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La dette publique: une affaire rentable

23 Mars 2009 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

La dette publique: une affaire rentable

Je réactualise cet article du 22 juin 2008. grossel

Etienne Chouard s'exprime à nouveau après le non irlandais (Marianne)

Par Étienne Chouard, le 18 juin 2008, qui pense que les représentants élus pour gouverner n'ont pas de légitimité à priver la puissance publique de la souveraineté, ni politique, ni monétaire, et que ceux qui le font sont des félons.
 
Le Non crié le 12 juin 2008 par les Irlandais contre le pouvoir illégitime européen - pouvoir qui s'impose aux citoyens d'Europe par la ruse et le mensonge (et bientôt la force ?) depuis cinquante ans - est une énième péripétie de l'idée démocratique, toujours voulue par les peuples et toujours refusée par les chefs. Ce troisième rejet populaire de l'union européenne des industriels et des banquiers m'inspire deux réflexions importantes et pourtant absentes du débat public, l'une juridique, l'autre économique : les peuples se voient confisquer leur souveraineté politique et leur souveraineté monétaire, et les deux sont étroitement interdépendantes.
 

 

• Sur le plan juridique

 

Les peuples méconnaissent une clef indispensable pour reprendre le contrôle de leurs représentants, une vieille clef cachée, une clef logique pour enfin instituer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes au lieu de subir éternellement le droit des élus à disposer des peuples.
Cette clef de la démocratie, aussi méconnue que décisive, peut se résumer ainsi : ce n'est pas aux hommes au pouvoir d'écrire les règles du pouvoir. Ce n'est pas aux ministres, ce n'est pas aux parlementaires, ce n'est pas aux juges, d'écrire ou de réviser la Constitution, car ces hommes-là sont, en cette occurrence précise, à la fois juges et parties : ils ont un intérêt personnel dans les règles qu'ils instituent - puisque tout pouvoir concédé au peuple est un pouvoir qui leur serait retiré à eux - et ils trichent en établissant à la fois des contrôles simulés et des pouvoirs citoyens factices.
Toutes les constitutions du monde prouvent, de fait, que cette analyse est plausible.
Notamment et très prioritairement, malgré quelques promesses lénifiantes, nos élus ne nous donneront JAMAIS l'indispensable institution du référendum d'initiative populaire, le vrai.
La qualité des institutions se joue donc au moment de fixer et de contrôler la composition de l'Assemblée constituante, celle qui va écrire la Constitution et la proposer au référendum : cette chambre fondatrice qui va fixer des limites aux pouvoirs ne doit comporter aucun homme de pouvoir et elle doit pouvoir exclure en son sein tout individu suspect de partialité.
L'élection de candidats imposés par les partis (hommes de pouvoir) est ainsi la plus mauvaise idée pour désigner l'Assemblée constituante, ce serait même (comme cela a toujours été) un véritable piège anti-démocratique.
 

Il faudrait que les électeurs puissent désigner librement des citoyens non candidats (qui pourront refuser) ; ou bien les tirer au sort ; ou bien une combinaison de ces modalités (tirer au sort une centaine de constituants parmi des citoyens élus librement).

 

Ce qui compte par-dessus tout, c'est que ce ne soit pas les mêmes hommes : ceux qui écrivent les règles du pouvoir doivent définitivement renoncer à l'exercer, tout comme Dacron, étranger appelé précisément pour cette tâche il y a 2 500 ans, a conçu les premières institutions d'Athènes et s'en est allé après avoir institué un (début de) véritable régime démocratique (sans doute le seul au monde à ce jour).
Inutile de préciser qu'en Europe on en est loin, on subit même l'exact contraire, la situation ne peut pas être pire : nous laissons nos maîtres écrire eux-mêmes les limites de leurs pouvoirs et nos capacités à résister à leurs abus… Plus naïf, tu meurs. Pourtant, après 200 ans d'expérience, nous sommes bien placés pour constater que l'élection ne tient pas ses promesses de justice politique : le mirage du suffrage universel a la peau dure.

 

 

 

• Sur le plan économique

 

Les médias présentent souvent les progrès fulgurants de l'Espagne et de l'Irlande comme à mettre au crédit des institutions européennes, comme si des progrès économiques justifiaient une régression démocratique et en oubliant que l'Espagne et l'Irlande ont bénéficié depuis des années de dizaines de milliards d'euros gratuits - sans obligation de remboursement, sans dette ! -, au titre des subventions européennes.
Ces subventions doivent être vues, pour ces pays, comme une création monétaire (prêtez attention) libre d'endettement : une monnaie sans charge d'intérêt, donc, et qui n'aura même jamais à être remboursée ; cela change tout par rapport au carcan monétaire actuel.
La prospérité «miraculeuse», forte et rapide, de ces pays financièrement assistés prouve aux peuples d'Europe qu'«il y a des alternatives» et notamment que la revendication nouvelle - celle qui monte parmi les citoyens en 2008 - est la bonne : ce n'est pas aux banques privées de créer la monnaie et d'en percevoir l'intérêt.
Nous manquons de monnaie libre (libre d'endettement) et les pays qui s'en procurent - les peuples qui se réapproprient d'une façon ou d'une autre la possibilité de créer la monnaie en suffisance (sans excès) - viennent à bout du chômage et de la pauvreté, et très rapidement !
Cette idée cardinale que les peuples doivent conquérir leur souveraineté monétaire - à travers la création exclusivement publique de la monnaie - est à la fois complémentaire et indissociable de la mienne : les peuples doivent conquérir leur souveraineté politique - à travers l'honnêteté du processus constituant : on n'aura pas l'une sans l'autre ; ces deux combats - pour la Monnaie et pour la Constitution - sont interdépendants et se renforcent mutuellement.
Autrement dit, on ne reprendra jamais le contrôle de la monnaie (condition sine qua non pour venir à bout du chômage, de la pauvreté et de la dette publique) sans écrire nous-mêmes la Constitution, car les élus ne sont élus que grâce à ceux qui ont financé - et qui continueront à financer s'ils sont dociles sur l'essentiel - leur campagne électorale, médias subordonnés à l'appui. Ces élus dépendent trop de ceux qui rendent possible leur élection (et qui vivent luxueusement aux dépens du peuple) pour donner un vrai pouvoir au peuple.
 

 


A qui profite le système ?

Un interview d’André-Jacques Holbecq par Yves Michel.

« Il faut réduire la dette! ». On crie à la faillite! Tel un père qui demande instamment à ses enfants d’aller ranger leur chambre, notre gouvernement nous dit : « Assez de cette gabegie ! Il est temps de devenir sérieux, remettez vos prétentions sociales au tiroir, l’heure est au travail et aux économies ».

Ce qu’on ne nous dit pas, c’est qu’il y a une quarantaine d’années, l’État français n’était pas endetté, à l’instar de la plupart des autres nations, d’ailleurs. En moins de quarante ans nous avons accumulé une dette colossale qui avoisine les 1200 milliards d’euros ! Pourquoi ? S’est-il produit quelque chose qui a fait que l’on ait soudain besoin de recourir à l’emprunt, alors qu’auparavant on se suffisait à nous-mêmes? Et si tel est le cas, qui en bénéficie vraiment ? Qui émet la monnaie ?

André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder nous disent les vraies raisons de la dette et dénoncent les mécanismes destructeurs scrupuleusement occultés. Vulgarisateurs de la « chose économique », leur but est de permettre aux citoyens de « savoir », afin qu’ils ne se laissent pas impressionner par les épouvantails que l’on agite sous leur nez. Afin de comprendre surtout que nous avons tout pour relever l’immense défi humain et écologique de notre temps et que la dette et l’argent ne sont que « vrais-faux »

 
Au peuple de s'affranchir

 

Sans rien attendre des élus sur ce plan, c'est donc au peuple de s'affranchir de ses propres élus, non pas pour s'en passer - (nous sommes bien trop nombreux pour vivre en démocratie directe, nous avons besoin de représentants, et tout pouvoir, même celui du peuple, doit être modéré par des contre-pouvoirs) -, mais pour les remettre sous un contrôle sourcilleux, avec des institutions honnêtes : séparation des pouvoirs, reddition des comptes, possibilité de sanctions des élus fautifs, révocabilité des élus à tout moment, initiative populaire autonome et puissante, rotation des charges (non cumul et non renouvellement des mandats), respect et publicité des opinions dissidentes, mise en scène des conflits, révisions constitutionnelles conçues par la seule Assemblée constituante et confirmées obligatoirement par référendum, etc.
Or, qu'est-ce qu'on fait pour résister en ce moment ? Rien, rien et rien. On attend passivement qu'un parti ou un syndicat nous convoque pour une grande manifestation tous les six mois, sur un mot d'ordre secondaire (par rapport à la monnaie et au contrôle des pouvoirs) et puis, plus rien pendant six mois…

