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Gene Sharp/De la dictature à la démocratie

17 Mars 2011 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Le gourou des révolutions arabes
biblioObs, Le Nouvel Obs [16/03/2011]
Avec un petit bouquin de 130 pages, Gene Sharp, ancien professeur à Harvard, a inspiré bon nombre d'insurrections pacifiques, d'Ukraine en Birmanie. Il serait aujourd'hui le théoricien des soulèvements arabes.

 

Gene Sharp, auteur de "De la dictature à la démocratie", l'ouvrage qui a inspiré les révolutions arabes. (Sipa)  
Gene Sharp, auteur de "De la dictature à la démocratie",
l'ouvrage qui a inspiré les révolutions arabes. (Sipa)

 

On raconte que les photocopies d’un livre circulaient sur la place Tahrir du Caire, pendant le grand sitting où la foule enjoignait Moubarak de dégager. Il s’agissait de «De la dictature à la démocratie», de l’Américain Gene Sharp. Le vieux prof de Harvard, aujourd’hui retraité, explique qu’il s’agit plus d’un «livret» que d’un livre. Il fait tout de même 137 pages. Les universitaires, déformation professionnelle, surestiment souvent les capacités de lecture des hommes du commun.

 

Cent trente-sept pages pour dire quoi? «De la dictature à la démocratie» se présente comme un manuel de révolution non-violente. Les chapitres s’intitulent «Faire face avec réalisme aux dictatures», «les Dangers de la négociation», «l’Application de la défiance politique» ou «Désintégrer la dictature». Ils composent un exposé méthodique et systématique de la marche à suivre pour piétiner un tyran, du premier rassemblement insurrectionnel improvisé à la rédaction d’une nouvelle constitution.

 

Gene Sharp puise autant ses sources dans l’histoire que dans les livres. Il cite Aristophane, Aristote, Machiavel, jusqu’au très pointu Karl Deutsch, qui utilisa les modèles cybernétiques pour théoriser les sciences sociales. On trouve un sage chinois, aussi: la fable du «Maître Singe», contée par Liu-Ji au XIVème siècle, qui montre une horde de singes cessant d’aller cueillir des fruits pour le compte d’un vieux tyran. Sharp dresse des typologies d’actions non-violentes, distinguant les «méthodes de protestation et de persuasion» (il y en a 54, parmi lesquelles on notera les «prix satiriques», les «gestes grossiers», les «fausses funérailles» ou les «visites récurrentes à un fonctionnaire») des «méthodes de non-coopération» (il en dénombre 107; on retiendra la «grève du sexe»).

Sur la place Tahrir (Sipa)
Sur la place Tahrir, au Caire, en janvier dernier. (Sipa)

 

Il y a aussi les méthodes d’intervention, mais les révolutionnaires que ça intéresse auront plus vite fait de se reporter directement à la source. Précisons toutefois qu'on lit «De la dictature à la démocratie» comme on regarde une émission de cuisine: ça a l’air si simple, et on sait pourtant que tout posera problème au moment de la mise en œuvre. Lorsque Gene Sharp énumère par exemple les faiblesses d’un régime dictatorial, on se demande comment tant de despotes ont pu prospérer sur des bases aussi friables.

 

Tout cela étant dit, ce «livret» a-t-il vraiment servi de livre de chevet aux artisans du Printemps arabe, qui s’est déroulé en hiver? Beaucoup d’éléments le laissent penser. Le symbole adopté par les révolutionnaires égyptiens, le désormais fameux poing dressé, est repris de celui du mouvement Otpor, qui avait favorisé la chute de Milosevic en Serbie. Or Otpor était plus que directement inspiré par les écrits de Gene Sharp. Le jeune leader du soulèvement cairote, Ahmed Maher, a pris l’habitude de se reporter à «De la dictature à la démocratie». On notera aussi que les Frères musulmans le proposaient sur leurs différents sites internet depuis 2005.

Un chien nommé Cesar

Aujourd’hui, depuis sa maison de Boston, d’où il ne sort que très peu, Gene Sharp se dit «fier» de voir ses travaux influencer ce qui semble être un réveil démocratique du monde arabe. Il se montre néanmoins réservé quant aux chances de succès de la révolte libyenne: «Ils veulent renverser la dictature par les armes, mais c’est là que la dictature est la plus forte, déclarait-il récemment à nos confrères suisses de la TSR. Ils ont été inspirés par les autres pays arabes, mais ils n’ont pas la bonne méthode, et ils risquent fort d’échouer.» Les récents événements, à l’heure où le soulèvement se mue en guerre civile, semblent lui donner raison.

 

Sipa

 

Gene Sharp avait été pressenti pour recevoir le prix Nobel de la paix en 2009. La distinction était allée à Barack Obama, qui en tant que chef des forces armées américaines est forcément moins désigné pour devenir un héros de la non-violence. Les deux hommes partagent les mêmes ennemis: l’Iran, où Sharp était en 2008 désigné à la population comme un agent de la CIA par la propagande du régime; Hugo Chavez, qui l’accusait pour sa part d’encourager un coup d’Etat au Venezuela – Sharp lui avait alors conseillé la lecture d’un autre de ses livres, «l’Anti-Coup d’Etat».

 

Ce pousse-à-la résistance passive, qui est lu au Zimbabwe, en Birmanie ou en Russie, est pourtant un paisible vieillard, célibataire et sans enfant, qui vit quasiment reclus avec sa jeune assistante (fort jolie). Il cultive des orchidées, comme beaucoup de vieux rêveurs. Il gagatise avec son gros chien noir, qu’il a appelé… Cesar. Né en 1928, il est le fils d’un pasteur itinérant, ce qui explique sans doute qu’il n’aime pas voyager. Dans les années 1950, le jeune Gene, étudiant en sociologie à l’Ohio State University, refuse d’être enrôler en Corée. Il passe neuf mois en prison. Il développe une passion pour Gandhi, qui deviendra le principal sujet de ses recherches.

Barbouze à la cool

C'est pourtant le nom d'Albert Einstein, autre grand apôtre de la non-violence, qu’il donne à la fondation qu’il crée en 1983. Son cours intéresse alors un certain Robert Helvey, vétéran du Vietnam et attaché militaire à l’ambassade américaine de Rangoon. Helvey découvre que le refus du conflit armé n’est pas qu’une manie de «hippies à cheveux long», comme il le confie au «Wall Street Journal».

 

Le rôle de Robert Helvey est crucial: trois ans plus tard, converti à la doctrine de Gene Sharp, il a pris sa retraite, et enseigne la résistance pacifique à des guérilleros dans la jungle birmane. Il finit par convaincre son mentor de le rejoindre. Gene Sharp entre clandestinement en Birmanie par bateau, en 1992. Jusqu’à présent, ses publications sont très théoriques, et sans doute trop épaisses pour des soldats. On lui demande d’en écrire une version plus courte, et tirant plus vers le manuel. C’est ainsi que sort en 1993 «De la dictature à la démocratie».

 

Quatre ans plus tard, des copies de l’ouvrage circulent un peu partout dans les Balkans. Un groupuscule nommé «Initiative civique» le traduit et le diffuse. Il arrive entre les mains du fameux groupe Otpor, qui reçoit en plus la visite de… Robert Helvey, le barbouze sans arme qui leur donne des cours de révolution à la cool. L’activisme minutieux d’Otpor contribuera fortement au départ de Milosevic, en 2000. La carrière du livre de Gene Sharp est lancée. Les conseils qu’il dispense sont suivis à la lettre: l’universitaire préconise-t-il, au détour d’un paragraphe, qu’un mouvement démocratique soit immédiatement identifiable par une couleur? La révolution orange renverse le pouvoir en Ukraine et dérègle la balance chromatique des journaux télévisés du monde entier.


A Kiev, pendant la révolution orange. (Sipa)

 

On reprochera sans doute à Gene Sharp d’être plus un activiste qu’un penseur. Il montre en effet, dans son livre, une foi de charbonnier vis-à-vis de la démocratie, concept qu’il ne s’attache jamais vraiment à définir. Il ne semble pas être préoccupé par l’occidento-centrisme évident de sa philosophie politique. Il a une fâcheuse tendance à ignorer les limites des changements de pouvoir trop brutaux. Le «régime orange» ukrainien a ainsi fini fait preuve, avec une rapidité ébouriffante, d'un clientélisme, d'un arbitraire et d'une corruption comparables, sinon similaires, à ceux de son prédécesseur despotique. Et il paraît certain que l’avenir de la plupart des pays arabes qui se soulèvent en ce moment ne sera pas aussi fleuri qu’un bouquet de jasmin.

David Caviglioli

 

Jaric Complément d'infos

Vous ne parlez pas des livres de Gene Sharp traduits en français. En voici les références :
- "La guerre civilisée - La défense par actions civiles", aux PUG, Presses Universitaires de Grenoble 1995.
- Trois livrets parus en 2009 : "La force sans la violence", "De la dictature à la démocratie", "L'anti-coup d'Etat", publiés avec l'aide de l'Université de Grenoble et l'éditeur L'Harmattan - Paris.
- Prochainement sera publié en Français la traduction de "Waging Nonviolence Struggle" qui est la synthèse des recherches de Sharp.
Sur le même sujet :"La guerre par actions civiles - Identité d'une stratégie de défense" de Jean Marichez - La documentation française.

Il faut ajouter que "De la dictature à la démocratie" est, malgré les apparences d'américanisme que vous notez, une formidable leçon de stratégie, digne des plus grands stratèges de l'Histoire.

Je connais très bien Sharp. S'il a été activiste dans sa jeunesse, il ne l'est plus depuis longtemps et reste centré sur la
recherche.

 

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Indignez-vous ! Stéphane Hessel

10 Mars 2011 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Stéphane Hessel vient de publier chez Indigène Éditions un petit livre :

Indignez-vous ! 

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1.800.000 exemplaires vendus, traduit en 15 langues.

J'ai lu le livre. 

Je ne vais pas en faire une note de lecture. À chacun de lire la vingtaine de pages: 2 H.

Finkielkrault comme à l'accoutumée critique. Ce n'est pas important.

Comme s'indigner ne suffit pas. Une suite est en préparation :

Engagez-vous !

grossel

 

Conférence interdite à l'ENS, le 18 janvier 2011 :

Des normaliens s'indignent
 

La Direction de l’ENS censure Stéphane Hessel

à la demande du CRIF !

Collectif des normalien-ne-s indigné-e-s d’une ENS indigne.


Il est extrêmement inquiétant de voir des institutions publiques de renom, telles que l’ENS se soumettre à des pressions visant à étouffer la liberté d’expression.

Le Collectif ENS Palestine devait accueillir une rencontre exceptionnelle avec Stéphane Hessel le mardi 18 janvier en salle Jules Ferry.

Madame Canto-Sperber s’était dite heureuse de la tenue de cette conférence, à laquelle devaient participer Benoist Hurel (secrétaire général adjoint du Syndicat de la Magistrature), Leila Shahid (Ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union Européenne), Haneen Zoabi (députée au parlement israélien), Michel Warschawski (Israélien, fondateur du Centre d’Information Alternative, AIC), Nurit Peled (mère israélienne d’une victime d’attentat, fondatrice du cercle des familles endeuillées, Prix Sakharov pour la paix du parlement européen), Elisabeth Guigou (députée, ancienne Ministre de la Justice), Daniel Garrigue (député, porte parole de République Solidaire) et Gisèle Halimi (avocate, militante féministe et politique française).

Nous apprenons avec consternation que la Directrice de l’ENS a décidé de revenir sur sa décision et d’annuler cette conférence à laquelle plus de 300 personnes étaient déjà inscrites, avant même que l’information ne soit relayée par les différents organisateurs/trices de cette conférence. Et c’est avec plus de consternation encore que nous lisons l’éditorial du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (http://www.crif.org/?page=articles_...) qu’en l’absence de réaction publique de la part de la Direction, nous devrons considérer comme un compte-rendu fidèle des mécanismes qui ont conduit à cette annulation.

Le CRIF se félicite en effet d’avoir réussi, grâce à ses ami-e-s Valérie Pécresse (ministre de l’enseignement supérieur), Bernard-Henry Lévy et Alain Finkielkraut (normaliens), Claude Cohen-Tanoudji (Professeur de Physique à l’ENS) et Arielle Schwab (Présidente de l’UEJF) à imposer ses vues à la Direction de l’Ecole et à censurer ainsi Stéphane Hessel, normalien, résistant, Ambassadeur de France, et co-rédacteur de la Déclaration universelle des Droits de l’homme.

Il est extrêmement inquiétant de voir des institutions publiques de renom, telles que l’ENS se soumettre à des pressions visant à étouffer la liberté d’expression. Par ailleurs, l’honnêteté intellectuelle et la probité d’élèves de l’Ecole est explicitement mise en cause, en des termes parfaitement scandaleux évoquant le totalitarisme et ainsi les heures les plus sombres de l’Histoire : "Un crime contre l’esprit que de confondre débat et militance politique, comme le font quelques élèves de l’école convertis au terrorisme intellectuel, modèle trotskiste pour les uns, stalinien pour les autres, et de là proposer leur doxa à l’ensemble de l’Université" dit le communiqué du CRIF !

Nous appelons nos camarades normalien-ne-s à protester contre les pressions inacceptables de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (valerie.pecresse@education.gouv.fr), mais aussi contre cette décision injustifiable de Madame Canto-Sperber, en envoyant des mails d’indignation à la Direction (monique.canto-sperber@ens.fr et veronique.prouvost@ens.fr) qui a cédé à ces pressions indignes.

Par ailleurs, nous invitons nos camarades de l’ENS à participer au rassemblement contre la censure et pour la défense de la liberté d’expression le mardi 18 janvier à 18h30 Place du Panthéon.

Collectif des normalien-ne-s indigné-e-s d’une ENS indigne.

 

 

Colloque annulé de Hessel: le Conseil d'Etat donne raison à la direction de Normale Sup

 

Le Conseil d’Etat a rejeté la demande d’un collectif d’élèves de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) Paris intitulé «Palestine ENS», d’organiser des réunions publiques dans les locaux de l’école, tranchant ainsi en faveur de la direction, dans une décision rendue lundi.

Le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi en appel par la direction de l’école, a estimé que «la directrice de l’ENS n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion en refusant de mettre une salle à disposition du collectif "Palestine ENS"», selon un communiqué du Conseil d’Etat accompagnant la décision.

La salle était demandée pour les 8, 9 et 10 mars par ce collectif qui souhaitait «s’associer à la campagne internationale "Israel Apartheid week"», et «organiser des réunions publiques promouvant le boycott des échanges scientifiques et économiques avec Israël», a affirmé le Conseil d’Etat.

