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bric à bracs d'ailleurs et d'ici

Michael Jackson, maillon de la domination culturelle américaine

27 Juin 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Michael Jackson, maillon de la domination culturelle américaine
 

Michael Jackson
maillon de la domination culturelle américaine


Très honnêtement, je ne me suis jamais intéressé au chanteur. Malgré ses 45 ans de carrière, son titre de King of pop, son audience de star planétaire, je suis resté sourd et aveugle au phénomène. Il faut dire que je suis allergique à cette forme aussi de mondialisation qui n'est pas le fruit du hasard, qui participe de l'hégémonie culturelle des États-Unis. C'est pourquoi je mets en ligne, un essai sur États-Unis et Eurasie, paru dans Pour une école du gai savoir aux Cahiers de l'Égaré en 2004.

Ayant regardé quelques clips du site Michael Jackson

je dois reconnaître que j'ai apprécié.
On avait affaire indéniablement à un chanteur, un danseur, un acteur...Il bougeait très bien. On le voit bien avec Panther Dance.

Mais cela ne justifie pas l'emballement qui l'a entouré. Il me semble voir du machisme dans certains clips. Pas sûr que ce soit parodique. Une fascination pour des allures de dur, de caïd. Pas sûr que ce soit parodique.

Jean-Claude Grosse, le 27 juin 2009

Bambi est mort

ÉRIC DAHAN


 

C’était le 14 décembre 1969. Deux mois après avoir été présentés par Diana Ross dans l’émission Hollywood Palace,de la chaîne ABC, les Jackson Five étaient invités au Ed Sullivan Show, émission légendaire pour avoir accueilli les premières prestations aux Etats-Unis des Beatles et des Rolling Stones. Le groupe a signé sur la Motown de Berry Gordy, le label de Detroit qui, de rengaines des Supremes en tubes des Four Tops, a «sorti» la musique noire des ghettos du blues, du jazz, de la soul, en l’imposant comme la pop music de choix de la classe moyenne blanche.

Dès le glissando de piano enchaîné à un riff funk sur la note de sol dièse, pivot harmonique de toute la composition, impossible de ne pas être saisi. Entrent alors les congas et les cordes sur lesquels cinq garçons, de l’enfant à l’adolescent, exécutent une chorégraphie qui ajoute à la tension électrisante de la musique. Le thème d’I Want You Backrevient au cadet, qui danse comme James Brown, avec des poses de mac irrésistibles, tout en fredonnant les notes de la mélodie en «humming» façon Diana Ross. Huit ans plus tôt, la Motown avait révélé un prodige de 11 ans, Little Stevie Wonder. Mais Michael Jackson, en trois minutes, conjuguant le cri rythm’n’blues de rue, comme un appel voyou aux filles, et la candeur d’Epinal de Mickey Rooney et Shirley Temple, vient de s’imposer challenger du show-biz américain, où il est traditionnellement attendu d’un artiste qu’il sache chanter, danser et jouer la comédie.

la Jackson family

Le 23 janvier 1970, la chanson I Want You Back, extraite de l’album Diana Ross Presents the Jackson Five, coiffe le hit-parade. La même année, les deux singles du disque suivant, ABC, se classent à la même première place : tous les petits garçons veulent ressembler à Michael Jackson et toutes les filles sont folles de lui. L’album est objectivement fantastique, par le choix des compositions et les performances du soliste. La fantaisie mélodique de la chanson-titre ou de l’imparable The Love You Save fait mouche auprès des kids, mais même les adultes sont touchés par l’interprétation, d’une puissance dramatique irréelle, vu l’âge du chanteur, de Don’t Know Why I Love You de Stevie Wonder. Un Third Album paraît en septembre, dans la précipitation et moins réussi, mais la ballade I’ll Be There, clonant le style Diana Ross, de la composition (Berry Gordy et Hal Davis) à l’interprétation de Michael Jackson, envahit les radios à l’automne, avant publication (autre exercice obligé de l’entertainment américain) d’un Christmas Album.

