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Une histoire de la vraie vie : que faire de l'institution culturelle ?

17 Avril 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

une "occupation" de 15 jours, révélatrice de fractures idéologiques, de divergences sur les revendications comme sur les formes d'action

une "occupation" de 15 jours, révélatrice de fractures idéologiques, de divergences sur les revendications comme sur les formes d'action

De “la Culture” comme concept hors-sol

L’occupation des théâtres en ce printemps 2021, aussi peu mordante soit-elle vis-à-vis de l’institution, a permis d’ouvrir ces lieux à des débats inédits et une certaine forme d’offensive politique. À Toulon, la récré aura duré moins de deux semaines avant que la préfecture ne renvoie tout le monde à la maison. L’administration du Liberté, avec qui les occupant-e-s n’ont jamais noué des relations de franche camaraderie, est peut-être soulagée. Mais cette assignation à la torpeur réjouit surtout les forces réactionnaires.

Mars 2021. Un collectif s’invite dans le hall du théâtre le Liberté, à Toulon, avec l’approbation circonspecte du directeur Charles Berling. Le mouvement a débuté au théâtre parisien de l’Odéon au début du mois et, depuis, irradie l’Hexagone. Envie de se faire entendre et de faire société. L’occupation du Liberté, épicentre culturel du Var, est stratégique autant que symbolique. Les revendications portent sur la précarité accrue des intermittent-e-s de l’emploi et des privé-e-s d’emploi en général. On exige l’abandon de la réforme de l’assurance chômage et la prolongation de l’année blanche. Faut-il en douter ? Le collectif plaide aussi en faveur de la réouverture de lieux culturels qui restent fermés, pour de nébuleuses raisons, depuis bien trop longtemps.
Dès le premier jour, Charles Berling estime au micro de France 3 que les revendications du collectif sont peut-être «un peu trop larges», et que «politiquement, ce n’est pas forcément une stratégie audible.» Lui se bat, depuis l’automne, pour la réouverture des lieux de culture.
Après une semaine, le collectif d’occupation publie sur Facebook un communiqué virulent, en réaction à une instrumentalisation maladresse de l’administration du théâtre qui, décidément, a bien du mal avec l’extension du domaine de la lutte, puisqu’elle vient d’envoyer une newsletter à ses abonné-e-s réduisant les revendications du collectif à la seule portion qui l’intéresse.
Le texte vengeur ironise sur les missions du Liberté. Les réactions sont vives, souvent indignées. Des artistes, technicien-ne-s, spectateurs-trices se désolidarisent d’un mouvement d’occupation qu’ils-elles n’avaient pas rejoint. L’équipe du Liberté s’estime outragée. On parle de poujadisme. On regrette une division qui ferait le jeu des méchants.
«Le théâtre Liberté est un temple de la culture bourgeoise», affirme le communiqué. La formule ne passe pas. On rejette l’adjectivation du mot culture. Ainsi cette réaction, fort applaudie : «Aujourd’hui il ne s’agit plus de dire ou d’écrire que certains lieux de culture sont bourgeois ou populaires et au final de créer des oppositions là où elles n’ont pas lieu d’être. La culture n’a pas plusieurs vitesses, elle n’a qu’un visage. Le théâtre liberté comme d’autres structures ne sont pas des lieux élitistes mais des espaces culturels heureusement subventionnés.»

Il faudrait donc se contenter de la culture au singulier et sans complément, comme dans «Ministère de la Culture».
Sur le site du ministère, il est écrit : «La mission fondatrice du ministère de la Culture de «rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité» s’est traduite à la fois par un soutien à l’offre culturelle, à sa qualité et à sa diversité et par une action en faveur du développement des publics, particulièrement de ceux qui sont le plus éloignés de la culture.» Apprécions l’énoncé aux relents colonialistes qui laisse à penser que des êtres humains peuvent vivre «éloignés de la culture», au seul motif qu’ils ne partagent pas la vôtre. Qui décide de ce qui fait culture, en France ? Un indice : ce n’est peut-être pas cette femme qui nettoie, au petit matin, les locaux de la rue de Valois.

On entend souvent parler du «monde de la culture». L’expression laisse flotter l’idée d’une entité homogène, témoignant d’un même rapport sensible au monde. Pourtant, si on interroge plusieurs personnes sur la signification du mot culture, il est fort probable qu’on obtienne des points de vue divergents. Le territoire semble vaste, à la mesure de la vie de chacun-e. Sauf qu’il est très circonscrit sur le plan institutionnel.

Revenons alors à cette Culture avec un grand C que le ministère entend promouvoir à travers le réseau des «scènes nationales» auquel émarge le théâtre Liberté. Cette «La Culture» se déploie selon un processus de médiation complexe associant air du temps, appropriation, neutralisation, légitimation, valorisation, en prise directe avec les préoccupations sociétales des classes moyennes supérieures qui constituent son ferment …beaucoup moins avec les précarités sociales qui échappent aux mêmes classes moyennes supérieures. L’institution culturelle sera beaucoup plus prompte à s’emparer des questions de genre que du mouvement des Gilets jaunes, par exemple.

Subventionnée d’un côté, mécénée de l’autre, cette Culture se sait fragile et constamment menacée dans la mesure où, derrière son C majuscule, elle reste d’accès minoritaire (aussi prétendument universaliste soit-elle) et s’oppose de plus en plus frontalement à un repli et une atrophie authentiquement réactionnaires, qu’incarnait en son temps le Front national de Jean-Marie Le Chevallier à Toulon, mais que promeut aussi l’actuel ministre de l’Éducation nationale. Voir son usage gourmand de l’expression «islamo-gauchiste», ou la confusion médiatique qu’il entretient entre les «réunions de personnes racisées» et les «réunions racistes». Pourquoi parler spécifiquement de Jean-Michel Blanquer ? Parce que son ministère est historiquement lié à celui de la Culture et que l’action culturelle se fait très souvent par le biais de l’institution scolaire.

Au constat du sort réservé à l’expression artistique à et à la création sous toutes ses formes en période de covid (à l’exclusion notable de la forme numérique), et à l’écoute de la parole gouvernementale, il y a donc objectivement du souci à se faire.

C’est par cette fragilité que s’opère le rejet épidermique de toute critique à l’endroit de la Culture aussitôt perçue, de l’intérieur, comme faisant le jeu des réactionnaires. Il y aurait pourtant urgence à développer cette critique et ouvrir les portes, à revenir sur la notion de culture «élitaire pour tous» et discuter cette émancipation dont la Culture prétend être vectrice, quand les tensions vont croissantes entre des corps sociaux artificiellement montés les uns contre les autres. Et pour bien comprendre les choses, il convient de correctement les nommer.

Alors oui, Le théâtre Liberté est un temple de la culture bourgeoise.
Affirmer cela n’est pas faire injure aux abonné-e-s ni aux personnes qui y travaillent, c’est exposer la réalité des faits. Un temple, en ce sens que la taille du hall et de ses lustres forcent la considération, et qu’on n’entre pas ici comme on pose sa serviette sur la plage. Bourgeois, parce que sa programmation fait le miel de personnes détenant un capital qui les engage dans un rapport de domination, qu’elles l’admettent ou non, vis-à-vis de celles qui n’en disposent pas : le capital culturel passe en particulier par la maîtrise de la langue.
En ces lieux prospère une certaine forme de normalisation sociale, un entre-soi ressenti comme une violence par les personnes qui n’ont pas le bon habitus, le savent et s’auto-excluent a priori malgré toute la «bienveillance» de l’institution. La programmation du Liberté attire ainsi, pour l’essentiel, un public cultivé, vivant d’un travail sans doute plus intellectuel que manuel, aussi des gens moins connaisseurs mais plus friqués, se trouvant légitimes à franchir le seuil du temple puisque l’argent a ce pouvoir magique d’abolir les frontières symboliques.
Car il est bien évident qu’on peut disposer d’un capital culturel et parallèlement crever la dalle. C’est dans ce cas, et dans ce cas seulement, quand on salive devant la vitrine sans avoir les moyens de s’offrir les victuailles, que les fameux billets suspendus peuvent trouver leur destination.

Il y a bien aveuglement, à confondre la nécessaire critique de la domination culturelle avec une pseudo-division autour de revendications catégorielles. Il y a bien funeste repli, à vouloir contenir «l’élargissement» de la lutte, c’est à dire refuser d’associer la crise que traverse «le monde de la culture» à la dynamique systémique qui affecte aussi, entre autres, l’Hôpital et l’Université.

Cet aveuglement vire à la schizophrénie quand la Culture, qui prône «le respect de l’autre dans ses différences» et la «promotion de la diversité sous toutes ses formes», se bouche les oreilles et appelle la Sécurité en renfort parce que ça vocifère un peu trop fort dans le hall du théâtre. Les dernières nuits d’occupation du Liberté, il y avait là autant de vigiles que d’occupants…

La Culture, en son temple, coincée entre ministère et pouvoirs locaux, ayant à cœur d’assumer son cahier des charges et les responsabilités qu’engage un budget très conséquent (très conséquent au regard des budgets des autres lieux culturels du coin, s’entend) doit-elle simplement attendre un hypothétique retour à la normale en se parlant à elle-même, en vase clos ? Est-elle condamnée à penser le désastre comme seul sujet de programmation à l’intention de publics qui échappent au désastre ? Peut-elle continuer de monter Kafka, Orwell, Falk Richter, sans rien dire publiquement sur la loi «Sécurité globale» ? Peut-elle encore danser le multiculturalisme en restant silencieuse devant la stigmatisation culturelle opérée par la loi «Séparatisme» ?
La Culture, en son temple rouvert, une fois sa normalité retrouvée, pourra-t-elle être nuisible au désastre ?

Merde à la culture institutionnelle qui formate en prétendant former

J'ai lu les déclarations de deux artistes, le directeur du CDN d'Angers (Thomas Jolly jouant à son balcon la scène du balcon de Roméo et Juliette, le 25 mars 2020) et le directeur du Théâtre de la Ville et du Festival d'automne Emmanuel Demarcy-Motta, le 4 septembre 2020 

parler depuis les soucis et prérogatives d'un CDN ou d'un Festival donc parler de formes sans pointer le contexte mondial de mise en place d'un contrôle sécuritaire-autoritaire permanent (faisant s'effondrer quelques croyances et illusions: la démocratie comme rempart ou solution, l'état-providence comme garant des communs), sans se placer au niveau des enjeux, connus pourtant, annoncés depuis plus de 60 ans (rapport Meadows, halte à la croissance): il faut changer radicalement nos rapports à la Vie, à la Terre et à l'Univers; il faut se changer soi radicalement (peurs, en particulier la peur de la mort et servitude volontaire; apparemment, il faut beaucoup de temps déjà pour en avoir conscience) 

au sortir d'un "grand" spectacle, je suis toujours un soumis; j'ai applaudi par exemple Trintignant habitant la marche à l'amour de Gaston Miron ou Nougaro faisant vivre sa plume d'ange

l'émotion, les larmes sont bâillonnées parce que nous sommes dans la représentation et pas dans la Présence qui pourrait en métamorphoser plus d'un, d'un coup comme une évidence

à méditer cette forte pensée de Jean Giono en préface du Prince, de Machiavel : 

"Le pouvoir gouverne toujours comme les gouvernés gouverneraient s'ils avaient le pouvoir." 

Où j'en suis, en date du 7 avril 2019 (mouvement des GJ)

pour moi maintenant si on 

(on, désignant un passeur, un transmetteur, un partageur, un homme de passion et de bienveillance, un qui a choisi de se tenir le plus possible à l'écart du système marchand)

si on n’a pas pour objectif que tout le monde s’exprime en inventant sa façon de s'exprimer, pas en singeant les formats dominants (clips, shows, gros romans, pièces sur le bruit du monde, chansons et musiques dites actuelles, cirque, jonglage...)

si on n'a pas pour objectif que chacun crée son art de vivre sa vie, avec ses heurs, bonheurs, malheurs, pas en singeant les modèles dominants donnés à imiter, consommer, jeter, renouveler, et rien à voir avec les soi-disant arts de vivre, l'art de vivre méditerranéen, crétois, l'american way of life...

alors merde à l’art, aux artistes qui pullulent, sont en concurrence, mis en concurrence par les gens de culture, et qui ululent, crowdfundinguent, s'auto-produisent et revendiquent leur participation à l'économie, nous représentons 3% du PIB 

merde aux gens de culture qui pullulent et pompent le fric, eux qui ont du pouvoir, si peu, si peu mais s'y croient avec de moins en moins d’argent et revendiquent aussi leur participation à l'économie, nous représentons plus que l'industrie automobile

monde de merde à l’image caricaturale du monde de requins et prédateurs de toutes sortes des hautes sphères qui ne tournent pas rond. 

La déclaration de Villeurbanne, vous comprenez que je m'en moque. 

Ses enjeux même contradictoires ne sont pas à la hauteur. 

Mon slogan serait : 

Tous artistes, tous écrivains, tous photographes,

chacun son expression, chacun son art de vivre sa vie 

pas la vie comme oeuvre d'art 

pas l'art pour émanciper, élever, éduquer, éveiller 

pas la culture dominante qui ne se reconnaît pas comme telle, alibi de la domination marchande avec son discours émancipateur, démocratisateur et ses pratiques de management à l'américaine, travail en openspace, séparation entre direction, personnel et techniciens, entre gens de culture et artistes

chacun son art de vivre sa vie c'est-à-dire en conscience, y en a, y veulent de la pleine conscience, beaucoup de moments dans le silence, parfois du rire, des sourires tout pleins, des gestes doux et tendres, pas besoin de créativité renouvelable 24 H sur 24, juste de l'attention, là, à 10 cms, regarde et tu déplaces la petite pierre, la brindille, ah, ça fait un cupidon...et t'es frappé en plein coeur par l'amour 

mais purée que c'est simple l'amour, 

y en a qui aiment compliquer à souhait

y en a qui veulent pas entendre le souffle aimant à côté d'eux, tant pis pour eux 

j'aime les bienheureux, les simples d'esprit et de coeur qui ont le coeur net et direct, donc les enfants débiberonnés du cordon médiatique

Maintenant je veux dire où j’en suis en 2019, après avoir joué un rôle public dans les domaines du théâtre, de l’écriture et de l’édition, pendant 22 à 30 ans, tout cela bénévolement (je tiens à le préciser et je tiens à préciser que cette position d'aujourd'hui est en lien avec mon cheminement intellectuel, spirituel et ne vaut que pour moi, autrement dit je trouve normale toute autre position exprimant le vécu, les choix essentiels d'un autre et il ne me viendrait pas à l'esprit de le convaincre ou persuader qu'il se trompe) :
si ce qui se passe (mouvement des GJ) est un moment de changement de paradigme, d'une crise irréversible de la civilisation matérialiste, consumériste (avec crise de régime, crise de la représentation suite à son incapacité à adapter nos modes de vie au nouveau régime climatique et aux autres effondrements ou basculements, à assurer la transition écologique,
mot qui parle peu, expression peut-être déjà dépassée) vers une civilisation de la Conscience, alors, ce qui importe est le cheminement de plus en plus conscient de chacun, dans chacun de ses comportements, de l'intime à l'extime; il en va de la responsabilité de chacun et d'un travail sur soi persévérant, exigeant 

je me doute bien que les zones de confort des uns et des autres sont un obstacle à cette élévation de conscience individuelle et collective; faudra-t-il donc encore plus de souffrances pour en sortir de cette civilisation mortelle et mortifère ? 
à supposer que je sois dans la lumière à un moment parce que proposant une action un peu sensée ou une idée un peu innovante, je dois aussi accepter de ne plus l'être demain 
le mouvement fait apparaître, disparaître (plus ample que le seul mouvement des gilets jaunes, beaucoup plus lointain que l’acte I du 17 novembre 2018) 
nous sommes à notre place, au bon moment, le temps d'un moment puis on s'efface, on est effacé, remplacé 
surtout refuser de garder la main sur un segment, un pré carré, ne pas être dans les entre-soi..., dans les certitudes (rejeter le RIC, être jusqu'au boutiste de la grève générale illimitée qui ne semble pas être à l'ordre du jour, voir les déclarations ignobles sur les GJ de tout un tas de gens qu’on nous vendait comme ouverts, même Patrick Boucheron) 
tout accueillir, ne pas faire de tri, comprendre, tenter de comprendre les autres points de vue, surtout ceux qui nous sont les plus étrangers, cela demande de l'empathie, de l'amour, de l'amitié pour l’autre (pas facile du tout de comprendre un Luc Ferry et Macron alors !): 
on n'est pas ennemis, on a un commun essentiel, pas seulement d'être Humain, pas seulement d'être Terrien mais d'être des Univers 
favoriser les créolisations, le Tout-Monde (lire Edouard Glissant)

Denis Lavant : "L'idéal, c'est d'avoir un rapport poétique à la vie, au quotidien, et de ne pas avoir besoin de scène pour exercer cela" 
" Ce qui me tourmente, c’est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d’orientaux vivent dans la crasse et s’y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné." Saint-Exupéry


 

IMAGINONS: 1700 spectacles en Avignon l'été dans le off soit 1700 X 20000 € de location de salle mini = 34.000.000 € dépensés pour une illusion : on va être vu par des directeurs et des critiques et on va tourner. Ô les tristes calculs de jeunes plein d'énergie, aptes au système D et réussissant à survivre, certes souvent dans la galère mais survivre avec le sentiment d'être créatif, créateur ce qui peut donner une saveur sans pareille à l'existence; rien à voir avec l'aliénation des exploités de bas en haut du système productif.

 

IMAGINONS: 1700 compagnies investissent la France profonde, désertée par les paysans, peu récupérée par les alternatifs et ils construisent leur habitat durable, écolo, leur salle de répétition, leur jardin en permaculture, leurs équipements en énergie géothermique, des oasis donc avec école Montessori, des jardins d'Épicure, le philosophe pour des temps comme le nôtre de fin de civilisation (lire le Sur Épicure de Marcel Conche qui se tient à l'écart du grand tapage médiatique)

 

IMAGINONS : les musiciens, les écrivains, les plasticiens, les architectes, tous ceux capables de comprendre qu'il n'y a pas d'avenir dans ce monde marchand abandonnent les villes à leur pourrissement et à leur ratisation proliférante et vont retrouver la dure et saine vie dans les collines et les bois comme D.H Thoreau ou comme avait imaginé Jack London

mais ce n'est qu'un rêve

qui dit éducation (y compris artistique donc censé être à l'écoute de l'enfant) dit qu'il y a nécessité à transmettre, quoi ? ce que transmet le maître, l'artiste et même s'il y a grande écoute de l'adolescent, de l'enfant, il y a certitude qu'il y a à transmettre, ça c'est gratifiant et ça peut se rémunérer en plus de la gratification narcissique; et si l'enfant n'était pas à éduquer ? même et surtout sur le plan artistique, créatif ? l'éducation se passe au niveau de la conscience analytique cérébrale, ce que j'appelle la CAC 40, pire que le CAC 40; l'enfant jusqu'à 6-7 ans est spontanément dans la conscience intuitive extra-neuronale (états modifiés de conscience), il a accès à des dimensions que nous perdons avec les apprentissages et l'éducation => une société sans école de Yvan Illich, François Roustang, Jean-Jacques Charbonnier 

 

les programmes qui nous agissent ont été acquis entre le 6° mois de notre état de foetus
et l'âge de 7 ans, sous onde téta, en quasi-hypnose, ce sont des programmes inconscients, subconscients venus de notre milieu familial, socio-culturel, programmes hérités de notre "éducation", de l'éducation reçue, très souvent coercitive, pour notre "bien", éducation à la performance, à toujours se dépasser qui paradoxalement nous apprend à ne pas nous aimer, à nous juger négativement en permanence ;
à partir de 7 ans, le néo-cortex ou lobe frontal entre en fonction, sous onde alpha, on pense, réfléchit, évalue, décide éventuellement de modifier le programme ; il se trouve que 95% de nos programmes inconscients nous pilotent quasi- automatiquement, que nous tentons d'agir sur nous avec 5% de conscience ; on ne fait pas le poids ; d'où les thérapies nouvelles à base d'hypnose pour reprogrammer ce qui est inconscient
(1- vidéos essentielles de Bruce Lipton sur you tube et pour renouer avec l'animalité en nous, 2- être inspiré par Mister Gaga, Ohad Naharin) 
1-
2-

 

moi - Rilke parle très bien de l'Ouvert et avant lui Hegel dans le magnétisme animal, hors parole, hors langage; ça ne se pense pas, ça se vit et c'est très difficile à retrouver, à trouver; je n'y suis pas encore arrivé malgré méditation et autres exercices dont atelier de TCH (trans-communication hypnotique)

 

7 avril 2019, JCG

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Capital et idéologie / Thomas Piketty

26 Mars 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #note de lecture, #agora

le groupe informel Penser l'avenir après la fin des énergies fossiles, se réunissant tous les deux mois, le dimanche de 17 à 19 H, salle des mariages du Revest, avait mis ce livre à l'étude; la Covid a empêché les réunions de se tenir depuis avril 2020

le groupe informel Penser l'avenir après la fin des énergies fossiles, se réunissant tous les deux mois, le dimanche de 17 à 19 H, salle des mariages du Revest, avait mis ce livre à l'étude; la Covid a empêché les réunions de se tenir depuis avril 2020

Capital et idéologie  

Toutes les sociétés humaines ont besoin de justifier leurs inégalités : il faut leur trouver des raisons, faute de quoi c’est l’ensemble de l’édifice politique et social qui menace de s’effondrer. Les idéologies du passé, si on les étudie de près, ne sont à cet égard pas toujours plus folles que celles du présent. C’est en montrant la multiplicité des trajectoires et des bifurcations possibles que l’on peut interroger les fondements de nos propres institutions et envisager les conditions de leur transformation.
À partir de données comparatives d’une ampleur et d’une profondeur inédites, ce livre retrace dans une perspective tout à la fois économique, sociale, intellectuelle et politique l’histoire et le devenir des régimes inégalitaires, depuis les sociétés trifonctionnelles et esclavagistes anciennes jusqu’aux sociétés postcoloniales et hypercapitalistes modernes, en passant par les sociétés propriétaristes, coloniales, communistes et sociales-démocrates. À l’encontre du récit hyperinégalitaire qui s’est imposé depuis les années 1980-1990, il montre que c’est le combat pour l’égalité et l’éducation, et non pas la sacralisation de la propriété, qui a permis le développement économique et le progrès humain.
En s’appuyant sur les leçons de l’histoire globale, il est possible de rompre avec le fatalisme qui nourrit les dérives identitaires actuelles et d’imaginer un socialisme participatif pour le XXIe siècle : un nouvel horizon égalitaire à visée universelle, une nouvelle idéologie de l’égalité, de la propriété sociale, de l’éducation et du partage des savoirs et des pouvoirs.

Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et professeur à l’École d’économie de Paris, Thomas Piketty est l’auteur du Capital auXXIe siècle (2013), traduit en 40 langues et vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires, dont le présent livre est le prolongement.

Pour un Socialisme participatif à l’échelle mondiale

Les 2 défis majeurs du XXIème siècle sont le réchauffement climatique et la remontée des inégalités.

L’idéologie de la mondialisation est actuellement en crise et en phase de redéfinition. Les frustrations créées par la montée des inégalités ont peu à peu conduit les classes populaires et moyennes des pays riches à se défier de l’intégration internationale et du libéralisme économique sans limites. Ces tensions ont contribué à l’émergence de mouvements nationalistes et identitaires qui pourraient alimenter une fuite en avant vers la concurrence de tous contre tous et le dumping fiscal et social vis-à-vis de l’extérieur, le tout s’accompagnant à l’intérieur des États par le durcissement identitaire et autoritaire à l’encontre des minorités et des immigrés, de façon à souder le corps social national face à ses ennemis déclarés.

Une grande partie du livre est consacrée à l’étude des régimes inégalitaires de par le monde et aux leçons qui peuvent en être tirées pour s’orienter vers un socialisme participatif à l’échelle mondiale et créer une société juste, à savoir une société qui permet à l’ensemble de ses membres d’accéder aux biens fondamentaux les plus étendus possible. Parmi ces biens fondamentaux figurent notamment l’éducation, la santé, le droit de vote, et plus généralement la participation la plus complète de tous aux différentes formes de la vie sociale, culturelle, économique, civique et politique.

 

T. PIKETTY propose un faisceau de pistes profondément étudiées.

 

Y’a plus qu’à trouver les hommes politiques pour avoir le courage de s’en emparer !

 

1- Partager le pouvoir dans les entreprises

 

Afin de dépasser le capitalisme et la propriété privée et de mettre en place le socialisme participatif, il est possible en faisant évoluer le système légal et fiscal d’aller beaucoup plus loin que ce qui a été fait jusqu’à présent, d’une part en instituant une véritable propriété sociale du capital, grâce à un meilleur partage du pouvoir dans les entreprises, et d’autre part en mettant en place un principe de propriété temporaire du capital, dans le cadre d’un impôt fortement progressif sur les propriétés importantes permettant le financement d’une dotation universelle en capital et la circulation permanente des biens.

Il faut en finir avec une action = une voix et généraliser la cogestion dans sa version maximale, avec la moitié des droits de vote pour le personnel dans les conseils d’administration ou de direction de toutes les entreprises privées, y compris les plus petites mais en limitant drastiquement le pouvoir de ceux qui apportent du capital (plafonnement des droits de vote pour tous les apports en capital supérieurs à 10 %). On pourrait faire des observations similaires pour des organisations dans les secteurs de la santé, de la culture, des transports ou de l’environnement.

 

2- Réforme de la fiscalité

 

  • La concentration extrême de la propriété dans la plupart des sociétés jusqu’au début du XX siècle, avec généralement autour de 80 %-90 % des biens détenus par les 10 % les plus riches n’avait aucune utilité du point de vue de l’intérêt général. Afin d’éviter qu’une concentration démesurée de la propriété ne se reconstitue de nouveau, les impôts progressifs sur les successions et les revenus doivent être complétés par un impôt progressif annuel sur la propriété, lequel a en outre l’avantage de s’adapter beaucoup plus vite à l’évolution de la richesse et de la capacité contributive des uns et des autres. Par exemple, on ne va pas attendre que Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos atteignent 90 ans et transmettent leur fortune pour commencer à leur faire payer des impôts.

 

  • En revanche, la diffusion de la propriété ne s’est jamais véritablement étendue aux 50 % les plus pauvres (dont la part dans le patrimoine privé total s’est toujours située autour de 5 %-10 %) qui n’ont ainsi jamais eu que des possibilités limitées de participation à la vie économique, et en particulier à la création d’entreprises et à leur gouvernance.

 

Multiple du patrimoine moyen

Impôt annuel sur la propriété

Impôt sur les successions

 

Multiple du revenu moyen

Taux effectif d’imposition y/c cotisations sociales et taxe carbone

0,5

0,1%

5%

 

0,5

10%

2

1%

20%

 

2

40%

5

2%

50%

 

5

50%

10

5%

60%

 

10

60%

100

10%

70%

 

100

70%

1.000

60%

80%

 

1.000

80%

10.000

90%

90%

 

10.000

90%

 

 

L’impôt annuel sur la propriété et l’impôt sur les successions rapporteraient au total environ 5 % du revenu national. Il permettrait de mettre en place un système de dotation en capital équivalant à 60 % du patrimoine moyen versée à chaque jeune adulte (par exemple à l’âge de 25 ans).

Exemple : dans les pays riches, le patrimoine privé moyen est à la fin des années 2010 d’environ 200 000 euros par adulte. Dans ce cas, la dotation en capital sera donc de 120 000 euros. De facto, ce système aboutirait à une forme d’héritage pour tous alors qu’actuellement, les 50 % les plus pauvres ne reçoivent quasiment rien (à peine 5 %-10 % du patrimoine moyen) et que les 10 % des jeunes adultes les plus riches héritent de plusieurs centaines, voire de millions d’euros.

S’agissant des taux d’imposition applicables aux plus hautes successions et aux plus hauts revenus, il faudrait qu’ils atteignent des niveaux de l’ordre de 60 %-70 % au-delà de 10 fois la moyenne des patrimoines et des revenus, et de l’ordre de 80 %-90 % au-delà de cent fois la moyenne (voir tableau)

Par comparaison à l’actuel système d’imposition proportionnelle de la propriété immobilière en place dans de nombreux pays, ce barème entraînerait une réduction fiscale substantielle pour les 80 %-90 % de la population les moins riches en patrimoine et faciliterait donc leur accession à la propriété. À l’inverse, l’alourdissement serait conséquent pour les plus hauts patrimoines. Pour les milliardaires, le taux de 90 % reviendrait à diviser immédiatement leur patrimoine par dix et à ramener la part des milliardaires dans le patrimoine total à un niveau inférieur à ce qu’elle était au cours de la période 1950-1980.

N.B : Il est essentiel que l’impôt progressif sur la propriété et sur l’héritage envisagé ici porte sur le patrimoine global, c’est-à-dire sur la valeur totale de l’ensemble des actifs immobiliers, professionnels et financiers (nets de dettes) détenus ou reçus par une personne donnée, sans exception. De la même façon, l’impôt progressif sur le revenu doit porter sur le revenu global, c’est à-dire sur l’ensemble des revenus du travail (salaires, pensions de retraite, revenus d’activité des non-salariés, etc.) et du capital (dividendes, intérêts, profits, loyers, etc ).

 

Conclusion : l’accumulation de biens est toujours le fruit d’un processus social, qui dépend notamment des infrastructures publiques (en particulier du système légal, fiscal et éducatif), de la division du travail social et des connaissances accumulées par l’humanité depuis des siècles. Dans ces conditions, il est parfaitement logique que les personnes ayant accumulé des détentions patrimoniales importantes en rendent une fraction chaque année à la communauté, et qu’ainsi la propriété devienne temporaire et non plus permanente.

 

 

L’impôt progressif sur le revenu (dans lequel ont également été incluses les cotisations sociales et la taxe progressive sur les émissions carbone), rapporterait autour de 45 % du revenu national. Il permettrait de financer toutes les autres dépenses publiques, en particulier le revenu de base annuel à hauteur de 5 % du revenu national et surtout l’État social (y compris les systèmes de santé et d’éducation, les régimes de retraites, etc.) à hauteur de 40 % du revenu national.

Par exemple, une version relativement ambitieuse du revenu de base, telle que celle indiquée sur le tableau, pourrait consister à mettre en place un revenu minimum équivalant à 60 % du revenu moyen après impôt pour les personnes sans autres ressources, et dont le montant versé déclinerait avec le revenu et concernerait environ 30 % de la population.

N.B : Les prélèvements sociaux s’apparentent de fait à une forme d’impôt sur le revenu, dans le sens où le montant prélevé dépend des revenus, parfois avec des taux variables suivant le niveau de salaire ou de revenu. La différence essentielle est que ces prélèvements sont généralement versés non pas dans le budget général de l’État, mais dans des caisses sociales dédiées par exemple au financement de l’assurance-maladie, du système de retraite, des allocations-chômage, etc. De tels systèmes de prélèvements dédiés et de caisses séparées devraient continuer à s’appliquer. Compte tenu du niveau global très élevé des prélèvements obligatoires, il est capital de tout faire pour favoriser une meilleure appropriation citoyenne des impôts et de leurs usages sociaux, ce qui peut passer par des caisses séparées pour différents types de dépenses, et plus généralement par la plus grande transparence possible sur l’origine et la destination des prélèvements.

 

N.B : Au sein des pays d’Europe occidentale, où les prélèvements obligatoires se sont stabilisés autour de 40 %-50 % du revenu national dans les années 1990-2020, on constate généralement que l’impôt sur le revenu (y compris l’impôt sur les bénéfices des sociétés) représente autour de 10 % - 15 % du revenu national, alors que les cotisations sociales (et autres prélèvements sociaux) peuvent atteindre environ 15 % - 20 % du revenu national et les taxes indirectes (TVA et autres taxes sur la consommation) autour de 10 % - 15 % du revenu national.

 

Les ordres de grandeur sont importants. Ils expriment l’idée que la société juste doit se fonder sur une logique d’accès universel à des biens fondamentaux, au premier rang desquels la santé, l’éducation, l’emploi, la relation salariale et le salaire différé pour les personnes âgées (sous forme de pension de retraite) et privées d’emploi (sous forme d’allocation-chômage). L’objectif doit être de transformer l’ensemble de la répartition des revenus et de la propriété, et par là même la répartition du pouvoir et des opportunités, et pas simplement le niveau du revenu minimum. L’ambition doit être celle d’une société fondée sur la juste rémunération du travail, autrement dit le salaire juste. Le revenu de base peut y contribuer, en améliorant le revenu des personnes trop faiblement rémunérées. Mais cela exige aussi et surtout de repenser un ensemble de dispositifs institutionnels complémentaires les uns des autres.

Idéalement, le retour de la progressivité fiscale et le développement de l’impôt progressif sur la propriété devraient se faire dans le cadre de la plus grande coopération Internationale possible. La meilleure solution serait la constitution d’un cadastre financier public permettant aux États et aux administrations fiscales d’échanger toutes les informations nécessaires sur les détenteurs ultimes des actifs financiers émis dans les différents pays.

Avec un tel système, la seule stratégie d’évitement possible pour les détenteurs de biens résidentiels ou professionnels basés en France serait de quitter le territoire et de vendre les actifs correspondants. Face à cela, des mesures de type exit tax pourraient être appliquées. En tout état de cause, il faut souligner que cette stratégie d’évitement impliquerait de vendre les biens (logements et entreprises), de sorte que les prix de ces derniers baisseraient et pourraient ainsi être achetés par tous ceux qui resteraient dans le pays.

 

3- La taxation progressive des émissions carbone

 

La condition absolue pour qu’une taxe carbone soit acceptée et joue pleinement son rôle est de consacrer la totalité de ses recettes à la compensation des ménages modestes et moyens les plus durement touchés par les hausses de taxes et au financement de la transition énergétique. La façon de faire la plus naturelle serait d’intégrer la taxe carbone - progressive - dans le système d’impôt progressif sur le revenu, comme cela a été fait sur le tableau.

 

4- Un système éducatif juste

 

  • De façon générale, l’émancipation par l’éducation et la diffusion du savoir doit être au coeur de tout projet de société juste et en particulier du socialisme participatif.

L’investissement éducatif public total dont auront bénéficié au cours de l’ensemble de leur scolarité (de la maternelle au supérieur) les élèves de la génération atteignant 20 ans en 2018 se monte en moyenne à environ 120 k€ (soit approximativement 15 années de scolarité pour un coût moyen de 8 k€ par an). Au sein de cette génération, les 10 % des élèves ayant bénéficié de l’investissement public le plus faible ont reçu environ 65-70 k€, alors que les 10 % ayant bénéficié de l’investissement public le plus important ont reçu entre 200 k€ et 300 k€. (les coûts moyens par filière et par année de scolarité s’échelonnent dans le système français en 2015-2018 entre 5-6 k€ dans la maternelle-primaire, 8-10 k€ dans le secondaire, 9-10 k€ à l’université et 15-16 k€ dans les classes préparatoires aux grandes écoles).

En ce qui concerne la répartition de l’investissement éducatif public observée dans un pays comme la France, une norme de justice relativement naturelle consisterait à faire en sorte que tous les enfants aient droit à la même dépense d’éducation, qui pourrait être utilisée dans le cadre de la formation initiale ou continue. Autrement dit, une personne quittant l’école à 16 ans ou 18 ans et qui n’aurait donc utilisé qu’une dépense éducative de 70.000 euros ou 100.000 euros lors de sa formation initiale, à l’image des 40 % d’une génération bénéficiant de la dépense la plus faible, pourrait ensuite utiliser dans le cours de sa vie un capital éducation d’une valeur de 100.000 ou 150.000 euros afin de se hisser au niveau des 10 % ayant bénéficié de l’investissement le plus important. Ce capital pourrait ainsi permettre de reprendre une formation à 25 ans ou 35 ans ou tout au long de la vie.

 

 

  • Un objectif raisonnable serait d’une part de faire en sorte que la rémunération moyenne des enseignants cesse d’être une fonction croissante du pourcentage d’élèves favorisés dans les collèges et les lycées, et, d’autre part d’accroître réellement et substantiellement les moyens investis dans les établissements primaires et secondaires les plus défavorisés, de façon à rendre plus égalitaire la répartition globale de l’investissement éducatif par génération.

Cette politique d’affectation prioritaire des moyens doit aussi être complétée par une prise en compte des origines sociales dans les procédures d’admission et d’affectation dans les lycées et dans l’enseignement supérieur. En France, les algorithmes utilisés pour les admissions aux lycées et dans l’enseignement supérieur restent dans une large mesure un secret d’État.

Enfin, il est indispensable que les établissements privés (qui bénéficient généralement de financements publics) fassent l’objet d’une régulation commune avec les établissements publics, à la fois pour ce qui concerne les moyens disponibles et les procédures d’admission, faute de quoi tous les efforts faits pour construire des normes de justice acceptables dans le secteur public seront immédiatement contournés par le passage dans le privé.

 

5- Vers une démocratie participative et égalitaire

 

Il est un autre aspect du régime politique auquel il est urgent de s’intéresser : celui du financement de la vie politique et de la démocratie électorale qui a montré ses limites et son incapacité actuelle à faire face à la montée des inégalités.

 

Des « bons pour l’égalité démocratique » :

 

L’idée serait de donner à chaque citoyen un bon annuel d’une même valeur, par exemple 5 euros par an, lui permettant de choisir le parti ou mouvement politique de son choix. Le choix se ferait en ligne, par exemple au moment où l’on valide sa déclaration de revenus et de patrimoine. Seuls les mouvements obtenant le soutien d’un pourcentage minimal de la population (qui pourrait être fixé à 1 %) seraient éligibles. S’agissant des personnes choisissant de ne pas indiquer de mouvement politique (ou de celles indiquant un mouvement recueillant un soutien trop faible), la valeur de leurs bons annuels serait allouée en proportion des choix réalisés par les autres citoyens. Le système de bons pour l’égalité démocratique s’accompagnerait par ailleurs d’une interdiction totale des dons politiques des entreprises et autres personnes morales.

 

Concrètement, le régime actuellement en vigueur en France revient à consacrer environ 2-3 euros par an et par citoyen au financement officiel des partis, et à ajouter à cela des réductions d’impôt allant jusqu’à 5 000 euros pour subventionner les préférences des plus riches. Les bons pour l’égalité démocratique permettraient de supprimer totalement les réductions d’impôt liées aux dons politiques et de réutiliser l’ensemble des sommes d’une façon égalitaire.

La logique des bons pour l’égalité démocratique pourrait également être appliquée pour d’autres questions que le financement de la vie politique. En particulier, un tel dispositif pourrait remplacer les systèmes existants de réductions d’impôt et de déductions fiscales pour les dons. Ce mécanisme offre également une piste pour repenser la question épineuse du financement des cultes.

Si les sommes en jeu représentaient une fraction importante des prélèvements obligatoires, alors il s’agirait d’une forme élaborée de démocratie directe, permettant aux citoyens de décider eux-mêmes d’une part substantielle des budgets publics.

Il s’agit là d’une des pistes les plus prometteuses conduisant à une réappropriation citoyenne d’un processus démocratique qui apparaît souvent peu réactif aux aspirations populaires.

 

6- Repenser le social-fédéralisme à l’échelle mondiale

 

  • L’une des contradictions les plus évidentes du système actuel est que la libre circulation des biens et des capitaux est organisée d’une façon telle (via la mise en place de structures offshore) qu’elle réduit considérablement les capacités des États à choisir leurs politiques fiscales et sociales.

Il faudrait donc pouvoir déléguer à une Assemblée transnationale (par exemple une Assemblée européenne) le soin de prendre des décisions communes concernant les biens publics globaux, comme le climat ou la recherche, la justice fiscale globale, avec notamment la possibilité de voter des impôts communs sur les plus hauts revenus et patrimoines, sur les plus grandes entreprises et sur les émissions carbone. Dans le cas européen proposé, il y aurait intérêt à développer une souveraineté parlementaire s’appuyant à titre principal sur les souverainetés parlementaires nationales, de façon à impliquer les députés nationaux dans le processus politique et à éviter qu’ils ne se réfugient dans une posture de protestation qui pourrait finir par mener à l’effondrement de l’ensemble.

 

  • Ce modèle de démocratie transnationale décrit à l’échelle de l’Europe pourrait également s’appliquer à une échelle plus large. Compte tenu des liens de proximité liés à des échanges humains et économiques plus importants, le plus logique serait que des ensembles régionaux se forment et collaborent entre eux, par exemple entre l’Union européenne et l’Union africaine.

 

  • On vient de décrire un scénario coopératif et idéal (voire idyllique) permettant de conduire à une vaste démocratie transnationale de façon concentrique, et menant à terme à la mise en place d’impôts communs et justes, à l’émergence d’un droit universel à l’éducation et à la dotation en capital, à la généralisation de la libre circulation, et de facto à une quasi-abolition des frontières.

Entre la voie de la coopération idéale menant au social-fédéralisme mondial et le chemin du repli nationaliste et identitaire généralisé, il existe naturellement un grand nombre de trajectoires et de bifurcations possibles. Pour avancer en direction d’une mondialisation plus juste, deux principes paraissent essentiels. Tout d’abord, s’il est clair qu’un grand nombre de règles et de traités organisant les échanges commerciaux et financiers doivent être profondément transformés, il est important de s’astreindre à proposer un nouveau cadre légal international avant de les dénoncer ( cf Brexit).

La course-poursuite vers la non-imposition des bénéfices des sociétés constitue sans nul doute le risque le plus lourd que court actuellement le système fiscal mondial. À terme, si l’on ne prend pas des mesures radicales de ce type pour l’arrêter, c’est la possibilité même de prélever un impôt progressif sur le revenu qui est en cause.