En rendant cette décision, le Conseil d’Etat annule une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 26 février, qui avait tranché en faveur du collectif, estimant entre autres, que la directrice de l’ENS, Monique Canto-Sperber, avait «porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion qui constitue une liberté fondamentale».

Pour motiver sa décision, le Conseil d’Etat a notamment mis en avant un article du code de l’Education, selon lequel «le service public de l’enseignement supérieur est indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique et tend à l’objectivité du savoir».

Un autre article stipule que la liberté d’expression des usagers de ce service public doit s’exercer dans des «conditions (…) qui ne troublent pas l’ordre public».

Il a encore fait valoir «l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement».

Cette décision fait suite à l’annulation le 18 janvier d’un colloque qui devait être animé à l’ENS de la rue d’Ulm par l’auteur du best-seller «Indignez-vous!», Stéphane Hessel, au grand dam de ses organisateurs pro-palestiniens.

(Source AFP) 7 mars 2011

 

 

article importé de France 24

 "Indignez-vous !" de Stéphane Hessel, plus de 1.800.000 exemplaires vendus
En novembre 2010, France 24 publiait un article sur un petit opus faisant un tabac en librairies : "Indignez-vous !", de Stéphane Hessel. Retrouvez l'interview réalisée à l'époque où ce livre venait de dépasser les 100 000 exemplaires vendus.
Par Priscille LAFITTE (texte)
 
Le dernier succès de librairie ? Un petit livre sorti le 20 octobre dernier, intitulé "Indignez-vous !", d’une trentaine de pages, vendu trois euros, et rédigé par Stéphane Hessel. Cet homme, aujourd’hui âgé de 93 ans, a un prestigieux passé de résistant, de rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’Homme , de diplomate, mais aussi d’engagement en faveur des sans-papiers en France et de la création d’un Etat palestinien au Proche-Orient.

L’initiative du livre revient à une petite maison baptisée "Indigène éditions", créée à Montpellier en 1996 et "dédiée aux arts et aux savoirs des cultures non industrielles du monde". La parole est donnée aux aborigènes d'Australie, aux Indiens d'Amérique, aux Inuits du Canada, aux Maori et aux Papous du Pacifique… Mais aussi à "nos propres ‘indigènes’, tous ceux qui, chez nous, se sentent les otages de systèmes culturels, politiques et économiques dans lesquels ils ne se reconnaissent pas." Stéphane Hessel en fait donc partie.

Commentaires de ce gros succès de librairie, par les deux fondateurs de la maison "Indigène", Jean-Pierre Barou et Sylvie Crossman.

D'où vient le projet du livre ?

Jean-Pierre Barou : L’idée du livre est née d’un discours que Stéphane Hessel avait improvisé en mai 2009 sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie, haut lieu de Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, lors d’un rassemblement de l’association "Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui". C’est d’ailleurs notre auteur Bastien Cazals (auteur de "Je suis prof et je désobéis", Cf. plus bas) qui nous en avait informés. 
L’idée est venue d’amplifier ce discours de Stéphane Hessel. Nous avons fait un travail d’interview, et au bout de trois ou quatre entretiens, nous lui avons soumis un texte, pour la plupart inédit. Il a apporté des corrections de sa propre main.
Sylvie Crossman : Notre collection "Ceux qui marchent contre le vent" propose des textes courts, toujours à trois euros, rédigés par des gens qui ont des idées et du vécu. En février prochain, nous allons publier le texte d’une jeune femme, Brigitte Brami, qui a trouvé en prison plus d’humanité que dans le reste de la société.

C’est votre plus grosse vente ?

Jean-Pierre Barou : Oui, sans conteste ! Nous avons déjà vendu plus de 100 000 exemplaires. Une sixième réédition est en cours, et notre tirage dépasse les 200 000 exemplaires. Il s’agit en ce moment en France, du livre le plus vendu cette année dans la catégorie "essais", et de la troisième meilleure vente, tous livres confondus - y compris les livres de cuisine. Ce classement est établi par Livres Hebdo, et provient directement des caisses enregistreuses, ce ne sont pas des sondages.

Notre deuxième plus grand succès, beaucoup plus modeste, était aussi un livre d’engagement : "Je suis prof et je désobéis", de Bastien Cazals, paru en avril 2009 dans la même collection "ceux qui marchent contre le vent". Nous en avons vendu 15 000 exemplaires.

Comment expliquer le succès d'"Indignez-vous" ?

Sylvie Crossman : Je crois que beaucoup de personnes en ont assez de tous ces intellectuels parisiens qui ont des discours sur tout, mais qui ne s’engagent pas. Stéphane Hessel tient un discours d’espérance et d’engagement qui trouve un grand écho au même moment que le livre de Michel Houellebecq qui décrit, quant à lui, la morosité du monde et connaît aussi un succès en librairie. Cela coïncide également avec le mouvement social contre la réforme des retraites, qui s’est fini dans un bras de fer gagné par le gouvernement. Les gens en assez d’être violentés sur le plan de leur conscience.

Contrairement à ce qu’on pense, il y a une partie de la société qu’on imagine minoritaire, et qui a des pratiques d’engagement, de résistance, de contre-pouvoir souvent peu médiatisées. Hessel est leur grand aîné, le grand sage.
 

 

 

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La route vers le Nouveau Désordre Mondial/Peter Dale Scott

9 Mars 2011 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Recension 4 étoiles d’un général 5 étoiles pour le livre de Peter Dale SCOTT « La route vers le Nouveau Désordre Mondial »

Grande première en France : un haut gradé de l’armée, le général 5 étoiles Bernard  Norlain publie dans la Revue Défense Nationale un article extrêmement élogieux sur le dernier livre de Peter Dale Scott "La Route vers le Nouveau Désordre mondial". Il s’agit d’un véritable pavé dans la marre hexagonale, puisque dans l’ensemble les médias français sont restés incroyablement silencieux sur cet ouvrage. La "grande muette" serait-elle finalement plus prolixe que nos journalistes ?

ReOpen911 publie ici l’intégralité de cette recension, en souhaitant qu’elle éveille l’intérêt de nos lecteurs, voire des journalistes envers un livre qui fait la lumière sur la façon dont les Etats-Unis ont été entraînés dans leurs deux derniers conflits ! Alors que le débat sur le maintien de la présence des troupes françaises en Afghanistan n’a toujours pas eu lieu malgré le désaccord de presque 70% des Français, la visibilité que donne M. Norlain à cet ouvrage constitue un véritable espoir pour tous ceux qui luttent pacifiquement contre les guerres illégales et le réarmement global qui ont cours depuis le 11 septembre 2001.

 

Recension 4 étoiles d’un général 5 étoiles pour le livre de Peter Dale SCOTT

par le général Bernard Norlain, dans la Revue Défense Nationale, N°738, du mois de mars 2011

M. Bernard Norlain est devenu général d’armée aérienne (5 étoiles) en 1990. Pilote de chasse de formation (totalisant 6 000 heures de vol), il a commandé la formation des élèves officiers de l’armée de l’Air, puis à partir de 1984, le centre d’expériences aériennes militaires et la Base aérienne 118 Mont-de-Marsan.
De 1986 à 1989, il fut chef du cabinet militaire du Premier ministre Jacques Chirac, puis de Michel Rocard. De 1994 à 96, il fut le directeur de IHEDN (l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale), un établissement public administratif français d’expertise et de sensibilisation en matière de défense, placé sous la tutelle du Premier ministre
. En 1999, M. Federico Mayor, le directeur général de l’UNESCO, lui décerne la médaille d’or Mahatma Gandhi en reconnaissance de son rôle éminent en faveur de la prévention des conflits et de la promotion d’une culture de paix. La même année, il préface le rapport Cometa (sur les OVNIS), étude à laquelle participent de nombreux militaires et scientifiques.
Membre de l’organisation internationale Global Zero Initiative, il a cosigné, le 15 octobre 2009, avec Michel Rocard, Alain Juppé et Alain Richard, une tribune dans le quotidien Le Monde pour plaider en faveur du désarmement nucléaire. Depuis juillet 2008, il est le directeur de la Revue Défense Nationale.
Distinctions : Commandeur de la Légion d’honneur ; Commandeur de l’Ordre national du Mérite ; Médaille de l’Aéronautique.
(Sources Wikipédia)

Voilà un livre passionnant, décapant, on pourrait dire terrifiant, en ce qu’il dévoile au lecteur pourtant averti les dérives et les pratiques mafieuses d’une démocratie emblématique, miroir de nos sociétés.

La thèse de l’auteur est, en gros, que la perte progressive de contrôle sur les décisions politiques majeures aux États-Unis a fait que le pouvoir a été confisqué de façon occulte, non démocratique, par des groupes de pression et que cette situation a totalement perverti le système politique américain et a notamment conduit au drame du 11-Septembre.

L’immense mérite de cet ouvrage est de s’appuyer sur un appareil de notes et de références, une bibliographie — près de 150 pages au total — très complètes et variées qui viennent étayer pas à pas la démonstration de l’auteur.

Partant d’une réflexion sur les États-Unis où les inégalités sociales, la faiblesse de la société civile au niveau fédéral, la puissance des intérêts particuliers, l’auteur, qui n’est pas particulièrement un néoconservateur, mais plutôt un libéral, tendance gauche, dresse un tableau saisissant de ce qu’il appelle l’État profond et de son processus historique où les pouvoirs secrets verticaux se sont emparés de la conduite de l’action publique, et où la prise de décision politique à huis clos accorde la priorité à la sécurité et à la préservation d’intérêts privés particulièrement ceux des exportateurs d’armements et des firmes pétrolières.

Son analyse est particulièrement pertinente et convaincante dans sa description de la politique du trio Nixon-Kissinger-Rockefeller, censée contrer les progressistes et qui a conduit à renforcer les mouvements réactionnaires islamistes, mais aussi à soutenir les intérêts des pétroliers. Il met en évidence le rôle de Nixon ou plutôt sa paranoïa dans la dégradation du processus bureaucratique et démocratique de mise en œuvre de la politique et dans l’amplification du pouvoir secret. En passant il faut noter une analyse intéressante du Watergate.

À ce stade apparaît le couple diabolique, aux yeux de l’auteur, Cheney-Rumsfeld et son implication dans la planification du projet ultrasecret de Continuité du Gouvernement (COG) qui cacherait, selon l’auteur, un programme de prise de pouvoir illégal et dont il traite longuement à propos du déroulement des événements du 11-Septembre pour expliquer certaines incohérences dans la version officielle. Il continue sa démonstration avec Ford-Rumsfeld-Cheney, le virage vers le conservatisme et le début de l’envol des budgets de défense. On parle de la BCCI. Puis l’ère Carter-Brzezinski et l’Irangate. Enfin Reagan, Bush et le triomphe des néocons et du couple Cheney-Rumsfeld. Comment ils ont préparé le renversement de Saddam Hussein et comment ils doivent être considérés comme suspects dans le procès des responsables du 11-Septembre.

En conclusion ce livre démêle les intrigues et l’écheveau d’imbrications et de liens, souvent occultes, entre tous les acteurs de ce théâtre d’ombres. On y parle beaucoup de la CIA, en particulier de la collusion historique entre la CIA et l’ISI pour le soutien à l’islamisme dur et aux trafiquants de drogue. Il décrit le long cheminement vers le 11/9. Plus largement ce livre critique le projet américain de domination mondiale, s’appuyant sur une machine de guerre hors de contrôle, et dont la recherche d’ordre et de sécurité produit un désordre et une insécurité accrue. Il s’agit de comprendre comment nous sommes arrivés au désastre du nouveau désordre mondial.

Vous l’aurez compris ce livre est passionnant, particulièrement en ces temps de Wikileaks. Mais le lecteur armé de son sens critique ne manquera pas de relever le caractère partisan de cet ouvrage ; ce qui fait son charme, mais ce qui peut gêner surtout quand la thèse du complot émerge ici ou là.

À ces restrictions près, cet ouvrage étonne par son originalité et sa puissance d’analyse. Il devrait être un ouvrage de référence pour tous les défenseurs de l’État de droit et pour tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de nos démocraties.

Bernard Norlain
 

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Eduquer au XXI°siècle/Michel Serres

6 Mars 2011 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Eduquer au XXI°siècle/Michel Serres
Eduquer au XXIe siècle/
Michel Serres, de l'Académie française
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Clearstream/Denis Robert

2 Mars 2011 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Ayant soutenu Denis Robert, je ne peux que me réjouir de la décision de la cour de cassation et du retour de Denis Robert dans l'arène. JCG
Point de vue :  Denis Robert
Clearstream : après l'investigation, que faut-il faire de cette société ?

La Cour de cassation vient de me rendre justice dans la première affaire Clearstream. Intégralement et définitivement. Les propos contenus dans mes deux livres Révélations et La Boîte noire (Les Arènes, 2001 et 2002) et le documentaire Les Dissimulateurs diffusé en 2001 sur Canal+, poursuivis par la multinationale, vont ressortir. Longtemps qualifiée de "controversée" ou de "fantasmatique" par les chargés de communication de la firme et des journalistes qui n'avaient pas pris la peine d'en prendre connaissance, mon enquête est entièrement validée.

Chacun des arrêts est rédigé dans des termes précis et sans ambiguïté. Loin du tumulte, après avoir pesé l'ensemble des éléments du lourd dossier, les hauts magistrats prennent à revers ceux qui m'attaquaient. Cette décision crée une formidable jurisprudence. "L'intérêt général du sujet traité et le sérieux constaté de l'enquête, conduite par un journaliste d'investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux", notent les magistrats. Plusieurs avocats s'appuient déjà sur ces deux lignes pour des dossiers opposant journalistes et puissances financières. Au bénéfice de la liberté de la presse.

Il aura fallu dix ans pour mesurer l'aveuglement des dirigeants de Clearstream qui ont porté plainte dès 2001 en diffamation contre moi. Leurs successeurs n'ont pas démontré plus de clairvoyance puisqu'ils ont régulièrement relayé et encouragé ces plaintes pour se retrouver aujourd'hui face à une vérité judiciaire nouvelle qui les accable.

Clearstream est une des deux firmes avec sa concurrente belge Euroclear à se partager le monopole de la compensation bancaire internationale. Mille sept cents salariés y travaillent entre Francfort, diverses agences à travers le monde, et Luxembourg, son siège social. Présente dans 107 pays dont 40 paradis fiscaux, elle n'est pas une banque comme ont tendance à la présenter les médias, mais une banque des banques. Plus exactement, une chambre de compensation internationale. Elle compense les gains et les pertes des institutions financières qui commercent sur toute la planète.

En janvier 2011, elle a annoncé avoir enregistré dans ses comptes 11,4 trillions de valeurs, principalement des obligations, mais aussi des actions ou de l'or. Mon enquête a montré que tous ses clients n'étaient pas des banques, mais aussi des sociétés offshore et des multinationales. Et que Clearstream offrait d'importantes possibilités de dissimulation et de fraude pour ses clients.