En 1971, deux nouveaux disques : Maybe Tomorrow, qui contient l’imparable Never Can Say Goodbye et Going Back to Indiana, enregistrement live d’un show télévisé durant lequel le groupe interprète deux hymnes emblématiques de la «fierté noire» du militant psychédélique Sly Stone : Stand ! et I Want To Take You Higher. Le septième Jackson Five paraît le 23 mai de l’année suivante. La chanson-titre, Looking Through the Windows, signée Clifton Davis, est une réussite, mais la pire concurrence des Jacksons est née : c’est Michael Jackson.

L’indépendance

Tout en continuant à chanter avec le groupe, Michael vient de publier Got To Be There, son premier album, et c’est un carton : quatre tubes dont une reprise déchirante du Ain’t No Sunshine de Bill Withers, et 4 millions d’exemplaires vendus. Son premier number one solo sera Ben, chanson-titre d’un film d’horreur, et de l’album du même nom qu’il publie en 1972.

Jusqu’en 1975, le groupe, comme Michael Jackson, continue à livrer des albums originaux à la Motown, mais malgré des titres qui se distinguent systématiquement dans les dix premières places des charts, comme Dancing Machine et One Day In Your Life, la «Jacksonmania», qui avait culminé avec la diffusion de deux séries de dessins animés, The Jackson 5ive et The New Jackson 5ive Show en 1972, s’estompe.

Entre-temps, Marvin Gaye et Stevie Wonder ont publié leurs chefs-d’œuvre de la maturité et de nouvelles machines à danser sont nées, comme Kool & the Gang et Earth, Wind & Fire. Il est temps pour les Jacksons, ainsi rebaptisés car le nom Jackson Five appartient à Berry Gordy, de muter. Ils quittent la Motown pour Epic, filiale de CBS, prennent progressivement le contrôle artistique de leurs enregistrements et composent désormais leurs propres chansons.

la Star planétaire

Jusqu’en 1984, ils vont aligner six albums dont Destiny en 1978 et Triumph en 1980, qui marquent l’apogée de leur style disco-funk. Cependant, la voix de Michael a mué et son style, du falsetto aux halètements et hoquets suraigus, a gagné en suavité et charisme sexuel. Pour la deuxième fois de leur carrière, les Jacksons vont subir de plein fouet la concurrence du plus doué d’entre eux. Avec Off the Wall, son cinquième album solo paru en 1979, Michael Jackson est devenu une star planétaire. Rencontré sur le tournage à New York du film The Wiz avec Diana Ross, le producteur Quincy Jones va apporter au disco-funk de son nouveau poulain une sophistication sonore inouïe, fruit de trente ans d’expérience dans le jazz, le blues, la soul et la musique de films. Du galvanisant Don’t Stop ’Til You Get Enough à l’onirique I Can’t Help It, signé Stevie Wonder, en passant par She’s Out of My Life, nouveau chef-d’œuvre de dramaturgie vocale frissonnante, l’album est une leçon musicale, et s’écoule à 12 millions d’exemplaires. En photo au Studio 54 entre Andy Warhol et Liza Minnelli, numéro 1 au Billboard avec le single Rock With You, Jackson est nominé aux Grammy Awards de 1980, où il remporte le prix du meilleur chanteur r’n’b pour sa chanson Don’t Stop ’Til You Get Enough. D’autres s’en seraient réjouis mais cette décoration dans la catégorie «musique noire» est vécue, légitimement, comme un affront. La prochaine mutation radicale marque la fin d’une certaine innocence.