Jean-Pierre Grosse, Marrakech, le 26 mars 2021

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sur la Commune (18 mars 1871-28 mai 1871)

24 Mars 2021 , Rédigé par grossel Publié dans #agoras, #J.C.G.

1- vu hier soir, visible jusqu’au 20 mai
https://www.arte.tv/fr/videos/094482-000-A/les-damnes-de-la-commune/
remarquable animation de gravures et récit émouvant de Victorine (Yolande Moreau)
très noir (tilt avec l’assassinat de Victor Noir, dont la sculpture au cimetière du Père Lachaise est l’objet de rituels très particuliers), mettant l’accent sur la répression impitoyable par les Versaillais
pas assez sur les leçons, les apports des Communards (délégués élus et révocables, internationalisme au sens où des délégués importants furent des étrangers, démocratie directe, démocratie sociale, avancées extraordinaires sur tout un tas de plans, égalité, éducation, condition féminine, éradication de la délinquance et autres fléaux, prostitution…), les erreurs (pas touche à la banque de France qui va financer les Versaillais…)
 
  • Un article de Mediapart du 22 mars : 
  • https://blogs.mediapart.fr/edition/les-cercles-condorcet/article/220321/la-commune-entre-memoire-et-histoire
  • Dans Le Poème des morts (éd. Fata Morgana, 2017), Bernard Noël a consacré le poème n° 16 à la Commune : 
pas de bandeau a dit le fusillé
je veux voir la mort arriver de face
et l'avenir soudain se raccourcir
le passé qui me tue n'est pas le mien
car sa vérité n'est pas mon affaire
mais le fusillé mord déjà la terre
le chef tueur donne le coup de grâce
le crâne éclaté répand le cerveau
le galonné pousse du pied ce reste
- Dire qu'il croyait penser avec ça !
fait-il avec un clin d'oeil à sa troupe
sûr d'avoir vaincu la révolution
le peloton recharge ses fusils
et feu roulant sur la fournée suivante
tout ici est réglé par la justice
au nom bien sûr d'une légalité
toujours au seul service du pouvoir
tous les cadavres ont droit à la chaux vive
dès qu'empilés dans la fosse commune
la loi respecte ainsi la seule règle
tuer la vie pour qu'elle ne change pas
  • Ce poème est à rapprocher de l'article PENSER du Dictionnaire de la Commune :
Le 6 juillet 1871, Baudouin et Rouillac sont fusillés à Satory pour l'incendie de Saint-Éloi et leur lutte sur les barricades. Tandis que les soldats défilaient devant les corps, "c'est avec cela qu'ils pensaient, dit l'officier qui commandait, en remuant du bout de la botte les cervelles répandues à terre." (Louise Michel, la Commune. Histoire et Souvenirs.) Ce "mot" est confirmé par beaucoup d'autres témoignages.
 
 
paru aux éditions de l'Armourier, en mars 2021

paru aux éditions de l'Armourier, en mars 2021

 2 - pour ceux qui ne connaissent pas Marx

 
KARL MARX LA GUERRE CIVILE EN FRANCE 
Chapitre 3
À l'aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune! Qu'est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l'entendement bourgeois à si dure épreuve ?
Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l'heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu'il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d'en assurer le triomphe en s'emparant du pouvoir.
Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l'appareil d'État et de le faire fonctionner pour son propre compte.
Le pouvoir centralisé de l'État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l'époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d'arme puissante dans ses luttes contre le féodalisme. Cependant, son développement restait entravé par toutes sortes de décombres moyenâgeux, prérogatives des seigneurs et des nobles, privilèges locaux, monopoles municipaux et corporatifs et Constitutions provinciales. Le gigantesque coup de balai de la Révolution française du XVIIIe siècle emporta tous ces restes des temps révolus, débarrassant ainsi, du même coup, le substrat social des derniers obstacles s'opposant à la superstructure de l'édifice de l'État moderne. Celui-ci fut édifié sous le premier Empire, qui était lui-même le fruit des guerres de coalition de la vieille Europe semi-féodale contre la France moderne. Sous les régimes qui suivirent, le gouvernement, placé sous contrôle parlementaire, c'est-à-dire sous le contrôle direct des classes possédantes, ne devint pas seulement la pépinière d'énormes dettes nationales et d'impôts écrasants; avec ses irrésistibles attraits, autorité, profits, places, d'une part il devint la pomme de discorde entre les factions rivales et les aventuriers des classes dirigeantes, et d'autre part son caractère politique changea conjointement aux changements économiques de la société. Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir publie organisé aux fins d'asservissement social, d'un appareil de domination d'une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît façon de plus en plus ouverte. La Révolution de 1830 transféra le gouvernement des propriétaires terriens aux capitalistes, des adversaires les plus éloignés des ouvriers à leurs adversaires les plus directs. Les républicains bourgeois qui, au nom de la Révolution de février, s'emparèrent du pouvoir d'État, s'en servirent pour provoquer les massacres de juin, afin de convaincre la classe ouvrière que la république « sociale », cela signifiait la république qui assurait la sujétion sociale, et afin de prouver à la masse royaliste des bourgeois et des propriétaires terriens qu'ils pouvaient en toute sécurité abandonner les soucis et les avantages financiers du gouvernement aux « républicains » bourgeois. Toutefois, après leur unique exploit héroïque de juin, il ne restait plus aux républicains bourgeois qu'à passer des premiers rangs à l'arrière-garde du « parti de l'ordre », coalition formée par toutes les fractions et factions rivales de la classe des appropriateurs dans leur antagonisme maintenant ouvertement déclaré avec les classes des producteurs. La forme adéquate de leur gouvernement en société par actions fut la « république parlementaire », avec Louis Bonaparte pour président, régime de terrorisme de classe avoué et d'outrage délibéré à la « vile multitude ». Si la république parlementaire, comme disait M. Thiers, était celle qui « les divisait [les diverses fractions de la classe dirigeante] le moins », elle accusait par contre un abîme entre cette classe et le corps entier de la société qui vivait en dehors de leurs rangs clairsemés. Leur union brisait les entraves que, sous les gouvernements précédents, leurs propres dissensions avaient encore mises au pouvoir d'État. En présence de la menace de soulèvement du prolétariat, la classe possédante unie utilisa alors le pouvoir de l'État, sans ménagement et avec ostentation comme l'engin de guerre national du capital contre le travail. Dans leur croisade permanente contre les masses productrices, ils furent forcés non seulement d'investir l'exécutif de pouvoirs de répression sans cesse accrus, mais aussi de dépouiller peu à peu leur propre forteresse parlementaire, l'Assemblée nationale, de tous ses moyens de défense contre l'exécutif. L'exécutif, en la personne de Louis Bonaparte, les chassa. Le fruit naturel de la république du « parti de l'ordre » fut le Second Empire.
L'empire, avec le coup d'État pour acte de naissance, le suffrage universel pour visa et le sabre pour sceptre, prétendait s'appuyer sur la paysannerie, cette large masse de producteurs qui n'était pas directement engagée dans la lutte du capital et du travail. Il prétendait sauver la classe ouvrière en en finissant avec le parlementarisme, et par là avec la soumission non déguisée du gouvernement aux classes possédantes. Il prétendait sauver les classes possédantes en maintenant leur suprématie économique sur la classe ouvrière; et finalement il se targuait de faire l'unité de toutes les classes en faisant revivre pour tous l'illusion mensongère de la gloire nationale. En réalité, c'était la seule forme de gouvernement possible, à une époque où la bourgeoisie avait déjà perdu, - et la classe ouvrière n'avait pas encore acquis, - la capacité de gouverner la nation. Il fut acclamé dans le monde entier comme le sauveur de la société. Sous l'empire, la société bourgeoise libérée de tous soucis politiques atteignit un développement dont elle n'avait elle-même jamais eu idée. Son industrie et son commerce atteignirent des proportions colossales; la spéculation financière célébra des orgies cosmopolites; la misère des masses faisait un contraste criant avec l'étalage éhonté d'un luxe somptueux, factice et crapuleux. Le pouvoir d'État, qui semblait planer bien haut au-dessus de la société, était cependant lui-même le plus grand scandale de cette société et en même temps le foyer de toutes ses corruptions. Sa propre pourriture et celle de la société qu'il avait sauvée furent mises à nu par la baïonnette de la Prusse, elle-même avide de transférer le centre de gravité de ce régime de Paris à Berlin. Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d'État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l'outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d'asservir le travail au capital.
L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la République sociale », ce cri n'exprimait guère qu'une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.
Paris, siège central de l'ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l'empire. Paris pouvait seulement résister parce que, du fait du siège, il s'était débarrassé de l'armée et l'avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C'est cet état de fait qu'il s'agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l'armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
La guerre civile en France - Essai de Marx sur la Commune de Paris et l'histoire politique et sociale de la France au XIXe Siècle, chapitre 3
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d'être l'instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l'administration. Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d'ouvrier. Les bénéfices d'usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l'État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d'être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l'administration municipale, mais toute l'initiative jusqu'alors exercée par l'État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n'avait servi qu'à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables.
La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime de la Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l'ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes. Dans une brève esquisse d'organisation nationale que la Commune n'eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l'armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions, peu nombreuses, mais importantes, qui restaient encore à un gouvernement central, ne devaient pas être supprimées, comme on l'a dit faussement, de propos délibéré, mais devaient être assurées par des fonctionnaires de la Commune, autrement dit strictement responsables. L'unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale; elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir d'État qui prétendait être l'incarnation de cette unité, mais voulait être indépendant de la nation même, et supérieur à elle, alors qu'il n'en était qu'une excroissance parasitaire. Tandis qu'il importait d'amputer les organes purement répressifs de l'ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait une prééminence au-dessus de la société elle-même, et rendues aux serviteurs responsables de la société. Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en quête d'ouvriers, de contrôleurs et de comptables pour son affaire. Et c'est un fait bien connu que les sociétés, comme les individus, en matière d'affaires véritables, savent généralement mettre chacun à sa place et, si elles font une fois une erreur, elles savent la redresser promptement. D'autre part, rien ne pouvait être plus étranger à l'esprit de la Commune que de remplacer le suffrage universel par une investiture hiérarchique.
C'est en général le sort des formations historiques entièrement nouvelles d'être prises à tort pour la réplique de formes plus anciennes, et même éteintes, de la vie sociale, avec lesquelles elles peuvent offrir une certaine ressemblance. Ainsi, dans cette nouvelle Commune, qui brise le pouvoir d'État moderne, on a voulu voir un rappel à la vie des communes médiévales, qui d'abord précédèrent ce pouvoir d'État, et ensuite en devinrent le fondement. - La Constitution communale a été prise à tort pour une tentative de rompre en une fédération de petits États, conforme au rêve de Montesquieu et des Girondins, cette unité des grandes nations, qui, bien qu'engendrée à l'origine par la violence, est maintenant devenue un puissant facteur de la production sociale. - L'antagonisme de la Commune et du pouvoir d'État a été pris à tort pour une forme excessive de la vieille lutte contre l'excès de centralisation. (...) La Constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu'alors absorbées par l'État parasite qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement. Par ce seul fait, elle eût été le point de départ de la régénération de la France. La classe moyenne des villes de province vit dans la Commune une tentative de restaurer la domination que cette classe avait exercée sur la campagne sous Louis-Philippe, et qui, sous Louis-Napoléon, avait été supplantée par la prétendue domination de la campagne sur les villes. En réalité, la Constitution communale aurait soumis les producteurs ruraux à la direction intellectuelle des chefs-lieux de département et leur y eût assuré des représentants naturels de leurs intérêts en la personne des ouvriers des villes. L'existence même de la Commune impliquait, comme quelque chose d'évident, l'autonomie municipale; mais elle n'était plus dorénavant un contre-poids au pouvoir d'État, désormais superflu. (...) La Commune a réalisé ce mot d'ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l'armée et le fonctionnarisme d'État. Son existence même supposait la non-existence de la monarchie qui, en Europe du moins, est le fardeau normal et l'indispensable masque de la domination de classe. Elle fournissait à la république la base d'institutions réellement démocratiques. Mais ni le « gouvernement à bon marché », ni la « vraie république » n'étaient son but dernier; tous deux furent un résultat secondaire et allant de soi de la Commune.
La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu'elle a exprimés montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail .
Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d'être l'attribut d'une classe.
C'est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l'immense littérature des soixante dernières années sur l'émancipation des travailleurs, les ouvriers n'ont pas plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir toute la phraséologie apologétique des porte-parole de la société actuelle avec ses deux pôles, capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n'est plus que le commanditaire du capitaliste), comme si la société capitaliste était encore dans son plus pur état d'innocence virginale, sans qu'aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu'aient été encore dévoilés tous ses mensonges, sans qu'ait été encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s'exclament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civilisation. Oui, messieurs, la Commune entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l'expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le capital, aujourd'hui essentiellement moyens d'asservissement et d'exploitation du travail, en simples instruments d'un travail libre et associé. Mais c'est du communisme, c'est l' « impossible» communisme! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l'impossibilité de perpétuer le système actuel - et ils sont nombreux - sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie; si elle doit évincer le système capitaliste; si l'ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l'anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ?
La classe ouvrière n'espérait pas des miracles de la Commune. Elle n'a pas d'utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n'a pas à réaliser d'idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s'effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d'être digne d'elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d'ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d'oracle de l'infaillibilité scientifique.
Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels», les possédants, et, dans des circonstances d'une difficulté sans exemple, accomplirent leur oeuvre modestement, consciencieusement et efficacement (et l'accomplirent pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique, le professeur Huxley, est le minimum requis pour un secrétaire du conseil de l'instruction publique de Londres), le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la République du travail, flottant sur l'Hôtel de Ville.
Et pourtant, c'était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d'initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris - boutiquiers, commerçants, négociants - les riches capitalistes étant seuls exceptés. La Commune l'avait sauvée, en réglant sagement cette cause perpétuelle de différends à l'intérieur même de la classe moyenne : la question des créanciers et des débiteurs. Cette même partie de la classe moyenne avait participé à l'écrasement de l'insurrection ouvrière en juin 1848; et elle avait été sur l'heure sacrifiée sans cérémonie à ses créanciers par l'Assemblée constituante. Mais ce n'était pas là son seul motif pour se ranger aujourd'hui aux côtés de la classe ouvrière. Cette fraction de la classe moyenne sentait qu'il n'y avait plus qu'une alternative, la Commune ou l'empire, sous quelque nom qu'il pût reparaître. L'Empire l'avait ruinée économiquement par Bon gaspillage de la richesse publique, par l'escroquerie financière en grand, qu'il avait encouragée, par l'appui qu'il avait donné à la centralisation artificiellement accélérée du capital, et à l'expropriation corrélative d'une grande partie de cette classe. Il l'avait supprimée politiquement, il l'avait scandalisée moralement par ses orgies, il avait insulté à son voltairianisme en remettant l'éducation de ses enfants aux frères ignorantins, il avait révolté son sentiment national de Français en la précipitant tête baissée dans une guerre qui ne laissait qu'une seule compensation pour les ruines qu'elle avait faites : la disparition de l'Empire. En fait, après l'exode hors de Paris de toute la haute bohème bonapartiste et capitaliste, le vrai parti de l'ordre de la classe moyenne se montra sous la forme de l' « Union républicaine » qui s'enrôla sous les couleurs de la Commune et la défendit contre les falsifications préméditées de Thiers. La reconnaissance de cette grande masse de la classe moyenne résistera-t-elle à la sévère épreuve actuelle ? Le temps seul le montrera.
La Commune avait parfaitement raison en disant aux paysans : « Notre victoire est votre seule espérance ». De tous les mensonges enfantés à Versailles et repris par l'écho des glorieux journalistes d'Europe à un sou la ligne, un des plus monstrueux fut que les ruraux de l'Assemblée nationale représentaient la paysannerie française. Qu'on imagine un peu l'amour du paysan français pour les hommes auxquels après 1815 il avait dû payer l'indemnité d'un milliard . A ses yeux, l'existence même d'un grand propriétaire foncier est déjà en soi un empiètement sur ses conquêtes de 1789. La bourgeoisie, en 1848, avait grevé son lopin de terre de la taxe additionnelle de 45 centimes par franc; mais elle l'avait fait au nom de la révolution; tandis que maintenant elle avait fomenté une guerre civile contre la révolution pour faire retomber sur les épaules du paysan le plus clair des cinq milliards d'indemnité à payer aux Prussiens. La Commune, par contre, dans une de ses premières proclamations, déclarait que les véritables auteurs de la guerre auraient aussi à en payer les frais. La Commune aurait délivré le paysan de l'impôt du sang, elle lui aurait donné un gouvernement à bon marché, aurait transformé ses sangsues actuelles, le notaire, l'avocat, l'huissier, et autres vampires judiciaires, en agents communaux salariés, élus par lui et devant lui responsables. Elle l'aurait affranchi de la tyrannie du garde champêtre, du gendarme et du préfet; elle aurait mis l'instruction par le maître d'école à la place de l'abêtissement par le prêtre. Et le paysan français est, par-dessus tout, homme qui sait compter. Il aurait trouvé extrêmement raisonnable que le traitement du prêtre, au lieu d'être extorqué par le libre percepteur, ne dépendit que de la manifestation des instincts religieux des paroissiens. Tels étaient les grands bienfaits immédiats dont le gouvernement de la Commune - et celui-ci seulement - apportait la perspective à la paysannerie française. Il est donc tout à fait superflu de s'étendre ici sur les problèmes concrets plus compliqués, mais vitaux, que la Commune seule était capable et en même temps obligée de résoudre en faveur du paysan : la dette hypothécaire, qui posait comme un cauchemar sur son lopin de terre, le prolétariat rural qui grandissait chaque jour et son expropriation de cette parcelle qui s'opérait à une allure de plus en plus rapide du fait du développement même de l'agriculture moderne et de la concurrence du mode de culture capitaliste.
Le paysan français avait élu Louis Bonaparte président de la République, mais le parti de l'ordre créa le Second Empire. Ce dont en réalité le paysan français a besoin, il commença à le montrer en 1849 et 1850, en opposant son maire au préfet du gouvernement, son maître d'école au prêtre du gouvernement et sa propre personne au gendarme du gouvernement. Toutes les lois faites par le parti de l'ordre en janvier et février 1850 furent des mesures avouées de répression contre les paysans. Le paysan était bonapartiste, parce que la grande Révolution, avec tous les bénéfices qu'il en avait tirés, se personnifiait à ses yeux en Napoléon. Cette illusion, qui se dissipa rapidement sous le second Empire (et elle était par sa nature même hostile aux « ruraux »), ce préjugé du passé, comment auraient-ils résisté à la Commune en appelant aux intérêts vivants et aux besoins pressants de la paysannerie ?
Les ruraux (c'était, en fait, leur appréhension maîtresse) savaient que trois mois de libre communication entre le Paris de la Commune et les provinces amèneraient un soulèvement général des paysans; de là leur hâte anxieuse à établir un cordon de police autour de Paris comme pour arrêter la propagation de la peste bovine.
Si la Commune était donc la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier, et, à ce titre, en sa qualité de champion audacieux de l'émancipation du travail, internationale au plein sens du terme. Sous les yeux de l'armée prussienne qui avait annexé à l'Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier.
Le second Empire avait été la grande kermesse de la filouterie cosmopolite, les escrocs de tous les pays s'étaient rués à son appel pour participer à ses orgies et au pillage du peuple français. En ce moment même le bras droit de Thiers est Ganesco, crapule valaque, son bras gauche, Markovski, espion russe. La Commune a admis tous les étrangers à l'honneur de mourir pour une cause immortelle. - Entre la guerre étrangère perdue par sa trahison, et la guerre civile fomentée par son complot avec l'envahisseur étranger, la bourgeoisie avait trouvé le temps d'afficher son patriotisme en organisant la chasse policière aux Allemands habitant en France. La Commune a fait d'un ouvrier allemand son ministre du Travail. - Thiers, la bourgeoisie, le second Empire avaient continuellement trompé la Pologne par de bruyantes professions de sympathie, tandis qu'en réalité ils la livraient à la Russie, dont ils faisaient la sale besogne. La Commune a fait aux fils héroïques de la Pologne l'honneur de les placer à la tête des défenseurs de Paris. Et pour marquer hautement la nouvelle ère de l'histoire qu'elle avait conscience d'inaugurer, sous les yeux des Prussiens vainqueurs d'un côté, et de l'armée de Bonaparte, conduite par des généraux bonapartistes de l'autre la Commune jeta bas ce colossal symbole de la gloire guerrière, la colonne Vendôme.
La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l'abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers; l'interdiction, sous peine d'amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes, procédé par lequel l'employeur combine dans sa propre personne les rôles du législateur, du juge et du bourreau, et empoche l'argent par-dessus le marché. Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d'ouvriers, sous réserve du paiement d'une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes intéressés aient disparu ou qu'ils aient préféré suspendre le travail.
Les mesures financières de la Commune, remarquables par leur sagacité et leur modération, ne pouvaient être que celles qui sont compatibles avec la situation d'une ville assiégée. Eu égard aux vols prodigieux commis aux dépens de la ville de Paris par les grandes compagnies financières et les entrepreneurs de travaux publics sous le régime d'Haussmann, la Commune aurait eu bien davantage le droit de confisquer leurs propriétés que Louis Napoléon ne l'avait de confisquer celles de la famille d'Orléans. Les Hohenzollern et les oligarques anglais, qui, les uns et les autres, ont tiré une bonne partie de leurs biens du pillage de l'Église, furent bien entendu, grandement scandalisés par la Commune qui, elle, ne tira que 8.000 francs de la sécularisation.
Alors que le gouvernement de Versailles, dès qu'il eut recouvré un peu de courage et de force, employait les moyens les plus violents contre la Commune; alors qu'il supprimait la liberté d'opinion par toute la France, allant jusqu'à interdire les réunions des délégués des grandes villes; alors qu'il. soumettait. Versailles, et le reste de la France, à un espionnage qui surpassait de loin celui du second Empire; alors qu'il faisait brûler par ses gendarmes transformés en inquisiteurs tous les journaux imprimés à Paris et qu'il décachetait toutes les lettres venant de Paris et destinées à Paris; alors qu'à l'Assemblée nationale les essais les plus timides de placer un mot en faveur de Paris étaient noyés sous les hurlements, d'une façon inconnue même à la Chambre introuvable de 1816; étant donné la conduite sanguinaire de la guerre par les Versaillais hors de Paris et leurs tentatives de corruption et de complot dans Paris, - la Commune n'aurait-elle pas honteusement trahi sa position en affectant d'observer toutes les convenances et les apparences du libéralisme, comme en pleine paix ? Le gouvernement de la Commune eût-il été de même nature que celui de M. Thiers, il n'y aurait pas eu plus de motif de supprimer des journaux du parti de l'ordre à Paris, que de supprimer des journaux de la Commune à Versailles.
Il était irritant, certes, pour les ruraux, que dans le moment même où ils proclamaient le retour à l'Église comme le seul moyen de sauver la France, la mécréante Commune déterrât les mystères assez spéciaux du couvent de Picpus et de l'église Saint-Laurent . Et quelle satire contre M. Thiers : tandis qu'il faisait pleuvoir des grands-croix sur les généraux bonapartistes, en témoignage de leur maestria à perdre les batailles, à signer les capitulations et à rouler les cigarettes à Wilhelmshoehe, la Commune cassait et arrêtait ses généraux dès qu'ils étaient suspectés de négliger leurs devoirs, L'expulsion hors de la Commune et l'arrestation sur son ordre d'un de ses membres qui s'y était faufilé sous un faux nom et qui avait encouru à Lyon une peine de six jours d'emprisonnement pour banqueroute ,simple, n'était-ce pas une insulte délibérée jetée à la face du faussaire Jules Favre, toujours ministre des Affaires étrangères de la France, toujours en train de vendre la France à Bismarck et dictant toujours ses ordres à la Belgique, ce modèle de gouvernement ? Mais, certes, la Commune ne prétendait pas à l'infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements du type ancien. Elle publiait tous ses actes et ses paroles, elle mettait le public au courant de, toutes ses imperfections.
Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d'une tout autre trempe; quelques-uns sont des survivants des révolutions passées dont ils gardent le culte; ne comprenant pas le mouvement présent, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple par leur honnêteté et leur courage reconnus, ou par la simple force de la tradition; d'autres sont de simples braillards, qui, à force de répéter depuis des années le même chapelet de déclamations stéréotypées contre le gouvernement du jour, se sont fait passer pour des révolutionnaires de la plus belle eau. Même après le 18 mars, on vit surgir quelques hommes de ce genre, et, dans quelques cas, ils parvinrent à jouer des rôles de premier plan. Dans la mesure de leur pouvoir, ils gênèrent l'action réelle de la classe ouvrière, tout comme ils ont gêné le plein développement de toute révolution antérieure. Ils sont un mal inévitable; avec le temps on s'en débarrasse; mais, précisément, le temps n'en fut pas laissé à la Commune.
Quel changement prodigieux, en vérité, que celui opéré par la Commune dans Paris! Plus la moindre trace du Paris dépravé du second Empire. Paris n'était plus le rendez-vous des propriétaires fonciers britanniques, des Irlandais par procuration, des ex-négriers et des rastaquouères d'Amérique, des ex-propriétaires de serfs russes et des boyards valaques. Plus de cadavres à la morgue, plus d'effractions nocturnes, pour ainsi dire pas de vols; en fait, pour la première fois depuis les jours de février 1848, les rues de Paris étaient sûres, et cela sans aucune espèce de police. « Nous n'entendons plus parler, disait un membre de la Commune, d'assassinats, de vols, ni d'agressions; on croirait vraiment que la police a entraîné avec elle à Versailles toute sa clientèle conservatrice ». Les cocottes avaient retrouvé la piste de leurs protecteurs, - les francs-fileurs, gardiens de la famille, de la religion et, par-dessus tout, de a propriété. A leur place, les vraies femmes de Paris avaient reparu, héroïques, nobles et dévouées, comme les femmes de l'antiquité. Un Paris qui travaillait, qui pensait, qui combattait, qui saignait, ou liant presque, tout à couver une société nouvelle, les cannibales qui étaient à ses portes, -radieux dans l'enthousiasme de son initiative historique!
En face de ce monde nouveau à Paris, voyez l'ancien monde à Versailles, - cette assemblée des vampires de tous les régimes défunts, légitimistes et orléanistes, avides de se repaître du cadavre de la nation, - avec une queue de républicains d'avant le déluge, sanctionnant par leur présence dans l'Assemblée la rébellion des négriers, s'en remettant pour maintenir leur république parlementaire à la vanité du vieux charlatan placé à la tête du gouvernement, et caricaturant 1789 en se réunissant, spectres du passé, au Jeu de Paume. C'était donc elle, cette Assemblée, la représentante de tout ce qui était mort en France, que seul ramenait à un semblant de vie l'appui des sabres des généraux de Louis Bonaparte! Paris toute vérité, Versailles tout mensonge; et ce mensonge exhalé par la bouche de Thiers !
Thiers dit à une députation des maires de Seine-et-Oise : «Vous pouvez compter sur ma parole, je n'y ai jamais manqué ». Il dit à l'Assemblée même « qu'elle était la plus librement élue et la plus libérale que la France ait jamais eue»; il dit à sa soldatesque bigarrée qu'elle était « l'admiration du monde et la plus belle armée que la France ait jamais eue »; il dit aux provinces, qu'il ne bombardait pas Paris, que c'était un mythe. « Si quelques coups de canon ont été tirés, ce n'est pas par l'armée de Versailles, mais par quelques insurgés, pour faire croire qu'ils se battent quand ils n'osent même pas se montrer». Il dit encore aux provinces que l' « artillerie de Versailles ne bombardait pas Paris, elle ne faisait que le canonner ». Il dit à l'archevêque de Paris que les prétendues exécutions et représailles ( !) attribuées aux troupes de Versailles n'étaient que fariboles. Il dit à Paris qu'il était seulement désireux « de le délivrer des hideux tyrans qui l'opprimaient », et, qu'en fait, « le Paris de la Commune n'était qu'une poignée de scélérats».
Le Paris de M. Thiers n'était pas le Paris réel de la « vile multitude », mais un Paris imaginaire, le Paris des francs fileurs, le Paris des boulevardiers et des boulevardières, le Paris riche, capitaliste, doré, paresseux, qui encombrait maintenant de ses laquais, de ses escrocs, de sa bohème littéraire et de ses cocottes, Versailles, Saint-Denis, Rueil et Saint-Germain; qui ne considérait la guerre civile que comme un agréable intermède, lorgnant la bataille en cours à travers des longues-vues, comptant les coups de canon et jurant sur son propre honneur et sur celui de ses prostituées que le spectacle était bien mieux monté qu'il l'avait jamais été à la Porte-Saint-Martin. Les hommes qui tombaient étaient réellement morts; les cris des blessés étaient des cris pour de bon; et, voyez-vous, tout cela était si intensément historique !
Tel est le Paris de M. Thiers; de même l'émigration de Coblence était la France de M. de Calonne.
3 - question ? le capitalisme prédateur d’aujourd’hui quels moyens utilise-t-il pour l’asservissement, l’endormissement des masses ? le capitalisme bureaucratique d’état ou le communisme capitaliste d’état, quels moyens utilise-t-il pour asservir, exterminer ? la violence d’hier a pris d’autres formes, elle est cependant aussi terrible; les « maîtres » capitalistes et « communistes » sont aussi féroces que les Versaillais, mais autrement
qu’en pensez-vous ?
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Méphisto Rhapsodie / Samuel Gallet