Il était indispensable de me battre jusqu'au bout pour obtenir cette décision reconnaissant le droit et la nécessité d'un journalisme d'enquête. Je savais ce que j'avais vu.

Un organisme financier sain a été dévoyé. Mes écrits reposent sur des courriers, des listings, des microfiches, des témoignages par dizaines, la plupart ayant été filmés. Des éléments suffisamment probants qui ont permis de mettre au jour des comptes opaques, l'effacement organisé de transactions, la probabilité forte d'une double comptabilité, l'hébergement de banques mafieuses ou liées au terrorisme, l'absence de contrôle des autorités luxembourgeoises, la complicité des auditeurs, le licenciement du personnel qui refusait de procéder à des manipulations comptables. J'en passe.

La lecture de mes documents montre que cette firme abritait plus de 6 000 comptes ouverts dans des paradis fiscaux et pouvait aussi transférer du cash. Au-delà du coup de projecteur sur ces coulisses, mon travail révélait pour la première fois les contours et les secrets d'une finance véritablement parallèle. Malgré les pressions, je ne voulais pas me taire.

Le 22 octobre 2008, Clearstream achetait un encart publicitaire dans Le Monde pour me proposer une transaction. Rappelant que je venais d'être "triplement condamné" en diffamation par la cour d'appel de Paris, concluant à "l'inanité" de mes "prétendues révélations", constatant que la vérité était "établie", elle proposait de ne pas exécuter ces décisions, de cesser les poursuites si j'acceptais de retirer mes pourvois. J'étais victime, selon eux, de mon "propre acharnement" à les diffamer "sans relâche depuis sept ans".

Dans une lettre ouverte à son président, j'ai décliné cette proposition. "Je ne suis pas assez riche pour vivre tout cela sereinement. Vraiment ça ne m'amuse pas. Seulement, je suis sûr de la qualité de mon travail et de l'intérêt des informations obtenues. D'autant plus en ces temps de crise financière internationale", écrivais-je alors. Il aura fallu dix ans pour qu'enfin on reconnaisse ce travail. Combien de fois ai-je entendu des avocats ou des journalistes, n'ayant jamais ouvert un de mes livres, se moquer de "mes erreurs", m'appeler le "falsificateur" ou le "conspirationniste".

Ces attaques répétées ont influencé, au cours de ce marathon judiciaire, certains magistrats qui avaient à juger mon travail. Le peu d'intérêt pour le fonctionnement du "back-office" interbancaire chez les politiques, si prompts à décrier ailleurs la gloutonnerie des banquiers, ne m'a pas aidé non plus. Et que dire du parasitage Clearstream 2, cette embrouille franco-française, où je me suis retrouvé mis en examen sur plainte de cette même Clearstream et où j'ai dû là aussi batailler avant d'être relaxé ?

Que faire maintenant des informations contenues dans mes livres et mes films, dans la mesure où tout le monde peut les reprendre à son compte ? Je ne sais pas ce que les Allemands de Deutsche Börse Clearing, qui ont racheté Clearstream suite à mon enquête et qui ont forcément constaté ces dérives, ont entrepris depuis 2002. La justice luxembourgeoise étant peu équipée pour traiter ces sujets et la justice européenne encore défaillante, nous en sommes réduits à espérer que le ménage a été fait. Peut-on s'en contenter ? Peut-on se contenter du minuscule et unique communiqué de Clearstream "prenant acte de la décision suprême française" et "attendant la suite" ?

Je montre dans mon enquête comment l'administration américaine a utilisé la firme luxembourgeoise pour masquer le paiement de la rançon des otages américains emprisonnés à l'ambassade de Téhéran en 1980. Plus près de nous, j'explique comment la faillite argentine aurait pu être anticipée, voire évitée en 2001, si des contrôles indépendants et réguliers avaient été effectués chez Clearstream. Nous sommes au coeur du débat sur la régulation du capitalisme.

En 2001, une centaine de députés européens avaient demandé la création d'une enquête parlementaire aux moyens coercitifs. Le commissaire hollandais Frits Bolkestein, dont on a su plus tard qu'il était lié à des clients importants de Clearstream, avait rejeté cette idée, indiquant que le Luxembourg était un Etat souverain et que lui seul pouvait enquêter.

Il faudrait relancer cette enquête européenne. J'aimerais que des journalistes et des politiques s'emparent de ces sujets. Après dix ans de pression et de censure, la Cour de cassation ouvre un nouveau temps. Celui de l'action.

Denis Robert, journaliste

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La désobéissance civile/Sylvie Simon

13 Février 2011 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Je mets en ligne avec les liens cet article bien documenté. On pourra lire avec profit dans les pages, mon article sur la servitude volontaire.
JCG

La désobéissance civile

sang

Il y a quelques années, André Glücksmann prônait la désobéissance civile au sujet du scandale du sang contaminé, qui « n’aurait peut-être jamais existé si, quand il était encore temps, quelqu’un avait civilement désobéi. »

Il est certain que le sang contaminé n’est qu’un exemple parmi bien d’autres : le nuage de Tchernobyl, le distilbène, l’amiante, l’encéphalopathie spongiforme bovine, l’hormone de croissance, les hormones dans la nourriture des animaux, les produits chimiques dans l’agriculture, les centaines de médicaments retirés parce qu’ils avaient tué, alors qu’ils avaient été mis sur le marché après de « longues études sur leur innocuité absolue ». Aucun des véritables responsables de ces délits n’a été sanctionné, excepté, parfois, quelques rares boucs émissaires.

La liste les tueurs potentiels toujours en liberté s’allonge tous les jours mais la plupart des consommateurs de médicaments chimiques l’ignorent la plupart du temps, comme le dernier « petit » scandale de l’Avandia®, qui a été occulté ou presque par les médias alors qu’il pourrait être responsable de plus de 4 000 attaques cardiovasculaires et de 9 000 défaillances cardiaques annuellement aux États-Unis. Selon l'EMA, l'Avandia® ne devrait plus être vendu en Europe d'ici « quelques mois ». Pourquoi ces délais ?

En janvier 2010, l'Afssaps a enfin supprimé le Sibutral®, utilisé pour le traitement de l'obésité car il réduit l'appétit, mais génère de nombreux effets secondaires graves comme l’hypertension artérielle et même des décès en raison de l'absence d'un suivi cardiovasculaire. Ces effets indésirables étaient connus depuis longtemps, parfois dès la mise sur le marché, ou prévisibles à cause de sa parenté chimique avec d’autres médicaments aux effets indésirables graves avérés. L'Italie a retiré le Sibutral® de ses pharmacies il y a 8 ans.



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Ces « petits » scandales n’ont pas autant mobilisé les médias que celui du Vioxx®, qui était utilisé par environ deux millions de patients dans le monde, il était retiré du marché, car on estimait alors qu’il était responsable d’environ 28 000 attaques cardiaques et décès depuis sa mise en vente en 1999. A présent, nous savons que le nombre d’accidents cardiaques, attaques ou décès, pourrait s’élever à près de 140 000, rien qu’aux États-Unis. Les décès concerneraient 30 à 40 % d’entre eux. Or, nous ne devons pas oublier que ce poison a été choisi en 2003 comme « médicament de l’année » par plus de 6 000 généralistes dans le cadre du Medec qui récompense le médicament le plus « performant » de l’année sur le plan de la santé.

Tout cela pourrait être imputé à des erreurs involontaires, donc pardonnables, si on n’avait pas appris que le laboratoire avait donné à ses visiteurs médicaux des renseignements mensongers. Les résultats d’un procès qui a eu lieu en 2000 ont bien prouvé la collusion de Merck et de la FDA qui connaissaient l’existence des attaques cardiaques, alors que le laboratoire poursuivait la publicité pour son produit le soir à la télévision. Mais en France, où les laboratoires ont continué à le vendre et les médecins à le prescrire, l'Afssaps a déclaré : « Le risque de complication cardiovasculaire reste cependant faible et n'apparaît qu'à long terme. » Jusqu’à combien de morts le risque reste-t-il « faible » ? Nous sommes habitués à ce genre de protection depuis le désastre de Tchernobyl.

En outre, les effets secondaires des médicaments sont souvent décelés avec de gros retards, et la liste initiale de ces effets étant rarement exhaustive, elle peut être remise en cause à tout moment, même des dizaines d’années plus tard. Ainsi, en mai 2006, un rapport édifiant signalait que le Distilbène dont le scandale est oublié depuis longtemps serait aussi à l’origine d’une véritable série de suicides. La justice a alors demandé une expertise scientifique, car « aucune recherche approfondie n’avait été lancée sur ce sujet ». Que faisait l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) à l’époque ?

Actuellement, c’est le Médiator® qui est sur la sellette, mais il n’est que la partie visible de l’iceberg car l’omerta, cette loi du silence imposée par une mafia, concerne également la vaccination contre l’hépatite B dont on refuse d’admettre les milliers de victimes, celle contre le papillomavirus, qui a pris comme cobayes des milliers de jeunes filles, ou l’autisme généré par certains vaccins mais qui n’intéresse guère nos députés. Sans compter la « grippette » porcine qui représente un scandale international mais n’a pas fini de faire parler d’elle car les accidents vaccinaux (et non grippaux) se manifesteront peu à peu et pendant longtemps.

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Qui est ou sera responsable des accidents ? Personne évidemment. Parfois, certains fabricants sont mis en examen, mais ils s’en tirent toujours à leur grand avantage et, surtout, aucun des responsables de la santé publique qui laissent faire sans jamais intervenir n’a été inquiété, ni les ministres de la Santé, ni les organismes chargés d’évaluer les risques sanitaires présentés par les médicaments, alors qu’ils sont tous grandement complices de la désinformation et des mensonges propagés par les fabricants et les medias.

Il ne nous reste plus qu’à espérer que le grand public va enfin cesser d’écouter les nombreux experts, juge et partie, qui sont à la solde d’une industrie aussi aveugle que criminelle et sortira de son autisme avant que de nouvelles catastrophes ne se manifestent, comme c’est devenu une habitude dans notre pays et même dans le monde.

Tous ces scandales ont de nombreux points communs et une même origine : l’appât du gain au détriment de la santé. Cependant, après chaque scandale, d’éminents « spécialistes » nantis de l’absolution générale nous expliquent avec des trémolos dans la voix que les décisions incriminées étaient justifiées par les « données actuelles de la science », d’autant qu’à présent, à la notion de « responsable mais pas coupable »  s’est ajoutée celle de « coupable mais pas condamnable ».

Au fil des ans, dans tous les pays, les catastrophes sanitaires connaissent les mêmes phases de déroulement. L’industrie nous abreuve d’informations venant de scientifiques corrompus qui produisent des contre-expertises truquées et, alors que les rapports de maladies et de décès se multiplient, nos gouvernants persistent à se référer aux expertises sécurisantes, à nier toute relation entre le produit et ses effets délétères, et interdisent aux scientifiques contestataires de s’exprimer en public, n’hésitant pas à discréditer leurs travaux.

De toute manière, tant que les rares responsables condamnés ne le seront qu’à des amendes, si importantes soient-elles, ils récidiveront car le risque est loin d’égaler le bénéfice. Le seul moyen de les empêcher de nuire est de les emprisonner avec des condamnés de droit commun, comme toute personne ayant commis un crime.

Dans son Carnet d’un biologiste, Jean Rostand constatait : « Je croyais qu’un savant était un homme qui cherche la vérité, alors que c’est souvent un homme qui vise une place ». Il est certain que tout scientifique consciencieux se pose des questions d’éthique à chaque moment, mais le consensus scientifique privilégie plutôt les recherches qui ne le perturbent pas trop, alors que le propre de la science devrait être de pouvoir sans cesse remettre en question des idées reçues. De la sorte, si notre société est loin d’être informée, les scientifiques eux-mêmes ne le sont pas de manière systématique. D’abord parce qu’ils ignorent souvent ce qui ne relève pas de leur strict domaine d’investigation, ensuite parce qu’ils n’ont pas toujours, dans ce même domaine, une vision univoque de la réalité.

Si une grande partie des scientifiques et des professionnels de santé a perdu toute conscience c’est parce que notre époque est celle de la compétition et de la surconsommation dans laquelle le profit règne à tous les niveaux, et qu’ils se sentent à l’abri de toute critique grâce au lavage de cerveau infligé à la population générale.

Il ne faut donc pas compter sur eux pour faire changer les choses, seuls les consommateurs peuvent agir. Or, dans son ouvrage Le Meilleur des mondes, écrit en 1932, Aldous Huxley prédisait l'avènement d'une dictature scientifique dont les sujets en viendraient à abandonner l'idée même de révolution. Visionnaire de génie, il décrivait une dictature parfaite qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader et un système de dépendance où les esclaves, anesthésiés par la consommation et les divertissements, ne se poseraient aucune question et « aimeraient leur servitude ».

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En 1961, lors d’une conférence donnée à Santa Barbara, en Californie, au sujet du contrôle du comportement humain, Aldous Huxley confirmait ses propos et anticipait : « Il existera, dans la prochaine génération, une méthode pharmacologique pour que les gens chérissent leur servitude et génèrent, pour ainsi dire sans plaintes, une sorte de camp de concentration pour des sociétés entières, alors que les peuples verront leur liberté confisquée, mais s’en réjouiront plutôt, car ils seront dépouillés de tout désir de révolte par la propagande et le lavage de cerveau prodigué par des méthodes pharmaceutiques. Et cela sera la révolution finale. »

Ne sommes-nous pas, aujourd’hui, dans ce « meilleur des mondes », où les informations frisent la propagande et le lavage de cerveau, où nos « gouvernants » s’érigent en maîtres à penser et ne supportent guère la contestation, et où le « bon peuple » est ravi de ne plus avoir à réfléchir puisque d’autres, évidemment « plus savants », le font pour lui.

Les citoyens ignorent encore que les grandes écoles et les Académies nous enseignent le savoir, mais pas la connaissance qui est un don rare et inné et encore moins le simple bon sens, qui semble disparaître peu à peu au cours du parcours universitaire pour laisser la place au même enseignement stéréotypé dans toutes les disciplines.

La religion et la politique sont considérées comme les deux principaux foyers d’endoctrinement, mais on peut leur ajouter la médecine moderne, qui n’est plus ni un art ni une science, comme elle le fut longtemps, mais une véritable religion car la confiance accordée de nos jours au corps médical relève plus du domaine de la foi et parfois même du fanatisme. On ne réfléchit plus, on « croit ». On écoute les diktats des « experts », la plupart du temps autoproclames, sans faire la moindre réserve quant à leur validité, oubliant souvent combien ceux-ci ont pu être démentis et ont même été au centre de certains scandales au cours des dernières années.