Je propose que tous les simples citoyens mécontents d'être si mal représentés, quelle que soit leur tendance politique, sans attendre d'être convoqués par un quelconque appareil partisan, organisent eux-mêmes librement chaque semaine (le mercredi à 18 h par exemple) des micro résistances durables et innombrables sous la forme de petites manifestations devant toutes les mairies d'Europe : le mot d'ordre serait la vieille clef cachée de la démocratie vraie : «nous voulons des pouvoirs légitimes, c'est-à-dire fondés 1) par une Assemblée constituante honnête (désintéressée) et 2) par un référendum».
J'appelle ces micro résistances des MOCRIEs, Manifestations Obstinées Contre le Régime Illégitime Européen, et chacun peut créer un forum pour sa MOCRIE sur le site www.cecri.info.
Rien ne se fera de bon pour les peuples sans la mobilisation permanente des citoyens eux-mêmes : chaque citoyen athénien défendait personnellement la démocratie grecque, quotidiennement, les armes à la main s'il le fallait, contre les oligarques. De ce point de vue, l'Internet est une chance inouïe pour l'humanité. J'invite donc chaque citoyen mécontent de son impuissance politique à agir en créant sa petite mocrie en bas de chez lui.

Saurons-nous réagir avant de nous laisser détruire ? Je l'espère.

 

 
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Le manifeste sous-réaliste

14 Septembre 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #R.P.

Le manifeste sous-réaliste
L 205

LE MANIFESTE SOUS-RÉALISTE

 



Ce Manifeste n’est pas encore rédigé. Il se présente sous la forme d’un chaos de faits et gestes confondus. Les éléments de ce Manifeste s’agglomèrent et viennent d’un peu partout dans le monde. Dans ses journaux et leurs commanditaires. Sur ses écrans et les radios. Et, un comble, il s’exprime le plus souvent au nom d’un nouveau réalisme.

1929: préface à la réimpression du Manifeste surréaliste, par André Breton, cette remarque autant politique que poétique, nous le savons bien aujourd’hui: “Ne cesse d’être d’actualité la fameuse question posée par Arthur Cravan “d’un ton très fatigué et très vieux” à André Gide: “Monsieur Gide, où en sommes-nous avec le temps? - Six heures moins un quart” répondait ce dernier sans y entendre malice. Ah! il faut bien le dire, nous sommes mal, nous sommes très mal avec le temps.”

Puis le temps passa, mais pas pour tout le monde tant existent toujours ces intelligences raides qui ne pensent et ne s’épanouissent qu’à 6 heures moins un quart.

Il en va de tous les styles. Folâtre façon Pourquery, comme dans Libération du 2 septembre et son commentaire sur ce qui se dit donc se fait, “making-of”, en coulisse, côté cour de récrée et côté jardin des délices: ce jour-là “ça vole haut” paraît-il. La question centrale soulevée, vigoureusement débattue “avec le sourire quand même. Nous ne nous prenons pas au sérieux”, était la “réfutation du droit au travail”. D’ailleurs, qui pourrait prendre les idées de ce monsieur au sérieux? Surtout lorsqu’il apporte dix tons en-dessous de toutes les réalités et surréalités du moment, cette réponse glaçante: “Bon d’accord, mais qu’est-ce qu’on met dans le journal”. Car il allait de soi pour ce “paysan du Danube” gascon, comme il se nomme lui-même, qu’un journal ne va pas lancer, sous quelque forme que ce soit, une discussion sur “le droit à la paresse” une bouffonnerie que Paul Lafargue assuma mais qui n’est pas de notre temps.
De même qu’il ne saurait reprendre sérieusement la controverse à propos d’une manchette d’une naïve désinvolture - “Un coup à gauche” à propos du RSA - problème soulevé par Pierre Marcelle, un mauvais sujet qu’on cherche âprement à marginaliser - car comme chacun le sait, le RSA s’inspire d’une analyse de gauche de la société. Pour ne pas dire qu’il s’agit d’une entame révolutionnaire à la domination du Capital... SarkUbu plonge sa pince à Phynance dans le portefeuille des capitalistes: vous, moi, l’épargnant, le gogo qui a acheté des actions, le possesseur d’une assurance vie, les crédules du PEA.
Ah! c’est que vous pensiez à Pineau Valencienne (tiens, que devient-il ce loubard de la haute finance dont la fille elle-même fut condamnée pour quelques grivèleries financières? Bel aréopage où l’on distinguait, entre autres, un nommé Jean Chodron de Courcel, cousin de Bernadette Chirac), à Rotschild, à Lagardère, Dassault... non vous n’y pensiez pas, c’était pour rire! La réalité est ici, sous nos pas, les analystes économiques et politiques, eux, préfèrent manipuler leurs vaticinations de ronds de cuir mécaniques. C’est le Kapital qu’on attaque bougre!

Poisseux, façon Duhamel, Alain. Dans Libération, le 4 septembre - anniversaire de la proclamation d’une III° République asthmatique, ce sont les gens de son gabarit qui nous y font penser. Il observe la crise du socialisme européen, l’Alain, et il apporte sa pierre au Manifeste Sous-Réaliste: “Il y a encore quelques années, au sein de l’Europe des quinze, les gouvernements de gauche socialistes étaient en majorité. Lionel Jospin réformait vigoureusement la France (sic!), Tony Blair enthousiasmait la Grande-Bretagne, Gerhard Schröder modernisait courageusement l’Allemagne, Romano Prodi pilotait habilement l’Italie.”, ce qui fait dire au béotien que je suis: et tout ça pour rien alors, Alain du Modem!
Surtout qu’il n’en reste pas là, il apporte de l’eau au moulin sous-réaliste avec une dévotion touchante: “A aucun moment, les socialistes européens ne se sont montrés capables d’élaborer collectivement - et pourtant, ils sont des internationalistes de toujours - une réplique réellement marquante, audible, identifiable, compréhensible aux dysfonctionnements du capitalisme. C’était l’occasion rêvée, c’était leur vocation naturelle, c’était, quand même, leur sphère de compétence. Tout les poussait à incarner et à exprimer une alternative, une autre réponse aux échecs et aux cruautés des dérèglements à répétition. Leurs experts ont travaillé, leurs leaders ont sûrement réfléchi.” on devine qu’il fait semblant. Il fait semblant d’y croire, il ironise en sourdine, l’Alain; il fait sa coquette avec les idées qu’il diffuse sur le “socialisme” de son cru. Il n’a même pas peur de se contredire sur le fond: même pas mal! Jospin “réforme vigoureusement” la France avec “un programme qui n’est pas socialiste”, tout le monde s’en souvient et ils n’ont pas su faire fonctionner ce qui dysfonctionnait. Car, sous-entend Duhamel, professeur à Science po Paris, le capitalisme fonctionne, ce sont les dysfonctionnements qui le perturbent.
Et, au bouquet, cette fusée éclairante:” Résultat final : un impressionnant silence, comme si la crise du capitalisme financier portait en elle une (crise) intellectuelle du socialisme européen.” voilà qui est intéressant. Qui réclamerait qu’on s’y attarde. Que pourrait-on nommer “crise intellectuelle du socialisme”? La crise du capitalisme on comprend, on a vu, on connaît, mais l’intellectuelle du socialisme on est dans le vertige, l’aléatoire. Bon prince, Alain nous affranchit:  “Le New Deal, le plan Marshall, les accords de Bretton-Woods ne sont pas forcément des cadavres exquis, ils peuvent constituer des modèles lointains, des sources d’inspiration. Et ne serait-ce pas aux socialistes réformistes qui ont toujours maudit le communisme et ne se sont jamais résignés à la seule gestion sociale du capitalisme de sortir soudain de leur long sommeil idéologique ?”; le sommeil idéologique peuplé des cauchemars du communisme après de trop lourds gueuletonnes et d’asphyxiants havanes, voilà l’état de santé d’un grand corps malade. Ils se sont endormis sur le bout de gras jauressien par mégarde, ils se réveillent avec la gueule de bois, ils sont considérables, ils ont leur place au firmament politique et ils ne savent plus quoi dire. Aux pauvres, leur gagne-pain. Aux profs, leur fonds de commerce. Quels encouragements fourguer aux chômeurs? A quelle noblesse se vouer pour la défense des immigrés? A quel facteur se raccrocher qui ne soit pas de la Ligue? Quel socialisme vanter à la tête du FMI, au poste de premier Ministre? New-deal, Plan Marshall, Bretton-Woods il y a du grain à moudre sous les cadavres historiques les encourage Alain Duhamel, professeur à Science po Paris. Guy Moquet encore une fois assassiné, Guy Mollet ressuscité. Voilà du sous-réalisme militant.