6 Octobre 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #agora, #note de lecture, #spectacle, #développement personnel

A quoi bon faire du théâtre quand l’extrême droite frappe aux portes du pouvoir ? Mephisto {rhapsodie} traverse les petitesses de la scène pour donner à penser l’avenir brûlant.

C’est la première création de Jean-Pierre Baro mise à l’affiche du Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN qu’il dirige depuis le mois de janvier. Mephisto {rhapsodie} raconte l’ascension d’un comédien arriviste, ses compromissions pour accéder au succès, jusqu’à sa nomination à la tête d’un théâtre, dans un contexte de montée de l’extrême droite. Fruit d’une commande passée à Samuel Gallet, auteur dramaturge avec lequel Jean-Pierre Baro travaille pour la seconde fois, Mephisto (rhapsodie) est inspiré d’un roman de Klaus Mann, fils de Thomas, qui, à partir d’une histoire vraie, développe cette trame du carriérisme à tout prix dans le contexte de l’Allemagne nazie. Parallèlement à l’intrigue, au cœur de ce spectacle d’envergure porté par huit comédiens aux multiples rôles, une question taraude les personnages : « Pourquoi faire du théâtre aujourd’hui ? ». On aimerait bien le savoir, en effet. Pour tenter de trouver des réponses, suivons donc l’action de Mephisto se déployer à Balbek, imaginaire petite ville de province, rampe de lancement de la carrière d’Aymeric Dupré, cet acteur obsédé par le nombre de rappels qu’opère le public à l’issue de la représentation. Autour de lui, une directrice vieillissante ne jure que par Tchekhov, un comédien cherche à articuler son travail avec le territoire qui l’entoure, et un apprenti du cru, lui, est tenté par l’idéologie des « Premières lignes », groupe fasciste à l’irrésistible ascension. Pendant ce temps, à la capitale, se déploie le territoire bourgeois, mondain et décadent du show business et des pouvoirs.

Pourquoi faire du théâtre aujourd’hui ?

Il y a des éléments agaçants dans cette pièce. Des personnages caractérisés à l’excès. Des dilemmes rebattus. Des morceaux de bravoure un peu bavards. Une association du peuple à l’extrême droite potentiellement simpliste. Et le risque du propos endogame, d’une pièce qui ambitionne d’ouvrir le théâtre au monde mais parle avant tout du monde du théâtre. Néanmoins, convenons-en, le texte de Gallet, très bien servi par la mise en scène simple, fluide et rythmée de Jean-Pierre Baro, et par un jeu aux multiples couleurs, emporte le morceau. Sans concession sur le narcissisme de l’artiste, le surplomb moralisateur du monde du théâtre et son asthénie tchekhovienne d’univers moribond, Mephisto n’épargne rien à une société du spectacle qu’il griffe de partout – son propos mordant jusqu’au public même. Mais il porte en même temps une véritable tendresse pour le théâtre, un attachement, un amour. Avec ses personnages complexes et profonds, pris dans leurs contradictions, cherchant la meilleure façon d’agir, avec ou sans le théâtre, face aux dangers qui menacent, Mephisto rend de plus plausible, présente, là, véritablement devant nous, cette dystopie malheureusement de plus en plus probable d’un monde où s’imposera l’extrême droite. Quels choix cette situation nous demandera-t-elle d’opérer ? Préparons-nous à cet avenir brûlant, propose Méphisto. De réponse définitive on ne trouvera pas dans le théâtre. Mais en s’aidant du théâtre, peut-être.

Eric Demey La Terrasse, 23 octobre 2019, N° 281

Méphisto de Klaus Mann vu dans la mise en scène d'Ariane Mnouchkine 

Mephisto, Le roman d'une carrière 1979  De Klaus Mann  

Traduction et adaptation Ariane Mnouchkine  

Le roman Méphisto pose la question du rôle et de la responsabilité des intellectuels à la naissance du Troisième Reich. La fable qui, pour nous, s’est dégagée du roman pourrait se formuler ainsi : le spectacle serait l’histoire de deux comédiens, liés par l‘amitié, également passionnés de théâtre, également talentueux, également préoccupés de la fonction politique, voire révolutionnaire, de leur art, dans l’Allemagne de 1923.  « Pour qui est-ce que j’écris ? Qui me lira ? Qui sera touché ? Où se trouve la communauté à laquelle je pourrais m’adresser ? Notre appel lancé vers l’incertain tombe-t-il toujours dans le vide ? Nous attendons quand même quelque chose comme un écho, même s’il reste vague et lointain. Là où on a appelé si fort, il doit y avoir au moins un petit écho. » Klaus Mann

Mes nouvelles convictions politiques

J'ai assisté samedi 4 octobre 2020 à 17 H à une lecture d'une durée d'1 H à la Bibliothèque Armand Gatti à La Seyne sur Mer dans le cadre de la résidence d'écriture de Samuel Gallet accueilli pour un mois par la Saison Gatti-Le Pôle, lecture d'entrée de résidence, à 8 voix, d'un découpage de son dernier texte Méphisto Rhapsodie, inspiré du Méphisto de Klaus Mann. Lecture puissante qui m'a interpellé.

J'ai pu mesurer à cette occasion combien j'avais évolué.

Le combat politique mondial (un certain combat politique, au minimum à gauche, plus souvent à l'extrême-gauche, pro-révolution tendance trotskyste, PCI, anti-stalinien, anti-social-démocrate, anti-capitaliste, anti-impérialiste / jugement de François Mauriac dans ses Mémoires intérieures : « Du point de vue de l'Europe libérale, il était heureux que l'apôtre séduisant de la révolution permanente ait été remplacé par l'horreur stalinienne : la Russie est devenue une nation puissante, mais la Révolution (en Europe) a été réduite à l'impuissance. Plus j'y songe et plus il apparaît qu'un Trotsky triomphant eût agi sur les masses socialistes de l’Europe libérale et attiré à lui tout ce que le stalinisme a rejeté dans une opposition irréductible : Staline fut à la lettre " repoussant ". Mais c'est là aussi qu'il fut le plus fort, et les traits qui nous rendent Trotsky presque fraternel sont les mêmes qui l'ont affaibli et perdu et de mettre Trotsky au niveau de Tolstoï et Gorki) qui me paraissait nécessaire il y a peu encore, jusqu'à l'épuisement du mouvement des Gilets Jaunes quand le mouvement syndical a repris la main avec le combat pour la défense des retraites (décembre 2019), entraînant confusion et collusion a cessé de me paraître nécessaire avec la crise de la Covid 19 et la sortie partielle du confinement (quelle aubaine pour un pouvoir déliquescent de pouvoir faire ramper des millions de gens à coups de mensonges et manipulations médiatiques !). Dès octobre 2019, je participais à un groupe Penser l'avenir après la fin des énergies fossiles (en lien avec la collapsosophie de Pablo Servigne) tout en continuant à participer à un groupe Colibris (faire sa part). J'avais renoncé à assister à des assemblées citoyennes de Gilets Jaunes tant à Toulon qu'à Sanary dès juillet 2019.

Le combat politique local que j'ai aussi mené comme conseiller municipal d'une majorité (1983-1995) puis comme tête de liste d'une opposition éco-citoyenne (2008) me paraît encore jouable. Encore faut-il gagner les élections municipales ? Dans l'opposition, on ne change pas les choses.

Où en suis-je aujourd'hui, à quelques jours de mes 80 ans, le jour de la révolution d'octobre (sans doute un coup d'état de Lénine, mensonge inaugural du régime soviétique), le même jour que Pablo ?

J'ai enfin décidé que personne ne peut se substituer à nous pour prendre conscience de sa place et de sa mission de vie (qui est autre chose que vivre comme feuilles au vent selon l'image d'Homère). Aucun porte-voix, aucune instance dite représentative ne peut (ne doit) parler et agir à ma place. Décision : je ne voterai plus. Abstention.

La démocratie représentative ne représente que les intérêts du pouvoir en place (république bananière, corrompue jusqu'à la moelle) et des rapaces qu'il représente pour l'avoir mis en place (cette prise de conscience est essentielle, la démocratie représentative n'est pas la démocratie, il m'a fallu 60 ans pour l'admettre). La démocratie représentative est le leurre savamment entretenu nous faisant croire qu'en changeant de gouvernement par les élections - qui sont la dépossession de nos voix, un vol de voix - (nous perdons notre pouvoir constituant, Octave Mirbeau, Etienne Chouard, et quelques autres sont indispensables à lire), que passer de droite à gauche, de gauche à l'extrême-centre puis un jour à l'extrême-droite, on va changer les choses. Mais il est possible de savoir maintenant, par expérience depuis 40 ans avec la pensée unique, le TINA thatchérien (There is no alternative) que droite, gauche, extrême-gauche, extrême-droite, extrême-centre n'ont qu'un objectif : arriver au pouvoir et le garder. Il est possible de se convaincre aussi que les gens au pouvoir savent depuis relativement peu (20 ans) qu'en cas de mouvements profonds, durables, pacifiques ou révolutionnaires, insurrectionnels, il ne faut surtout pas lâcher le pouvoir, le quitter comme de Gaulle ou Jospin. Il faut le garder coûte que coûte par la répression, la négociation. Il faut s'accrocher, laisser passer la colère. Il faut en conclure que tout affrontement frontal n'a aucune chance d'aboutir, de changer l'ordre des choses (le mouvement des GJ autour des ronds-points fut une forme géniale; les GJ manifestant sur les Champs-Elysées, inaccessibles jusqu'à eux aux mouvements revendicatifs ou insurrectionnels, ce fut un sacré challenge réussi mais un échec).

Il faut aussi constater que dans le cadre des nations, la politique ne peut défendre que les intérêts particuliers de la nation. Et ce particularisme ne change pas avec les entités supra-nationales comme l'UE, qui ne sont pas mondiales. L'ONU elle-même ne peut être le lieu d'une politique universelle.

Deux paradoxes sont à signaler. Le 1° paradoxe c'est que les GAFA (les géants du web, américains et chinois) ont une politique mondiale, une visée de domination mondiale, haïssant la démocratie (c'est le libertarianisme anglo-saxon d'une part et l'autoritarisme bureaucratique chinois d'autre part). Le 2° paradoxe, c'est que pour les révolutionnaires, la révolution est toujours imminente alors que la réalité montre depuis 40 ans que comme le dit un ultra-riche Warren Buffet : « il existe bel et bien une guerre des classes mais c'est ma classe, la classe des riches qui fait la guerre et c'est nous qui gagnons".

Seule peut-être une politique universelle en vue du Bien serait souhaitable, en vue du Bien c'est-à-dire satisfaisant la nourriture, la santé, l'instruction et le divertissement de tous. À ce niveau universel, souhaitable ? nécessaire ? la question démographique est peut-être la plus difficile à aborder : ne sommes-nous pas trop sur une terre aux ressources limitées. Déjà Lévi-Strauss le pensait et avant lui, Malthus.

Individu n'ayant qu'un peu de pouvoir sur moi, ne croyant qu'au travail sur soi pour devenir meilleur, j'ai fait choix de ne pas écouter les informations, de ne pas regarder la télé, de ne pas aller sur les réseaux sociaux. Finie la pollution anxiogène, finie la manipulation par les fake news, dont la plupart sont distillées par les médias et le pouvoir.

Quant à toi qui es au pouvoir, tu veux y rester, tu n'y es que pour un temps, tu passeras de toute façon, tu es déjà passé. Il en sera de même pour tes successeurs. Tchao, pantins et magiciens.

Vous êtes au pouvoir, vous prenez des mesures, vous légiférez à tour de bras mais votre pouvoir sur moi est réduit à quasiment rien, j'ignore par ignorance 99% de vos lois qui ne modifient quasiment rien à mes conditions de vie. Je respecte le minimum, je porte un masque, je respecte les règles du savoir-vivre, du code de la route.

Je m'invisibilise de vos systèmes de contrôle, je suis cosmopoli avec ce qui existe, minéraux, faune, flore, vivants. Je choisis qui je fréquente (quelques amis), je travaille sur moi (à gérer mes émotions souvent archaïques, mes pulsions souvent excessives). Je n'ai plus d'ennemis; même les adversaires politiques, je les ignore dorénavant. Cette affirmation n'est pas à prendre comme un constat mais comme un processus vivant (quand je me découvre un ennemi, y compris moi-même, je m'observe, je me mets à distance, je me nettoie de l'agressivité avec une technique de clown s'ébrouant, se débarrassant de sa poussière jusqu'à ce que l'indifférence me gagne). Je n'ai plus de boucs émissaires (processus vivant avec nettoyage, dépoussiérage) : les arabes et musulmans pour les racistes (dont je suis parfois), les blancs pour les ex-colonisés (dont je suis parfois), les machistes pour les féministes (dont je suis parfois), les putes pour les machistes (dont je suis souvent). Ces binarisations du monde sont toutes douteuses : elles nous font croire que nous sommes du bon côté, du côté de la justice, de la vérité. Par exemple, la théorie du Grand Remplacement justifie les mouvements néo-fascistes. Inversement, le refus de toute relation avec la Haine du FN et du RN justifie l'extrême-gauche et l'islamo-gauchisme.

Qui aura raison, Michel Houellebecq avec Soumission, Boualem Sansal avec 2084, Alain Damasio avec Les furtifs... ?

J'ai vu au tout début des GJ (novembre 2018), le rejet de ceux-ci par tout un tas de gens bien-pensants (tous bords politiques) qui n'ont même pas compris que ceux qu'ils appelaient des bruns, venaient de la périphérie, les petits blancs invisibilisés par la société marchande et touristique, la société des bobos. Ce que j'ai compris et accepté, c'est que tout ça existe, co-existe, s'affronte et que c'est en moi, potentiellement, réellement. J'ai vu des GJ aux idées racistes être changés en deux, trois discussions. Cela veut dire que prendre pour du dur, des opinions de circonstances, en lien avec un mal-être, un mal-vivre est préjudiciable à la recherche de la paix, civile et sociale. Rien de pire qu'une guerre civile, qu'une société qui se délite, les uns dressés contre les autres.

Cela dit, nos opinions de circonstances peuvent tenir longtemps. Nous les faisons nôtres comme si le monde allait s'effondrer si on cessait de les croire nôtres. 60 ans pour moi de fidélité imbécile aux valeurs "humanistes" de la gauche radicale. C'est cette fidélité toxique aux "convictions politiques" d'à peine plus de 50% des électeurs (qui faisait que rien ne changeait si ce n'est l'alternance des couleurs politiques) qui a expliqué la montée de plus en plus massive de l'abstention pendant une vingtaine d'années, phénomène repéré mais pas pris au sérieux (c'étaient les déçus de la politique, les pêcheurs à la ligne du dimanche, les traîtres au devoir électoral, au droit de vote arraché de haute lutte par nos anciens) et qui explique en 2017, le dégagisme qui a frappé à droite, à gauche, a vu sortir du chapeau une bulle de savon miroitante.

Avec ces nouvelles convictions (plus question d'être fidèle sur le plan des soi-disant convictions politiques, ce ne sont qu'opinions largement induites par le milieu, l'époque et on les prétend siennes, c'est "mon" opinion et on s'y accroche, 60 ans durant comme moi), je n'attends plus du théâtre qu'il donne de la voix, qu'il m'ouvre la voie, une voie. J'ai fait partie du milieu, bénévolement, pendant 22 ans, créateur du festival de théâtre du Revest puis directeur des 4 Saisons du Revest dans la Maison des Comoni (1983-2004). J'ai cru par passion à la nécessité de soutenir la création artistique, de l'écriture à la mise en scène, de soutenir et susciter des formes innovantes, de soutenir et susciter l'émergence de jeunes créateurs. Ce fut une période passionnante que je ne renie pas. Mais j'ai pris conscience progressivement vers 2017-2019 que le "vrai" travail est à faire sur soi et par soi. Pas d'agir sur les autres, d'influencer les autres. Pas d'être agi par les autres, influencé par les autres.

Au théâtre, au spectacle, on est dans la représentation, pas dans la présence, pas dans le présent (le moment et le cadeau), je suis spectateur, spectacteur pour certains, je ne suis pas acteur de mon destin, de mes choix de vie à mes risques et périls. Le théâtre, lieu de représentation est comme la politique représentative. Enjeux de pouvoir, luttes de pouvoir, narcissisme exacerbé, carriérisme, opportunisme, compromissions, monde de petits requins persuadé d'avoir une mission de "création" et d'éducation (en fait, de formatage des goûts selon les critères de l'administration qui subventionne), se comportant comme le monde des grands requins (le marché de l'art est particulièrement instructif à cet égard).

Quand je vois l'éclectisme des programmations actuelles, quand je vois la pléthore de propositions faites par les lieux, je pourrais être au théâtre, au concert tous les soirs, si les moyens suivent, le cul dans un fauteuil, à applaudir ou à bouder, comme si je passais ma soirée devant la télé. Je suis un consommateur culturel et je perds mon temps, je me distrais. On sait ce que reproche Pascal au divertissement.

Impossible d'aller à l'essentiel : je suis mortel, le monde s'effondre peut-être, l'humanité va peut-être se suicider. En quoi puis-je me mettre au service de plus grand que moi, de quelle mission de vie ? Pour un autre et même pour moi, à mon insu ou consciemment car nous sommes tous complices du système, ce sera : en quoi puis-je profiter un max de ce système ?

Pour moi aujourd'hui après 60 ans de fixation, de fixette idéologique : Contemplation des beautés de la nature. Action personnelle sur soi par la méditation en particulier. Actions d'harmonie, d'harmonisation, d'élévation. Ne pas ajouter la guerre à la guerre, ne pas faire le jeu du conflit, de la mort, même si je sais que l'inhumanité a encore de très beaux jours devant elle.

Dernier point : il est évident que l'on sait, si on le veut, reconnaître ce qui est inhumain en soi, en autrui. On sait que c'est possible, que c'est réel, on ne juge pas, c'est dégueulasse, injuste, à combattre. On fait choix tant que faire se peut de l'amour de la vie, de la Vie.

Bémol de taille : ce que j'ai écrit vaut pour les "démocraties" à l'occidentale (je peux l'écrire, le publier). Je ne sais comment je me comporterais tant en Chine qu'en Russie, en Arabie saoudite ou en Turquie.

Merci à cette lecture de m'avoir permis de faire le point sur moi, être changeant et sur mes "engagements" changeants.

Jean-Claude Grosse, 6 octobre 2020

Antigone aujourd’hui ?

Antigone, dans la tradition venue de la mythologie et du théâtre grecs, est celle qui dit NON à une loi inique de la cité, Thèbes, gouvernée par le tyran Créon et lui oppose une loi universelle, au-dessus de la loi d’état, une loi dite de droit naturel pouvant être opposée au droit positif. À la loi écrite, édictée par le tyran lui interdisant de donner sépulture à son frère Polynice, elle oppose la loi non écrite mais s’imposant à elle et à tous que tout défunt doit avoir une sépulture digne et non être livré aux chiens.

Enterrés, incinérés comme des « chiens », ce fut le sort des décédés par la Covid 19 dans les EPHAD pendant le confinement du printemps 2020. Quelles Anti- gones ont bravé l’ignominie des directives gouvernementales ?