De surcroît, tous les pouvoirs utilisent la peur pour mieux dominer, et ceux qui font profession de « savoir » pratiquent savamment cette stratégie parfaitement efficace qui permet d’obtenir la dépendance des citoyens. Comme le disait Machiavel : « Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes ».

Cet instrument de manipulation, qui permet d’abolir tout sens critique et d’exploiter la crédulité des populations en les maintenant dans l’ignorance des faits essentiels de l’existence, a toujours été utilisé, mais à présent il opère sur une plus grande échelle grâce aux multiples moyens de diffusion. Les religions nous ont appris à croire aux dogmes sans chercher à les comprendre. Nous persistons à appliquer cette règle bien établie en écoutant les injonctions de despotes, non plus religieux certes, mais tout aussi tyranniques. Et le dogmatisme médical actuel pourrait être comparé aux pratiques de l’Inquisition qui brûlait tout ce qui dépassait son entendement ou pouvait mettre en péril l’hégémonie de l’Église catholique.

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Le meilleur exemple et le plus récent est celui de la « pandémie » d’hystérie générée par la peur, savamment orchestrée, du modeste virus H1N1. Fort heureusement, nombreux sont ceux qui ont refusé d’être entraînés par cette folie collective, mais certains n’ont pas eu cette indépendance d’esprit que chacun d’entre nous devrait posséder et qui fait tellement défaut au commun des mortels.

Alors que la majorité des populations mondiales a résisté aux menaces gouvernementales et médiatiques, des centaines de milliers de gens se sont tout de même précipités sur les centres de vaccinations, tendant le bras vers l’aiguille vénérée comme s’il s’agissait du Saint-Sacrement, sans se poser aucune question sur la sainteté du rite, se fiant seulement aux grands prêtres de la religion des vaccins qui voulaient les protéger des atteintes du diable, en l’occurrence le virus de la grippe. Les rites et les dogmes perdurent, seuls les dieux que l’on adore et le diable que l’on redoute ont changé de visage.

Évidemment personne n’a dit que le diable était fabriqué de toute pièce par des pontifes à la solde de l’industrie qui nous menaçaient depuis plusieurs années d’une « pandémie » grippale, sans bien savoir laquelle.

Il est surprenant de voir que dans notre pays où Voltaire et Diderot ont théoriquement détrôné la superstition et le fanatisme, la sagesse n’est guère de mise et les lavages de cerveaux qui vont bon train chez nous causent des dégâts irréparables.

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Comme l’avait remarqué le Dr Gustave Le Bon dans son ouvrage Les opinions et les croyances : « L’immense majorité des hommes ne possède guère que des opinions collectives. Les plus indépendants eux-mêmes professent généralement celles des groupes sociaux auxquels ils appartiennent. » À ses yeux, l'homme descend de plusieurs degrés sur l'échelle de la civilisation et devient un barbare dès qu'il fait partie d'une foule organisée. Il se laisse impressionner par des mots, des images qui n’auraient aucun impact sur chacun des individus isolés, mais en foule, il commet des actes contraires à ses intérêts les plus évidents et à ses habitudes les plus connues. Combien d’entre nous ont vraiment des opinions personnelles sur ces sujets et, dans ces cas, combien osent les exprimer ?

Et le Dr Le Bon ajoutait : « L'individu en foule est un grain de sable au milieu d'autres grains de sable que le vent soulève à son gré. » Nous sommes comme ces grains de sable soulevés au gré des courants d’« informations » qui tourbillonnent autour de nous et balaient nos idées personnelles.

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Or dans De la désobéissance et autres essais, paru en 1982, le psychanalyste humaniste Erich Fromm nous prévenait : « L’homme qui ne peut qu’obéir est un esclave [...]. L’obéissance pourrait très bien être la cause de la fin de l’histoire humaine ». Nombreux sont ceux qui pensent de cette manière et s’inquiètent de l’obéissance passive de nos contemporains bien-pensants.

Mais pour être libre, il faut être informé, et la véritable information ne circule, à vrai dire, que dans certains magazines à tirage limité, et sur Internet où elle est noyée dans un fourre-tout parfois inextricable. Aussi, devons-nous apprendre à devenir responsable, à ne pas céder à la crainte du jugement des autres, à la peur habilement distillée par des pouvoirs qui refusent de prévoir comment et pourquoi leurs brillantes inventions actuelles deviendront les calamités de demain, car la simple logique leur échappe.

Quant aux technocrates, à l’instar des cartels de l’industrie, ils ne raisonnent qu’à court terme et refusent de prendre en compte les effets pernicieux engendrés par leurs décisions actuelles, mais qui n’apparaîtront qu’à long terme. Tous ces profiteurs semblent oublier leurs descendants qui risquent de payer très cher cette inconséquence et ce manque de conscience.

Pourtant, comme le disait Sénèque au IVe siècle avant J.C. : « La sagesse ne demande pas beaucoup d’instruction », et il faut espérer que le bon sens n’a pas totalement déserté la planète, bien que, parfois, il soit légitime de se poser la question.

Heureusement une partie de la population commence à prendre conscience que tous ceux qui détiennent un pouvoir en profitent impunément et que la plupart des hommes politiques sont, de gré ou de force, les otages des compagnies industrielles qui pourraient influencer leurs carrières.

Toutefois, la majorité, non seulement des Français mais aussi des populations mondiales, est ravie de ne pas être informée et ne cherche surtout pas à l’être. Cela lui poserait de nombreux problèmes, l’obligerait à réfléchir alors qu’elle n’en a pas la moindre envie, et installerait chez elle des états d’âme, des peurs, des culpabilités et, surtout, risquerait de provoquer la remise en question de tout un système de vie et de pensée.

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Comme l’explique Noam Chomsky, philosophe radical de réputation internationale et professeur pendant plus de cinquante ans au MIT (Massachussets Institute of Technology)  : « Les médias ne représentent qu'une toute petite partie de la vaste machine de propagande. Il existe un système d'endoctrinement et de contrôle beaucoup plus vaste, dont les médias ne sont qu'un rouage : l'école, l'intelligentsia, toute une panoplie d'institutions qui cherchent à influencer et à contrôler les opinions et les comportements, et dans une large mesure à maintenir les gens dans l'ignorance. »

 (Massachussets Institute of Technology)  : « Les médias ne représentent qu'une toute petite partie de la vaste machine de propagande. Il existe un système d'endoctrinement et de contrôle beaucoup plus vaste, dont les médias ne sont qu'un rouage : l'école, l'intelligentsia, toute une panoplie d'institutions qui cherchent à influencer et à contrôler les opinions et les comportements, et dans une large mesure à maintenir les gens dans l'ignorance. »

Pour sa part, Georges Bernanos avait, lui aussi, prévu ce qui nous attend si nous acceptons l’esclavage qu’on cherche à nous imposer. « Je pense depuis longtemps que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’éveille la cruauté, ni même les représailles et la vengeance qu’elle s’attire, mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public. Les horreurs auxquelles nous avons assisté, les horreurs encore plus abominables auxquelles nous allons maintenant assister, ne signalent pas que les rebelles, les insubordonnés, les réfractaires sont de plus en plus nombreux dans le monde, mais plutôt qu’il y a de plus en plus d’hommes obéissants et dociles ». Bernanos avait un don de prophéties car, à cette époque, la situation était loin d’être aussi préoccupante que de nos jours.

Devant la puissance financière des fabricants de médicaments, pesticides, herbicides, OGM et autres poisons, et la persistance méprisante de leur mainmise sur l’économie et la politique de santé, nous risquons d’être contraints à développer la désobéissance qui est une arme que n’apprécient ni les laboratoires ni les gouvernements qui les cautionnent. Dans notre lutte contre Goliath, le refus d’obéir aux ordres peut être la seule arme efficace.

Toutefois, comme l’avait aussi constaté Gandhi, il est plus facile de croire ce qu’on nous affirme officiellement, de source « sûre », que de s’aventurer dans l’indépendance intellectuelle. En fait, le conformisme et l’inertie ont de tout temps été les plus sérieux obstacles à l’évolution de l’humanité.

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Ils sont nombreux à prôner une certaine désobéissance civique si elle peut contribuer à sauver la Terre et ses habitants. Déjà, au milieu du XIXe siècle, David Henry Thoreau, enseignant, philosophe, poète américain et écologiste avant l’heure prônait la résistance individuelle à un gouvernement qu’il jugeait injuste, qui tolérait l’esclavagisme et menait une guerre de conquête au Mexique, contre tous les droits individuels et contre toute morale. Il est considéré comme à l'origine du concept contemporain de non-violence. Dans son essai La Désobéissance civile Thoreau affirmait ses positions politiques et idéologiques et proposait une philosophie de résistance non violente qui influença des figures politiques, spirituelles ou littéraires telles que Léon Tolstoï, Gandhi et Martin Luther King.

Olivier Clerc, écrivain et philosophe, s’est servi de la « métaphore de la grenouille » pour démontrer la situation actuelle. « Imaginez une marmite remplie d'eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille.
Le feu est allumé sous la marmite, l'eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager. La température continue à grimper. L'eau est maintenant chaude. C'est un peu plus que n'apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne s'affole pas pour autant. L’eau est cette fois vraiment chaude. La  grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle s'est affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien.
La température continue à monter jusqu'au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir.
Si la même grenouille avait été plongée directement dans l'eau à 50°, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l'aurait éjectée aussitôt de la marmite.
Cette expérience montre que, lorsqu'un changement s'effectue d'une  manière suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite la plupart du temps aucune réaction, aucune opposition, aucune révolte ».

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Olivier Clerc compare l’humanité actuelle à cette grenouille. Il est exact que les prédateurs ne manquent pas, mais les victimes sont consentantes, soit par ignorance, soit par négligence. Et il pose la question : « Sommes-nous déjà à moitié cuits ? », puis il conseille : « Alors si vous n'êtes pas, comme la grenouille, déjà à moitié cuits, donnez le coup de patte salutaire avant qu'il ne soit trop tard. »

Seule une petite minorité de personnes dont la conscience est bien éveillée est capable de donner le coup de patte salutaire. D’autres, bien que partisans de ce changement d’un monde qui n’est plus supportable, pratiquent la politique de l’autruche car ils estiment qu’il est déjà trop tard, que de toute façon, ils sont trop peu nombreux pour avoir un impact quelconque, et qu’il faudrait une majorité de gens impliqués dans ce processus pour faire pencher la balance.

Ils ignorent sans doute que toutes les révolutions sont nées de petits groupes de citoyens déterminés, ce qui est logique, puisque selon la physique quantique nous sommes tous reliés.

Nous n’avons ainsi plus beaucoup de choix : ou bien nous pratiquons la désobéissance civile ou bien nous rejoignons les esclaves qui chérissent leurs bourreaux, annoncés par Aldous Huxley.

 

Sylvie Simon

 

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Pédagogie de compétition pour société de marché

8 Avril 2010 , Rédigé par grossel Publié dans #L.C.

Pédagogie de compétition
pour société de marché ?


Si on pense qu’apprendre est une obligation morale qui fait devoir de travailler à l’école, on aboutit logiquement à considérer l’échec scolaire comme la conséquence d’un défaut moral et, à la rigueur, d’une défaillance intellectuelle, dont l’individu porte, seul, la responsabilité. Si on pense qu’apprendre est une nécessité sociale et acquérir des savoirs scolaires, un droit, on considérera l’échec comme un dysfonctionnement scolaire, facteur d’injustice à réparer collectivement. La première théorie, séduisante et dominante dans l’opinion française, induit un modèle d’enseignement « individualiste », magistral, classique et traditionnel, majoritaire. La deuxième théorie, peu attractive, peu partagée et peu connue, produit un modèle d’enseignement « socialiste », pédagogique et innovant, minoritaire. Chaque maitre, comme chaque profane, peut se situer dans l’un des deux sous-ensembles. Pour penser la deuxième théorie, il faut la choisir délibérément. Pour la première, il suffit de se laisser porter sans résister, poussé par la foule, comme un esquif, sur le flot de la doxa. Pour atteindre la deuxième, il faut nager, comme un saumon, à contre-courant des idées reçues, en rare compagnie.

On ne peut exercer le métier selon une approche pédagogique qui place l’enfant au centre, sans l’avoir voulu avec détermination, en résistance et en rupture avec l’idéologie dominante. Or, l’offre pédagogique n’est pas visible. Les pratiques et les théories pédagogiques ne sont disponibles, ni dans la panoplie des outils didactiques commerciaux, ni dans le registre institutionnel de l’offre de formation professionnelle. Il faut donc se risquer, chercher, tâtonner, se tromper, corriger, innover, seul dans sa classe et, hors de la classe, se rapprocher de mouvements pédagogiques, mal connus, parfois contre la mauvaise réputation que leur fait la rumeur et malgré l’hostilité que leur manifestent les penseurs de l’enseignement « reconnus ». On peut donc traverser une carrière entière sans en avoir eu vent. Car, pour apprendre le métier en conformité avec la pensée dominante et en concordance avec la tradition, à l’abri du risque pédagogique, il suffit, quand on débute, d’observer autour de soi « ce qui se fait », d’écouter les aphorismes des anciens, de ceux qui ont de la bouteille, qui, autrefois débutants, avaient appris le métier de leurs anciens, qui l’avaient, eux-mêmes, appris… On peut aussi se référer aux méthodes des maitres qui nous ont éduqués pendant notre propre scolarité. La boucle est automatiquement fermée par transmission orale et contagion de croyances, par promiscuité.

Le maitre traditionnel :

Il est soumis à des contraintes institutionnelles historiques, spécifiques, qui n’existent pas hors de l’école. Elles lui sont « livrées » par la  tradition. Entre autres, il respecte des normes morales qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Dans sa classe, apprendre est un devoir, ne pas apprendre est une faute ou une défaillance. Il doit exhorter, « stimuler » par de mauvaises notes, houspiller et menacer les élèves négligents ou rétifs, pour qu’ils apprennent leurs leçons.