Et j’en passe, j’y suis obligé... d’ailleurs vous trouverez... vous avez trouvé depuis longtemps...
Rédiger ce manifeste? Qui s’y colle? Peut-être le secrétaire général de la CGT. Bernard Thibault pourrait au moins tenir la plume avec bonheur.
Sur le mode de la compassion: “Nicolas Sarkozy devrait se méfier, la souffrance des salariés est réelle”; ça c’est de la complainte, de la vraie complainte, nuancée dans ses effets, trouble dans ses destinations, chacun y lira ce qui l’intéresse: notre SarKubu y verra un avertissement fraternel, presque paternel - fais gaffe Nico, ça sent le souffre-douleur -; travailleuses ou travailleurs syndiqués ayant lu trop rapidement y verront la poigne du chef - gaffe à toi Sarko, on n’a plus rien à perdre - c’est de la vraie réalité mais de la fausse manœuvre. Lisez ce qui s’ensuit: “La souffrance des salariés est réelle. Plus importante qu’il y a un an. S’y ajoutent les déçus de Nicolas Sarkozy, ceux qui ont cru en son élection (ben, ils n’ont pas eu tort, il est élu, non?) Dans cette situation, l’urgence est à l’action et à l’unité” ( Le Monde, 2 septembre 2008) pour ne pas se laisser déborder, dans “cette situation”, peut-être... je suppute, je suppute. Mais l’action - je suppute encore - quel est son contenu? Exactement: contre? Contre quoi? Ou bien pour ? Pour quoi faire, l’action? Surtout qu’il est urgent d’agir, alors plus urgent de dire pourquoi...  Avec qui l’unité? La CFDT? Avec FO? Solidaire? Ou les seuls syndicats dits “représentatifs”, dits “réformistes”? Il ne dit rien à ce sujet mais se replie sur une condamnation urbi et orbi de l’UIMM et de ses pratiques après avoir donné son avis sur le RSA, pas si bon qu’il y paraît, les chèques transports à la condition que le patron ne bénéficie pas d’allégements... Tout raisonnement concernant les capitalistes est désormais centré sur la petite et moyenns entreprise, poumon de la France industrieuse.

Et puis on attendait Le Boucher et on lut Delhommais. Je vous laisse déguster:
“Le déclin de l'empire américain attendra, par Pierre-Antoine Delhommais (LE MONDE 06.09.08)

“{...} Pour les libéraux, le décalage de croissance de part et d'autre de l'Atlantique démontre de façon définitive la supériorité du modèle libéral américain, le pays où le marché du travail est aussi souple que les prélèvements obligatoires sont bas et que le nombre de jours de vacances est faible. Que l'Europe se dote des mêmes fondations économiques - autrement dit fasse ses fameuses réformes structurelles - si elle veut résister comme les Etats-Unis aux chocs et afficher la même résilience.” juste un petit commentaire sur l’emploi du mot “fondations”: ce sur quoi désormais l’édifice capitaliste devrait s’appuyer et se reconstruire, exploitation accrue et ouverte, ouverte surtout, légale, de la main d’œuvre. Si je comprends bien, sapez ces fondations, minez la base et l’ensemble sera parterre. Nos secrétaire nationaux le savent, ils ne sont pas bêtes non plus. C’est donc en aménageant, en contournant les revendications qui pourraient s’en prendre à la “flexicurité”, aux heures supplémentaires (souvent non payées d’ailleurs), à l’allongement du temps de travail et tout ce qui relève de leur compétence syndicale, que nos direction syndicales protègent et confortent les fondations du système tout entier.
Lui, Delhommais, conclut ainsi: “Dans le rebond actuel du dollar face à l'euro, difficile de ne pas y voir ce message : l'Amérique ne va pas si mal qu'on le prétendait, l'Europe se porte nettement moins bien qu'elle avait essayé de s'en convaincre.” en effet l’Amérique va tout aussi bien que la France. Fannie et Freddie viennent d’être adoptées par l’administration  américaine sous le regard bienveillant du grand frère Obama et de tonton Cain. L’administration et le Sénat “nationalisent” les pertes abyssales des sociétés privées de crédit, qu’ils feront supporter au cochon de payant à la manière du gouvernement de la France, notamment quand il colmate les effondrements du Crédit lyonnais. Où est l’originalité, sinon dans l’énormité des sommes en jeu et, par conséquent, dans l’ampleur des sacrifices qui seront demandés aux populations.

Morceau de choix dans l’élaboration d’un Manifeste du Sous-réalisme.


 
Robert P.

PS: il se trouve que Edvige provoque le tollé que l’on sait, on se murmure à soi-même, c’est pas trop tôt... mais quelque chose ne passe pas, quelque chose d’essentiel qui semble avoir été oublié dans ce noble combat... quoi au juste: Edvige sera discutée pour devenir une loi à moins qu’elle ne perde définitivement la vie avant, peu probable. Mais blessée, seulement, la voilà confiée aux urgentistes de l’Assemblée nationale qui sauront bien la remettre sur pied.
Autre chose encore... voilà ce qui gratte vraiment l’occiput méfiant: SarkUbu et ses successeurs resteront bien dépositaires de ce pouvoir énorme que confère le titre de grand chef du renseignement. Donc de cela il ne sera pas question puisque nous serons trop occupés de férailler au nom des grands principes. Or l’un ne devrait pas aller sans l’autre... c’est ça qui ne passe pas! Personne ne s’est encore prononcé sur cet aspect de la sarkUbuserie.

 

 

Manifestte du Sous-Comité décentralisé des gardes-barrières en alternance

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sur divers enseignements (lecture, poésie)

14 Mai 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #L.C.

sur divers enseignements (lecture, poésie)
sur divers enseignements (lecture, poésie)
sur divers enseignements (lecture, poésie)
sur divers enseignements (lecture, poésie)
Un dialogue intéressant sur
l'enseignement de la lecture

Un texte excellent sur
l'enseignement de la poésie

Dialogue entre un pédagogue et un épouvantail

Invités :

- Marc Le Bris, enseignant en Bretagne.
Auteur de Et vos enfants ne sauront pas lire, ni compter (Stock).

- Sylvain Grandserre, enseignant en Normandie.
Auteur de Ecole: droit de réponse, lettres d’un jeune maître d’école. (Hachette)

 
Un texte d'actualité qui dit quelque chose
qui pourrait être la vérité !
 

Après le drame de Meyzieu (un collégien qui a poignardé d'autres élèves), Philippe Meirieu a reçu des mails et une lettre anonyme lui imputant la responsabilité de cet événement... Eh oui ! En ayant participé comme pédagogue à la mise en place des élèves au centre du système scolaire, il aurait fait de ces derniers des petits tyrans que plus rien n'arrête. Sombre crétinerie à laquelle je réponds rapidement en affirmant l'inverse :
 
"C’est parce que les pédagogues, ont usé à la marge de leur liberté pédagogique pour aller vers une pédagogie de la liberté (circulation, expression, communication, création, tâtonnement, recherche, responsabilité) qu’ils ont patiemment élaboré et mis en place des dispositifs pertinents : code de la classe, permis à points, réglettes, passeports de circulation, ceintures de comportement, monnaie de classe, réunion de coopérative, conseils d’enfants, boîtes aux lettres, brevets, contrats individuels de réussite, « métiers », médiateurs, tutorat, délégués, etc. De Janus Korczak à Fernand Oury, en passant par Célestin Freinet, c’est justement dans des situations où il n’était plus possible de travailler que sont nées les techniques salvatrices. Comment peut-on faire croire que nous aurions abusé de tout cela quand, pour tant d’enseignants, ces pratiques restent totalement inconnues ? "
 
 
Libre d'utilisation (même si ça fait plaisir de savoir ce que ça devient !).
 
Bien cordialement.
Sylvain Grandserre
CM1/CM2 - École Primaire de Montérolier (76)
Auteur de "École : droit de réponses" (Hachette)

 
Peut-on apprendre à écrire en faisant des rédactions ?
 