Dans les sociétés modernes, on a tendance à considérer que le concept de droit naturel doit servir de base aux règles du droit objectif. Kant (1785) et la révo- lution française (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789) ont donc participé au progrès moral de l’humanité (en droit, mais pas dans les faits). Le droit naturel s’entend comme un comportement rationnel qu’adopte tout être humain à la recherche du bonheur (le droit au bonheur est inscrit dans la déclaration d’indépendance des Etats-Unis du 4 juillet 1776 : Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inalié- nables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur). Le droit naturel présente un caractère universel dans la mesure où l’homme est capable de le découvrir par l’usage de sa raison, en cherchant à établir ce qui est juste. L’idée est qu’un ensemble de droits naturels existe pour chaque être humain dès sa naissance (comme le droit à la dignité ou le droit à la sécurité) et que ces droits ne peuvent être remis en cause par le droit positif. Le droit naturel est ainsi considéré comme inné et inaltérable, valable partout et tout le temps, même lorsqu’il n’existe aucun moyen concret de le faire respecter. Les droits naturels figurent aujourd’hui dans le préambule de la Constitution française et dans les fondements des règles européennes. Le droit à la vie et le droit au respect pour tous ne sont cependant pas reconnus partout sur le globe. Pensons aux fous de Dieu. Le droit naturel selon cette conception s’impose moralement et en droit à tous. Dans les faits, ces droits naturels sont souvent bafoués, par des individus, des sociétés, des états. Ce qui fait que le droit naturel n’est pas universellement appliqué dans les faits c’est l’existence du mal radical, du mal absolu, injustifiable (la souffrance des enfants pour Marcel Conche, la souffrance des animaux d’élevage et de consommation pour d’autres), du mal impossible à éradiquer parce que si l’homme est un être de raison, il est aussi un être de liberté et c’est librement que l’on peut choisir le mal plutôt que le bien.

Le problème du mal radical et de la liberté de l’homme a conduit Kant à écrire les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785)Selon Kant, la loi morale n’est imposée par personne. Elle s’impose d’elle-même, par les seuls concepts de la raison pure. Tout être raisonnable, du simple fait de sa liberté, doit respecter les deux impératifs, le catégorique et le pratiquepage19image1596576  page18image1668544 page18image1668752 page18image1668960

Impératif catégorique de Kant : «Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle. »

Impératif pratique de Kant : «Agis de telle sorte que tu traites l’humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »

Un principe mauvais, que le sujet se donne librement à lui-même, corrompt à la racine le fondement de toutes nos maximes : le mal radical.
L’intérêt commun pour le beau dans l’art ne prouve aucun attachement au bien moral, tandis qu’un intérêt à contempler les belles formes de la nature témoigne d’une âme bonne

Ces considérations m’amènent à tenter de dire ce que serait Antigone aujourd’hui. Antigone pourra aussi bien être une femme qu’un homme, un jeune, adolescent, adolescente, enfant même. Devant les atteintes massives, permanentes aux droits universels de l’Homme (de la Femme, de l’Enfant, des Animaux, des Végétaux, de la Terre, de la Mer, de l’Air, de l’Eau...) partout dans le monde, individuellement comme collectivement, devant cette insistance de la barbarie, du mal partout dans le monde, j’en arrive à penser que dire NON à tout cela, à cette barbarie, à tel ou tel aspect de ce mal sciemment infligé (l’exci- sion, le viol comme arme de guerre par exemple) n’est plus la seule attitude que devrait avoir l’Antigone d’aujourd’hui. Les résistants à la barbarie, celles et ceux qui disent NON servent souvent d’exemple. Leurs méthodes comme leurs buts, leurs champs d’action sont variés, de la désobéissance civile à la lutte armée, de la non-violence à l’appel insurrectionnel, des semences libres à l’abolition de la peine de mort ou de l’esclavage, de la lutte contre l’ignorance à la lutte contre le viol. D’une action à grande échelle, internationale à une action locale.

Sappho, Marie Le Jars de Gournay, Olympe de Gouges, Louise Michel, Vandana Shiva, Angela Davis, Naomi Klein, Gisèle Halimi, Audrey Hepburn, Simone Veil, Simone Weil, Emma Goldmann, Ada Lovelace, Marie Curie, Margaret Hamilton, Germaine Tillon, Rosa Parks, Rosa Luxemburg, Joan Baez, Lucie Aubrac, Frida Khalo, George Sand, Anna Politkovskaïa, Anna Akhmatova, Sophie Scholl, Aline Sitoé Diatta, Brigitte Bardot, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Greta Thunberg, Carola Rackete, Weetamoo, Solitude, Tarenorerer, Gabrielle Russier // Gandhi, Luther King, Trotsky, Che Guevara, Lumumba, Sankara, Nelson Mandela, Soljenitsyne, Vaclav Havel, Jean Jaurès, Victor Hugo, Victor Jarra, Victor Schoelcher, Aimé Césaire, Pablo Neruda, Jacques Prévert, Primo Levi, Janusz Korczac, Federico Garcia Lorca, Emile Zola, Joseph Wresinski, le dominicain Philippe Maillard, Charles de Gaulle, François Tosquelles, Malcolm X, Célestin Freinet, Jacques Gunzig, Stéphane Hessel, Marcel Conche, Jean Cavaillès, Muhammad Yunus, Socrate, Siddhārtha Gautama, Jésus

Le mal radical étant l’expression de la liberté de l’homme, un choix donc (même si les partisans de l’inconscient freudien et jungien posent que la « mons- truosité » n’est pas choisie mais causée), une attitude possible d’Antigone aujourd’hui serait de dire OUI à tout ce qui existe, y compris le mal radical. Antigone en disant OUI à tout ce qui existe n’extérioriserait pas sa responsabi- lité (c’est la faute de l’autre, de Créon). Tout ce qui existe est en elle et donc elle est co-responsable de tout ce qui existe et co-créatrice de tout ce qui s’essaie. C’est à un travail sur soi qu’Antigone s’attelle pour mettre en lumière dans sa conscience, ses peurs, ses envies, ses jalousies, ses espoirs, ses rêves, ses désirs. Antigone tente de se nettoyer, d’élever sa conscience, de gérer ses émotions (c’est autre chose que de les contrôler, il s’agit de les laisser émerger mais sans y adhérer, en témoin). La méditation est un puissant outil pour ce travail sur soi. À partir de ce travail personnel, spirituel, Antigone agit comme le formulent les deux impératifs kantiens (« agis »). Elle agira sous l’horizon de l’universalité de son action, animée par l’amour inconditionnel de tout ce qui existe, sans jugement. Elle sera animée plus par son devoir concret à accomplir (sa mission de vie exercée avec passion, enthousiasme) que par la défense abstraite du droit naturel.

Elle saura prendre la défense du « monstre » (comme l’avocat Jacques Vergès).

Elle, Il saura proposer des actions « bigger than us ». Elle s’appelle Melati, Indo- nésienne de 18 ans, et agit depuis 6 ans pour interdire la vente et la distribution de sacs en plastique à Bali. Il s’appelle Mahamad Al Joundé du Liban, 18 ans, créateur d’une école pour 200 enfants réfugiés syriens. Elle s’appelle Winnie Tushabé d’Ouganda, 25 ans et se bat pour la sécurité alimentaire des commu- nautés les plus démunies. Il s’appelle Xiuhtezcatl Martinez des USA, 19 ans, rappeur et voix puissante de la levée des jeunes pour le climat. Elle s’appelle Mary Finn, anglaise, 22 ans ; bénévole, elle participe au secours d’urgence des réfugiés en Grèce, en Turquie, en France et sur le bateau de sauvetage Aqua- rius. Il s’appelle René Silva du Brésil, 25 ans, créateur d’un média permettant de partager des informations et des histoires sur sa favela écrite par et pour la communauté, « Voz das Comunidades ». Elle s’appelle Memory du Malawi, 22 ans, figure majeure de la lutte contre le mariage des enfants. Il s’appelle le docteur Denis M., il est gynécologue au Congo, surnommé l’homme qui répare les femmes, Nobel de la paix, menacé de mort. Elle s’appelle Malala Y., à 17 ans elle obtient le Nobel de la Paix pour sa lutte contre la répression des enfants ainsi que pour les droits de tous les enfants à l’éducation. Elle s’appelait Wangari M., surnommée la femme qui plantait des arbres, Nobel de la paix 2004.

Elle s’appelle Michelle du Revest, anime un groupe colibri et un groupe penser l’avenir après la fin des énergies fossiles. Il s’appelle Norbert du Mourillon et Gilet jaune, il anime un atelier constituant (RIC et Constitution). Elle s’appelle Marie de La Seyne, a écrit sur José Marti, soigne des oiseaux parasités par la trichomonose. Il s’appelle Guillaume et après 17 ans dans la rue, il œuvre pour un futur désirable quelque part. Elle s’appelle Chérifa de Marrakech et s’oc- cupe de 47 chats SDF dans sa résidence à Targa Ménara. Il s’appelle Alexandre, a créé son univers auto-suffisant, Le Parédé, et a rendu perceptible le Chant des Plantes au Grand Rex en 2015. Ils s’appellent Aïdée et Stéphane de Puisser- guier et créent un collectif gardien d’un lieu de vie, à Belbèze en Comminges, organisme vivant à part entière, bulle de résistance positive.

Jean-Claude Grosse, Corsavy, 9/9/2020

D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020
D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020
D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020
D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020

D'autres mondes de Frédéric Sonntag au Théâtre de Montreuil jusqu'au 9 octobre 2020

De quoi parler au théâtre aujourd'hui ?

D’autres mondes (Science frictions)

NOUS SOMMES tout ce que nous n’avons pas fait. Notre vie est faite de tout ce que nous n’avons pas vécu. Tous les possibles, toutes les variantes, tous les chemins pas empruntés, toutes les virtualités, toutes les bifurcations. Non seulement un autre monde est possible, mais il est probable. Peut-être même qu’un autre monde, que d’autres mondes, que des infinités d’autres mondes sont bel et bien là, qui coexistent avec le nôtre, lui sont à la fois parallèles, et superposés, et même perpendiculaires, on ne sait pas bien. Houlà. Comment faire une pièce de théâtre avec tout ça ? Avec le principe d’indétermination d’Heisenberg, la physique quantique, les particules élémentaires, le chat de Schrödinger (remplacé ici par un lapin blanc tout droit jailli du pays des Merveilles), les doutes et les tremblements et la magie que la science jette sur notre connaissance du monde, mais aussi le présentisme, qui nous fait ignorer le passé et nous rend aveugles aux multiples possibles que recèle l’avenir ?

L’auteur et metteur en scène Frédéric Sonntag a pris toutes ces questions, et même plus, à bras-le-corps, et cela donne un spectacle qui déborde de partout, plein de vie et d’élans, de chausse-trappes et de prestidigitation, d’acteurs (ils sont jusqu’à neuf sur scène, plus un enfant) et de musique (les neuf acteurs jouent de la guitare, de la trompette, du piano, de la batterie, de l’accordéon, etc.), terriblement bavard (en français et en russe) mais jamais ennuyeux, avec même quelques écrans télé et cinéma en prime (heureusement, pas trop).On y suit les trajectoires entrecroisées de deux hommes, le physicien Jean-Yves Blan-chot (l’épatant Florent Guyot) et le romancier Alexei Zinoviev (l’excellent Victor Ponomarev), qui sont censés avoir travaillé tous deux, dans les années 60, dans leur coin et à leur façon, sur les univers parallèles. Ces deux personnages imaginaires, Sonntag leur construit des biographies plus que plausibles, et les incruste astucieusement dans notre réel. C’est ainsi qu’on pourra assister à une émission d’« Apostrophes » consacrée à la nouvelle science-fiction, avec le vrai Bernard Pivot de 1978, mais avec le faux Zinoviev. Lequel sidère les participants avec cette sortie : « L’un d’entre vous se souvient-il, même confusément, d’une Terre, aux alentours de 1978, qui soit pire que celle-ci ? Moi, oui. » Une scène qui ravira tous les amateurs de science-fiction, lesquels n’ont pas l’habitude de voir leur genre de prédilection ainsi honoré sur scène.Tout ça pour quoi ? Pour nous rouvrir l’imaginaire, combattre l'« atrophie de l’imagination utopique » qui est la nôtre, ridiculiser le très dominant « Tina » (There is no alternative). Ouf, de l’air !

Jean-Luc Porquet• Le Canard enchaîné. 30 septembre 2020.

Au Nouveau Théâtre de Montreuil

1- un retour de Samuel G

Merci Jean-Claude pour cet article

Je comprends parfaitement ce que tu pointes et la nécessité d'aller trouver de l'oxygène ailleurs loin des pouvoirs et des réifications. 
Je partage comme toi cette détestation du pouvoir et rêve parfois (c'est mon défaut) à des systèmes politiques où le pouvoir pourrait circuler et où des espaces de délibération permettrait d'éviter sa confiscation. Mais ces enjeux sont vieux comme les phéniciennes d'Euripide et je comprends qu'on puisse parfois avoir envie d'ailleurs. 
Belle journée et au plaisir, 
 

2 - un retour de Philippe C

Beau texte camarade Jean Claude, très stimulant ! bon ça t’arrive à 80 ans c’est pas un hasard … 

Plaisanterie mise à part, ce retrait du monde que tu prônes et que tu t’appliques, de plus en plus de gens se l’appliquent aussi je pense, ou commencent à y penser…. C’est  dans l’air du temps je crois. Mais je reconnais que ta lucidité fait du bien : que tu te résolves après 60 ans d’activisme à lâcher prise dans une forme de bonheur et de détermination est tout à fait salutaire !  

J’ai commencé à lire Tocqueville « de la démocratie en Amérique », il dit une chose au début du bouquin que la démocratie est un mouvement qui a commencé et qui ne peut plus s’arrêter, qui va tout emporter sur son passage. Il parle du temps long et entend la démocratie par l’affirmation de chacun, si j’ai bien compris. 

Et donc si l’affirmation de chacun est, aujourd’hui, à notre niveau d’évolution démocratique de se retirer de cette grande mascarade, parce qu’il considère qu’on est arrivé à un stade qui ne correspond plus à l’idée qu’on se fait de la démocratie, il se pourrait bien que le système actuel s’effondre tout seul sans combat, ni révolution. 

De la casse, ça il va y en avoir, c’est sûr ! mais n’est-on pas arrivé au bout ?  

Bien sûr il y a la Chine et tous les nouveaux impérialistes et les grandes multinationales ; mon optimisme tendrait à me faire penser qu’ils sont des colosses aux pieds d’argile, vivant uniquement de nos superficialités (consommation, bavardage sur les réseaux, etc…). Et donc si les gens se retirent c’est la fin, et leur stratégie sera bonne pour la poubelle.

 

3 - 

un échange avec le maire du Revest informé de la démarche d'harmonie effectuée à Corsavy.

- c'est une démarche intéressante. Dommage que ça ne mobilise pas davantage

- dans l'état actuel des consciences, ça ne peut pas mobiliser beaucoup, ça mobilise au mieux les créatifs culturels, les cellules imaginatives

- ça a au moins eu le mérite de décrisper la situation provoquée par l'emplacement de la 4G ; avec la 5G, on va être confronté à un sacré problème ; comme les antennes font moins de 15 m, les fournisseurs n'auront pas besoin de demander une autorisation ; la seule façon que nous aurons de réagir sera d'empêcher le raccordement sur le réseau électrique; action en justice du fournisseur...

- quand tu penses que ça sera pour voir des films, des séries, du porno sur son smartphone

- oui et pour jouer; plus de vie sociale, le confinement permanent dans sa bulle virtuelle


 


 

 
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questionner le travail / Gilles TK

22 Septembre 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #agoras

le travail, questionnement pertinent dans ces 3 articles de l'APC (assemblée populaire et citoyenne) grand Toulon
le travail, questionnement pertinent dans ces 3 articles de l'APC (assemblée populaire et citoyenne) grand Toulon
le travail, questionnement pertinent dans ces 3 articles de l'APC (assemblée populaire et citoyenne) grand Toulon

le travail, questionnement pertinent dans ces 3 articles de l'APC (assemblée populaire et citoyenne) grand Toulon

3 contributions de Gilles TK sur le site de l'APC grand Toulon (assemblée populaire et citoyenne)

Questionner le travail #1

Le travail, en tant que tel, reste dans l’angle mort des luttes sociales et sociétales. Il s’impose à tout le monde, affecte nos vies au plus haut point, mais n’intéresse les débats qu’en termes de modalités sectorielles.
Pourtant, l’extension de nos analyses à la critique fondamentale du travail permettrait peut-être de connecter les luttes en bousculant la fatalité de l’isolement militant (méchante « dépolitisation », méchant « individualisme »), vers l’invention collective de nouveaux modes de production et pour un vrai changement de société.

Questionner le travail #2

L’être humain peut-il se passer de travail ? Le travail est-il dans sa nature ? A-t-il toujours existé ? Pourquoi travaille-t-on ? Pour qui travaille-t-on ?

Questionner le travail #3

On te parle sans arrêt du travail, on le sacralise, on te dit que tu ne peux pas faire sans, et pourtant tu n’en trouves pas. Il n’y a plus de travail ? Tu devras malgré tout travailler davantage. Tes enfants ne sont pas encore nés ? Qu’ils aillent bosser quand même !

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Inventer la démocratie scolaire / Laurent Carle

9 Septembre 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #L.C., #agora

Inventer la démocratie scolaire / Laurent Carle

Il y a longtemps que l’école républicaine prépare les générations futures à ce néolibéralisme et à s’en accommoder.

A la lecture des études sociologiques et des informations rapportées par les journalistes, on pourrait croire qu’on ne rencontre des pauvres que dans les immeubles insalubres des centres anciens, dans les HLM, les cités de banlieue et les « quartiers ». Pourtant, bien que la règle d’impartialité « républicaine » impose à l’arbitre de ne pas faire de différence, en plus jeune les pauvres sont aussi nombreux dans les écoles que dans les statistiques démographiques. Mais qu’est-ce qui empêche la maitresse de voir des inégalités, qui font « réussir » ou « échouer » selon l’appartenance sociale, pendant ses dictées ou ses leçons de lecture avec « méthode » ?

 La société se pose les problèmes qu’elle peut résoudre.

« l’Education nationale et ses milliers de professeurs…

…un monde  où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, »

Quand on a la culture et la table bien servie, pointer notre ennemi commun avec ceux qu’on exploite, qui végètent, c’est bien. Faire alliance en tous temps et donner aux pauvres la culture, pour commencer, en cessant de pratiquer des méthodes d’enseignement qui trient et sélectionnent en assurant la « réussite » à « ceux qui la méritent » et en éliminant les sans grade dès le CP, c’est mieux.

      Le jour où les journalistes, les célébrités et les médias ne se cantonneront plus à parler avec compassion des mauvaises conditions de travail et de salaire des enseignants mais se poseront aussi des questions sur le sort des enfants scolarisés dans le système français et sur ce qu’ils sont forcés de faire pour fournir la preuve de leur bonne volonté d’apprendre les faux savoirs que l’école leur fait avaler de force tous les jours, de la comédie à laquelle ils doivent se livrer pour montrer à la maitresse qu’ils ont bien appris le leçon, l’enfant ne sera peut-être pas encore au centre du dispositif et au cœur des apprentissages, mais nous saurons que la société française s’en préoccupe et que l’indignation ne se limite plus au cercle réduit des pédagogues. Ce serait déjà une amorce de solution pour sortir l’enfance en général, la pauvre en particulier, de ce dressage collectif d’un autre temps, un pas vers le progrès démocratique à l’école. Et donc l’annonce de la fin future possible de la société de la « réussite » financière avec ses inégalités et ses égoïsmes, l’amorce d’un état démocratique et républicain au sens littéral.  

En lisant la lettre d’Annie Ernaux (sur France Inter) au Président, je fais un rêve et un vœu. Je rêve et je souhaite que les enseignants dans leur ensemble (95%) prennent cette lettre à la lettre par-delà l’effet attendu par son auteur. Jusqu’ici les milliers dont Annie Ernaux célèbre le dévouement ne sont en réalité qu’une poignée de dissidents. Que les autres se lèvent comme un seul homme, même les femmes, et déclarent :

« Désormais l’enfant sera au centre des apprentissages, nous ne consacrerons plus notre temps et notre dévouement à ceux qui n’ont pas besoin de l’école pour apprendre à lire, écrire et compter. L’école ne sera plus le bureau d’homologation des savoirs acquis ailleurs, ni l’Office Central de la Fédération Française de Compétition Scolaire. Nous sommes plusieurs centaines de milliers à refuser désormais de passer notre temps sur les manuels de « lecture », sur les « méthodes » synthétiques, analytiques ou mixtes, syllabiques. Nous ne ferons plus de dictées, ces parodies d’orthographe… Nous ne serons plus les agents d’exécution de la reproduction des inégalités sociales, les évangélistes de l’individualisme, du chacun pour soi. Au contraire, nous serons les éducateurs de la solidarité, de l’échange, de l’entraide, de la coopération, du socio-constructivisme, de la laïcité sociale, les militants de l’école pour tous. La réussite, ce n’est pas l’élévation en prenant l’ascenseur social, c’est la culture pour tous. »

 Les enseignants n’ont pas besoin de la décision du Président pour faire entrer dans les classes la démocratie sociale et solidaire à la place de la gestion loyale de la guerre des classes. Sans le consentement et le concours discipliné des enseignants le président des ultra riches ne peut pas détourner l’argent de la république et le pouvoir du peuple au profit des classes dominantes.

       Si mon rêve ne se réalise pas, cette lettre restera dans les mémoires pour sa beauté littéraire. Un moment d’émotion pure. Une création vaine de plus. 

L’arbitrage impartial de la compétition n’est pas une vocation. C’est du fonctionnariat, voire du mercenariat dont la solde n’est jamais à la hauteur des services rendus aux dominants.

 

 

Laurent CARLE

 

Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et  ce qu’on pouvait lire sur la  banderole  d’une manif  en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique dépourvu de  chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays :  les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir  cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle.  