Son souci historique de départ : contrôler et modérer l’effervescence des rentrées de classe ; asseoir son autorité en repérant les leaders qui risqueraient d’entrainer le groupe dans l’indiscipline ; gagner la confiance inconditionnelle des élèves ; installer une discipline rigoureuse par des mises en garde, des règles de vie déjà libellées, annoncées dès le premier jour, avec présentation de l’arsenal des sanctions, récompenses-punitions, qui accompagneront les notes ; faire planer la menace du redoublement sur la tête de ceux qui ne seraient pas assez attentifs, disciplinés, appliqués et travailleurs. 1

En bref,

1-rappeler aux élèves que chacun obtiendra, par son seul mérite, dans un labeur solitaire, de bons résultats et les récompenses qui vont avec,

2-en même temps que la « conduite », moraliser aussi les conduites d’apprentissage.
Son souci historique à long terme : asseoir sa réputation professionnelle sur sa diligence à respecter la tradition et sur sa loyauté envers elle, à savoir, créer dans la classe, au quotidien, les comportements et le climat studieux des examens et concours ; réunir les conditions matérielles et morales d’une compétition interindividuelle impartiale, où chacun aurait sa chance, afin que le meilleur gagne (interdiction d’échanger et de copier ; ne devoir « sa note » qu’à soi-même ; apprendre seul ; faire peu, même faux, mais tout seul) ; contrôler la conformité ; persuader chacun que la mutualité est un défaut ; boucler le programme afin d’être en règle avec ses obligations institutionnelles et les attentes supposées ou fantasmées de « l’inspecteur » ; fournir au collègue du niveau supérieur, qui accueillera les élèves dans un an, un bon pourcentage de bons élèves.

Le maitre pédagogue :

Il se donne des objectifs éducatifs universels, pensés et analysés, non scolaires, valables partout. Dans sa classe, apprendre est un droit, ne pas apprendre est une injustice sociale. Il lui faut faire en sorte de donner à tous les moyens de s’instruire, de trouver pour chacun le chemin de la connaissance.

Son souci original de départ : travailler, dès les premiers jours de classe, avec des élèves actifs, interactifs et autonomes ; les déranger dans leurs postures habituelles d’attente et de soumission aux décisions de l’adulte ; leur donner le sens de l’initiative, de la solidarité entre pairs, du projet personnel et collectif ; faire émerger un sentiment d’appartenance sociale.

Son souci innovant à long terme : apprendre à vivre ensemble, créer une dynamique d’élaboration collective de la vie quotidienne, d’organisation du travail en classe et de construction des savoirs, un système socialisant de cogestion élèves-maitre ; faire acquérir par chacun, en collectivité, le sens social, le sens critique, le sens du partage et l’empathie. En bref, pour apprendre ensemble, créer une microsociété, organisée sur un modèle coopératif, une petite entreprise de production et de consommation des savoirs élaborés et acquis en groupe ; apprendre à penser par soi-même, à ne pas faire confiance à tout ce qu’on entend, même si c’est dans la bouche du maitre.

Les objectifs éducatifs et la finalité sociale des deux théories, conscientes ou inconscientes, sont si contradictoires qu’aucun moyen terme, ni rencontre n’est possible. Beaucoup de traditionnels aiment leur métier et l’enfance, développent des relations de confiance et de respect, voire d’amitié, sur le plan interindividuel, maitre-élève. Cette qualité de la relation peut passer pour une pédagogie éducative. Quand les élèves ont de mauvaises notes, les bons maitres traditionnels les consolent, charitablement : « les notes, c’est pas important, il faut travailler pour toi, pas pour la note ! si tu continues tes efforts, la prochaine fois, tu en auras une bonne...», comme le prêtre absout le pécheur et l’exhorte dans la voie du salut. Mais leur pédagogie s’arrête à la compassion. Elle ne va pas jusqu’à renoncer à la notation, renoncement qui signerait le reniement de l’orthodoxie, le sacrilège de la liturgie et des sacrements scolaires. 2
Ce sont bien deux métiers différents et incompatibles. On ne peut être enseignant à dominante traditionnelle avec un peu de pédagogie, ou pédagogue convaincu avec un peu d’enseignement traditionnel, sans déclencher un conflit avec soi-même. 

Les premiers arbitrent
, en juges impartiaux et souverains, un concours scolaire blanc permanent, en guise de préparation et d’entrainement. Dans le viseur du programme éducatif, ils pointent les futurs examens et la compétition économique et sociale entre individus, adultes, mais gouvernés par des politiques, qui les considèreront comme les enfants dépendants d’un pouvoir tout-puissant : chacun pour soi, que le meilleur gagne ! Ce sont de loyaux serviteurs de l’état, parfois syndiqués, souvent électeurs de gauche, qui ne mettent jamais l’institution scolaire en question, même pendant une grève. La liturgie, les faire-semblant, la compétition entre pairs, avec récompenses, punitions et carnets de notes de la pédagogie traditionnelle, leur conviennent. Volontairement et en toute bonne conscience, pour quelques-uns, involontairement et sans le savoir, pour la majorité, ils apprennent aux enfants les vertus d’une pensée conforme qui ne pose pas de question à l’idéologie. Ils les préparent à vivre, en consommateurs fidélisés, « récompensés », tenus en laisse par la publicité télévisée, dans une société de marché, de compétition et de lutte de classes, une société qui exploite et humilie les classes inférieures, broie les individus les plus vulnérables et garantit aux plus favorisés le maintien de leurs privilèges. Pour fonder ces pratiques, pour en justifier la finalité, ils n’ont pas besoin d’un questionnement et d’une théorie. La tradition qui leur fait faire ce qui se fait partout, depuis toujours, suffit.

Les seconds éduquent
à la citoyenneté active pour une société démocratique et solidaire : un pour tous, tous pour un ! Ils ont rompu avec l’apprentissage scolaire passif, la pédagogie compétitive traditionnelle et l’idéologie dominante. Ce sont des serviteurs de l’enfance, pour ce qu’elle porte en germe, la société de demain, promoteurs d’une vraie vie sociale en classe, structurée par les échanges, l’entraide, la collaboration et le débat démocratique. Ce sont des chercheurs perpétuels, en quête de pratiques innovantes et concordantes avec leur éthique morale et sociale, qu’ils n’adoptent jamais sans examen. Quand leurs collègues conduisent les élèves vers la réussite aux examens, chacun pour soi, eux, ils guident et accompagnent les leurs dans la construction de savoir sociaux à partager. Sans attendre un monde meilleur, ils introduisent en avant-première, dans l’école, un modèle social idéal qui n’existe pas encore dans la société des adultes. A savoir, la mise en œuvre du triptyque des fondements de la république, liberté, égalité, fraternité. Considérant que la démocratie n’est pas définitivement donnée, ni achevée, ils la construisent et l’améliorent, dès l’école. Ils la consolident et la préservent. Ce ne sont pas des surdoués, génétiquement dotés de qualités personnelles, intellectuelles ou morales, supérieures. Ils ne sont pas meilleurs, ils sont différents. Ils n’ont pas reçu en naissant des talents professionnels exceptionnels. Ce sont surtout de « libres penseurs » non conformistes, des « incroyants » refusant idées reçues, vérités révélées et avérées. Ils ne se lancent pas dans une pratique, si répandue soit-elle, les yeux fermés, simplement parce que la corporation et l’opinion l’approuvent. Ils interrogent la théorie qui s’y blottit discrètement.

Leurs paradigmes étant contradictoires, les deux ne peuvent ni collaborer dans le temps, ni se rencontrer sur l’agora pour débattre. On ne peut comparer leurs résultats respectifs, puisqu’ils ne poursuivent pas le même but. On peut seulement les questionner. Pour préparer de futurs demandeurs d’emploi à vivre dans un monde impitoyable, vaut-il mieux les former ou les conformer ? 3 Lequel des deux modèles arme-t-il le mieux les individus pour « réussir sa vie » ou pour subir les outrages du productivisme industriel, du harcèlement moral et du licenciement économique, sans sombrer dans la dépression ? Interroger le passé scolaire des employés de France Telecom qui se défénestrent et des spéculateurs qui ont déclenché le crash boursier de 2009, nous apporterait peut-être un début de réponse. 4

Laurent CARLE (février 2010)

1-  A propos de ce qui « motive » : Bâton, carotte et motivation
recompense-et-motivation
 2- La notation est la religion de l’école.
« Dis, donc… C’est à l’école que tu apprends ces vilaines  manières ? » Charles Pepinster
http://www.meirieu.com/FORUM/Disdonc_pepinster.pdf
 3- Extrait d’un blog sur la « récompense » : Maintenant... elle me paraît en même temps une bonne manière d'armer (...un peu plus...) les élèves au monde futur qu'ils devront intégrer une fois les diplômes (enfin je l'espère) obtenus : dans ce monde là (... le monde du travail, enfin je l'espère), la récompense est monnaie courante ! Ils sont nombreux, les salariés qui vivent cela difficilement, parce qu'ils n'y ont pas été rodés ! Alors, pourquoi ne pas s'y entraîner AVANT ?
 4- Un enfant en situation d’apprentissage est un chercheur. Il devrait bénéficier des mêmes conditions psychologiques et sociales qu’un chercheur en laboratoire : droit à l’erreur,  travail en équipe, entraide, solidarité et coopération entre pairs. Pour mieux comprendre la nocivité du système récompenses-punitions, on devrait aussi interroger le passé et le présent de chercheurs réputés, aujourd’hui maitres en excellence scientifique :
ces-chercheurs-qui-refusent-des-primes-de-milliers-deuros-

Alphan Manas:
Semaine du 25/03/10 NouvelObs
Notation : une absurde loterie

Voilà un siècle et demi qu'on évalue les élèves de façon inefficace et arbitraire. Mais il ne faut surtout pas le dire.

Les notes sont injustes. Flanquées à la tête du client, selon l'humeur du capitaine ou la vitesse du vent. Mauvaise excuse de potache ? Pas du tout. Conclusion de nombreux chercheurs. Et cela ne date pas d'aujourd'hui : «Dès les années 1920, les docimologues ont mis en évidence le manque de fiabilité des notes, leur caractère souvent arbitraire», dit Sylvène Kitabgi, qui vient de réaliser une étude sur cette question pour la chambre de commerce de Paris ( (1)). Même s'ils ont à coeur d'être impartiaux, les enseignants sont, à leur insu, influencés par toutes sortes de choses. Le niveau de la classe, le sexe de l'élève, son origine sociale ou encore... l'ordre de correction des copies. Sans parler de l'effet bien connu du niveau de l'établissement. Les plus élitistes mettant un point d'honneur à être particulièrement secs. C'est si vrai qu'à Paris le rectorat « pondère » selon les collèges les notes prises en compte pour affecter les élèves dans tel ou tel lycée...
« Ces biais ont été démontrés par des études scientifiques très sérieuses, mais on fait toujours comme s'ils n'existaient pas ! On ne change rien au système », constate la spécialiste. Bruno Suchaut, directeur de l'Institut de Recherche sur l'Education, confirme : «Cette façon d'évaluer les connaissances des élèves est aléatoire et biaisée de multiples façons. Les spécialistes le savent depuis longtemps, mais pas le grand public. Cela reste tabou. » Ce chercheur parle d'expérience. En 2008, il met discrètement en ligne une étude intitulée : la loterie des notes au bac. Celle-ci montre qu'une même copie du bac soumise à trente correcteurs peut voir son score varier de dix points. Et elle fait aussitôt scandale. «J'ai été très surpris ! dit son auteur. Il s'agissait juste d'une illustration très banale de faits déjà mis en évidence par de nombreux travaux. » Notamment une étude qui remonte à 1962 et qui concluait que, pour obtenir une note «juste» aux épreuves du bac, il faudrait faire la moyenne de celles données par 13 correcteurs en maths, 78 en français et 127 en philo...
Plus grave : ces notes si peu fiables que nous pratiquons sans rien y changer ou presque depuis 1880 sont le pilier même de l'orientation. « C'est absurde, on décide du devenir de jeunes en s' appuyant sur un outil obsolète, peu fiable, au lieu de s'intéresser à leurs différentes compétences, aptitudes, aspirations. Il s'agit juste de les trier», regrette Michèle Dain, directrice du Biop, le centre d'orientation de la chambre de commerce de Paris. Ce centre reçoit chaque année plus d'un millier de jeunes, premiers de classe ou exclus de l'école. Michèle Dain est frappée par leur désarroi grandissant : « On parle beaucoup du stress des salariés, de la souffrance au travail, de harcèlement, mais on ne réalise pas que tout cela existe plus encore à l'école. » En cause notamment ces contrôles «à l'ancienne», inefficaces, qui «ne donnent pas aux élèves des outils pour progresser », étroits dans les compétences évaluées et, de surcroît, bien plus fréquents chez nous que chez nos voisins. Dans certains pays - Finlande, Suisse, Danemark, mais oui, c'est possible ! -, on se passe tout simplement de notes !
(1)«L'évaluation scolaire est-elle au service de l'orientation ?»


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Marcel Conche sur France-Culture

23 Mars 2010 , Rédigé par grossel Publié dans #J.C.G.

Vidéos de la rencontre d'Altillac
du 11 novembre 2009
 
Marcel Conche sur France-Culture
 
Du lundi 22 mars au vendredi 26 mars, dans le cadre de l'émission de Laure Adler, Hors-Champs, de 22H 15 à 23 H, Marcel Conche s'entretient avec ses invités, le 22 avec Laure Adler, le 23 avec Jean-Claude Grosse, le 24 avec André Comte-Sponville, le 25 avec son petit-fils, le 26 avec Laure Adler. Ces entretiens peuvent être podcastés.
Bonne écoute.

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Laure Adler, Marcel Conche
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    Marcel Conche, Jean-Claude Grosse
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Marcel Conche, André Comte-Sponville
 
© RF / M.-A. Garandeau

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© RF / M.-A. Garandeau

  La voie certaine vers "Dieu"

de Marcel Conche,

philosophie,

ISBN: 978-2-35502-007-0  13X17   64 pages   10 euros

 


Avec la morale et la religion, on est dans l’élément de la certitude : indubitabilité du devoir (dans une situation donnée), conviction sans faille que l’amour doit, autant que possible, inspirer notre vie – amour du « prochain », qui est aussi, par là-même, amour de « Dieu », pour ceux qui attribuent au mot « Dieu » une signification. Ainsi, dans La voie certaine vers « Dieu », le mot « Dieu » peut désigner quelque chose de réel, ou quelque chose d’idéal, ou ne rien désigner du tout, mais qu’il en soit ainsi ou autrement, c’est chose indifférente.

 

Le 27 janvier 2008 à 9 H 55, salle Tolosa à Toulouse,
 
Marcel Conche
a exposé son point de vue lors d'un colloque de deux jours :
Demain avec ou sans Dieu ? Croyants et incroyants s'interrogent.
 
Titre de son intervention :
La voie certaine vers "Dieu".