Réponse d'Eveline Charmeux :
 
Savoir graphier, c'est-à-dire savoir tracer, avec des outils divers, et sur divers supports, les signes de l'écrit de manière à pouvoir être lu, est une activité perceptivo et psycho-motrice.
Savoir produire un écrit dans une situation de communication différée, de façon à transmettre un message à des partenaires absents, est une activité psycho et socio-linguistique.
C'est dire qu'il y a là deux apprentissages différents, qui n'ont que peu à voir l'un avec l'autre, et qui doivent donc occuper des moments distincts de l'emploi du temps.
 
On a là sans nul doute l'explication de l'extrême faiblesse d'écriture (faiblesse maintes fois dénoncée depuis quarante ans), des adultes d'aujourd'hui, piètres lecteurs, mais plus piètres scripteurs encore. Et si l'on n'est pas convaincu de cette médiocrité, il n'est que de songer à ce qui se passe, par exemple, dans une réunion syndicale, politique ou professionnelle, lorsqu'on demande un secrétaire de séance : si vous voulez perdre deux heures vous n'avez qu'à attendre qu'un volontaire se propose... ! Personne n'est dupe en réalité : par delà les bonnes raisons personnelles invoquées pour décliner l'invitation, c'est le non-maîtrise de la chose qui en est la vraie cause...
Et de fait où aurait-on appris à faire un rapport de réunion ? On voit mal en quoi le fait de faire, dans une rédaction, le récit d'une promenade en forêt ou la description de son animal favori, aurait pu développer les compétences nécessaires à la rédaction d'un tel rapport !
La question essentielle reste donc : Qu'y a -t-il à apprendre pour devenir capable de produire les écrits, que la vie sociale, scolaire et personnelle exige de nous chaque jour ?

Car il est là, l'objectif : il ne s'agit pas seulement de devenir capable d'aligner quelques paragraphes sur un sujet quelconque, mais bien de pouvoir produire les écrits scolaires (solutions mathématiques, interrogations écrites d'histoire ou de sciences, comptes-rendus de TP, dissertations etc.) et professionnels (rapports, comptes-rendus, synthèses, articles de presse, motions, courrier administratif, etc.), sans oublier tous les écrits d'expression personnelle, littéraire et poétique, qui attendent chaque élève et chacun des citoyens qu'ils deviendront.
Comme pour la lecture, il n'existe aucun apprentissage "avant", qui serait valable pour toutes ces situations. Les compétences qu'elles requièrent ne peuvent être acquises qu'en situations véritables, en écriture de projets sociaux effectifs.
Pour atteindre cet objectif, que propose-t-on ? Un entraînement à la rédaction.
Qu'est-ce qu'une rédaction ?
La production d'un texte à propos duquel on fournit la seule information (son sujet) qui n'aide en rien cette production.
Comme on sait, un texte n'est jamais caractérisé par son sujet, mais par la situation de communication qui l'a rendu nécessaire. Qu'il s'agisse de raconter, d'expliquer ou de décrire, ce qui permet de définir les choix langagiers, et l'organisation du texte, ce ne sont ni les règles de grammaire, ni celles d'orthographe, ni la question de la cohérence, — toutes données qui joueront, certes, un rôle, après, dans un second temps —, mais bien les réponses aux questions suivantes : qui parle, à qui, où et quand et surtout, pour obtenir quel résultat ?.
Apprendre à les poser et à y répondre, ce n'est possible que si les enfants commencent par des situations en vraie grandeur, dont les enjeux sont aisément repérables par eux-mêmes, et s'ils ont pu eux-mêmes découvrir l'importance de ces données et transformer ces découvertes en règles d'écriture archivées dans leurs "outils pour lire et pour écrire".
C'est dans des situations de communication sociale que peut être construite la notion de variations langagières — capitale pour la maîtrise de la langue, dont résonnent pourtant ces "nouveaux" programmes, à grand renfort de formules pompeuses et mensongères.
C'est là seulement que les enfants vont pouvoir apprendre "comment ça fonctionne", pour ensuite pouvoir s'amuser à "faire semblant", c'est-à-dire, à s'entraîner (mais oui !) sur des situations simulées —, non des "rédactions" à sujets, mais des situations-problèmes d'écriture, qui consistent à produire des écrits en imaginant telle ou telle situation, pour tel ou tel destinataire, avec tel ou tel type d'enjeu.
S'entraîner, activité indispensable à la maîtrise, cela fonctionne toujours comme un jeu, où l'on imagine des problèmes à résoudre : qu'il s'agisse du foot, des échecs ou des apprentissages scolaires, la nature des entraînements est toujours la même : reprendre des points précis des situations vraies et imaginer de façon ludique des difficultés particulières, liées à des situations précises, dont il s'agit de trouver les moyens de les surmonter.
En matière d'écriture, il s'agit de s'entraîner à partir d'un même sujet, à écrire des textes différents en faisant varier les destinataires et les enjeux. Par exemple, pour décrire une même forêt, on va inviter les élèves à :
1- en faire une description, telle qu'elle pourrait apparaître au début d'un roman policier en imaginant qu'un crime affreux s'y est produit
2- en faire une description telle qu'elle apparaîtrait dans un prospectus du Syndicat d'Initiatives du coin, pour inviter les touristes à venir la visiter
3- en faire la description que pourrait en donner un ouvrage de géographie qui la trouve représentative des paysages de cette région.
4- en faire la description humoristique d'une personne qui raconte dans une lettre à des amis, comment elle a pu s'y perdre... etc.
Toutes ces situations sont avant tout ludiques (un entraînement doit être une occasion de s'amuser, sinon, c'est un pensum : ce n'est pas un entraînement !) et sont les moments où les stratégies pour surmonter les difficultés rencontrées sont confrontées et analysées ensemble, pour être objets d'appropriation : chacun des élèves est ainsi enrichi par le groupe tout entier.

 
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3 questions à Jacques-Alain Miller

8 Février 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #InterCoPsychos


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3 questions à Jacques-Alain Miller

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La Lettre en ligne (LEL)  : Vous avez annoncé un grand Meeting à la Mutualité, les 9 et 10  février prochains, pour la défense et la promotion de la psychanalyse partout où elle est mise en cause, en particulier à l’Université. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?

Jacques-Alain Miller (JAM)  : Je suis content de deux choses. D’abord, d’avoir réussi cette fois à annoncer une réunion bien à l’avance, deux mois, alors qu’entre le moment où j’ai inventé le Forum extraordinaire et sa tenue, il s’est écoulé moins de quinze jours. Deuxièmement, de tenir la semaine précédente un Colloque on ne peut plus officiel, “sous le Haut Patronage du Ministère de la Santé”, pour un public restreint de 250, sur invitation uniquement, tandis que le Meeting de la Mutualité réunira 1000 personnes, sous le Haut Patronage, si je puis dire, de BHL et de Sollers. Dans ce meeting, on reprendra, en haussant le ton, certains des thèmes du Forum : l’étouffement de la Culture par les bureaucrates de l’évaluation forcenée, fanatique ; la recherche fondamentale en biologie étranglée par la folie NeuroSpin ; d’une façon générale, les ravages dus au culte imbécile du chiffre. Mais aussi on informera le public et on le mobilisera contre l’opération en cours dans l’Enseignement supérieur et la Recherche. Cette opération, c’est une “nuit des longs couteaux”, ou, disons, pour être plus exact, une “année des longs couteaux”. Lors de conciliabules animés par Jean-Marc Monteil, longtemps chef de la DES (Direction de l’Enseignement supérieur), aujourd’hui conseiller du Premier ministre, il a été décidé de ne pas attendre plus longtemps pour liquider la psychanalyse et la clinique à l’Université. Les cognitivistes veulent en finir une fois pour toutes avec les cliniciens, dont les cours drainent les flux étudiants les plus importants. Partout en France, les départements de psychologie clinique se voient malmenés, on leur refuse des habilitations, on leur colle des rapports défavorables, on leur supprime des enseignements, on les vexe systématiquement, on leur fait sentir qui tient le manche. L’équipe de recherche du département de psychanalyse, que je dirige, est elle-même dans le collimateur, elle est supposée être “visitée” en janvier sous la houlette d’un maître du cognitivisme français, grand évaluateur devant l’Éternel. J’ai déjà eu l’occasion de le moucher personnellement à deux reprises, il m’a fait ses excuses, oralement et par écrit, c’est oublié, je ne suis pas rancunier, – mais je n’avais pas encore connaissance du panorama d’ensemble : ce que je prenais pour un incident mineur était la pointe de l’iceberg. En un mot, c’est l’offensive générale des cognitivistes, longuement méditée, réalisée en forme de Blitzkrieg, visant notre éradication. Ils se sont installés d’emblée dans la phase d’élimination sans phrase : notre ami Roland Gori, à la tête d’un syndicat réunissant plus de 200 psychologues cliniciens universitaires, et fort des milliers de signatures (plus de 8 000) réunis par son manifeste “Sauvons la clinique”, a sollicité un entretien auprès de Mme Valérie Pécresse ; au bout d’un mois, celle-ci lui a fait répondre que son agenda était trop chargé pour lui permettre de le recevoir dans des délais convenables, et lui a signifié qu’elle ne le recevrait pas. Donc, hautement représentatif de la psychologie clinique universitaire, Gori, avec lequel nous faisions jadis, Roger Wartel et moi, la revue Cliniques, ne sera pas même reçu par un membre du cabinet. Le message est clair, il est univoque : vous êtes déjà morts.