La mutation

Avec Thriller, Jackson pose toujours en éphèbe disco-funk sur la pochette, mais l’album est d’une diversité musicale stupéfiante. Avec Quincy Jones, il a modernisé son funk (l’afro-machinique Wanna Be Startin’ Somethin’ et le fameux Thriller, chanson-titre), tout en s’attaquant au public blanc avec un morceau rock : Beat It, agrémenté d’un solo du guitariste metal Eddie Van Halen. Si sa qualité musicale est indéniable, difficile de dissocier le succès de ce disque, qui remporte huit grammies en 1983 et demeure le plus vendu de l’histoire avec 104 millions d’exemplaires à ce jour, de la stratégie médiatique qui l’a accompagné.

Avec le clip de Billie Jean, ravivant un pas de danse oublié, le «moonwalking», Jackson a trouvé son gimmick, associé à chacune de ses apparitions scéniques. Avec celui de Beat It, il réanime les chorégraphies street de West Side Story. Enfin, avec celui de Thriller, superproduction de quatorze minutes en hommage à la Nuit des morts vivants, Jackson se pose comme l’homme de tous les records. Diffusés en permanence par la chaîne MTV, ces clips fanatisent le public et les médias, qui se passionnent pour les moindres agissements du chanteur, passé mythe vivant.

Plus personne n’ignore qu’il vient d’une famille modeste de l’Indiana et qu’il est le septième de neufs frères et sœurs. Est-ce par frustration d’avoir dû travailler dans une aciérie et d’être le guitariste du confidentiel The Falcons, que le père, Joseph Jackson a coaché à la dure ses enfants pour en faire une attraction musicale ? Michael et ses frères auraient été battus et violés.

Au moment où sort Thriller, Jackson a déjà subi une à deux rhinoplasties, seules opérations de chirurgie esthétique qu’il reconnaît. S’il peut imputer la responsabilité de ce complexe à son père qui, lorsqu’il était enfant, se moquait de son «gros nez», il n’en est qu’au début de son pacte faustien avec la chirurgie esthétique. Est-il victime des rumeurs les plus folles qui courent à son sujet (il dormirait dans un caisson à oxygène, il se blanchirait chimiquement la peau), ou les entretient-il savamment ? Lorsqu’il est transporté en urgence au Cedars-Sinai Hospital de Los Angeles avec des brûlures au troisième degré du cuir chevelu, suite à un accident pyrotechnique sur le tournage d’une pub Pepsi, les médias planétaires diffusent les images de son arrivée sur un brancard.

Le performer

En 1984, paraît l’album Victory des Jacksons dont Michael fait toujours partie et, durant la tournée américaine, il se taille la part du lion. L’année suivante, il coécrit avec Lionel Richie la chanson We Are the World, enregistrée avec quarante stars (Springsteen, Tina Turner, Stevie Wonder, Ray Charles…), contre la faim en Afrique, qui se vendra à 7 millions d’exemplaires.

En 1986, Jackson n’a toujours pas tourné en Europe, et la fièvre monte encore avec la diffusion dans tous les parcs Disney de Captain Eo, un court-métrage musical féerique en 3D, produit par Lucas et Coppola, pour 17 millions de dollars. En 1987, c’est au tour de Scorsese de réaliser le clip très urbain de Bad, premier single de l’album du même titre, deuxième disque le plus vendu de tous les temps avec 32 millions de copies. Après avoir enregistré dans le passé des duos avec Paul Mc Cartney, Stevie Wonder et Mick Jagger, celui qui se veut le Peter Pan de son temps a choisi d’inviter Prince à chanter sur ce titre, mais ce dernier a décliné l’offre, au grand dam de Quincy Jones qui rêvait de réunir ceux qu’il considérait comme les deux artistes du moment.