Argument:
Il y a deux voies pour aller vers Dieu: la voie du concept et la voie de l'image. La voie du concept aboutit au Dieu-concept, celui des philosophes, des théologiens, des savants. Le Dieu-concept n'est qu'une fiction de la raison humaine. La voie de l'image part de l'homme comme "image de Dieu" et aboutit au vrai Dieu, le Dieu qui n'est qu'amour. On ne dit pas qu'il soit réel. La route du moulin est toujours la même, même s'il n'y a plus de moulin. La voie vers "Dieu" est certaine, quoi qu'il en soit de Dieu. C'est la voie de l'amour inconditionnel. Je définis la religion de l'époque de la mondialisation, la religion de l'avenir.
M. Conche
Les 4 Saisons du Revest, à la demande de Marcel Conche, ont filmé son intervention pour la mettre à disposition sur l'espace de grossel chez dailymotion, comme d'autres vidéos de Marcel Conche déjà disponibles.

 


ACTUALITÉ D’UNE SAGESSE TRAGIQUE
(La pensée de Marcel Conche)
de Pilar Sánchez Orozco
 Préface d’André Comte-Sponville.
ISBN: 2-908387-81-6 -  352 p. -   16,5x24 -  40€

 
Un extrait:
 
Comment vivre ? Comment avoir une bonne vie ? Ni la science ni la morale ne peuvent nous donner la réponse, car, bien que la première nous donne des connaissances sur le monde et la vie, et bien que la seconde nous informe de nos devoirs envers les autres, aucune des deux ne nous dit si cela vaut la peine de vivre, ni de quelle façon. Mais, puisque nous vivons, la question ne peut cesser de nous intéresser, et la philosophie ne peut cesser de se la poser. C’est en effet la question à laquelle l’éthique et la sagesse tentent de donner une réponse, comprenant que, d’une part, elles évoluent dans un domaine du savoir distinct de celui de la connaissance et que, d’autre part, elles vont plus loin que la morale.
Nous sommes à un moment où les grands discours traditionnels, telles que les grandes religions, les utopies politiques ou les cosmologies anciennes, ont perdu leur crédibilité. Nous évoluons dans un monde désenchanté et sans grandes espérances, où même la notion de sagesse peut paraître quelque peu anachronique. Nous vivons à une époque qui n’est pas encore sortie de la crise métaphysique et qui, par conséquent, dans l’absence d’une vision métaphysique nette, a beaucoup de difficultés à trouver une cohérence entre un énoncé éthique et une nouvelle vision métaphysique pas encore configurée, car la méfiance à l’égard de la métaphysique traditionnelle et ses fausses illusions semble avoir discrédité toute tentative de métaphysique. Par conséquent, comme beaucoup, nous évoluons habituellement dans le relativisme du pluralisme éthique : sans critère clair pour nous définir personnellement, comme si tout dépendait finalement des circonstances plus que de nous-mêmes. Mais le problème est que de toute façon, nous devons vivre et, si possible, trouver une réconciliation avec « la réalité » telle qu’elle est. Nous savons que cette réalité est problématique, en un double sens : premièrement au sens immédiat de la réalité commune, où nous rencontrons des problèmes vitaux auxquels nous devons répondre ; mais aussi en un second sens « métaphysique ». Et la sagesse, telle que l’entend Conche, implique un mode de vie en cohérence avec une compréhension métaphysique déterminée. Comment trouver une cohérence avec quelque chose qui n’est pas clair ? À partir de la défense d’un pluralisme philosophique, il est possible d’accepter différents modèles de sagesse. Mais, comme nous ne vivons qu’une vie, un choix vital et intellectuel s’impose en même temps à chaque individu.

L’on dit souvent que la philosophie est l’amour de la sagesse. Mais Conche ne voit pas les choses exactement ainsi. Il croit que l’objet ou la finalité de la philosophie n’est pas la sagesse, mais simplement la vérité. Pour chercher la vérité, et ne s’intéresser qu’à la philosophie, en laissant de côté une grande quantité d’intérêts « mondains », il est nécessaire d’avoir déjà, préalablement, beaucoup de sagesse. Autrement dit, la sagesse est une condition de la philosophie, et peut-être est-ce la raison pour laquelle les philosophes sont « rares ».

Ce portrait de Marcel Coche est dû à Jean Leyssenne.




 

 

 
 
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Métropolis, la Grèce et Goldmann Sachs

7 Mars 2010 , Rédigé par grossel Publié dans #R.P.

Métropolis, la Grèce et Goldmann Sachs
 L 274

LA FROUSSE DU TRÉSOR

Le trésor fut découvert en Argentine, après une longue quête : ce qui était resté caché du film de Fritz Lang, Metropolis, la vraie bobine du film et les intentions de son auteur sont ainsi dévoilées dans une grande mise en scène berlinoise.
 
Les Uns Invités sont en salle avec grand écran et grand orchestre, les autres debout devant la porte de Brandebourg, devront piétiner dans la neige et le froid. En raccourci, la première intention de Fritz Lang vient de s’incarner : ici l’homme de qualité abrité, assis, chauffé, l’esprit libre ; ailleurs l’homme spectateur mécanique, debout les pieds gelés, l’haleine vaporisée, le regard vitrifiée. Bon début. Mais tout cela n’était pas prémédité et suppose un esprit mal tourné pour y voir malice : ce n’était qu’un bon et vieux réflexe, voilà tout.
Thomas Sotinel, quant à lui,  journaliste au Monde (14/15 février) , se penche laborieusement sur le film, sa restauration et sa projection dans « la belle salle du FriedristadtPalast {où} les invités ont découvert le film accompagné par l’orchestre de la radio, dirigé par Frank Strobel. » Puis il se love au creux une explication technique, enluminée d’un historique sur l’amputation, par la Paramount en l’année 1927, pour « faire du film une fable d’anticipation peuplée de silhouettes schématiques. {…} La description de la mégalopole industrielle, peuplée en son sous-sol  de prolétaires désignés seulement par un matricule, et dirigée par des ploutocrates qui vivent dans des palais, n’est plus la seule raison d’être de Metropolis. » : rassurant, surtout que les « séquences retrouvées donnent à voir, entre autres, la rivalité amoureuse entre le premier des oligarques (…) et le savant… » puis il sera question de “puissance dramatique“, de “rythme d’origine“ en concordance avec la musique originale… le tout ramassé en final dans une sorte de chant agreste à la gloire de “l’œuvre à part entière“ qui ne serait plus « seulement la matrice de films de science-fiction (…) ou un élément du débat sur la lutte des classes en Europe. C’est une œuvre à part entière dont les faiblesses (interprétation de certains rôles, la naïveté roublarde du leitmotiv politique) font encore mieux ressortir la richesse », en somme le moins bon (jeu des acteurs), voire le plus mauvais (naïveté roublarde du leitmotiv politique), donnent des couleurs au meilleur de l’œuvre : les histoires d’amour croisées…

Qu’on ne puisse s’empêcher, aujourd’hui, d’être bousculés par le champ prémonitoire de ces mouvements de foules mécaniques, nuques blafardes, avançant vers l’abîme, par ces gestes de travailleurs machines crucifiés dans les souterrains du Léviathan, relèverait presque de l’anecdote si l’on suivait Thomas Sotinel dans ses conclusions. La logique morbide du capitalisme – ah ! le gros mot, l’attaque vicieuse, n’est-ce pas – fut, est et sera, de s’engouffrer dans l’extermination, par le travail, par l’idéologie, sous toutes les latitudes, dans l’utilisation d’une main d’œuvre enfin à la merci de la schlague, sans limite : exploiter jusqu’à l’os, sans autre limite que la mort ! Ce fut leur Morale ! Elle se tient toujours debout, dans les encoignures de leurs ivresses, au cœur du pouvoir. Et il se trouve un film qui, bon gré malgré, porte en lui, au plus haut degré de sa puissance évocatrice, l’horreur de cette malédiction.

Et de cela Fritz Lang aura rendu compte à posteriori, la force poétique le faisait marcher en avant de son temps et de lui-même, il flaira l’abîme. Et voilà qu’il faudrait presque en faire son deuil pour s’en tenir à une symphonie sentimentale tourmentée surdimensionnée. Pour qu’ils en arrivent là, quelle frousse leur a foutue le Fritz!*

Lellouche Pierre, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, nous aura fait une petite peur, lui : « Moi, je voudrais ne plus voir d’enfants exploités dans les rues de Paris » à propos des enfants roumains et Roms que des mafias exploitent en les livrant à la mendicité et au vol dans les rues des capitales européennes. Qu’arrivait-il ? Où irions-nous si des secrétaires d’Etat et autres ministres, européens ou pas, se mettaient tout à coup à avoir du cœur au ventre et de la morale en tête : le capitalisme se réformerait-il ?  se moraliserait-il ? Nous serions-nous trompés nous tous les anars, les communistes, les refuzniks, les bougons, les grognons, les pas bons ? Non, non, non, bien sûr que non : il a dit, Lellouche : « Moi, je ne voudrais plus voir d’enfants exploités dans les rues de Paris. Ce n’est pas bon pour l’image… »  là, on s’y retrouve. L’image de l’Europe, de la Roumanie, du monde entier si vous le voulez bien, sauvons les images ! D’Epinal de préférence, la France continue d’exporter en ce domaine avec succès, le Premier Histrion de France ne se déplace jamais sans son chapeau, son lapin et sa baguette magique de Président. Sauvons l’image, oublions le reste.

Enfin vient la Grèce, la mauvaise, celle qui a emprunté, dépensé, sans compter. La Grèce, en général, la Grèce des Grecs quoi ! Imaginez , tous ces Grecs qui s’en sont allés de par le monde se débrouiller pour que les banques les plus puissantes, Goldman Sachs entre autres, leur prêtent des Millions de millions d’Euros dans une arnaque confraternelle ! Vivaient à l’aise les grecs, hein !

Dans les Echos.fr : « Selon des informations du « Spiegel », reprises et précisées par le « New York Times » d'hier, la banque d'affaires américaine aurait, avec l'aide d'instruments développés par JPMorgan Chase et d'autres banques de Wall Street, aidé la Grèce à dissimuler l'ampleur de sa dette et de son déficit (Antigone Loudiadis) en sapant ainsi la crédibilité de ses comptes publics depuis plusieurs années. ». Quoi de plus naturel ? Le capitalisme est toujours ce qu’il était et même de plus en plus ce qu’il est. Mais les Grecs, ceux qu’on appelle “la population“, ne semblent pourtant pas avoir une grande reconnaissance pour leurs hommes d’Etat si débrouillards qui leur ont procuré des millions et des millions d’euros : ils n’auront pas eu leur part ? C’est là l’objet de leur colère ? Ils auront mis Athènes à feu et à sang pour une histoire de gros sous, simplement parce qu’ils se sentaient pauvres ? En sommes non payés de retour. Belle mentalité ! Mesquinerie si mal accordée à leur antique héritage.

Et les autres pays** du grand marché mondial auront bien raison de les sermonner et de leur faire payer, sans pitié, cette déraison d’Etat dont  tous les Grecs sont solidairement responsables. Seuls quelques édiles pourront ne pas en souffrir : voyez et lisez Aristophane, il savait déjà comment répondre à ceux qui s’en offusqueraient !

Mais que va faire, ou plutôt que va dire Obama, puisqu’en ce domaine rien n’est à faire qui ne soit déjà fait, à l’avantage des banques et banquiers tout-puissants.

 
Robert

*Il faut croire que l’affaire leur tient à cœur puisque le quotidien (21/22 février) lui offre sa page 2 quand lui réitère l’argumentaire précédent à quelques nuances près. La mise au point sur la nature de ce que l’on appelle un “film culte“, très embrouillée par ailleurs, ne change rien au désir, très apparent, de minimiser et détourner la prémonition de Fritz Lang de ce que va devenir l’Allemagne dans un futur proche ; l’auteur lui-même en était-il conscient ? La question n’a plus de sens après sa mort et en l’absence de tout commentaire écrit (connu) de sa part... Tout ce que l’on sait est qu’il préférait “M le maudit“ à tous ses autres films…

** sous le titre « La Grèce n’est pas la seule à “maquiller“ sa dette » (Le Monde.fr 21/02) on peut lire : « Quand on est "limite'', on a forcément la tentation d'utiliser ces astuces-là pour essayer de réduire sa dette, commente René Defossez <http://www.lemonde.fr/sujet/bdcd/rene-defossez.html> , stratège sur le marché des taux chez Natixis. Ce n'est pas très orthodoxe, mais ce n'est pas forcément contestable. »

  
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Actualité de La grève de masse de Rosa Luxembourg

24 Décembre 2009 , Rédigé par grossel Publié dans #agora

Je mets en ligne cet article et cette vidéo de Solidarité et Progrès. Ce sont des analyses très claires.
Lire aussi cet article sur la faille de Marx:
composition technologique du capital contre composition organique.
Et mon analyse critique de cet article.
grossel


 

La Grève de masse de Rosa Luxemburg
et son actualité aujourd’hui
30 septembre 2009

 
 
De mémoire récente, la seule expérience des populations occidentales avec le ferment de grève de masse est la série de révolutions qui ont mené à la chute du mur en 1989. Des centaines de millions de gens sont descendus dans la rue et ont renversé en l’espace de quelques mois seulement les régimes socialistes d’Europe centrale. Ces événements avaient été anticipés un an plus tôt par l’économiste politique américain Lyndon LaRouche, lors d’une conférence de presse à l’Hôtel Kempinski de Berlin le 12 octobre 1988. Les raisons qu’il avait évoquées étaient de nature économique, l’Union soviétique ayant rejeté l’offre de l’administration Reagan pour une mise en œuvre conjointe de l’Initiative de défense stratégique, et s’étant lancée à corps perdu dans un processus d’accumulation primitive à l’encontre des peuples qui lui étaient assujettis.

LaRouche avait également affirmé, après la chute du mur, que l’« autre chaussure allait tôt ou tard tomber en Occident ». Après avoir pillé les pays du Tiers Monde, la Cité de Londres et ses satellites se sont maintenant rabattus, comme l’avait fait l’Union soviétique au cours des années 80, sur des méthodes d’accumulation primitive contre les peuples occidentaux plus ou moins épargnés jusqu’à présent.

Qui était Rosa Luxemburg ?

De la même manière, l’autorité de Rosa Luxemburg sur la question de la grève de masse est liée à son rôle en tant que dirigeante politique et à sa compétence en tant que l’un des rares grands économistes politiques des 150 dernières années. Elle avait compris que l’émergence de grèves de masse était, sous certaines conditions économiques et historiques, inévitable.

Née en 1871, troisième muse polonaise avec la claveciniste Wanda Landowska et la physicienne Marie Curie, Rosa Luxemburg était un économiste brillant, l’une des rares à critiquer Marx non pas d’un point de vue idéologique mais de celui de la recherche de la vérité. Elle était également une personnalité politique majeure à une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de vote.