Or, je vais sans doute vous étonner, je ne crois pas du tout que Valérie Pécresse soit personnellement engagée dans cette opération d’extermination. Je sais par Catherine Clément, qui la connaît, que la ministre, alors qu’elle était simple députée, ne manquait pas de sympathie pour notre combat contre l’amendement Accoyer, car elle avait dû s’opposer à ce que l’on fasse bouffer de la Ritaline à ses enfants, et elle a une petite idée des excès où conduit l’idéologie cognitivo-comportementaliste. Non, Mme Pécresse est actuellement l’otage de la politique – qui n’a rien de libéral, qui est d’inspiration PS – que suit depuis plusieurs années la DES. Toute la question pour moi est de savoir si elle aura la force de caractère et l’acuité politique qui lui permettront de s’extraire de cette politique. Celle-ci, qui s’est imposée sous l’impulsion de Monteil, se présente comme moderniste et seule capable de dynamiser l’Université et la recherche en mettant au pas les universitaires et les chercheurs, leurs hiérarques, leurs féodalités, leurs jardins secrets. En vérité, c’est une politique parfaitement ringarde, celle d’une bureaucratie qui ne se sent plus, qui croit que son heure est venue, qui fait preuve d’un autoritarisme hyper-napoléonien, et qui croit ce faisant singer les Américains. Rions ! Ce sont nos mêmes vieux hauts fonctionnaires de toujours, la même morgue, la même arrogance, doctrinant urbi et orbi sur des domaines dont ils ne connaissent rien.  Le recteur Monteil est un psychologue social cognitiviste de petite envergure, dont l’épistémologie est celle d’un manager, non celle d’un savant. C’est un fonctionnaire d’autorité, qui parle en maître aux universitaires, qui veut “décloisonner” les disciplines, et ne plus voir qu’une seule tête, habitée de la même “méthodologie”. Centralisation, homogénéité, nivellement, ignorance, tous les ingrédients sont là pour produire un désastre de type nouveau, exponentiel par rapport à celui qui prévaut présentement. Le combat va être dur, car leur dispositif est en place, consolidé, accroché au terrain. Le niveau Premier ministre est tenu par l’adversaire. Nous n’avons rien vu venir, rien préparé. Mais ce combat est gagnable, je vous l’assure. L’excès même de cette offensive, son ampleur sans précédent, cette volonté manifeste de liquidation sans phrase de la psychanalyse à l’Université, alors que Lacan continue d’être en France comme à l’étranger un phare de l’intelligence française, si je puis dire – et quel département universitaire a la projection internationale du département de psychanalyse ? – l’hubris du cognitivisme triomphant, tout cela le promet à la Roche Tarpéienne. Depuis bientôt 30 ans, les cognitivistes terrorisent l’Université, influencent l’administration, les médias, le public. Ils ont vaincu d’innombrables adversaires, les ressentiments se sont accumulés, ils se sont cru tout permis. Eh bien, c’est terminé. Le drapeau de la résistance est levé. Les psychanalystes ne plieront pas. D’abord, désigner l’offensive ennemie : ce sera LNA 9, qui sortira fin janvier. Ensuite, lui opposer une force de frappe à déploiement rapide : ce sera le Meeting de la Mutualité, avec BHL et avec Sollers, et les principales figures des victimes du cognitivo-évaluationnisme. Et après, la guerre de reconquête, qui sera longue et acharnée. Évidemment, je m’amuse à utiliser ce vocabulaire guerrier. Mais tout de même, les cognitivistes nous ont déclaré une guerre qui, intellectuellement, professionnellement, est une guerre à mort. Donc, nous sommes contraints de suivre, et de les rejoindre aux extrêmes. Donc, il ne s’agit pas d’une guerre défensive, mais bien d’une contre-offensive, visant la déroute de l’adversaire. Elle se déploiera sur plusieurs fronts. Il y a le front psy, certes, mais il y a aussi les biologistes non cognitivistes, il y a les humanités, il y a aussi les mathématiciens. En date du 21 mai dernier, trois institutions représentant la communauté mondiale des mathématiciens et statisticiens, ICIAM, IMS, et IMU (The International Council of Industrial and Applied Mathematics ; the Institute of Mathematical Statistics ; the International Mathematical Union) ont établi une Commission conjointe sur “l’évaluation quantitative de la Recherche”, mettant en question la “culture of numbers” qui s’est progressivement imposée devant l’impuissance à mesurer adéquatement la qualité. Qui m’a fait connaître ce texte précieux, que je vais traduire et publier ? Bernard Monthubert, professeur à l’Institut mathématique de Toulouse, successeur de Trautmann au CA de “Sauvons la recherche”, qui me l’a adressé à l’occasion du Forum extraordinaire. Nous ne sommes pas seuls. Nous sommes loin d’être seuls. Nous sommes plus nombreux et bien plus savants et bien plus agiles que la secte cognitiviste. Celle-ci n’a prospéré que par notre négligence, par notre dispersion, elle a surfé sur le mépris intellectuel que nous avions pour cette doctrine d’imposture, elle a gagné les esprits de nos gouvernants en leur promettant, tel l’esprit malin, qu’ils seraient comme des Dieux. C’est fini, tout ça. Nous sommes réveillés. Nous allons réveiller les autres. Et le cauchemar finira par se dissiper. Et, une fois dessoulés, ils diront : “Comment avons-nous pu ?” Écoutez-moi bien : le reflux du cognitivisme a commencé.

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LEL : Il semble qu’à l’origine des attaques que vous dénoncez, on trouve  une agence dépendant de l’État : l’AERES (Agence d’évaluation de la  recherche et de l’enseignement). Pouvez-vous nous en dire plus sur  cet organisme ?

JAM  : L’AERES est l’usine à gaz inventée par les cognitivo-évaluationnistes pour mettre l’Université française en coupe réglée, et accomplir le programme apocalyptique de la secte. Qui l’a conçue ? L’inévitable Monteil. Il en a été nommé président le 21 mars dernier. Il a quitté ce poste le 11 juillet suivant, quand il a été appelé au cabinet de François Fillon. C’est lui qui continue de tirer les ficelles, comme d’ailleurs à la DES. Qui traite le secteur psy à l’AERES ? Le Pr Fayol, de Clermont-Ferrand. Qui est leur correspondant à la DES ? Le président de la FFP (Fédération française de psychologie), Lécuyer. C’est le trio de la mort, les concepteurs de l’opération “Zéro psychanalyse à l’Université”. LNA 9 les présentera un par un au public : l’homme et l’œuvre. Le style sera froid, chirurgical. Les faits parlent d’eux-mêmes. C’est maintenant à Valérie Pécresse de savoir si elle veut rester dans l’Histoire comme la ministre qui aura laissé assassiner la psychanalyse. Mais quoi qu’il en soit de sa décision, la psychanalyse aura sa revanche, et avec elle, les discours et les personnes que le cognitivisme a ravagés.

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LEL : Outre le forum, quels sont vos projets ?

JAM  : Oui… Trop nombreux pour que je les énumère ce matin. Revenez à la charge durant la trêve des confiseurs, il y aura une petite accalmie.

Ce 3 décembre 2007


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Si la tristesse est une maladie, alors...

8 Février 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #InterCoPsychos

Entretien avec Jacques-Alain Miller
paru dans le Charlie Hebdo N°805, du mercredi 21 novembre.  
 « Si la tristesse est une maladie,
alors c'est l'humanité qui est une maladie »


Comment une campagne sur la dépression démontre l'incapacité présidentielle à appréhender le réel. Un entretien avec le philosophe et psychanalyste Jacques-Alain Miller.