En France, les concerts que Jackson donne au Parc des Princes montrent le performer au sommet, jusque dans le numéro de cabotinage sur l’inquiétant Dirty Diana. Le 20 mars 1991, il signe un contrat record d’un milliard de dollars avec Sony et sort l’album Dangerous, suivi d’une nouvelle tournée mondiale. Annoncé par le clip façon United Colors of Benetton, le single Black or White, comme ceux qui vont suivre (Remember the Time, In the Closet) ne manque pas de charme. De nombreuses stars participent aux clips afférents dont Magic Johnson, Michael Jordan, les comédiens Eddie Murphy et Macaulay Culkin ainsi que les top-models Iman, Tyra Banks et Naomi Campbell. Résultat, 30 millions de copies vendues. C’est peu après, en août 1993, que les ennuis s’annoncent…

Les scandales

Jackson est accusé d’abus sexuel par le jeune Jordan Chandler, 13 ans, qu’il avait invité à passer un week-end en famille dans son ranch de Neverland. Dans le cadre de l’instruction, le chanteur est contraint d’accepter que ses parties génitales soient examinées pour corroborer la description qu’en a fournie le plaignant. L’affaire se résout par une transaction à 22 millions de dollars.

Le 26 mai 1994, Michael Jackson épouse Lisa Marie Presley. Cette union, comme sa liaison antérieure supposée avec Brooke Shields, est accueillie par certains avec le sourire. Désormais, les faits et gestes du chanteur suscitent l’incompréhension du public. Un an plus tard sort HIStory : Past, Present and Future - Book I, double album comptant quinze tubes du passé et quinze nouveautés dont Scream, en duo avec Janet, et You Are Not Alone, qui se vend à plus de 38 millions d’exemplaires. Mais les médias ne se passionnent plus que pour son remariage avec une infirmière nommée Debbie Rowe, leur «fils», Prince Michael Junior, né le 13 février 1997, et leur «fille», Paris Katherine Michael, le 3 avril 1998, dont il obtiendra la garde après divorce en 1999.

On le dit fini aux Etats-Unis, ce qui n’empêche pas le chanteur de tourner encore avec succès. A la veille du 11 septembre 2001, il se produit avec ses frères au Madison Square Garden, et, un an plus tard, se déclare père d’un nouvel enfant, Prince Michael II. Son dernier album en studio, Invincible, ne se vend «qu’à» 11 millions d’exemplaires.

En 2003, un documentaire réalisé par le journaliste Martin Bashir refait parler de lui dans les médias. Le feuilleton des accusations de pédophilie reprend et l’on apprend que le chanteur aurait quitté Sony et promis un album ailleurs. Il y a peu, les places de 50 concerts de son come-back prévus à Londres en juillet et jusqu’en 2010 pour éponger une dette de 178 millions de dollars, partaient en quelques minutes. Une nouvelle génération s’impatientait de découvrir le mythe vivant. Le 29 août, il aurait eu 51 ans.


 

Bambi le zombi

Par Pascal Bruckner 

On le sait depuis Oscar Wilde et son portrait de Dorian Gray : vieillir est un crime. Mais être un homme ou une femme est également un péché, avoir un corps est une faute, exister, une disgrâce. Michael Jackson est celui qui aura voulu effacer d'un coup les malédictions de l'être humain.


 

Ce petit garçon noir devenu une femme blanche, cet adulte régressif, atteint du syndrome de Peter Pan, aspira sa vie durant à être un ange, quitte à ressembler à une goule. Il aura travaillé pendant cinquante ans à gommer la double fatalité de l'âge et de la race, au point d'évoquer une créature fantastique entre Bambi et zombi.

Dans sa folle tentative de recréation de soi, il a témoigné de la passion contemporaine pour la désincarnation : il a voulu récuser toutes les divisions naturelles ou sociales liées au sexe (illustrant jusqu'à l'ascèse la théorie des genres formulée dans les années 1980) refuser les diktats de l'horloge biologique, s'affranchir du devenir, procéder à une deuxième ou troisième naissance qui ne devrait plus rien aux hasards de la nature.

Voyez ses clips : un polymorphisme vertigineux le montre se transformant sous nos yeux en dansant, son visage se mélangeant à celui de tous les autres jusqu'à devenir un loup-garou, une panthère noire, un enfant, un lapin. Il se veut le pont qui rattache les créatures les unes aux autres, confond le règne animal et humain.