Luxemburg fonda la Ligue Spartacus en 1914, en s’opposant résolument au soutien des sociaux-démocrates à la Première guerre mondiale, puis le Parti communiste allemand en décembre 1918, lorsqu’il devint évident que la social-démocratie allait trahir de nouveau la classe ouvrière. Lors de la vague de grève de masse qui éclata en Allemagne au lendemain de la Guerre, elle fonda avec Karl Liebknecht le Drapeau rouge (Rote Fahne), afin d’orienter le mouvement. Elle et Liebknecht furent assassinés par des miliciens d’extrême-droite le 19 janvier 1919, avec la complicité de certains sociaux-démocrates exerçant alors le pouvoir.

Rosa Luxemburg fut l’auteur de plusieurs études économiques d’envergure et de centaines d’articles touchant à la politique et à l’économie. Son essai de 1906, Grève de masse, parti et syndicat est une œuvre prémonitoire, résultant de son étude des conséquences économiques et politiques de l’impérialisme de la fin du XIXe siècle.

Dans une récente discussion concernant la mobilisation d’août aux Etats-Unis contre le projet de réforme de la santé du Président Obama, l’économiste américain Lyndon LaRouche faisait part de son estimation selon laquelle on assistait aux premières manifestations d’une grève de masse, au sens strict où l’entendait Rosa Luxemburg dans son essai.

Il ne s’agit pas ici de sémantique, ni d’un échange de rhétorique entre professeurs de Sciences politiques, mais d’une question urgente : la survie même des nations europénnes et des Etats-Unis dépend d’une mobilisation sans précédent de ses populations – en fait, d’une grève de masse. Mais quelles sont les conditions nécessaires à son émergence ?

Bien que les conditions économiques, sociales et culturelles ne soient pas identiques aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe à celles qui prévalaient en 1906 en Russie, en Pologne et en Allemagne lorsque Rosa Luxemburg écrivit son essai, les similarités sont plus importantes que les différences. Une grève de masse se déclenche pour des raisons qui sont historiquement spécifiques, certes, mais toujours parce qu’un peuple prend soudainement conscience que son existence même, que tout ce qui compte pour lui est menacé.

Ce n’est pas par hasard si LaRouche, pour qui l’économie doit toujours être vue comme un processus physique, a compris, comme Rosa Luxemburg en son temps, que la grève de masse une fois déclenchée est une force physique qui peut devenir irrésistible.

Pour toutes ces raisons, Luxemburg voyait la grève de masse comme un phénomène scientifique, et décriait les apprentis sorciers parmi les dirigeants de la gauche de son époque, qui prétendaient pouvoir déclencher voire interdire la grève de masse : « C’est sur le même terrain de la considération abstraite et sans souci de l’histoire que se placent aujourd’hui d’une part ceux qui voudraient déclencher prochainement en Allemagne la grève de masse à un jour déterminé du calendrier, sur un décret de la direction du Parti, et d’autre part ceux qui, comme les délégués du Congrès syndical de Hambourg, veulent liquider définitivement le problème de la grève de masse en en interdisant la ‘propagande’. L’une et l’autre tendances partent de l’idée commune et absolument anarchiste que la grève de masse n’est qu’une arme purement technique qui pourrait à volonté, selon qu’on le juge utile, être ‘décidée’ ou inversement ‘interdite’, tel un couteau que l’on peut tenir fermé pour toute éventualité dans la poche ou au contraire ouvert et prêt à servir quand on le décide. » [1]

Massenstreik (Grève de masse, parti et syndicat), édition allemande de 1919, publiée à Leipzig
En 1906, lorsque Luxemburg écrivit Grève de masse, parti et syndicat, nul n’ignorait les évènements révolutionnaires en Russie de 1905, mais c’est Luxemburg qui prit la peine d’en élucider les causes tant économiques que politiques : « Si le déclenchement des grèves dépendait de la ‘propagande’ incendiaire des ‘romantiques de la révolution’ ou des décisions secrètes ou publiques des Comités directeurs, nous n’aurions eu jusqu’ici aucune grève de masse importante en Russie. Il n’y a pas de pays où l’on ait aussi peu pensé à ‘propager’ ou même à ‘discuter’ la grève de masse que la Russie. (…) La révolution russe nous apprend donc une chose : c’est que la grève de masse n’est ni ‘fabriquée’ artificiellement, ni ‘décidée’ ou ‘propagée’, dans un éther immatériel et abstrait, mais qu’elle est un phénomène historique, résultant à un certain moment d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique ».

C’est ainsi qu’elle décrit minutieusement la multiplication de soulèvements depuis la première et apparemment « insignifiante » grève économique de 40 000 ouvriers de Saint-Pétersbourg en mai 1896 jusqu’à la « troisième grève générale de masse », à caractère politique, « qui s’étendit à l’Empire tout entier » en décembre 1905 : « La grève de masse tel que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu’il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d’application, sa force d’action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l’on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l’Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux, tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades – toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre, c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. »

Avec cet esprit rigoureux qui la caractérise, Luxemburg insiste qu’il n’y aura pas de Grand Soir, en tant que tel, mais que les dirigeants de la classe ouvrière se doivent d’être attentifs, sur de longs mois, souvent sur des années, à tout ces petits cours d’eau qui confluent dans l’immense fleuve de la grève de masse : « Il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. (…) Si l’on considère les innombrables et différentes grèves de masse qui ont eu lieu en Russie dans la période récente, une seule variante, et encore d’importance secondaire, correspond à la définition [convenue, ndla] de la grève de masse, acte unique et bref de caractère purement politique, déclenché et stoppé à volonté selon un plan préconçu, il s’agit là de la pure grève de démonstration. (…) Toutes les autres grèves de masse partielles ou grèves générales furent non pas des grèves de démonstration mais de lutte ; comme telles elles naquirent spontanément à l’occasion d’incidents particuliers locaux et fortuits, et non pas d’après un plan préconçu et délibéré et, avec la puissance de forces élémentaires, elle prirent les dimensions d’un mouvement de grande envergure. »

La grève de masse naissante aux Etats-Unis

Depuis plusieurs mois déjà, des centaines de milliers de gens se sont précipités aux Etats-Unis à ce qu’on appelle des « town hall meetings » convoqués par les parlementaires chargés de défendre la politique de santé du Président Obama. Ces meetings sont devenus de véritables manifestations d’opposition au pouvoir en place, non pas une opposition sur un sujet particulier, mais un rejet général de sa trahison. Les revendications, à la fois précises et générales, à la fois économiques et politiques, la grande diversité dans les opinions politique et les origines sociale des citoyens, leur colère vis-à-vis de tous les partis officiels, la multitude des événements [2], tout correspond à la description qu’a faite Rosa Luxemburg de la grève de masse.

Délibérémment passés sous silence par les médias officiels, que ce soit la presse écrite ou audio-visuelle, ces évènements revêtent une couleur très particulière en raison du contexte, explosif. Après quarante années de désindustrialisation, de sous-investissement dans l’infrastructure et de paupérisation des ouvriers et agriculteurs, les américains ont subi l’éclatement en août 2007 de la bulle financière. Ensuite, le renflouement à hauteur de 24 000 milliards de dollars des banques et compagnies d’assurance par les administrations Bush et Obama, les quatres millions d’emplois perdus depuis le début de l’année 2009 et l’épuisement rapide des indemnités versées, la saisie de deux millions de propriétés et la multiplication des tent cities (des communautés de personnes ayant perdu leur logement et vivant dans des tentes) aux abords des grandes villes américaines, le nombre croissants de salariés nécessitant des coupons alimentaires pour compenser les nombreux jours de travail perdus (40% des bénéficiaires de coupons alimentaires sont aujourd’hui salariés, contre 25 % il y a deux ans), tout cela est accompagné d’un discours sur la montée des déficits budgétaires et la nécessité de mesures d’austérité encore plus draconiennes pour équilibrer les budgets.

Selon l’actuel économiste en chef du FMI, un keynésien se réclamant du « socialisme », la « stimulation » de l’économie (sous-entendu le renflouement des banques et des mesures de soutien à la consommation) n’est possible qu’en coupant massivement dans les budgets sociaux publics, et surtout dans les dépenses de santé et les retraites. Et selon le directeur général du FMI, « Keynes a fait davantage que Rosa Luxemburg pour la classe ouvrière » ! [3]

On entend souvent dire que grâce à la crise les salaires vont enfin pouvoir baisser et que la reprise sera malgré tout pauvre en emplois. Des dirigeants croulant sous les privilèges affirment que l’on peut à nouveau, comme l’avait prescrit Keynes en son temps, relancer la consommation tout en abaissant les niveaux de vie, grâce à une inflation délibérément organisée masquant la baisse des salaires réels et une bonne dose de propagande.

On voit bien ici que les contradictions sont nombreuses et que nous avons atteint les limites du système : les conditions pour l’éclosion d’une grève de masse sont aujourd’hui réunies tant aux Etats-Unis qu’en Europe.

Nos contradicteurs de tous partis politiques confondus, ceux qui insistent qu’il n’y aura jamais de grève de masse en Occident, considèrent soit que la misère n’est pas « encore » assez terrible pour que la population se soulève, soit que l’action combinée des stupéfiants et de l’industrie du divertissement l’a tellement abrutie que son énergie vitale s’est définitivement éteinte.

C’est ignorer ces périodes exceptionnelles où le citoyen se trouve soudainement en état de recevoir ce que le poète anglais Shelley appelle « des conceptions profondes et passionées concernant l’homme et la nature » ou ignorer ce que disait Rosa Luxemburg en comparant la situation de l’Allemagne à celle de la Russie : « Six mois de révolution feront davantage pour l’éducation de ces masses actuellement inorganisées que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts. Et lorsque la situation en Allemagne aura atteint le degré de maturité nécessaire à une telle période, les catégories aujourd’hui les plus arriérées et inorganisées constitueront tout naturellement dans la lutte l’élément le plus radical, le plus fougueux, et non le plus passif. »

Au moment où Rosa Luxemburg écrivait ces lignes, l’Allemagne entrait dans une période de transition, qui faisait suite à quinze années de relative prospérité au cours desquelles s’étaient développées de puissantes organisations syndicales. Cette éphémère prospérité avait amené les syndicats à négliger leurs responsabilités politiques, et ainsi non seulement à proclamer leur neutralité vis-à-vis du Parti social-démocrate, mais surtout à ne prendre aucunement en compte les conséquences, pour la classe ouvrière, des agissements de l’impérialisme britannique, et plus généralement, européen.

« Les fonctionnaires syndicaux, explique Luxemburg, du fait de la spécialisation de leur activité professionnelle et de la mesquinerie de leur horizon, résultat du morcellement des luttes économiques en périodes de calmes, sont devenus victimes du bureaucratisme et d’une certaine étroitesse de vues. » Elle ajoute : « Les dirigeants syndicaux en sont venus peu à peu à perdre le sens des grands rapports d’ensemble et de la situation générale. Ainsi s’explique, par exemple, que beaucoup de dirigeants syndicaux aient mis l’accent avec tant de complaisance sur les succès des quinze dernières années, sur les millions de marks d’augmentations de salaires, au lieu d’insister au contraire sur les revers de la médaille : l’abaissement simultané et considérable du niveau de vie des ouvriers, dû au prix du pain, à toute la politique fiscale et douanière, à la spéculation sur les terrains, qui fait monter les prix de manière exorbitante, bref sur toutes les tendances objectives de la politique bourgeoise qui ont partiellement annulé les conquêtes de quinze ans de luttes syndicales. »

Le niveau de vie des ouvriers allait se dégrader beaucoup plus rapidement au cours de la décennie à suivre mais la grève de masse qu’avait anticipée Rosa Luxemburg en Allemagne n’a pas eu lieu. Se serait-elle trompée ?

Non ! Ce sont les dirigeants socialistes qui, en votant le 4 août 1914 les crédits de guerre au parlement allemand et abandonnant toute opposition à la Première Guerre mondiale, ont trahi Luxemburg et les travailleurs qu’ils prétendaient représenter.

Il a fallu attendre la fin catastrophique de cette guerre, et le 9 novembre 1918, pour qu’éclate la révolution qui mit fin au règne de l’Empereur Guillaume II et jeta les bases de la République de Weimar, révolution « survenue après quatre ans de guerre, après quatre années au cours desquelles, grâce à l’éducation [4] que lui ont fait subir la social-démocratie et les syndicats libres, le prolétariat allemand a révélé une dose d’infamie et de reniement de ses tâches socialistes qui n’a son égal dans aucun autre pays ».

Donner une orientation politique générale à la grève de masse

Nous avons vu que Luxemburg parle « du degré de maturité nécessaire à une telle période ». Que veut dire « maturité » dans la situation actuelle, en 2009 ? Il s’agit non pas d’un concept « absolu » mais relatif, c’est-à-dire qui dépend de circonstances historiques spécifiques à chaque époque et aussi d’une subjectivité spécifique chez les individus susceptibles de participer à une grève de masse.

Toute la difficulté pour les dirigeants et militants politiques que nous sommes, est d’appréhender ces circonstances de « maturité » spécifiques lorsqu’elles surviennent et d’être prêts à agir avec non moins de sagesse que d’énergie le moment venu.

Cela, Luxemburg l’avait parfaitement compris, et elle l’a prouvé par ses propres actions : « Il est hors du pouvoir de la social démocratie de déterminer à l’avance l’occasion et le moment où se déclencheront les grèves de masse en Allemagne, parce qu’il est hors de son pouvoir de faire naître des situations historiques au moyen de simples résolutions de congrès. Mais ce qui est en son pouvoir et ce qui est de son devoir, c’est de préciser l’orientation politique de ces luttes lorsqu’elles se produisent et de la traduire par une tactique résolue et conséquente. »

Mais « les luttes politiques une fois ouvertes, l’objectif historique sera tout autre qu’aujourd’hui en Russie [où l’on cherchait d’abord à renverser le régime absolutiste des Tsars]. C’est justement parce qu’en Allemagne le régime bourgeois constitutionnel existe depuis longtemps, qu’il a eu le temps de s’épuiser et d’arriver à son déclin, c’est parce que la démocratie bourgeoise et le libéralisme sont parvenus à leur terme qu’il ne peut plus être question de révolution bourgeoise en Allemagne. Aussi une période de luttes politiques ouvertes n’aurait nécessairement en Allemagne pour seul objectif historique que la dictature du prolétariat. »

S’il est permis de ne pas partager les vues de Luxemburg sur la dictature du prolétariat, il est tout aussi permis de spéculer sur ce qu’aurait été le cours du socialisme, et le cours de l’histoire européenne tout court, si le grand stratège et grand économiste qu’elle était n’avait pas été assassiné en 1919. Sans doute aurait-elle été amenée à changer de vues sur la « dictature du prolétariat », sans doute aussi aurait-elle pu empêcher la prise du pouvoir par le parti National-socialiste. Et l’histoire même de la Russie socialiste aurait peut être pris un tout autre tournant que le stalinisme.