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas  là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps   pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent  déjà  sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde  dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde  où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie,  nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » -  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui  permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

Il faut applaudir la presse qui informe les citoyens, enfin, ce qu’il en reste, sur la crise sanitaire et sa gestion. Malheureusement, soit le message est mal entendu, soit vite oublié. Ce dit la presse française des menaces sur la démocratie, pourquoi ne le dit-elle pas du régime autoritaire, antipédagogique et antisocial qui règne dans les classes de notre système scolaire depuis toujours, faisant de nos enfants futurs adultes des exécutants dociles formés à avaler les mensonges d’état et l’enrichissement des gros poissons par prédation de la manne publique ? Pourquoi ce silence pudique ? Quand il est question de l’école, tout esprit critique est enterré au cimetière de l’actualité et des idées progressistes. Silence de nécropole ! La presse est-elle une jeune veuve avant noce, vierge et ingénue ? Edwy Plenel, François Ruffin, Jean Luc Mélenchon, Benoit Hamon, Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, êtes-vous sourds ou myopes ? Vous ne voyez pas que le choix entre la citoyenneté républicaine et le totalitarisme économique se construit à bas bruit dans les écoles de la république, jour après jour, de la maternelle au lycée ? Imposer des apprentissages et des activités scolaires sans aucun sens mais très sélectifs, comme faire « lire » en faisant le bruit des lettres avant de chercher le sens du message que porte l’écrit à « décoder » et ne pas s’interroger sur le sens (l’intention) de cet enseignement, sont la plus efficace formation à la soumission politique. Les enfants de prolétaires qui, par docilité à la méthode enseignée, « déchiffrent » difficilement et douloureusement, croient qu’ils « lisent mal » par déficience intellectuelle ou par paresse. Electeurs adultes, ils voteront conformément à ce qu’ils n’ont pas appris en classe, comme il faut, comme ils lisent.

 Depuis que je participe aux échanges sur le Net, j’écris pour réveiller les morts. Je ne réveille même pas les vivants, car je n’ai pas la force de frappe des médias nationaux ou seulement locaux. En imputant la pathologie aux « dys mauvais élèves », l’école peut passer pour « normale », saine, confiante comme un aveugle avec son chien, c’est à dire aux ordres. Il faut dire que les enfants d’enseignants sont surreprésentés dans la « réussite scolaire » et dans l’effectif des grandes écoles. Pourquoi changer ?

          Je me répète comme un perroquet sans auditeur. 

Les enseignants n’ont pas besoin de la décision du Président pour faire entrer dans les classes la démocratie sociale et solidaire à la place de la gestion loyale de la guerre des classes. Sans le consentement et le concours discipliné des enseignants le président des ultra riches ne peut pas détourner l’argent de la république et le pouvoir du peuple au profit des classes dominantes. S’ils n’étaient plus éduqués à la concurrence libre et non faussée, depuis toujours organisée et arbitrée par les enseignants qui croient en une école juste dans un monde juste où chacun reçoit succès ou défaite à l’aune de son mérite, les écoliers devenus adultes ne se laisseraient pas tromper par les politiciens qui leur promettent la fortune par l’auto entreprenariat. Ils sauraient avec évidence qu’un agneau n’a aucun intérêt à voter pour le loup. Les gagnants de la concurrence libre et non faussée ne sont pas les meilleurs. Ce sont les plus riches, les plus gros, les plus cupides qui, émigrés fiscaux internationaux et internationalistes bénéficiant des privilèges d’état et d’assistanat, absorbent les petits et démultiplient leurs revenus en exploitant la misère des continents pauvres après avoir « délocalisé » leur outil de production, détruisant au passage la planète qui abrite l’humanité tout entière et eux-mêmes. En économie néo-libérale, la concurrence libre et non faussée, affranchie des lois sociales, c’est la liberté de faire rouler dans la ville à leurs risques et périls des cyclistes-livreurs, « auto-entrepreneurs », pour quelques dollars la course. Ou, après avoir mis les ouvriers du Nord au chômage par liquidation de l’industrie textile, celle de payer 30 € un ouvrier polonais pour confectionner un costume vendu 1000 € à Paris. En école du mérite, la nôtre, c’est le droit de collectionner comme trophées les « bons points » quand on est né de parents lecteurs ou d’aller faire soigner sa « dyslexie » avec la « gestuelle phonomimique » de Borel-Maisonny chez l’orthophoniste, si l’on grandit dans une famille d’illettrés. Pour l’Etat, c’est l’obligation de se désengager, de déréguler, de privatiser les services publics, de vendre les bijoux de famille acquis après la guerre, pour éviter de taxer les riches sans déclencher une révolution. Comme l’orientation libérale de la gestion politique que nous connaissons, le choix didactique du recours aux méthodes « qui ont fait leurs preuves » ne participe pas du simple pragmatisme du « faire avec ». Il relève d’une stratégie, apparemment inoffensive, de priorité non contestable naturellement accordée aux non « défavorisés ». En triant selon les « résultats scolaires », on croit participer à la sélection des compétences pour les postes de responsabilité. En fait, on ne fait que de la maintenance en reproduisant les inégalités de naissance pour mettre à disposition des dominants un volant de « défavorisés » de la classe ouvrière et de la classe moyenne. Les pauvres n’échouent pas parce qu’ils ne « suivent » pas, on les fait échouer à coups de syllabation et de dictée à fautes, « pour leur bien ». Cette idéologie néolibérale au service des vainqueurs, endogène dans notre école, guide l’enseignement depuis des lustres derrière une « pédagogie de l’efficacité » affichée en vitrine. La vocation de l’état républicain moderne est d’améliorer le confort fiscal et financier de la bourgeoisie. C’est l’état-providence des dominants. La mission du système scolaire est de préserver la perpétuation de la différence et des inégalités entre les classes, sous la bannière d’une idéologie commune, celle de la collaboration. 

Que le retour d’entre les morts de Jésus rouvre les yeux de ceux qui ne sont pas aveugles mais ne voient rien.

Laurent CARLE

Avec

BLANQUER ministre

maintenir le conformisme et l’illusion de l’ascenseur social 

ou inventer la démocratie scolaire ?

 

La majorité des enseignants de toute fonction et de tout grade (psy, réparateurs et formateurs compris) croient et pensent que la mission des enseignants est de distribuer comme le semeur, à la volée, mais orale, les savoirs scolaires (le « programme ») à des ignorants qui ne viennent pas à l’école de leur plein gré et ne sont pas tous, ou pas toujours, disposés à faire les efforts nécessaires pour enregistrer et mémoriser l’enseignement dispensé. La distribution collective à un public homogène, garantie de « l’égalité des chances », doit donc s’accompagner d’une surveillance vigilante qui ajoute à la fonction de transmetteur la « conscience professionnelle » du Père directeur de conscience qui récompense les méritants et punit les récalcitrants, après avoir fait entrevoir, pour un plus tard proche des lendemains qui chantent, les futurs bénéfices d’un « travail » bien fait. C’est une mission « civilisatrice » de l’ordre du divin, qui fait de chaque enseignant l’équivalent d’un saint laïc promettant la réussite d’un but purement matériel. 

 

Pour la réalisation de cette promesse, l’école à la française est censée instruire par mémorisation sans agir, sans échanger, sans donner, sans partager et sans faire : apprendre à lire sans lire, sans bibliothèque et sans correspondant épistolaire, à écrire sans écrire et sans communiquer avec un interlocuteur distant, à faire des opérations de calcul sans rien produire de quantifiable pour personne. Les règles, définitions, conjugaisons, tables et « récitations » par cœur avec « exercices d’application » dans le « cahier du jour » seraient la recette pour faire entrer dans la connaissance et la culture les plus bêtes des ignorants, les plus crasseux des « paysans ». Cette mission « religieuse » doit donc s’accomplir selon les rites consacrés par la tradition, la liturgie et les superstitions, officiés dans un espace clos, une sorte de petit monastère qui sanctuarise l’école, à l’écart de toute activité sociale et publique. Elle fait du maitre un clerc officiant, exfiltré de la société puis consacré clerc de la connaissance. De leur côté, les théologiens prédicants se mutent en gardiens du temple s’employant à dénoncer les « pédagogistes ». Parfois, maitres et élèves, en phase avec la théorie janséniste, pensent que les « bons élèves » sont prédéterminés à « réussir » parce qu’ils ont reçu la grâce à la naissance, thèse forcément hérétique, puisque, selon le dogme, « la connaissance se mérite par le travail » - hérétique mais admise. En réalité, être bien né, c’est avoir grandi dans un milieu privilégié, source de grâce pour élus. Ce constat n’affaiblit nullement la croyance en la béatification que le « travail » accorderait malgré tout à l’écolier besogneux.

 

C’est dans et par ce travail de l’élève que le paradoxe prend une dimension théologique. « Travailler » pour recevoir ce qui vient d’en haut et s’élever. Dans l’école à la française, rien ne doit être appris qui n’ait d’abord été enseigné. Nul ne doit faire avant d’avoir appris à faire. Aucun enfant ne doit lire avant d’avoir appris à lire. Produire de l’écrit exige d’avoir préalablement acquis en « travaillant » les « règles » de grammaire, d’orthographe et de conjugaison, ces structures destinées à façonner l’inutile dans un lieu où le fait social n’a pas sa place. C’est ainsi que plus d’un élève français sur quatre arrive au collège, illettré. Les petits Français sont censés s’instruire sans faire et sans produire dans une institution d’enseignement « naturellement » désignée « d’apprentissage » qui ne fabrique rien, ne produit rien, ne construit rien, ne livre rien. La transmission se fait entre la parole du maitre évangéliste et l’oreille du catéchumène (celui qui est instruit de vive voix). Si l’école républicaine, rurale, urbaine, communale ou confessionnelle enseignait la marche aux bambins de douze mois, ce serait assis et sans bouger. On y apprendrait à marcher sans se déplacer. Et pourtant, l’élève à qui il est interdit de faire avant de savoir faire est régulièrement récompensé ou puni pour son « travail ». Les théologiens parlent de stimulation, signal de motivation pourtant inefficace qu’il faut très souvent relayer par l’émulation, euphémisme de « compétition ». Ce système de motivation exclut toute idée de coopération et d’entraide, « péchés mortels » pour la doctrine. Cet enseignement du faire-semblant est la manifestation visible d’une idéologie invisible. Sous ses divers noms d’emprunt, Dupont Lajoie représente sans mandat mais sans tricher cette « pensée » pédagogique majoritaire (95%)Quelques rebelles insoumis préfèrent pratiquer la démocratie, seuls et contre tout, là où ils exercent. Ils sont rares. La plupart des plaintes formulées par les alignés à l’encontre du ministre désigné par le cambrioleur de l’Etat, au service de la finance, lui reprochent son mépris négligeant à l’égard des enseignants, comme s’il était le ministre sincère d’un gouvernement démocratiquement élu par la majorité des citoyens. Sincère ou rusé mais mal choisi pour cette fonction et donc à contre-emploi, il nous tromperait par incompétence ou ignorance. Mais pour l’élève, qu’elle soit magistrale, ministérielle ou idéologique, l’obligation de « bien travailler » pour prendre l’ascenseur est une parodie de sélection d’élite qui ne profite qu’aux privilégiés et aux rares gagnants du tirage au sort. L’institution scolaire, financée par le plus gros budget de la nation, état et collectivités réunis, qui dispose des moyens pour émanciper tout un peuple en le libérant de la tutelle des clercs et de l’emprise de la publicité, se contente d’arbitrer la compétition pour désigner les quelques élus qui auront le droit de monter dans l’ascenseur.

 

Majoritaires dans l’enseignement, les femmes, qui, après les peuples indigènes des colonies, souffrirent le plus dans leur âme et dans leur chair de la brutalité de l’exploitation capitaliste, exigent avec rigueur des écoliers l’ascèse du vivre et du savoir scolaires. Elles dirigent et « corrigent » les « devoirs » loin des espérances féministes qu’elles affichent. Du bonheur collectif qu’annonce le féminisme elles ne montrent rien. Gardiennes de la règle grammaticale, gardiennes de l’ordre. Leur enseignement est techniquement exécuté sans humanité. Le féminisme est un humanisme centré sur la femme. A l’école, l’humanisme, ce serait l’élève au centre, une incongruité pour la majorité. De fait, les enfants, qui doivent apprendre par obligation scolaire les règles qui structurent le langage oral et l’écrit, sans écrire et sans parler, n’ont pas la parole. En classe, la langue est une arme factice sans munitions. Parce qu’aucune organisation syndicale ne les représente, ces travailleurs de l’inutile ne profitent jamais des améliorations matérielles ou pédagogiques, accordées parfois par quelque ministre. Déjà « bénéficiaires de conditions excellentes pour bien travailler », mais « plus portés sur les rires et les jeux que sur l’étude et le sérieux », les écoliers français n’ont besoin de rien d’autre que d’exhortations à travailler mieux. La démocratie leur est une promesse pour enfant docile. 

 

Rien n’étonne celles qui réclament égalité et justice sans distinction de sexe. Par le mystère et la magie de la voie indirecte qui oblige les enfants des deux sexes à faire sonner les lettres avant de s’interroger sur le sens des mots, un(e) élève en échec « lecture » en arrive à « lire » sans comprendre ce qu’elle-il « lit ». On distribue religieusement un bon point, hostie scolaire, à celle ou celui qui comprend ce qu’elle-il vient de « lire », quand c’est celle ou celui qu’on a mis en échec qui devrait recevoir réconfort et consolation. Car toutes les pratiques rituelles, héritées de la tradition ou prescrites par instructions officielles, sont destinées à empêcher par l’échec les enfants de pauvres d’entrer dans la culture écrite. Malheureusement, ces pratiques stupides ne heurtent ni la raison, ni le jugement moral des professeur-e-s, même quand la stupidité grimpe jusqu’au chronométrage de la syllabation à haute voix, aujourd’hui recommandé par le ministre, enseigné depuis longtemps par les pédagogues de la méthode. La « globale » rend l’élève dyslexique, dit-on, l’enseignement de la syllabation rend l’enseignant débile, devrait-on dire.

 

Blanquer à point nommé légalise, bon ministre de la bourgeoisie, la débilité à l’école. On le dit piètre ministre, il est loyal envers ses patrons. Macron, président choisi par la finance, refusé par 80% des électeurs, qui se sont abstenus, ont voté contre ou voté blanc, l’a choisi et nommé pour sa capacité à empêcher l’accès de la culture écrite aux classes populaires. Les enseignants, premiers bénéficiaires de « l’ascenseur social », ne l’apprécient pas mais se soumettent à l’idéologie qu’il propage, la même que celle qu’ils ont reçue pendant le parcours scolaire de leur enfance, sous la direction d’un précédent ministre, semblable au présent. Ils exécutent sans savoir ce qu’ils font, ignorant savamment que le système scolaire est l’appareil idéologique d’état, l’appareil de reproduction de la division du travail entre manuels et intellectuels et le fixateur des inégalités sociales entre les deux. Je dis « ignorants savants » parce qu’aucun-e utilisateur-trice de méthode de « lecture », conseillé-e et cautionné-e par des chercheurs en science du neurone, ne se doute que l’enseignement de la méthode conduit tout droit à la pauvreté et la résignation ou précipite parfois, faute de livres et de partis ouvriers, dans les bras des politiciens d’extrême-droite.

 

Les ministres passent… l’école se perpétue. Quand la république française défile, monarque en tête, son école marche au pas. Pourtant le mammouth école est devenu si gigantesque que sa tête ne contrôle plus ses membres. Il n’y a rien à attendre du ministre et de son ministère mais chacun dans son espace et son domaine peut autogérer son activité professionnelle dans le sens du progrès démocratique. L’autogestion née dans l’esprit libertaire de soixante-huit, les enseignants peuvent la pratiquer ici et maintenant. C’est ce que font depuis toujours les démocrates émancipateurs de toute confession (5% de la profession), sans avoir attendu mai 68 et sans permission. Jusqu’ici, aucun chien n’a mordu les mollets de ceux qui s’écartent du troupeau. La liberté pédagogique qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas est possible depuis toujours. Cette liberté n’est pas le libre choix de faire comme on doit et comme il faut, comme tout le monde. C’est celui d’inventer la démocratie scolaire plutôt que de reproduire sans examen les modèles périmés d’une loyale servitude de rigueur. La pédagogie n’est pas la police de la pensée, c’est un art des possibles qui n’est pas du ressort de la prescription scientifique ou de l’ordonnance politique. Elle est « l’obligation scolaire » de l’enseignant. Pour s’y consacrer il faut d’abord résoudre un double conflit : 

  1. le conflit de loyautés entre l’enfance populaire (et familles) auprès de qui on a passé contrat social et moral en choisissant l’éducation scolaire et la classe dominante au pouvoir avec qui on a signé son engagement,

  2. le conflit d’intérêts entre ceux de sa classe, de sa corporation et de ses avantages acquis à défendre et ceux de l’humanité en devenir, l’enfance. 

 

Laurent CARLE (juillet 2020)

 

 

 

 

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Voeux 2020

1 Janvier 2020 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Voeux 2020
que 2020 soit à nos images, 
paisibles, 
aimants,
polis, 
amoureux, 
jeunes créatifs,
vieux en forme, 
rieurs,
drôles, 
apaisés,
un peu sages,
un peu fous,
modestes,
appréciant le très ordinaire quotidien,
s'offrant parfois de l'extra-ordinaire,
prenant le temps, 
sans impatiences,
partageurs, 
tendant la main, 
ouvreurs de voies, 
de voix, 
nommant bien les choses
car comme disait Camus: mal nommer les choses, 
c’est ajouter au malheur du monde,
inversement, le bonheur de plusieurs peut dépendre d’un mot heureux
et la promesse d’un dernier sourire peut devenir un chant d’amour,
acceptant ce qui advient, 
heurs, malheurs, bonheurs dans leurs alternances
jusqu’à l’ultime performance
le passage de soi, de l’autre,
que des épitaphiers, des Orphée sauront légender, mythifier,
contre l'Oubli dont les morts ont si peur dit-on
inventeurs de nouvelles façons d'aimer 
en renonçant à notre pouvoir sur l'autre
il semble plus facile d'être aimé que d’aimer,
donc, au lieu de tenir l'amant ou l’amante déclaré(e) en haleine, 
ne vaut-il pas mieux cheminer avec lui-elle, 
par le dialogue et les actes, les gestes, 
construire ensemble une histoire d'amour 
par approximations, ajustements, transparence progressive,
et ainsi de proche en proche, 
diminuer la violence, la souffrance 
née des amours mortes en un jour, 
dispenser et accroître l'Amour, 
une évolution, une révolution pacifique, 
de l’intime 
vers l’extime
 
Je renvoie à un livre de Catherine Millot.
En 2015, elle tente, en publiant La logique et l'amour, de relancer le projet de Lacan 
de faire de la psychanalyse le lieu de l'invention d'un nouvel art d’aimer courtois.
Evidemment depuis l'affaire DSK puis l'affaire Weinstein, depuis metoo, balance ton porc, depuis la tribune dite Deneuve en défenseur de l'art de séduire à la française, avec l'affaire Polanski, l'affaire Gabriel Matzneff, l'affaire Adèle Haenel, on peut se demander si c'est possible dans un monde à domination patriarcale. 
 
 
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Spectacles en recommandé

22 Novembre 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #spectacle

« chaque enfant a besoin de quelqu’un d’irrationnellement fou de lui »

Urie Bronfenbrenner, père de la théorie de l’écologie du développement humain

j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019
j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019

j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux au Palais Neptune de Toulon le 20 novembre 2019

CIE FOLHELIOTROPE & CIE CRINOLINE 

J’ai pas l’temps 

j’suis pas comme eux

À PARTIR DE TÉMOIGNAGES D'ENFANTS PLACÉS 

Mon analyse

Mercredi 20 novembre 2019 à partir de 8h45 au Palais Neptune à Toulon s'est déroulée la conférence annuelle de l’Observatoire Départemental de la Protection de l’Enfance du Var (ODPE) qui célèbrait le 30ème anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

L'après-midi, j'ai assisté au Palais Neptune dans le cadre de cette journée à la pièce J'ai pas l'temps, J'suis pas comme eux, écrite à partir de témoignages d’enfants placés.
40% des SDF de moins de 25 ans sont des anciens enfants placés. Mais comment grandir au cœur d’une institution parfois ressentie comme indifférente ?
Entre interrogations, colères, angoisses et joie, parfois, Léna, Malik et Cosmina tentent de se construire. Mais à 18 ans, tout s’arrête : il faut partir. C’est l’heure de la sortie de l’Aide Sociale à l’Enfance et de la dure entrée dans la « vie adulte ». Arriveront-ils à s’en sortir ? Cette pièce est l’adaptation par Véronique Dimicoli d’une recherche universitaire en sociologie, initiée par Pierrine Robin de l’Université de Créteil. Elle porte sur la transition à l’âge adulte après une mesure de protection.
La pièce portée par 5 excellents comédiens professionnels a déjà été reconnue par le prix Tournesol festival off 2018 d'Avignon et le coup de coeur du club de la presse Avignon 2018. 
Bravo à Véronique Dimicoli, metteur en scène varoise; sera-t-elle reconnue par les directeurs de théâtre varois ?
Merci à Florence Brizio de m'avoir signalé cette journée.

Cette pièce est du théâtre documentaire par les circonstances et par le contenu. Adaptation de paroles de jeunes en familles d'accueil et en foyers recueillies dans le cadre d'une recherche sociologique universitaire, à la demande des jeunes rassemblés par cette recherche.

Et elle n'est pas du théâtre documentaire par le traitement artistique du matériau vivant, humain enregistré.
Le parti-pris est de faire entendre la parole des jeunes. Les confessions des 3 jeunes évoquant leurs parcours et leurs rapports aux liens institutionnels sont chargées et entendues. Se retrouvant au centre, ils exposent en s'exposant, soumis aux pantomimes du choeur ou s'en libérant.
La présence de ce choeur au masque blanc, multi-fonctionnel, est un contre-point permettant de mettre de la distance (l'effet de distanciation brechtien) et de rendre léger par l'humour ce qui est pesanteur administrative, aveuglement institutionnel...

Accessoires, une corde lisse que spectateur nous chargeons de sens multiples, corde pour lier, relier, corde pour enchaîner, emprisonner, corde pour malmener, maltraiter, corde pour s'en libérer. Deux chaises, des pancartes : assistante sociale, éducateur, directeur, psychologue, juge... Le choeur est le manipulateur de ces accessoires, manipulateur clownesque, grotesque, comique ce qui évite d'éprouver du ressentiment, de la colère vis à vis de l'institution et des personnels et ce qui permet de ne pas être écrasé par le parcours chaotique, douloureux de ces jeunes. L'empathie devient envisageable : comment pourrait-on améliorer ces dispositifs de soutien, d'accompagnement.
Des lumières pour définir les lieux, salle d'attente, chambre... Une musique accompagnant à propos ce qui se passe sur le plateau. 
Un jeu d'acteurs varié avec arrêts sur image, moments de jeu réaliste, moments de jeu décalé.

Aucune utilisation de vidéo comme dans d'autres théâtres documentaires : pas d'images, la parole. Ce choix est essentiel en ce sens que l'enjeu de ces parcours est si possible de permettre au jeune de trouver sa parole, une parole qui lui est propre, libérée des paroles et actes traumatisants du milieu familial, se libérant des paroles institutionnelles, multiples, certaines sourdes aux attentes du jeune, d'autres bienveillantes et accoucheuses d'un jeune adulte libre et responsable.

