le poème au second plan.
Une variante peut être amenée, en fin d’année, lorsque la diction est bien maîtrisée : c’est l’enregistrement au caméscope. Il est recommandé d’utiliser un micro de proximité de bonne qualité pour garder toute l’émotion contenue dans les voix. Une caméra qui fait des gros plans, qui tourne autour du récitant, qui glisse sur le public, voilà de bons exercices, assez faciles, pour mettre en pratique les études sur l’image. La cassette/CD/DVD audio ou vidéo pourra être dupliquée pour les familles, passée sur le circuit interne ou la radio du collège, proposée à quelque cyberjournal : offrir un poème à un enfant du bout du monde !
Extrait de :Christian Montelle, La parole contre l'échec scolaire, l'Harmattan, 2005
Chère Eveline,
Vous écrivez :
"Ce qui est essentiel, c'est de savoir par cœur des quantités de textes (pas une "dizaine"... !). Et ce n'est pas du tout pour les réciter : Ils servent, ces textes, à fabriquer le miel culturel de chacun, celui qui fait réfléchir, qui structure la pensée et qui équilibre la personne. La mémoire, il faut le répéter, n'existe et ne se développe que par des lectures, encore et toujours recommencées. "
En tout cas, je pense que le poème n'existe pas tant qu'il ne s'est pas envolé dans la parole. Le poème fait plus souvent ressentir que réfléchir. Ressentir par le fait qu'il ouvre de façon différente nos yeux sur le monde.
Le poème est aussi musique et, comme une partition, il a besoin d'être interprété. Quel plaisir peut-on éprouver à lire une partition bouche fermée ?
Chacun interprète le poème de façon différente et c'est un formidable plaisir de partager cette diversité qui enrichit chaque auditeur.
On peut lire, réciter, psalmodier, chanter les poèmes. Qu'importe si on leur donne des ailes ! Les ailes du désir. Les ailes du plaisir. Les ailes du partage.
Revenir à la récitation ancienne n'a pas tout à fait ces objectifs ! La récitation-corvée tuera encore un peu plus la poésie !