Il voyage aussi dans le temps et l'espace, défie la pesanteur, la chronologie ordinaire. Le kitsch côtoie bientôt le monstrueux; il crée un parc d'attractions pour enfants dans sa propriété, Neverland, fait assaut de mignardises, adopte à partir de 1987 une voix sucrée de petite fille à la Shirley Temple. Mais le conte de fées tourne au cauchemar : une photo terrible le montre choisissant une prothèse nasale alors que son nez s'est désintégré sous le bistouri de trop de charlatans, laissant un trou au milieu du visage. Entre le chérubin et le poupon s'est glissé un troisième personnage : le mort-vivant.

Cette prodigieuse icône androgyne aura voulu accomplir sur lui-même les promesses du paradis, devenir un corps glorieux et incorruptible, d'après le Jugement dernier. Rencontre sur la scène pop de Frankenstein et de saint Paul. C'est pourquoi sa carrière chirurgicale est aussi passionnante que sa carrière musicale. Artiste de soi même, Michael Jackson est notre dernier martyr chrétien.


 

États-Unis / Eurasie


Pays le plus puissant du monde depuis 1940. Mais depuis la 2e guerre d’Irak (mars 2003), le monde découvre qu’il n’a plus besoin de l’Amérique alors que l’Amérique ne peut plus se passer du monde. Le paradoxe est tel que les USA, facteurs de paix pendant plus de 50 ans, sont aujourd’hui facteurs de désordre.
S’est construit

    – par vagues d’immigration européenne au XVIIIe
(aristocrates désargentés) et au XIXe siècle (sous-prolétariat)
    – par la conquête de l’Ouest sur la peau des bisons
et des Indiens
    – par l’exploitation des Noirs par les esclavagistes
dans les champs des états du Sud jusqu’à la Guerre de Sécession (1861-1865)
    – par le Taylorisme dans les usines des états du Nord
à partir de 1870.
Pays le plus puissant :
• sur le plan économique : protège ses ressources (pétrole), pille et gaspille celles d’autres pays dont certains sont traités comme des sous-traitants : monoculture ou mono-industrie au service des USA.
• sur le plan militaire : mais a perdu la guerre du Viêt-Nam, n’a pas gagné les guerres du Golfe…
• sur le plan monétaire : le dollar est la monnaie d’échange et les USA font supporter aux autres grands, le déficit de leur balance des paiements.