 
" Je veux parler de la dépression, du regard que la société porte sur cette souffrance qui n'est pas matérielle. Je veux engager puissamment la recherche médicale française vers le soulagement de ce mal ", a déclaré Nicolas Sarkozy le 11 février dernier dans un discours à la Mutualité.
Il y a quelques semaines, le ministère de la Santé lançait une campagne sur la dépression. On a demandé à Jacques-Alain Miller ce qu'il en pensait.
Philosophe, psychanalyste, il est le responsable de la publication des Séminaires de Lacan. Jacques-Alain Miller a fondé l'Association mondiale de psychanalyse (AMP) et dirige la revue Le Nouvel Âne dont le dernier numéro est consacré à une critique virulente de la campagne contre la dépression initiée par le ministère de la Santé. Car s'il existe des formes graves de « maladies de l'âme » - qu'on l'appelle comme autrefois mélancolie ou qu’on la vulgarise aujourd’hui sous le terme de “dépression” - la tentation est grande de considérer la moindre fatigue, tristesse ou petit bobo existentiel en pathologie qu’il faut soigner d’urgence avant de repartir au combat...

 
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Melancholia de Dürer

CHARLIE HEBDO: Que pensez-vous du combat présidentiel contre la dépression?

Jacques-Alain Miller: Que le président est un homme de bonne volonté. Qu'il admet que la souffrance psychique n'est pas matérielle, pas objectivable. Mais, parce qu'il n'est pas bien conseillé sur le sujet, il met tous ses espoirs dans la médecine sans songer à la psychanalyse.

CH- Il est mal conseillé, ou il pense profondément que la recherche médicale peut guérir la dépression?

JAM- Qui veut éradiquer médicalement la dépression? La bureaucratie sanitaire internationale. Elle a réussi à mettre au service de cette idée loufoque les autorités politiques d'un nombre considérable de pays développés. Nicolas Sarkozy est influencé, comme l’est la majorité des Français, par l'intense lobbying d'une partie de l'establishment sanitaire national, qui s'exerce dans le sens cognitiviste et pharmaceutique.
 
“Si on ne veut pas déprimer, il faut assumer la vérité.”

CH- Mais comment expliquer cet Intérêt de l'État, du pouvoir pour notre santé?

JAM- Ce n'est pas d'aujourd'hui. La Sécurité sociale date de 1945. Bien avant, dès les débuts de l'époque moderne, le pouvoir va inéluctablement vers le biopouvoir, Michel Foucault l’a démontré. Actuellement, la santé est en France un problème aigu pour tous les gouvernements qui se succèdent, en raison du fameux « trou de la Sécu ». Tout un petit peuple d'experts cherche à « rationaliser » le système. [Institut national de la prévention et de la santé (INPES), créé en 2002, a brillamment remporté la palme avec sa campagne antitabac, et, sur la liste de ses prochaines victimes, il a inscrit la dépression. Mais si les méfaits du tabac ont une certaine objectivité, ce n'est pas le cas avec la dépression: tout dépend de la définition que vous en donnez. Avec l'une, vous pouvez démontrer que les 95 % de la population sont atteints.

CH- Quelle est cette définition?

JAM- 95 % des gens connaissent une moyenne annuelle de six épisodes de tristesse et de perte de l'estime de soi. Si l’on décide de médicaliser tout ça, alors la croissance exponentielle du nombre de dépressifs s'explique. Pas étonnant que l'OMS prédise que, en 2020, la dépression sera la seconde cause d'invalidité dans le monde après les maladies cardiovasculaires. Rions! Ce qui est grave pourtant, c'est que la consommation d'antidépresseurs, qui avait baissé, va exploser à nouveau. Or la France est déjà le pays qui consomme le plus de psychotropes au monde.

CH- La campagne dépression risque-t-elle d'accentuer ce phénomène?

JAM- C'est du Molière, Le Malade imaginaire, ou Knock: [INPES persuade les gens que s'ils sont tristes, c'est qu'ils sont malades, et les incitent à bouffer du médicament. Ce qui était considéré autrefois comme un mauvais moment à passer, un coup de pompe, un deuil difficile, est désormais « une maladie ». La brochure dépression, diffusée à r million d'exemplaires, est une tentative d'endoctrination massive, parfaitement irresponsable. [ambition est de remodeler vos émotions les plus intimes. C'est un « alien » qui s'insinue au plus profond de vous -même pour saboter tout ce que vous éprouvez. Il vous oblige à interpréter vos sentiments les plus humains dans le sens de la maladie.

CH- Vous mettez en cause l'Industrie pharmaceutique?

JAM- Dans tout le monde développé, l'influence idéologique des laboratoires est énorme. Ça ne m’indigne pas : c'est une industrie, elle doit faire face à la compétition internationale, maximiser ses parts de marché, et donc se battre auprès des pouvoirs publics, former l'opinion publique, convaincre tout un chacun qu'avaler ses produits, c'est nécessaire, ça fait du bien. Rien de plus normal, de plus logique. Mais alors, il faut pouvoir leur opposer des contre-pouvoirs, qui fassent barrage à leurs excès de zèle. Nous avons affaire à un phénomène de civilisation.

CH- De quel phénomène s'agit-il?

JAM- L’homme contemporain se pense lui-même comme une machine. Si ça ne va pas , c'est que ça dysfonctionne, et il doit y avoir un traitement hyper rapide. On croit que, normalement, on a droit à l'euphorie, à la pilule du bonheur. C'est de la science-fiction réalisée. On enseigne désormais la science du bonheur en Grande-Bretagne et en Allemagne. Lord Layard, économiste distingué, ex conseiller de Tony Blair, le pape de cette nouvelle science, considère que la dépression est l’un des freins principaux à la croissance économique.

CH- En finir avec la maladie, n'est-ce pas un moyen de relancer la croissance?

JAM- Mais, en l'occurrence, la tristesse est inhérente à l'espèce humaine. Si c'est une maladie, alors c'est l'humanité elle-même qui est une maladie! Il est très possible que nous soyons une infection de la planète. C'était d'ailleurs l'idée de Lacan. Depuis l'origine des temps, nous nous détruisons nous-mêmes, et notre environnement par-dessus le marché. Si on veut guérir ça, on entre dans la biotechnologie, on va essayer de produire une autre espèce, bien meilleure. Une espèce asexuée et muette. À ce moment-là, on se tiendra comme il faut!

CH- Quand on est dépressif, on se tient mal?

JAM- On déprime quand on est malade de la vérité. Si on ne veut pas déprimer, il faut assumer la vérité, sa vérité. J'ai été touché par la phrase de Cécilia qui faisait la une d'un magazine au moment de l'annonce du divorce: « Je veux vivre ma vie sans mentir. » Voilà l'antidépresseur le plus puissant.

Sarkozy a été victime du matraquage sur la dépression.

CH- Nicolas Sarkozy est-il dépressif?

JAM- Il a été au contraire la victime de cette atmosphère de matraquage autour de la dépression. Souvenez-vous de ces photos qui le montraient l'œil vitreux, mal rasé après l'annonce de la séparation... C'est de l'intoxication. Ce type, c'est une dynamo, qui prend à bras-le-corps la réalité, la secoue, cherche le problème et promet la solution. C'est une première. Avec Mitterrand, c'était la morale de la fin du Cid: « Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi. » Avec Chirac, c'était la Corrèze, le père Queuille: « Il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne saurait résoudre. » Et le sarkozysme, c'est un bel effort, mais ça ne va pas marcher: « Ensemble, tout devient possible »? D'abord, Sarkozy a dû constater que, dans son « ensemble» avec Cécilia, tout n'a pas été possible. Et puis, il va découvrir que, si la réalité est bonne fille, sa plasticité n'est pas infinie : elle ne se laisse faire que ce qui lui plaît. Le réel fait barrage. Soit on se fracasse dessus, soit on cherche la meilleure façon de faire avec. Et en ce mois de novembre, on voit les efforts prodigieux de notre Hercule politique achopper de toutes parts. Espérons qu'il se réveille...

 
Propos recueillis par Hélène Fresnel.

Pour bien rire, une comédie musicale.
Ce vidéo montage, mixte de guignol et d’air d’opérette – sur l’air le plus connu de  Gilbert & Sullivan, le Major-General’s Song de leur Pirates of Penzance –, nous présente le professeur Stephen M. Stahl, sommité de la psychopharmacologie états-uniennes, et donc mondiale, sous un jour méconnu.
On se rappelle qu’il a publié en France en janvier dernier son fameux Psychopharmacologie essentielle. Guide du prescripteur. Encore un guide...