Ce spectacle a obtenu deux reconnaissances au Festival d'Avignon 2018, prix Tournesol et Coup de cœur du club de la presse.

Il mérite d'être pris en considération par les théâtres du Var. La représentation devant 500 à 600 personnes dans l'auditorium du Palais Neptune à Toulon, le 20 novembre pour le 30° anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant a été un grand moment. L'ovation finale était méritée.

Il n'y a pas eu de débat à l'issue du spectacle. Parler de quoi ? Du contenu ? La question au cœur de ce qu'on voit, qu'on découvre ou qu'on connaît, est si je suis un professionnel de la protection de l'enfance, quel professionnel suis-je ? Un fonctionnaire, un militant de cette cause, un vrai écoutant allant au-delà de son temps (on voit bien avec les féminicides l'incompétence, la surdité de ceux qui sont en charge des mains courantes). C'est une affaire personnelle, de cœur je dirai qui peut être accompagnée par des formations à l'écoute, à la bienveillance, par un suivi régulier (pas un contrôle mais des prises de paroles de ceux qui agissent sur le terrain supervisées par des psys). Le problème de la rigidification de l'institution est réel. Toute institution tend à se bureaucratiser, à perdre de vue ses buts, à détourner ses moyens, à impersonnaliser ses personnels. Je mets à contribution mon passé d'étudiant en sociologie pour signaler que deux sociologues ont oeuvré pour démasquer et corriger : Georges Lapassade (L'entrée dans la vie) et René Lourau (L'analyse institutionnelle). On pourrait citer aussi le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, François Tosquelles, Jean Oury et d'autres.

Colin Lucette, « L'arpenteur Georges Lapassade », Nouvelle revue de psychosociologie, 2008/2 (n° 6), p. 313-316. DOI : 10.3917/nrp.006.0313. URL :

https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2008-2-page-313.htm

Colin Lucette, Hess Rémi, « Georges Lapassade (1924-2008) : cinquante ans de psychosociologie », Bulletin de psychologie, 2009/2 (Numéro 500), p. 191-193. DOI : 10.3917/bupsy.500.0191. URL :

https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2009-2-page-191.htm

un retour de Florence Brizio

Merci beaucoup Jean-Claude Grosse pour ce retour sur cette pièce et sur cette journée de célébration du 30ème anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, organisée par l'observatoire départemental de la protection de l'enfance dont je suis responsable en partenariat avec la PJJ et l'ADEPAPE (association d'anciens enfants confiés). 
Cette pièce est issue d'une recherche action par les pairs dirigée par Perrine Robin chercheur en sociologie. Lorsque j'en ai entendu parler, j'ai souhaité qu'elle puisse s'inscrire dans le programme de la journée intitulée"des droits formels aux droits réels: paroles d'enfants ". 

L'observatoire départemental de la protection de l'enfance est une instance pluri institutionnelle ( ASE, PJJ, foyer de l'enfance, éducation nationale, justice, université, associations...) chargé de développer une culture commune de la protection de l'enfance. 
Les institutions se rigidifient parce que comme à l'hôpital et dans tous les services publics, la logique comptable et gestionnaire ne permet plus aux professionnels chargés d'accompagner les personnes vulnérables au quotidien de faire leur métier, occupés de plus en plus souvent à, de tenir à jour des tableaux de bord et des indicateurs, de remplir des documents administratifs.... Ils sont en train de tuer le travail ! 
Les journées comme celle d'hier redonnent du sens, rappelle les fondamentaux. L'ovation finale après la pièce c'était comme des retrouvailles avec le sens du travail social. La parole donnée, échangée, l'écoute, le don, l'entraide, la prise de risque parfois. S'autoriser à aimer un enfant, en lui donnant la parole, la confiance et le temps... "j'ai pas l'temps j'suis pas comme eux".

Magnifique analyse de la pièce !

Tout y est ! 
Sur les besoins fondamentaux de l'enfant, je vous propose la lecture d'un document en pièce jointe. Il vous intéressera. 
Il s'agit d'un rapport sur les besoins fondamentaux de l'enfant issu d'une démarche de consensus associant plusieurs chercheurs relevant de plusieurs disciplines. Le rapport date de février 2017.
 Dans le cadre de l'observatoire, je développe des actions de formation pour sensibiliser les professionnels de la protection de l'enfance à la connaissance de ses besoins fondamentaux. 
À partir du métabesoin de sécurité se déclinent tous les autres besoins: de protection, de sécurité affective et relationnelle, le besoin d'expérience et d'exploration du monde, le besoin de valorisation et d'estime de soi. 
 
Urie Bronfenbrenner, père de la théorie de l’écologie du développement humain : « chaque enfant a besoin de quelqu’un d’irrationnellement fou de lui ». Idée que ce psychologue et chercheur américain a ainsi déroulé : « Pour se développer -intellectuellement, émotionnellement, socialement et moralement- un enfant a besoin de participer à des activités réciproques progressivement plus complexes, régulièrement, sur un temps prolongé, avec une personne ou plus avec qui l’enfant développe un attachement émotionnel fort, mutuel et irrationnel et qui est engagé sur le bien-être et le développement de l’enfant, de préférence à vie ».
 

 

CIE FOLHELIOTROPE & CIE CRINOLINE 

J’ai pas l’temps 

j’suis pas comme eux

À PARTIR DE TÉMOIGNAGES D'ENFANTS PLACÉS 

 

 

RÉSUMÉ

Léna, Malik et Cosmina ont la particularité d’avoir été tous les trois extraits de leur famille d’origine pour être placés en famille d’accueil et en foyer. Comment grandir au cœur d’une institution parfois ressentie comme indifférente ? Entre interrogations, colères, angoisses et joie, parfois, Léna, Malik et Cosmina tentent de se construire. Mais à 18 ans, tout s’arrête : il faut partir. C’est l’heure de la sortie de l’Aide Sociale à l’Enfance et de la dure entrée dans la « vie adulte ». 

Arriveront-ils à s’en sortir ? 


 

NOTE D'INTENTION 

L ‘adaptation d’une recherche sociologique 

Cette pièce est l’adaptation d’une recherche universitaire en sociologie, initiée par Pierrine Robin de l’Université de Créteil, qui porte sur la transition à l’âge adulte après une mesure de protection : « Les jeunes sortant de la Protection de l’Enfance font des recherches sur leur monde. » Une quinzaine de jeunes ont été interviewés par des chercheurs et par d’autres jeunes spécialement formés qui ont été associés à toutes les étapes de la recherche. Leurs propres mots composent l’essentiel du texte de cette adaptation. Leurs expressions, leurs phrasés, leurs codes de langage construisent la musicalité, le rythme et la vérité de leurs récits de vie. 

Ce sont les jeunes de la recherche eux-mêmes qui ont formulé le souhait d’une adaptation théâtrale afin de donner une plus grande visibilité à une réalité encore méconnue du grand public. Pour rappel, les enfants sont confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) des départements par les juges pour enfants, lorsqu’ils sont en danger dans leur famille (maltraitances, négligences, carences éducatives...) 

Ces enfants sont accueillis dans des familles d’accueil ou dans des foyers. à leur majorité, tout peut s’arrêter. Les départements peuvent mettre fin à leur accueil et à leur accompagnement. 40% des SDF de moins de 25 ans sont des anciens enfants placés. 

Trois personnages, trois types de liens 

Nous avons donc réfléchi ensemble aux moments clés de leurs parcours qu’ils voulaient mettre en relief et imaginé trois personnages, Léna, Malik et Cosmina, qui sont une synthèse de plusieurs témoignages ; ils sont également représentatifs des trois manières de créer le lien dans le cadre du placement et des répercussions dans la façon de gérer l’entrée dans la « vie adulte » : 

- LE LIEN NOUÉ : incarné dans la pièce par le personnage de LÉNA qui, après une bonne prise en charge en famille d’accueil, vit son entrée dans la « vie adulte » comme une rupture avec le cocon protecteur. Elle s’accroche mais elle est vulnérable. 

- LE LIEN SUSPENDU : incarné par le personnage de MALIK qui vit un parcours difficile lié à des placements différents avec des allers-retours en famille. C’est un parcours en dents de scie, jalonné de fugues et de rapports difficiles avec les éducateurs. 


 

- LE LIEN DÉTACHÉ : incarné dans la pièce par le personnage de COSMINA dont le placement est plus tardif. Il s’agit d’une jeune femme déterminée qui s’appuie sur tous les outils mis à sa disposition pour atteindre ses objectifs. Elle a un projet de vie bien défini et s’y tient, devenant le « héros » de sa vie. 


 

" Tribune" artistique et catharsis 

En ayant pour terreau les témoignages de ces jeunes de l’ASE, la pièce s’inscrit dans la lignée du théâtre documentaire et assume son rôle de « tribune » artistique en souhaitant donner la parole aux principaux concernés sans dévoiler d’histoires personnelles. Une fiction, donc, où la parole, nue et brute au départ dans l’expression des émotions traversées durant ces parcours difficiles, devient peu à peu « politique » en venant prendre directement le spectateur à témoin. Ainsi, pas de décor pour laisser place à la parole, mais un espace nu avec, pour seules présences, une corde comme figuration récurrente des différentes manières de vivre le lien, et un métronome pour rappel du couperet des 18 ans. 

Le miroir de l’institution 

Et l’institution ? Incarnée par un couple de comédiens, elle est omniprésente sur scène car c’est elle qui cadre et accompagne. L’aller-retour entre les personnages et le chœur chorégraphie ainsi l’histoire de ces destins à la fois individuels et collectifs. Ce duo clownesque, au visage peint en blanc, est pensé comme contrepoint du lourd héritage des jeunes. Il est le miroir grossissant des absurdités de l’institution pointées dans le témoignage des jeunes : les longs couloirs impersonnels, les piles de dossiers, les procédures etc. ... Mais que l’on ne s’y trompe pas : derrière les fards à la fois inquiétants et grotesques de ces deux adultes, se cachent des sensibilités calfeutrées et éprouvées... 

EXTRAIT

MALIK

Logiquement, à notre âge, on est censé pouvoir faire des erreurs On est censé pouvoir s’casser la gueule 

Mais ... J’ai pas l’temps 

CHŒUR

Non. Franchement. T’as pas l’temps d’faire des erreurs. 

MALIK

En même temps j’ai rien demandé J’ai toujours essayé d’me débrouiller seul. D’me débrouiller au mieux Parce que j’sais que ... J’sais que ... Pour être vraiment sûr d’avoir c’que j’veux Pour pas être déçu... 

CHŒUR

Non. Franchement. T’as pas l’temps d’compter sur eux. 

LénA

Quand j’étais petite, ils disaient : « Oui, vous êtes des enfants comme les autres » Mais ... 

CHŒUR

T’es pas comme eux. 

COsMInA

On te dit d’être comme tout le monde, mais en même temps on te fait comprendre que ... 

CHŒUR

T’es pas comme eux. 

MALIK

Les gens, quand on leur dit « Voilà, je suis placé » 

COsMInA

« Voilà, j’suis dans un foyer » 

LénA

« Voilà, j’suis en famille d’accueil » 

CHŒUR, imitant les réactions d’effarement et de suspicion Oh il vient du foyer Oh elle est placée 

Oh en famille d’accueil ! Elle a fait le bazar ? Elle a un grain ? Il a tout cassé ? 

MALIK

Ils ont pitié 

LénA

Ils comprennent pas 

MALIK

Ils ont peur de qui tu es Je supporte pas 

COsMInA

J’ai perdu des amis pour ça 

MALIK, LénA et COsMInA 

J’suis un cas social, tu crois ? 

CHŒUR

T’es pas comme eux, qu’est-ce que tu crois ? 

les artistes du cirque mort, au paradis éclairé des artistes; le fil qui pend est l’interrupteur qui a allumé les lumières; c'est un interrupteur qui décide de la vie, de la mort, de la vie après la mort; la piste est vide, un nouveau cirque peut surgir avec de nouveaux artistes, de nouveaux numéros; merci le clown fidelis fortibus, fidèle et courageux; photo ab
les artistes du cirque mort, au paradis éclairé des artistes; le fil qui pend est l’interrupteur qui a allumé les lumières; c'est un interrupteur qui décide de la vie, de la mort, de la vie après la mort; la piste est vide, un nouveau cirque peut surgir avec de nouveaux artistes, de nouveaux numéros; merci le clown fidelis fortibus, fidèle et courageux; photo ab

les artistes du cirque mort, au paradis éclairé des artistes; le fil qui pend est l’interrupteur qui a allumé les lumières; c'est un interrupteur qui décide de la vie, de la mort, de la vie après la mort; la piste est vide, un nouveau cirque peut surgir avec de nouveaux artistes, de nouveaux numéros; merci le clown fidelis fortibus, fidèle et courageux; photo ab

FIDELIS FORTIBUS CIRCUS RONALDO

Fidelis Fortibus est autre chose qu'un spectacle. Puisque d'entrée, le clown nous dit cirque mort, no comico, et nous invite à sortir. Des tombes, des croix, des lumignons, des instruments de musique, des accessoires, une piste encombrée. Omniprésence des morts impossibles à oublier, devant être ranimés, honorés, mais aussi assez souvent malmenés par le clown énervé par leur inertie...Tout cela donne un cérémonial funéraire très mexicain, sud-américain, s'achevant par une fantaisie funéraire, l'élévation des artistes du cirque mort, rassemblés avec minutie, respect sur un curieux cercueil, jusqu'au paradis des artistes, en haut du chapiteau, d'où les morts peuvent voir une piste vide et propre, cet espace vide appelant à une nouvelle création, à de nouveaux numéros. Le clown a fait le vide en rendant hommage, en étant fidèle, fidèle et courageux (fidelis fortibus), en faisant revivre les numéros de jonglage, de funambule, de magicien, de trapéziste... Nous pouvons sortir. Le public a été particulièrement attrapé par cette histoire et par ce clown-orchestre remarquablement accompagné par des instruments jouant tout seuls. Beaucoup d'émotion. Bravo l'artiste, Danny Ronaldo. Merci à Patrice Laisney pour ce choix. JCG

FIDELIS FORTIBUS FIDÈLE ET COURAGEUX CIRCUS RONALDO

FIDELIS FORTIBUS
"Dans le cadre de la Saison Cirque Méditerranée,
la programmation délicate, poétique de 
Patrice Laisney, d'un artiste entrainant son public dans son univers digne de La Strada, aux lueurs vacillantes de lumignons, entre vie et mort.
Amor.
Le vent s'engouffre dans les pans du chapiteau, la sciure vole,
les guirlandes de guingois, illuminent comme une respiration fragile les ors et le velours pourpre, le décor est un peu miteux, poussiéreux; les instruments, cabossés mais tendrement présents.
L'artiste joue dans l'arène, les enfants ne comprendront pas tout, mais les adultes y verront sans cesse l'aller-retour entre vie et mort .
Avec trois bouts de ficelle, deux chaises bancales, trois ballons de baudruches, un petit rat frémissant, des loupiotes chancelantes, un tutu de dentelles surannées, il nous emballe dans son bric-à-brac désuet.
Chaque mort est plus présent que les vivants. Joue qui du tuba, de la clarinette ou de la flûte traversière .
Le clown triste s'élève vers les cieux, dais qui nous hisse au plus beau de nous-mêmes.
Il s'énerve contre ses morts et pourtant leur écrit un hymne extraordinaire.
Avec Danny Ronaldo, circus Ronaldo.
La Seyne-sur-mer.

Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 

Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 

BOIULLON IMAGINAIRE

HOMMAGE À PICASSO

Dans le cadre de l'opération de prestige Picasso et le paysage méditerranéen, inaugurée le 15 novembre au Metropolitan Art of Toulon, le MAT, les structures culturelles de TPM ont été invitées à s'y associer.
Le Pôle au Revest a donc passé commande d'un hommage à Picasso à la compagnie italienne Piccoli Principi; j'ai vu cet hommage ce mardi 19 novembre, aux Comoni, la première de Bouillon imaginaire, hommage à Picasso et aux enfants.
Picasso a dit “Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant”. Le spectacle a pour fil rouge, une pièce de théâtre de Picasso Les 4 petites filles, injouable et jamais jouée. 
«En 1865, le terrier d'un lapin permettait à la blonde Alice, petite fille anglaise, de se rendre en un pays où les merveilles succédaient aux merveilles. En 1947-1948, c'est un jardin potager qui est le lieu d'enchantement, choisi par Picasso, où quatre petites filles, désignées par I, II, III, IV, moins élégamment peignées que leur sœur de l'époque victorienne, s'ébattent et, à travers leurs jeux empreints de fraîcheur, de sauvagerie et souvent de malice, évoquent la vie, l'amour, la mort : tout ce monde de magie et d'angoisse à quoi s'ouvre l'adolescence.
Chansons, dictons, litanies, formulettes, coqs-à-l'âne, calembours s'égrènent tout le long de cette pièce de théâtre où l'auteur semble avoir usé d'un langage en vacances : insoucieuses des règles logiques et des syntaxes, les images y déploient leurs fleurs japonaises et, telle une mère Gigogne, la poésie ne cesse d'y proliférer comme si, en un mouvement qui n'aura pas de fin, elle s'enfantait elle-même.»
Michel Leiris.
La narratrice qui est aussi la muse du peintre évoque le déroulement en 6 actes de la pièce, les décors, les 4 petites filles, les péripéties. Elle chante, danse, pose, vole. Le peintre répond aux indications scéniques par de multiples réalisations nées de son sens du bricolage, de sa créativité, de son inventivité en lien avec ce qu'il apprend en apprenant le dessin à ses enfants. Il apprend comment ils voient, regardent, souvent au plus près donc avec vision partielle, morcelée, cubiste. Il dessine sur une vitre (on pense au Picasso peignant sur une vitre face caméra du film de Clouzot). Il dessine une tête d'enfant, triste d'un côté, hilare quand on la retourne. Il est derrière Françoise Gilot avec une grande ombrelle sur la plage de Golfe-Juan (photo de Robert Capa à voir maison de la photographie à Toulon). On pense à des cadavres exquis. Le jeu avec les 6 est drôle, ca6, coc6, nar6... Les musiques sont choisies en lien avec Picasso: Stravinski, Eric Satie, le Picasso de Coleman Hawkins, Manuel de Falla. 
Ce spectacle ludique, pédagogique, inventif avec pas mal de techniques d'aujourd'hui dont les jeunes sont familiers, l'oeil-caméra du fétiche-garçonnet, l'ordinateur, complétant le bric-à-brac de l'atelier de l'artiste va maintenant tourner dans les écoles, collèges, lycées. Je pense qu'il donnera lieu à de beaux échanges avec les artistes Alessandro Libertini et Véronique Nah qui présentent ainsi leur recherche : L’attention de Picasso portée aux enfants est la démonstration que l’apprentissage - quel qu’il soit – tire profit de la réciprocité : les maîtres doivent savoir apprendre de leurs élèves exactement comme les élèves apprennent de leurs maîtres. L’idée de réciprocité est à la base de ce spectacle qui entend mettre en évidence ce que les enfants ont apporté à l’art de Picasso et ce que l’art de Picasso peut apporter au besoin de connaissance des enfants. Les jeunes spectateurs pourront vivre et se retrouver dans l’art de Picasso et les adultes réfléchir sur le potentiel créatif contenu dans chaque enfant.
Pour ma part, ce spectacle m'a renvoyé aux visions de l'enfant par Saint-Exupéry, Christiane Singer, Christian Bobin pour qui l'enfant est un métaphysicien branché sur le Réel voilé, visions qui m'invitent à un cheminement souhaité mais pas encore réalisé vers l'enfant intérieur, celui qui venu de la Lumière se retrouve plongé dans notre nuit, notre obscurité, celle des adultes croyant savoir et maîtriser. "Les nouveau-nés ils viennent de la lumière, et ils sont jetés dans notre nuit, c’est pour ça qu’ils sont éblouissants, c’est pour ça que leur regard est brûlant et que leurs visages sont dévorants comme ça." Christian Bobin.
Merci à Patrice Laisney pour le geste de la commande = faire confiance à l'avance = pari = risque. Ici, pari réussi.