Le mode de vie américain et la culture américaine s’exportent dans le monde entier : nourriture et boissons à fabriquer des obèses, jeans à mouler les culs, chaussures fabriquées par des enfants pour pratiquer en champion tous les sports, films à susciter des serial-killers en mangeant du pop-corn, musiques à déclencher l’hystérie… Les enfants et les jeunes sont les plus fascinés par cette culture. On voit la fragilité d’une telle puissance : ignorons leurs films, leurs stars, leurs champions, leurs boissons, leurs jeans, leur bouffe, nous nous porterons mieux, nous serons mieux dans nos têtes et dans nos corps, eux se porteront plutôt mal. Ils sont engagés dans une guerre de domination du monde par le conditionnement des corps, prendre son pied, et des esprits, ne pas se prendre la tête.
Pays présenté comme la plus grande démocratie du monde, diffusant une culture de mort ; et pour le moment ça marche ; c’est un pays où la peine de mort est encore pratiquée à grande échelle, où les riches font régner la loi de l’argent, où les religieux intégristes et les ligues morales produisent un conservatisme rigide et agressif. C’est un pays où l’on dégaine plus vite que son ombre pour tuer l’ombre vue dans son jardin, où il ne fait pas bon vivre quand on est pauvre, malade, au chômage, noir.
Si j’essaie de construire le paradigme étatsunien, j’obtiens :
« Nous, Étatsuniens, élus de Dieu, devenus riches par notre travail, devenus puissants/hyperpuissants par notre messianisme en faveur de la liberté et de la démocratie, nous avons triomphé du mal qui s’appelait colonialisme quand nous avons fondé notre pays par la révolution contre les Anglais, puis qui s’est appelé nazisme, puis communisme et aujourd’hui terrorisme-islamisme. L’Amérique est de toutes les nations du monde, la plus juste, la plus tolérante, la plus désireuse de se remettre en question et de s’améliorer en permanence et le meilleur modèle pour l’avenir. La plus grande démocratie du monde doit prendre la tête des démocraties et poursuivre la mission éternelle de l’Amérique ».
Ce messianisme constitutif des États-Unis dès l’origine contribue, par son essence religieuse, à développer à l’intérieur un fort nationalisme, un profond patriotisme, à forger des mentalités de gagneurs. Durs en affaire, pratiques, novateurs, leur vision du monde est prométhéenne : action, adaptabilité, efficacité, dynamisme, individualisme, mouvement, optimisme, pragmatisme, variété. Ce messianisme contribue à développer à l’extérieur un esprit de croisade (justifié par la doctrine Monroë de 1823), qui fait des États-Unis le pays le plus interventionniste depuis qu’il existe. Ces croisades, ces interventions, ces guerres sont contre le mal, donc justes et en plus, depuis 1991, propres. Ce messianisme pour le bien du Monde et de l’Humanité, est à géométrie variable, selon les équipes au pouvoir (whigs ou tories, libéraux, ultra-libéraux, néo-conservateurs dits néo-cons, néo-keynesiens,…) mais on observe un effet cumulatif, présidence après présidence, à visée impériale, s’appuyant sur un 
double pouvoir :
1 – le pouvoir doux de l’image, du jazz, du rock, de la techno, de la comédie musicale, d’Hollywood, de la télévision, d’internet, des portables, des jetables, des consommables, de la bouffe, de la boisson, de la drogue, de la fringue, des jeux d’argent, des parcs d’attraction (et paradoxe, ce pouvoir doux est issu de la contre-culture, la culture underground des années d’après 1968) ;
2 – le pouvoir dur des armes, des alliances, des affaires, du capital et de la gouvernance d’entreprise où les principes, les idéaux (liberté – démocratie – droits de l’homme) sont l’habillage de pratiques contraires (pillage – unilatéralisme – violation des règles internationales).

Face à une telle idéologie (à déclinaison variable : Bush Junior est différent de Clinton, mais Clinton est le premier président à avoir dit que les États-Unis étaient la seule nation indispensable au monde, donc devant être maître de l’échiquier mondial) simpliste, mais efficace, face à une telle puissance qui veut vassaliser ses amis, écraser ses ennemis, face à de tels croyants, à de tels guerriers (guerre économique, guerre culturelle, guerre spirituelle, guerre des brevets, guerre des savoirs et des connaissances – qu’on pense au pouvoir des think tanks, 26 millions de dollars pour le Brookins Institute – guerre tout court) et on peut penser aux légions romaines, aux Waffen-SS, mais en cols blancs, comment se comporter ?
Pour eux, le monde aujourd’hui se découpe ainsi :
• leurs alliés mis en réseau politique, économique, militaire (Canada, pays anglo-saxons, pays de l’Est, Amérique latine) ;
• les munichois sans patriotisme et sans ressort (l’UE, la France) ;
• les ennemis identifiés avec lesquels des relations économiques sont possibles (Chine) ;
• les ennemis à détruire, à ramener dans le droit chemin (terrorisme, Irak, Iran, Corée du Nord).

La France (et son esprit munichois) peut-elle réagir, résister ?