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Avec Isabelle Stengers et Jacques Testart

8 Octobre 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

Jacques Testart et Isabelle Stengers 
au Théâtre des Doms en Avignon,
le samedi 6 octobre 2007


14h   Jacques Testart          
Le scientifique, l’éthique et le pouvoir  

Directeur de recherches à l’inserm, pionnier de la procréation artificielle. “Critique de sciences”, il est président de l’association Sciences Citoyennes et partisan d’une maîtrise démocratique de la technoscience.

Depuis que la science, moyen de connaissance, s’est muée en technoscience, moyen de maîtrise, le savant, cet ancestral curieux, est devenu un chercheur, professionnel de l’innovation. La population est parfois inquiète mais demeure fascinée par ces magiciens d’essence ordinaire que sont les chercheurs, tandis que les puissants misent en bourse sur les promesses des plus audacieux. Alors les réussites de la recherche sont appréciées pour leur compétitivité économique plutôt que pour leur contribution au bonheur ou au savoir, et leurs défaillances sont compensées par le bluff ou même la fraude. Finalement, quand la recherche est guidée par la rentabilité immédiate, l’éthique du chercheur est, au mieux, conforme à un inventaire de bonnes pratiques, sans que soit interrogé le sens des actions.
Cette normalisation de la profession (chercheur devient un métier comme un autre) s’opère au moment où la recherche influe plus que jamais sur le monde (de la technoscience dépend notre façon de vivre) et où on la missionne pour des projets souvent utopiques (seule la technoscience pourrait inventer des parades aux désastres qu’elle a induits).
Il est possible et nécessaire que les savoirs comme les pouvoirs soient enfin partagés grâce à l’ouverture de la recherche à la société, et à la reconnaissance du droit des citoyens à choisir ce qu’ils en attendent et ce qu’ils sont disposés à en subir…
 
16h   Isabelle Stengers          
Nos démocraties ont les sciences qu'elles méritent

Philosophe, enseigne à l'Université Libre de Bruxelles. Depuis son premier livre avec Ilya Prigogine, La Nouvelle Alliance, elle n'a cessé d'explorer les questions posées par les sciences et leurs rôles dans nos sociétés. Dernier livre : La Vierge et le neutrino (Les Empêcheurs de penser en rond, 2006)

On nous annonce aujourd'hui que nous sommes entrés dans l'ère de l'économie de la connaissance. La recherche scientifique serait devenue trop importante pour être laissée aux mains des seuls scientifiques. Rien d'étonnant à ce que beaucoup parmi les scientifiques se réfèrent avec nostalgie, comme à un Age d'Or révolu, à l'époque où l'on respectait l'autonomie de la science, où l'on comprenait que seule une science libre peut servir de moteur au progrès humain.  
Cependant, il faut le remarquer, ce respect de la science a coïncidé avec un rôle fort peu démocratique conféré à l'argument scientifique. Affirmer "c'est scientifique" permettait d'accuser les contestataires d'irrationalité et de faire la différence entre les questions laissées au politique et celles dont le politique n'était pas censé se mêler.
Les scientifiques ont certes profité du rôle conféré à "la science", mais ce rôle doit d'abord nous faire penser à la faiblesse de ce que nous appelons démocratie. Et peut-être aussi au développement inégal des sciences, à la manière dont elles ont été marquées par leurs relations exclusives avec l'Etat et l'industrie. Aujourd'hui, alors que les chercheurs sont ramenés au lot commun (eux aussi doivent désormais être "flexibles"), il s'agit peut-être de les aider à se débarrasser de leur nostalgie pour le passé, et à chercher leurs alliés parmi ceux qui luttent pour une société démocratique.  
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Invités par la fondation belge Olam, fondation pour la recherche fondamentale, présidée par Edgard Gunzig, pour la 7° journée thématique organisée en partenariat avec le Théâtre des Doms en Avignon, Jacques Testart et Isabelle Stengers firent deux exposés remarquables sur la responsabilité politique des scientifiques.

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Le scientifique, biologiste célèbre, à la fois pour être le père du 1° bébé français in vitro et pour être celui qui a fait passer ses considérations éthiques avant sa passion scientifique en renonçant à ses recherches biologiques suite aux dérives possibles de la fécondation artificielle, Jacques Testart a dressé un état des lieux sans complaisance de la situation de la recherche à l’échelle de la planète dans le domaine de ce qu’on appelle aujourd’hui la techno-science, notion que l’on doit à Castoriadis entre autres.
Ce qui ressort de cet état des lieux, c’est comment le capital a mis la main sur la recherche et sur les chercheurs, particulièrement contrôlés, mis en compétition entre eux, entre laboratoires, entre pays ce qui a pour effet de réduire la recherche à un petit nombre d’objets, de projets dont le capital espère tirer le plus de profit à court terme. S’adaptant sans état d’âme particulier à cette situation de compétition internationale, les chercheurs, quémandeurs de fonds, vont dans le sens des désirs des gens car le profit suppose de la demande massive à laquelle on va répondre par le produit, l’innovation adaptée. On est dans l’ingénierie et le marketing. La connaissance est devenue le moindre des soucis de la recherche. Face à cette situation qui conduit des chercheurs à des trucages et à tout un tas de comportements cyniques, face aux menaces et aux mensonges organisés par les laboratoires, les industriels, les états même, comment faire pour que les citoyens prennent le contrôle de ce qui leur échappe et qui pourtant conditionne leur quotidien. La description faite par Jacques Testart des conférences citoyennes qui vont s’appeler conventions de citoyens avec leur protocole très précis, scientifique permettant l’évaluation de techniques est une des pistes ouvertes par ce chercheur engagé.


Avec la philosophe belge, ce fut à une pensée en mouvement, une pensée en construction que nous eûmes droit, avec ses hypothèses, ses doutes, ses choix. En tentant de répondre à la question : comment en est-on arrivé là, à savoir passer d’une sorte d’âge d’or de la science soucieuse de connaissance à l’âge de l’économie de la connaissance avec une recherche soucieuse avant tout d’efficacité et de profit. Avec en parallèle la montée citoyenne de la demande démocratique comme l’a montré le mouvement contre les OGM, mouvement qui a surpris les concepteurs, initiateurs, chercheurs, industriels engagés dans la fabrication de ces semences destinées à régler le grave problème de la famine pour le plus grand bien de l’humanité. D’ailleurs aujourd’hui, ce n’est plus cette finalité qui est mise en avant mais la fabrication massive des biocarburants pour pallier la disparition annoncée des ressources pétrolières toujours pour le plus grand bien de l’humanité ne pouvant renoncer à la bagnole.
On a pu suivre pas à pas comment une démarche critique met à jour des présupposés, ceux des chercheurs, ceux du public, ceux des pouvoirs publics et des industriels. On a pu suivre pas à pas comment s’est mise en place cette économie de la connaissance, cette montée en puissance de la mise en compétition, de la productivité attendue des chercheurs. Avec entre autres, la possibilité accordée aux universités américaines de breveter leurs recherches. Aujourd’hui, c’est la brevetabilité tous azimuts, la guerre des brevets, et les tentatives de préserver, de sauver de cette fièvre ce que l’on présente comme patrimoine mondial, biens communs… Comme le scientifique engagé, la philosophe engagée a ouvert des pistes pour permettre aux citoyens de s’approprier ce qui leur échappe souvent avec leur consentement, pris qu’ils sont dans la contradiction entre leurs désirs égoïstes de consommateurs et l’envie de se mêler de ce qui ne les regarde pas, à savoir l’intérêt général.

J'ai filmé les deux intervenants avec leur accord et les vidéos de leurs exposés sont mises en ligne également avec leur accord.

L'exposé d'Isabelle Stengers est en ligne sur ce blog.

L'exposé de Jacques Testart est en ligne sur le blog des 4 Saisons du Revest:

Les scientifiques, l'éthique et le pouvoir.

 

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Responsabilité politique des scientifiques ?

20 Septembre 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora


 
7ème JOURNEE THEMATIQUE DES DOMS:

QUELLE RESPONSABILITE POLITIQUE
POUR LES SCIENTIFIQUES ?
11/09/2007
 
 
Samedi 6 octobre de 14h à 18h
au Théâtre des Doms à Avignon

Pour le plaisir de l'esprit, nous continuons avec Olam, association pour la Recherche fondamentale, à creuser le thème des valeurs en croisant les points de vue de deux nouveaux invités: Jacques Testart, directeur de recherches de l'Insem, pionnier de la procréation artificielle et Isabelle Stengers, philosophe.