Or, de nos jours, le successeur de Luxemburg est Lyndon LaRouche ; la direction qu’il a imprimé à la lutte pour la justice sociale à travers les mouvements qu’il a inspirés aux Etats-Unis et en Europe permet d’espérer que les soulèvements de masse qui certainement auront lieu, n’iront pas se perdre dans le néant du désespoir et des provocations.

Aux Etats-Unis, ces « town hall meetings » sont les prémisses d’un processus de grève de masse qui s’étendra à tout l’Occident. Ces masses qui s’éveillent sont et seront bien obligées de s’éduquer dans le vif de l’action. D’où l’urgence de faire connaître partout le programme économique de LaRouche, objectif historique qui forcera les masses à transcender les petits égoïsmes et querelles étroites.

Dans les circonstances de 2009, après près de quarante ans de désindustrialisation dans les pays occidentaux, la réalité historique à laquelle se réfère Luxemburg lorsqu’elle parle de « dictature du prolétariat » n’existe plus, la classe ouvrière ayant été détruite. Cette fois, la grève de masse englobera la société tout entière et sans exception, à part un tout petit groupe de spéculateurs qui ont su profiter de la crise mondiale. Cette fois, la grève de masse visera – consciemment ou pas – à reconstruire une classe « ouvrière », c’est-à-dire une classe de gens qui ont du travail qualifié, des outils de production, une classe qui produit - que ce soit dans l’industrie, l’agriculture, les travaux publics, le génie civil, la santé, l’éducation … pourvu que ce travail ait une utilité sociale objective et réelle !

Pour conclure, et de façon nécessairement trop sommaire, nous en venons à des aspects de l’analyse de Luxemburg qui divergent sur des points fondamentaux soit avec Karl Marx, soit, encore, avec Lyndon LaRouche. C’est important pour comprendre la recherche de la vérité si caractéristique de Rosa Luxemburg, et dont découlait l’autorité – légitime – qu’elle exerçait tant sur les intellectuels de son époque que sur les masses.

Pour Luxemburg, la grève de masse explose en raison d’un processus inéluctable, économique et social, que décrit la « loi générale de la diminution tendancielle du taux de rendement » de Marx. Elle l’explique ainsi dans L’accumulation du capital : « La partie du capital constant [que nous appellerons ici les machines pour simplifier, ndla] qu’oublie régulièrement l’économie classique croît constamment par rapport à la partie variable, dépensée en salaires. Ce n’est là que l’expression capitaliste des effets généraux de la productivité croissante du travail. (…) La reproduction élargie doit par conséquent non seulement commencer avec la division de la partie capitalisée [nous dirions aujourd’hui réinvestie, ndla] de la plus-value en capital constant et en capital variable, mais encore cette division doit, au fur et à mesure du progrès technique de la production, comporter une part relativement de plus en plus grande pour la partie constante du capital, et une part relativement de plus en plus petite pour la partie variable. »

Or, et c’est là où LaRouche corrige Marx sur cet aspect absolument fondamental, ce taux de rendement ne va baisser mécaniquement que lorsque la société comme un tout, ainsi que l’entrepreneur individuel, décident de laisser stagner, voire carrément interdire, les investissements dans la recherche fondamentale et la technologie. Le mouvement dit « écologiste », instrument des cartels financiers, a créé les conditions pour l’application de cette politique malthusienne dans le monde occidental, depuis quarante ans.

Contrairement à ce que Marx aurait pensé, ce n’est pas la multiplication des machines (ce qu’il appelait le capital constant) qui a tari le taux de rendement des dernières décennies, mais plutôt la rente financière associée à une expansion cancéreuse de « capitaux fictifs », formés grâce à l’extrême complaisance des organismes d’émission monétaire et bancaires. Dans nos entreprises actuelles, la pression de la finance mondiale s’exerce aujourd’hui tant au détriment du capital constant (sous investissement dans l’équipement et la recherche), que du capital variable (baisse des salaires réels, augmentation des cadences, détérioration des conditions de travail), permettant même aux actionnaires de bénéficier de taux de rendements supérieurs à la normale : c’est pourquoi nous pouvons ici parler d’« accumulation primitive du capital », dans le sens où les profits sont accumulés sous forme de richesse brute sans déduction adéquate des coûts liés à la production, c’est-à-dire au détriment de l’avenir.

Dans L’accumulation du capital, Rosa Luxemburg explore certaines contradictions dans l’analyse de Marx, notamment l’apparente impossibilité pour le capitaliste de vendre sa production de manière à payer les nouveaux investissements nécessaires à l’expansion de la production. Elle fait remarquer que malgré cette impossibilité toute théorique, selon le schéma de Marx, de l’accumulation de capital, ce phénomène eut bel et bien lieu tout au long de l’histoire du capitalisme, l’attribuant malheureusement à tort à des méthodes d’accumulation primitive.

Elle fut également amenée à considérer la possibilité que la loi générale de Marx ne corresponde pas à la réalité des faits. Au chapitre 25 de L’accumulation du captial « Les contradictions du schéma de la reproduction élargie », elle écrit :

« La productivité croissante du travail fait que le volume de moyens de production s’accroît plus rapidement que leur valeur, en d’autres termes le prix des moyens de production diminue. Comme il s’agit, dans les progrès de la technique, non pas de la valeur [monétaire] mais de la valeur d’usage, c’est-à-dire des éléments matériels du capital, on peut supposer que malgré le déficit en valeur, il y a jusqu’à un certain point une quantité suffisante de moyens de production pour poursuivre l’accumulation. C’est le même phénomène qui par exemple freine la baisse du taux de profit pour n’en faire qu’une baisse tendancielle. Dans notre exemple pourtant, la baisse du taux de profit ne serait pas freinée mais totalement stoppée. » (Passage souligné par nous.)

Si Luxemburg a effectivement reconnu que seul le progrès technologique permet aux travailleurs de se former et de se qualifier, elle pensait néanmoins que l’augmentation inévitable et incessante du coût des machines finirait par peser sur les salaires et les conditions de travail et qu’il suffirait, pour rétablir la justice sociale, de socialiser les moyens de production. L’histoire économique des Etats-Unis jusqu’à la fin des années soixante, les succès du Commissariat au plan du Général de Gaulle, aboutissant aux « trente glorieuses », de même que l’évolution subséquente des pays socialistes, prouvent le contraire.

Le même type d’erreur affleure dans ses études, pourtant extrêmement poussées, du phénomène des économies impérialistes et du colonialisme. Pour elle, c’est « la baisse du taux de rendement » et la nécessité de monétiser les excédents de production en ayant recours à un système de prêts internationaux, qui poussaient les « capitalistes » à exploiter de la sorte les nations sous-développées. Contrairement à LaRouche, Luxemburg n’avait pas su identifier l’origine du problème : il s’agissait des pressions exercées par un cartel financier directement associé, depuis la fin du XVIIème siècle, à la Banque d’Angleterre et qui a su tantôt s’arroger, tantôt tenir d’une main de fer, le contrôle sur l’émission monétaire. [5] Aujourd’hui, ces méthodes impérialistes jadis infligées au « Tiers Monde » sont imposées de manière tout aussi impitoyable aux populations occidentales.

Le mérite de Luxemburg reste toutefois d’avoir précisément cherché le fil conducteur, le facteur universel et nécessaire d’un point de vue scientifique, qui tisse ensemble ces formes en apparence si diverses d’injustice sociale.

En 2009, la pérennité de l’espèce humaine est menacée à très court terme par la destruction des moyens mêmes d’existence qu’a provoquée ce système usurier. Obscure ou pas, la conscience de la réalité de cette menace déclenchera la grève de masse, et de cela, nous pouvons en être sûrs. Pour nous qui sommes dirigeants et militants politiques, la principale orientation stratégique à donner à cette gigantesque vague qui se soulève est d’en finir avec ce « privilège des privilèges » de l’émission monétaire dont jouissent actuellement des intérêts privés.

L’émission monétaire doit redevenir un service véritablement public, entre les mains des seuls gouvernements souverains. Ainsi que l’explique LaRouche, il s’agit maintenant de passer d’un système monétaire privé à un système de crédit public, qui sera dirigé par les Etats en priorité vers les grands investissements dans la production sans lesquels l’humanité n’a pas d’avenir. Le véritable fondement de ce système est l’essor des capacités créatrices de chaque être humain dont l’économie a pour objet d’organiser le financement, à l’opposé de l’accaparement monétariste du système actuel.

Benoit Chalifoux


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Rosa, la vie

 
Lettres de Rosa Luxemburg, choisies par Anouk Grinberg
traduites par Laure Bernardi et Anouk Gringberg
249 pages
France culture, Les Editions de l’Atelier

Ce « petit recueil », composé presque entièrement de lettres écrites de prison, où Rosa s’est trouvée enfermée pendant trois ans pour s’être opposée à la Première Guerre mondiale, est un témoignage de premier plan de ce que c’est qu’être touché par la grâce, être mu par un amour indéfectible pour l’humanité. Car c’est bien cela que doit refléter tout engagement politique, au-delà de tous les clivages idéologiques.

Ce recueil est également le livre de chevet idéal du militant, car Rosa nous y donne une incroyable leçon de courage et de persévérance, indispensable pour toute personne engagée à contre-courant dans un combat à long terme et se trouvant confrontée à l’adversité la plus extrême. Car Rosa est une amie franche et sincère, se livrant entièrement à nous comme le ferait un grand artiste, partageant avec nous ses états d’âme tout en demeurant, avec la plus grande sensibilité, à l’écoute des nôtres. Elle n’hésite pas non plus à partager avec ses amis le secret de sa grande persévérance.

Dans une lettre à Mathilde Wurm, une copine de jeunesse qui s’est ensuite détachée d’elle pour rejoindre le clan du compromis alors à la tête de la social-démocratie, Rosa y va de sa franchise légendaire : « Je tiens à répondre sur le champ à ta lettre de Noël, avant que ne retombe la colère qu’elle a fait naître en moi. Oui, ta lettre m’a mise en rage, parce que si courte soit-elle, chaque ligne montre à quel point tu es retombée sous l’emprise de ton milieu. Ce ton geignard, et ces jérémiades à propos des "déceptions" que vous auriez subies, imputables aux autres soi-disant, alors qu’il vous suffirait de vous regarder dans une glace pour y voir la réplique la plus parfaite de ce que l’humanité a de plus pitoyable ! (…) Fais donc en sorte de rester un être humain. C’est ça l’essentiel : être humain. Et ça, ça veut dire être solide, clair et calme, oui, calme, envers et contre tout, car gémir est l’affaire des faibles. Etre humain, c’est s’il le faut, mettre gaiement sa vie tout entière "sur la grande balance du destin", tout en se réjouissant de chaque belle journée et de chaque beau nuage. »

Dans une autre lettre à Mathilde, elle nous livre le fond de sa pensée : « Toute ton argumentation contre ma devise : je suis là, je ne puis agir autrement ! revient à dire : tout cela est bien beau, mais les hommes sont trop lâches et trop faibles pour un tel héroïsme, ergo, adaptons notre tactique à leur faiblesse et au principe : chi va piano, va sano. Mon petit agneau, quelle vision étriquée de l’histoire ! Il n’y a rien de plus changeant que la psychologie des hommes. D’autant que la psyché des masses renferme toujours en elle, comme Thalassa la mer éternelle, toutes les possibilités latentes : un calme de mort et la tempête furieuse, la lâcheté la plus vile et l’héroïsme le plus fou. La masse est toujours ce qu’elle doit être, selon les circonstances historiques, et elle est toujours sur le point de devenir tout à fait autre que ce qu’elle paraît être. (…) Ma petite fille, "être déçu par les masses", pour un dirigeant politique, c’est comme un zéro pointé. Un dirigeant de grande envergure ne règle pas sa tactique sur l’humeur momentanée des masses, mais sur les lois d’airain de l’évolution ; il s’en tient à sa tactique, en dépit de toutes les déceptions, et pour le reste, il laisse l’histoire tranquillement mener son œuvre à maturité. »

Rosa pouvait aimer l’humanité, car elle avait une grande connaissance de l’histoire de la pensée humaine. Ses lettres nous montrent à quel point elle aimait les arts, en particulier la littérature et le théâtre. Elle connaissait presque par cœur toutes les pièces de Shakespeare, de Goethe et de Schiller, et ses amis lui faisaient parvenir les romans publiés par les principaux auteurs de son époque. Sa grande connaissance de la botanique lui permettait de suivre avec la plus grande attention le déroulement des saisons, et elle pouvait décrypter avec beaucoup de sensibilité le chant des oiseaux, nouant une amitié des plus intimes avec ceux qui venaient la visiter régulièrement à la fenêtre de sa cellule.

Ainsi, à travers ses lettres, Rosa nous donne une magistrale leçon dans l’art de vivre, c’est-à-dire dans l’art d’agir et d’être.

Le recueil d’Anouk Grinberg permet au citoyen d’aujourd’hui de se libérer de l’emprise du carriérisme et du repli sur soi, et de se réconcilier avec le véritable engagement politique, celui qui vise à changer le monde « envers et contre tout », sans jamais perdre de vue l’intérêt de tous. Le livre contient également un CD, sur lequel a été enregistré le spectacle créé par Anouk Grinberg à partir de quelques-unes des lettres de Rosa.

B.C.

Notes

1. Les citations sur la grève de masse utilisées dans cet article proviennent de la traduction en français disponible ici : http://marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve.htm.

2. Entre 200 et 3000 citoyens se rendent à chacun des nombreux « town hall meetings » convoqués par leur député pour discuter du projet de réforme de la santé du Président Obama. Des dizaines de milliers, ou même des centaines de milliers d’américains ont par ailleurs participé, la plupart d’entre eux pour la première fois de leur vie, à diverses manifestations au cours de la même période.

3. Les deux prétendus socialistes en question sont Olivier Blanchard et Dominique Strauss Khan, respectivement économiste en chef et directeur général du Fonds monétaire international. La citation de Strauss-Kahn est tirée d’un discours à l’Assemblée nationale, en 1999.

4. Rosa Luxemburg utilise ici le terme « éducation » avec sarcasme, afin de marquer son désaccord avec les faux semblants des dirigeants de la social-démocratie. Citation tirée de son discours au Congrès de fondation du Parti communiste allemand (Ligue Spartacus) le 31 décembre 1918.

5. Ici aussi, Luxemburg était partagée entre son adhésion à la loi générale de Marx et son intuition concernant l’existence d’un courant impérialiste permanent, transcendant les divers systèmes d’organisation économique. Dans L’accumulation du capital, elle consacre le chapître 30 au caractère usurier des prêts internationaux accordés par les impérialistes anglais à des pays comme l’Egypte à la fin du XIX e siècle.

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