En disant Non à la 2e guerre d’Irak, la France, l’Allemagne et la Russie rendent crédible et possible le projet d’une Eurasie politique et économique, nécessaire en contrepoids du pouvoir des USA, nécessaire pour construire vers l’Est les nouvelles routes de la soie qui donneraient à nos économies l’oxygène dont elles ont besoin.
Les USA, exportateurs du libéralisme, de l’ultra-libéralisme, du monétarisme n’hésitent pas à être protectionnistes ; l’État est fortement centralisateur, interventionniste pour tout ce qui concerne la stratégie nationale de sécurité : Conseil national de sécurité, Conseil économique national, Advocacy Center, War Room (celle-ci entre 1993 et 1997 aurait permis la signature de 230 contrats importants, générant 350 000 emplois et rapportant entre 40 et 200 millions de dollars, en mobilisant les services de l’État afin de faire aboutir des contrats au profit de firmes américaines.)
En France, la tendance semble être d’imiter les USA et nous ne sommes pas démunis : recherche, enseignement, culture, tourisme, mode de vie, mais nous ne sommes plus croyants ni guerriers.

Que nous reste-t-il ? Il nous reste contre les discours de certitudes et de servitude, à les questionner, à les dégonfler comme baudruches idéologiques, il nous reste la vraie discussion, la recherche de la vérité, il nous reste à réveiller l’émerveillement philosophique, à susciter chez le plus grand nombre le fort, le dur désir de vivre vraiment. L’anesthésie du plus grand nombre par le pouvoir doux des USA ferait place à une volonté de devenir homme de la grande responsabilité. Le pouvoir dur qui repose sur le darwinisme social : l’homme est un loup pour l’homme, n’aurait pas de prise sur l’homme de la grande responsabilité.
Les démocraties se sont construites sur le développement de l’instruction primaire (dit autrement, la démocratie est la superstructure politique d’une étape culturelle : l’instruction primaire). L’universalisation, constatable, de la démocratie s’effectue dans les pays où l’alphabétisation de masse se réalise. Quand un peuple a un niveau d’éducation élevé et un niveau de vie satisfaisant, il n’est pas belliciste, il ne donne pas le pouvoir à des va-t-en guerre. L’opposition des peuples d’Europe à la 2e guerre d’Irak a été unanime (contre leurs gouvernements parfois : Espagne, Italie, Grande-Bretagne). Et deux peuples de même niveau chercheront une solution pacifique à un différend qui les sépare.

Mais l’éducation secondaire et supérieure introduit un effet pervers dans ce processus démocratique, en faisant réapparaître des inégalités et en faisant émerger des « élites » qui se sont constituées dans les plus anciennes démocraties en oligarchie confisquant tous les pouvoirs à son profit.

On mesure ici l’enjeu : ou nous laissons nos grandes écoles continuer à produire ces oligarques qui menacent de mort la démocratie et donc la paix ou nous nous fixons l’objectif de faire sortir de notre enseignement secondaire et supérieur des hommes et des femmes de la grande responsabilité, imperméables au cynisme actuel des « élites ».
À l’idéologie, substituer la philosophie. À la croyance, substituer l’évidence. Aux discours manipulateurs, substituer la vraie discussion. Ignorer le guerrier et ses guerres, et passer son temps de vie (seul, à deux, à trois…) à vivre, essayer de vivre en vérité. Les hommes et les femmes deviendraient eux-mêmes.

Jean-Claude Grosse, 2004

 

PS: L'arrivée à la Maison Blanche de Barak Obama ne change pas cette analyse en ce que Barak Obama ne sera pas le président de la rupture avec ce paradigme. Il a clairement dit vouloir que les États-Unis retrouvent leur leadership mondial après les résultats catastrophiques de l'administration Bush en termes d'image et d'influence. Il sait très bien parler, susciter l'enthousiasme mais ne soyons pas dupes: il est là pour servir le capitalisme américain. Et bien des promesses de campagne vont passer à la trappe. Sa réforme du système de santé, ce sont des coupes sombres. Chez nous, c'est pareil.

 


 
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