Tombé sur cette perle concernant Les quatre petites filles de Picasso, fil rouge du spectacle Bouillon imaginaire de Piccoli Principi, créé à La Saison Jeune Public du Pôle, le 19 novembre 2019; merci encore à Patrice Laisney
"En 1947-1948, à Golfe-Juan et Vallauris, Pablo Picasso écrit par à-coups un texte poétique, gai et curieux, qui passera presque inaperçu lorsque Gallimard le publiera, en édition pourtant ordinaire et pas coûteuse, en 1968.
Ce poème, les Quatre Petites Filles, se présente sous la forme d'une pièce en six actes. Six actes très courts, situés dans un jardin potager, en Provence, où quatre petites filles, la plupart du temps toutes nues, ne font que prononcer et commettre des bêtises : dès la première seconde elles ont annoncé la couleur : " Jouons à nous faire mal et embrassons-nous avec rage en poussant des cris affreux. "
Il ne semble pas que Picasso ait songé à faire présenter cette prétendue " pièce " sur une scène. Les indications de Jeu décrivent des tableaux tout à fait utopiques, peuplés d'animaux géants, peu réalisables : " Un énorme cheval ailé traîne ses tripes, entouré d'aigles ", " de grands cochons et leurs truies et leurs petits, tous ailés, remplissent le lac ", " un véritable ballet de fourmis ailées remplit de haut en bas la scène, se disputant la reine dans de fantastiques tournois ", " partout le sang coule et inonde la scène ", il y a aussi des " pluies d'yeux ", des " lâchers de quantité de pigeons ", un feu d'artifice qui fuse d'un aquarium géant plein de poissons de toutes les couleurs qui nagent en rond, ainsi de suite, on imagine mal une telle fantasmagorie sur les planches, même chez Bob Wilson.
D'autre part, le texte est très difficile à jouer et à écouter. Il n'y a pas de dialogue, les petites filles disent l'une sans l'autre des fragments qui n'ont pas de suite, qui sont faits dans une langue souvent inventée, et qui pourraient être, par exemple, des sortes de notes personnelles que Picasso aurait griffonnées à son seul usage pour se rappeler un tableau auquel il a pensé, ou pour se remémorer une petite esquisse qu'il a faite, des choses de ce genre.
Notes d'ailleurs merveilleuses à lire, parce qu'en soi elles sont d'une folie déchaînée, et aussi parce qu'elles ressemblent beaucoup aux toiles jeunes, gaies, libres, que Picasso peignait dans ces années-là et exposait à la galerie Leiris. On dirait que Picasso trace ses couleurs de paroles et ses lignes de paroles comme celles de ses tableaux, avec les même lumières vives, les mêmes coq-à-l'âne, les mêmes ellipses tournantes, les mêmes Jeux d'expression, et tout le côté généreux et farceur.
Merveilleuses à lire, disions-nous, mais presque impossibles à écouter, d'abord parce que Picasso les suppose prononcées sans réfléchir par des petites filles qui disent n'importe quoi, et comment pourrait-on " répéter " avec de vraies bouches, après coup, ce charme, cette fraîcheur, ces improvisations imaginaires ? Si Picasso donne à son poème l'apparence d'une pièce de théâtre, c'est afin d'orienter la vision, l'écoute de ses pages, de donner une aimantation de vie, de mettre la lecture en relief, en mouvement, mais cette illusion d'un théâtre " supposé " est fragile, impalpable, et ne peut passer à l'action que dans l'esprit, dans la lune, et pas sur des planches réelles avec des acteurs réels.
Citons des exemples, ce sera plus clair (si l'on peut dire). Picasso écrit : " Un grand ovale jaune lutte en silence entre les deux points bleus de toutes ses griffes retournées dans la chute d'Icare de l'écheveau des lignes du piège du losange vert olive étranglé des deux mains par le violet si tendre du carré de l'arc vermillon lancé de si loin par l'orange ". Et voici un autre passage : " La poussière dorée qui accroche à chaque soupir les sauts de cabri du bandeau blanc qui lève la barque à la fenêtre isole des marches de l'amphithéâtre la charrue et le sillon qui solennellement immolent la chèvre enchaînée sur le papier immaculé de la grande page écrite. "
Comment écouter de telles phrases (tout le texte de Picasso est fait comme ça). Le public ne pourra suivre, il déclarera forfait, alors qu'avec un livre, en s'armant de talent, en faisant des pauses " Volvic " et des mouvements respiratoires, on peut parvenir à lire les Quatre Petites Filles, et à trouver cela, même, charmant et sportif.
M. Jean Gillibert, à qui tout un chacun reconnaît le mérite de foncer dans le brouillard, a eu raison de mettre en scène ce poème de Picasso, car il rappelle ainsi l'existence de ce petit livre phénoménal, mais on ne saurait trop déconseiller d'aller voir ce spectacle au Centre Pompidou : des bidons et de vieux pneus, gris, moches, remplacent les beaux fruits et légumes du jardin potager de Picasso, il n'y a bien sûr ni cheval ailé ni ballet de fourmis, et quatre comédiennes d'âge caduc ou presque, déguisées en fillettes, essaient de donner une dimension lyrique, sentencieuse, à la "partouse" verbale de Picasso. C'est la tasse.
Et pour se retrouver les pieds par terre, citons la seule phrase des Quatre Petites Filles immédiatement saisissable : " Aujourd'hui le 17 du mois de mai de l'année 1948, notre père a pris son premier bain et hier, beau dimanche, est allé voir à Nîmes une course de taureaux avec quelques amis, et mangé un plat de riz à l'espagnole. " Voilà, et le soleil entre dans la chambre, et il fait chaud, rien que de songer à ce mois de mai où Picasso était vivant."
MICHEL COURNOT. 16 mai 1981.

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La mécanique du hasard / Théâtre du Phare

7 Novembre 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #spectacle, #J.C.G.

un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
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un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo
un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo

un décor presque minimaliste, un désert ressemblant à une coupe d'arbre centenaire (généalogique ?), un frigo

La mécanique du hasard

Théâtre du Phare-Olivier Letellier

d'après Holes (Trous)-Le Passage

de Louis Sachar (1998)

adaptation Catherine Verlaguet

 


La mécanique du hasard, durée une heure, vu à la Maison des Comoni au Revest, le 5 novembre à 19 H 30, dans le cadre de la Saison Jeune Public du Pôle (scène conventionnée d'intérêt national arts et territoires), est un fabuleux spectacle d'une précision et d'une fluidité qui nous captent du début à la fin. Heureusement, si on décroche, impossible de raccrocher, de se raccrocher tellement cette histoire est multiforme, riche d'informations qu'il faut engranger et relier, une histoire de malédiction (l'emploi de ce mot mériterait attention car il est du registre performatif : une malédiction est un énoncé agissant dans le temps, à l'insu de la victime = quand dire c'est faire, or aujourd'hui, le langage performatif est celui de tous les manipulateurs aux pouvoirs, on ne parle pas pour dire le vrai ou la (sa) vérité, on parle pour agir sur le réel, pour qu'il se conforme à ce qu'on en dit ; Jupiter en est un exemple vivant) traversant 4 générations (une discipline étudie ces transmissions, répétitions inconscientes, la psychogénéalogie transgénérationnelle de Anne Ancelin Schützenberger ou la métagénéalogie dont Alejandro Jodorowski est l'inventeur = de l'importance de construire son arbre généalogique), malédiction partant de Lettonie, passant par Las Vegas, s'arrimant dans le lac vert, aujourd'hui asséché, autrefois terre fertile, devenu camp de redressement pour adolescents délinquants. 

Stanley Yelnats = Stanley à l'envers, est un ado envoyé dans ce camp pour creuser des trous au fond du lac. Mais ce sont les héritages familiaux qu’il va déterrer : l’histoire de son horrible-abominable-vaurien-d’arrière-arrière-grand-père qui avait volé un cochon à une tzigane unijambiste qui s’était vengée en lui jetant un mauvais sort, la malédiction. Mais aussi celle de son père inventeur de génie qui s’acharne à recycler les vieilles baskets qui puent grâce à un spray. Ou encore celle de son arrière-grand-père dont la diligence a été dévalisée par la redoutée « Embrasseuse ». Une puissante histoire d’amitié entre ados (lui et Zéro, oui, Zéro, un zéro disent les autres, un héros à sa façon) va se construire sur ce fond de légende héréditaire. Des histoires parallèles, à un siècle d’intervalle, que l’on découvre étrangement liées par des indices savamment distillés tout au long du récit, porté par deux comédiens (Fiona Chauvin, Guillaume Fafiotte) multifonctions, narrateurs, personnages, dont la partition corporelle, gestuelle est comme une chorégraphie avec pour tout accessoire, mais quel accessoire, un frigo (symbole autrefois de la société de consommation) qui est tout, barque, trou, désert, montagne à gravir, lieu du trésor de l'embrasseuse (l'institutrice du village de jadis) qui tue pendant 30 ans les égarés dans le désert pour se venger de la mort de son amant noir par le shérif.

Comment le Stanley de la 4° génération réussit-il à un moment donné à ne plus être au mauvais endroit au mauvais moment, à rompre le cycle de la répétition du pas de chance ? 

C'est à travers des épreuves terribles et des signes semés par les prédécesseurs qu'il reconstitue ou fabrique son histoire (à trous sans doute) liée à celles de ses ancêtres dont il ne sait quasiment rien; ce faisant, il se trouve, s'identifie, devient lui et capable de décisions, ça commence par NON et par j'y arriverai; se mettent en place des séries non prévisibles mais qui vont jouer leur rôle de libération de la malédiction : manger des oignons, trouver un tube de rouge à lèvres, rencontrrer des lézards jaune-vert qui cessent de mordre pour tuer... 

Quand on est embarqué dans ce genre de cheminement libérateur, aujourd'hui on parle de lâcher-prise, ne pas chercher à comprendre, à dominer la situation, accepter ce qui vient, ne pas faire le tri, les indices, les coïncidences, les opportunités, les synchronicités s'offrent et c'est enfin l'éclaircie, la lumière se fait ; quelque chose de l'inconscient, de l'inconscient personnel mais surtout de l'inconscient collectif, celui mis à jour par Jung, agit : « en plus de notre conscience immédiate, il existe un second système psychique de nature collective, universelle et impersonnelle qui est identique chez tous les individus. Cet inconscient collectif ne se développe pas individuellement, mais est hérité. Il se compose de formes préexistantes, les archétypes, lesquels donnent un sens aux contenus psychiques ». Pour Jung, reconnaître l'existence et l'influence de l'inconscient collectif, c'est reconnaître que « nous ne sommes pas d'aujourd'hui ni d'hier ; nous sommes d'un âge immense » (je dirai immémorial, l'inconscient collectif, à travers les archétypes, c'est l'éternité au présent, c'est l'infini en nous : tout est lié, relié, tout est déjà là)
La musique, les lumières, le fond du lac-le désert qui a la forme d'une coupe d'arbre centenaire, le frigo font partie intégrante du déroulement du récit avec un moment particulièrement fort, émouvant, la montée de la montagne. Création lumière Sébastien Revel / Création sonore Antoine Prost / Scénographie et Régie Colas Reydellet.
Le public, très varié, avec beaucoup de jeunes, collégiens, lycéens, particulièrement à l'écoute, a fait une ovation méritée à l'équipe du Théâtre du Phare-Olivier Letellier qui sait fouiller coins et recoins des jeux de l'inconscient. 

 

Le livre Holes (Trous) de Louis Sachar est paru en 1998, très apprécié comme livre jeunesse. Il est paru en français sous le titre Le Passage en 2000.

Le roman a été adapté en film en 2003 par Walt Disney Pictures, sous le titre La Morsure du lézard
Louis Sachar a écrit une suite Manuel de survie de Stanley Yelnats

Alors, toi aussi tu as échoué dans un centre d'éducation pour jeunes délinquants ? Si tu es ici, c'est parce que tu as fait une bêtise et la justice t'a condamné à creuser des trous pendant plusieurs mois. Tu viens d'arriver et tu as peur, n'est-ce pas ? Tant mieux, car la peur maintient en alerte. Tu te sens probablement très seul. Et tu l'es, malgré les six conseillers d'éducation et les trente-quatre pensionnaires qui vivent avec toi dans le camp. Ne baisse pas les bras. Ce manuel de survie peut te venir en aide.
Stanley Yelnats en est l'auteur. Il sait de quoi il parle, il est passé par là lui aussi. Tu peux lire son histoire dans « Le Passage ». Quand il a appris qu'on allait ouvrir dans tout le pays des centres pour jeunes délinquants, garçons et filles, sur le modèle du camp du lac vert, il a écrit ce guide. Un guide qui peut te sauver la vie : il t'apprendra à éviter les pièges du désert, à différencier une tarentule d'un scorpion, à découvrir le règlement secret du centre, mais surtout, tu sauras que pour t'en sortir, mieux vaut jouer au plus malin que jouer les gros durs.

 

L'adaptatrice du roman Holes (Trous), Le Passage de Louis Sachar est une varoise Catherine Verlaguet; j'ai trouvé très efficace ce texte : on ne perd pas une miette de l'histoire.

Jean-Claude Grosse, le 7 novembre 2019

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Rencontre avec Fabrice Melquiot

25 Juin 2019 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G., #agora, #développement personnel

Fabrice Melquiot, Les Séparables, J'ai pris mon père sur mon épaule
Fabrice Melquiot, Les Séparables, J'ai pris mon père sur mon épaule
Fabrice Melquiot, Les Séparables, J'ai pris mon père sur mon épaule

Fabrice Melquiot, Les Séparables, J'ai pris mon père sur mon épaule

Rencontre avec Fabrice Melquiot

Soirée de très grande tenue au Télégraphe à Toulon le lundi 24 juin de 19 à 21H, avec Fabrice Melquiot, auteur et directeur de théâtre, sous l'égide de la Bibliothèque Armand Gatti à La Seyne et du Pôle au Revest représenté entre autres par Cyrille Elslander
- d'abord, environ 1H d'entretien avec Hélène Megy et Georges Perpès; Fabrice Melquiot est là parce qu'il rencontre sur deux jours les collégiens qui ont choisi sa pièce, Les Séparables. Fabrice Melquiot a donc remporté le Prix de la pièce de théâtre contemporain pour le jeune public pour la deuxième fois ; la première fois, c'était en 2006, avec Albatros.

Les Séparables (L'Arche, 2017) raconte l'histoire d'amour de deux enfants de neuf ans, Romain et Sabah, qui voudraient à jamais rester ensemble mais leurs parents en ont décidé autrement : cinquante-six ans après, la guerre d’Algérie n’en finit plus de finir…  
En 2019, Les Séparables, a également obtenu le Grand prix de littérature dramatique Jeunesse, et a été nominé pour les Molières du meilleur auteur francophone vivant. 
Fabrice Melquiot nous parle de son travail d'auteur avec authenticité, c'est une forme de sport, très physique, entraînements, répétitions qui font de ce praticien un athlète de l'écriture engageant le corps (qui est bien plus qu'une enveloppe) et cet engagement rejaillit sur le "style", l'écriture; il ne fait pas œuvre, ne cherche pas à faire œuvre, il écrit comme un seul et grand texte avec ses 60 pièces publiées plus les jetées, les en attente, les textes repris et réédités en versions différentes; il y a un déclencheur, tantôt externe par vécu (ce qu'il a vécu comme coup de poignard dans l'école de sa fille pour l'histoire des Séparables, un racisme d'adultes, entre adultes venant polluer l'histoire d'amour entre deux enfants « différents »), observation qui donne envie ou plus, comme un éclair qui l'a traversé et dont l'écriture doit garder la brûlure et la mémoire (Roberto Juarroz, Poésie verticale), tantôt une cicatrice, une blessure, un trauma qui demandent à prendre la parole comme ce qu'a soudain fait surgir la remarque d'une petite fille lors d'une rencontre : pourquoi tu tues toutes les petites filles dans tes pièces ? incroyable, il ne s'en était pas encore rendu compte, un point aveugle, inconscient ; il ne sut pas répondre mais la question s'était plantée en lui; travailleur acharné, il n'a que le souci de se mettre au service de ses pulsions, de ses étonnements et de laisser du blanc, du silence pour ceux qui viennent après, metteur en scène, acteurs, spectateurs... car le théâtre c'est une chaîne, y compris de production. Et de nous raconter la commande de ce qui est devenu J'ai pris mon père sur mes épaules.

Comme directeur du Théâtre Am Stram Gram depuis 2012, il a évoqué sa conception de la gouvernance du lieu, collégiale avec les membres de son équipe et avec des jeunes fréquentant assidûment le théâtre, associés aussi à la rencontre des artistes venant défendre leurs projets. Voilà un homme qui ne se situe pas sur le terrain de la compétition car dit-il, en fin de compte et sur tous nos parcours, nous sommes des perdants, des perdants qui apprenons de nos pertes, qui nous grandissons de nos pertes. Il a aussi évoqué sa place de spectateur de ses pièces, dans les coulisses, comme un pompier de service pour appréhender de biais et pas de face et ce qu'il pense devoir être le travail du spectateur pendant et après, bien après le spectacle car il n'écrit pas pour le public, une entité dont il ne sait pas ce que c'est (les communicants des théâtres semblent le savoir et inondent le public d'infos et d'images) mais pour le spectateur, celui qui va accepter d'être interpellé par la pièce, le film, qui va accepter d'être mis en mouvement dans ses désirs d'action, dans ses rêves, dans un travail sur soi. Très haute conception du spectateur renvoyant à une très haute conception du théâtre comme médium de changement, hier on disait de catharsis. J'ai eu cette conception aussi du théâtre. Dois-je le dire ? Le milieu culturel ne me semble plus animé que par des questions de nombre, de visibilité d'où surenchère ou débauche de programmes et autres documents. Et j'en suis arrivé à cette conception : chacun doit prendre en charge son chemin spirituel, en lien avec sa vie (les pertes, par exemple, pour moi, le fils, comédien, metteur en scène et écrivain, à 30 ans, le 19 septembre 2001, l'épousée-la mouette à tête rouge qui m'a mise en chemin avec cette question le 29 octobre 2010, un mois avant son passage : je sais que je vais passer, où vais-je passer ?, les parents; d'où la catégorie FINS DE PARTIES sur mes blogs ), avec certaines coïncidences ou synchronicités, en comptant sur son intuition, cette boussole qui pointe à l'ouest (les grands espaces intérieurs à découvrir). Pas de maître, de gourou, d'exemples, d'incitations, stimulations extérieures ou pas trop, quelques lignes d'un livre, une métaphore, un tableau, un chant..., se faire confiance même dans les égarements, amoureux par exemple, j'ai connu, je souhaite que ça soit terminé à presque 79 ans mais faut que je me protège de moi, d'une part que j'apprends à gérer. As-tu, oui ou non, le désir impérieux de te connaître ? De devenir ce que tu es ? De trouver ta juste place avec, parmi les autres, dans le monde, la nature, l'univers ? Te sens-tu co-responsable de ce qui advient ?

Je le dis tout net, je trouve ce type de questionnement chez les Gilets Jaunes que je fréquente, pas dans le monde de la culture ni chez les artistes, désolé.


- ensuite, lecture magistrale pour la 1° fois de son texte "DEAR (Découvre. Emporte. Aime. Renonce.)", texte inédit, livret de l'opéra autour de la philosophe Simone Weil qui sera mis en scène par Roland Auzet, en 2021, avec Sandrine Bonnaire dans le rôle de la récitante. 

DEAR met l'accent sur certains détails biographiques (la rencontre avec Trotsky, ça me parle bien sûr), sur une notion, celle d'obligation de chacun envers chacun, envers tous, envers tout ce qui existe, notion personnelle, intime conviction qui oblige sans discussion peut-on dire et qui est hors-champ du politique, du droit. J'ai évoqué après coup avec Fabrice Melquiot, la possible proximité avec Le fondement de la morale de Marcel Conche. Le philosophe Yvon Quiniou a lui aussi ce fort souci de morale (universelle, pas la morale sociale, propre à chaque société) qu'il croit nécessaire dans la réflexion et l'action politiques. Chez Simone Weil, une forme d'injonction s'impose : je ne veux plus faire le mal, de mal. Chez Simone Weil, l'identification à la condition ouvrière, à la condition des plus faibles, des plus souffrants l'a conduit peut-être à l'épuisement, à l'anémie, elle meurt à 34 ans.
François Cheng parle très bien de Simone Weil dans le chapitre 6 de son livre De l'âme, livre dont j'ai rendu compte et à relecture, je ne change rien à mes propos (voir le lien).

 

Fabrice Melquiot a été amené à dire presque à la fin que la question du temps l'occupait de plus en plus, lui prenait du temps. Il faut prendre son temps avec le temps. À l'impatience du jeune homme Cyril G. qui voulait vivre sa vie en partant en mobylette pour le port de Marseille et grimper sur un bateau en partance, j'avais répondu quand les gendarmes nous l'avaient ramené comme tu ne sais pas ton temps de vie, fais comme si tu avais tout ton temps, éloge de la lenteur en quelque sorte. J'ignore comment Melquiot aborde la question du temps. En ce qui me concerne, c'est en écrivant Tourmente à Cuba, devenu L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto que j'ai été saisi par ce que j'ai appelé les évidences du temps. Chaque moment passe et ne reviendra jamais, never more, mais il sera toujours vrai que ce moment passé a eu lieu, for ever. Ainsi donc s'écrit notre livre d'éternité (une métaphore) du premier cri à notre dernier souffle, unique, non écrit d'avance, non destiné à un jugement dernier. Où passe donc le passé qui ne s'efface pas, ce livre d'éternité, infalsifiable ? Écriture qui m'a pris de 2001 à 2014 et je suis encore en chemin car me voici aux prises avec le passage, qu'est-ce que passer ? trépasser ? passage impensable qui a pourtant lieu. Effaré de découvrir la médiocrité de notre conception matérialiste de la mort, poussière tu redeviens. L'abaissement que cette vision réductrice, non prouvée, entraîne. Mais qui arrange sans doute les gens, va savoir pourquoi, sans doute des histoires de sous, d'héritage. Faut vraiment qu'il soit définitivement passé, corps et âme, rendre l'âme, vous comprenez. Évidemment, ce fut ma conception d'athée, ce ne l'est plus. Sans qu'elle soit encore éprouvée, il s'agit d'immatérialité, de souffle, de présence, de Vie qui donne vie, donc cachée comme la Nature créatrice (donc cachée) engendre la nature qu'on voit avec la participation de mémoires incroyables (l'ADN, mémoire de toute l'évolution, agissante en moi, à chaque instant, avec très peu d'erreurs, je peux écrire pendant que tous les programmes agissent dans tous mes organes). 

une femme ayant perdu son fils : la mort est sans pudeur.
Elle transforme l'être le plus vivant, le regard le plus enluminé, la peau la plus soyeuse, les cheveux les plus moirés la chair la plus tendre la langue la plus prolixe les muscles les plus affûtés le sang le plus vif les organes les plus sains le visage le plus doux le plus aimé le plus choyé l'être le plus aimable et les méchants et les aigris et les odieux et les jeunes et les nourrissons et les vieillards et les jeunes filles aux seins légers et les mères aux seins torturés en chairs putrides puantes gluantes en chairs ensevelies ou brûlées disloquées puantes carbonisées bouffées par la vermine vouées à la disparition pourrissante et un jour désincarnées.
Les orbites évidées, ongles et cheveux résistants au temps,
les os blanchis les lambeaux putréfiés de chair la langue ne pouvant plus dire le coeur exsangue.
Et une seule envie, vous liquéfier à votre tour pour glisser imperceptiblement et irrévocablement dans le même cercueil.
Et ne plus exister.

JCG : je veux vous dire juste ceci qui est mon interrogation existentielle du moment : et si la mort était passage dans la Vie, était résurrection, sortie de la mort charnelle, passage dans l'éternité du Souffle; j'essaie de le dire pour le moment avec les mots d'un autre, JY Leloup; et je constate l'extraordinaire paix qui commence à m'habiter; aucune colère contre le monde qui pourtant fait mal, compassion oui et à ma façon, actions diverses (pas d'indifférence mais ne pas me laisser affecter, agir en faisant ma part sans haine ou agressivité); ma fille m'a montré son scénario sur donner la vie, donner la mort, comment elle a donné naissance, donné la vie donc en même temps donné la mort en sursis après deux fausses couches très douloureuses car le bébé mort ne fait aucun travail, un scénario qui prend aux tripes; elle en est là où vous en êtes, une vision réaliste, matérialiste du cadavre et de la mort donc dégradation, défiguration du vivant, du vif, images souvent insoutenables sans doute parce que nous n'apprivoisons pas la mort, ne la méditons pas assez, nous la concevons comme état, un état, on passe d'un état à un autre état alors que la nature nous donne à voir autre chose avec le cycle des saisons.

J'ai signalé à Fabrice Melquiot que Jean-Baptiste Sastre travaille aussi en ce moment sur Simone Weil, création au Liberté du 11 au 15 octobre, Plaidoyer pour une société nouvelle. 

 

Jean-Claude Grosse, 25 juin 2019

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