14h  Jacques Testart
Le scientifique, l’éthique et le pouvoir  


Depuis que la science, moyen de connaissance, s’est muée en technoscience, moyen de maîtrise, le savant, cet ancestral curieux, est devenu un chercheur, professionnel de l’innovation. Chercheur devient un métier comme un autre alors que la recherche influe plus que jamais sur le monde (de la technoscience dépend notre façon de vivre) et où on la missionne pour des projets souvent utopiques (seule la technoscience pourrait inventer des parades aux désastres qu’elle a induits).Il est possible et nécessaire que les savoirs comme les pouvoirs soient enfin partagés grâce à l’ouverture de la recherche à la société, et à la reconnaissance du droit des citoyens à choisir ce qu’ils en attendent et ce qu’ils sont disposés à en subir…

16h  Isabelle Stengers
Nos démocraties ont les sciences
qu'elles méritent


On nous annonce aujourd'hui que nous sommes entrés dans l'ère de l'économie de la connaissance. La recherche scientifique serait devenue trop importante pour être laissée aux mains des seuls scientifiques. Rien d'étonnant à ce que beaucoup parmi les scientifiques se réfèrent avec nostalgie, comme à un Age d'Or révolu, à l'époque où l'on respectait l'autonomie de la science, où l'on comprenait que seule une science libre peut servir de moteur au progrès humain.  Cependant, il faut le remarquer, ce respect de la science a coïncidé avec un rôle fort peu démocratique conféré à l'argument scientifique. Affirmer "c'est scientifique" permettait d'accuser les contestataires d'irrationalité et de faire la différence entre les questions laissées au politique et celles dont le politique n'était pas censé se mêler.Les scientifiques ont certes profité du rôle conféré à "la science", mais ce rôle doit d'abord nous faire penser à la faiblesse de ce que nous appelons démocratie.  

 
Avec la collaboration de Echange et Diffusion des Savoirs - Marseille
 
Tarif unique: 8€
Infos et réservations: 04 90 14 07 99 - info@lesdoms.eu


Théâtre des Doms
La Vitrine Sud de la Création en Belgique francophone
1 bis rue des Escaliers Sainte-Anne - F- 84000 Avignon
Tél +33 (0)4 90 14 07 99 - Fax -33 (0)4 90 85 53 95 -
info@lesdoms.eu

www.lesdoms.eu

 
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Goodbye mister socialism d'Antonio Negri

4 Septembre 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

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Les éditions du Seuil publient une série d’entretiens du philosophe italien Antonio Negri, sous un titre beaucoup moins provocateur qu’il n’y paraît de prime abord : good bye mister socialism.* C’est un titre en effet devenu presque banal après des années de crises de la gauche en Europe et ses derniers développements en France notamment : quasi disparition du PC, inconsistance de l’extrême gauche, dilution du PS dans une crise identitaire fondamentale. C’est ainsi que la droite la plus conservatrice, solidement installée au pouvoir, peut se permettre de proclamer qu’elle  incarne désormais le changement et la modernité. Antonio Negri consacre l’essentiel de ses entretiens à cet effondrement des gauches en Europe.

La gauche s’est partout mise hors jeu en continuant de défendre ce qui appartient au passé : la société industrielle et l’Etat nation. La gauche n’a pas non plus compris l’évolution des relations internationales, à savoir le rôle, tout d’abord, de la guerre, devenue consubstantielle de la politique car « la politique est devenue biopouvoir, contrôle et expropriation féroce de l’ensemble des activités humaines » mais aussi  le fait que la montée du Sud condamne la poursuite d’un modèle de développement européen  fondé sur l’exploitation pluriséculaire de ce monde dominé.

Le capitalisme est aujourd’hui en pleine transition : la mondialisation et les bouleversements technologiques ont entraîné des défis pour le système économique : comment réaliser un monde global en dépassant les réalités nationales ? Quelles institutions de régulation et de contrôle créer quand ONU FMI OMC montrent leurs limites? Comment contrôler des sociétés qui de plus en plus acquièrent liberté et autonomie par rapport au capital, par la promotion du travail cognitif et l’utilisation d’internet ? « le travail cognitif se situe en effet à l’extérieur du temps mesurable par le patron. » Lié intrinsèquement à la communication, au réseau, à la coopération, il ne concerne plus l’individu mais la multitude. L’exploitation du sujet par le travail salarial et la gestion de masse devient donc plus difficile.

Face à ces défis, le système a besoin de souplesse : toute fonction de gouvernance doit prendre en compte les contestations de la multitude, ce que l’on voit bien à Davos, où sont régulièrement invités des opposants afin de  conduire le système à s’adapter. En même temps, le capitalisme a développé, par la financiarisation, un moyen d’absorber activité productive, salaire, épargne. « La financiarisation doit permettre de subsumer la multitude, c'est-à-dire de refermer le dispositif global de la production par-dessus et par delà les singularités productives qui la composent et peuvent s’en affranchir aujourd’hui. » Financiarisation et appropriation de l’intelligence sont donc deux principes organisant maintenant  la coopération capitaliste. Le capitalisme cherche donc à contrôler réseaux et travail intellectuel, espaces de libertés.
L’enjeu fondamental du capital est  bien le contrôle social et politique. Et toute crise sociale où s’exprime une revendication de liberté et d’autonomie par rapport au capital ne peut que fragiliser économie et pays, fussent-ils les Etats-Unis eux-mêmes.

La gauche n’a pas pris en compte toutes ces évolutions. Elle demeure par exemple tributaire d’une vision corporatiste du marché du travail et défend des positions passéistes : blocages sur le CDI, sur l’insertion des migrants, pas de réponse face à l’allongement du temps de travail et de la durée de la vie active mis en œuvre par la droite, incapacité à sortir du fordisme et à la croyance dans le développement continu de la classe moyenne et du salariat de masse, aveuglement face à l’inéluctabilité de la mobilité et de la flexibilité.

La société a pourtant multiplié les signes montrant son désir de construire du neuf face au capitalisme mondialisé et la fin de l’Etat providence. La question sociale est ainsi revenue sur le devant de la scène avec Seattle , avec l’ « affirmation que le capitalisme n’est pas nécessaire et qu’il existe d’autres modes de vie, des alternatives politico-économiques au capitalisme ». Depuis s’est développée l’idée que le précariat et la mobilité peuvent être libres . La précarisation et l’essor du travail cognitif ont remis à l’ordre du jour le fait que  « la liberté  c’est de ne pas être contraint d’aller travailler et d’aimer à inventer, avec les autres »  

Pour Negri ces prises de conscience créent un espace immense pour reconstruire ce qu’il appelle « le commun » et de là refonder la démocratie.
Le commun c'est la communauté au sein de laquelle agissent les singularités ; le commun met en place un rapport productif entre ces singularités. Le commun c’est le réseau, c’est la série de biens qui nous permettent de nous reproduire, de produire, de nous déplacer, etc. C’est ce qui permet de construire un langage (bibliothèques, livres, technologies informatiques libres, outils de communication en tant que tels) ; le commun c’est  tout l’ensemble des outils d’échange entre les sujets, subsumé dans la liberté.

Aujourd’hui  s’est constituée une vaste nébuleuse porteuse d’un égalitarisme radical, et de cosmopolitisme, une sorte de  « pensée biopolitique des Lumières » traversant tous les champs de l’existence, utilisant  un réseau commun,  porteuse  de pratiques politiques anti autoritaires, et dynamique sociale se faisant sur le mode  de l’horizontalité communicationnelle.
La lutte contre le CPE, en 2006, en France, est un bon exemple de ce qui est en train de changer dans les sociétés : ce ne fut pas un mouvement de  résistance mais  une offensive, la révolte du prolétariat postfordiste et cognitif contre les nouvelles normes du capitalisme global. Les participants furent essentiellement des travailleurs scolarisés, des précaires, des jeunes en formation, des intérimaires, des intermittents, des travailleurs en free lance, des indépendants à cheval entre salariat et travail autonome,  c'est-à-dire  les secteurs non structurés de l’économie ; dans ces luttes, pas d’apologie du travail, des  actions quasi insurrectionnelles ( sur les réseaux de transports) et non pas seulement des manifestations. Et la revendication essentielle  était contenue dans des mots d’ordre aussi simples que suggestifs : vivre dignement ; la vie n’est pas négociable.

Au centre de ce questionnement s’impose l’idée du revenu citoyen, comme base permettant la reproduction sociale de tous les citoyens, et rendant sa dignité aux flexibles et mobiles. Le revenu citoyen c’est en effet d’abord la reconnaissance de droits liés à la reproduction de chacun : santé, culture, logement, éducation. La revendication d’un revenu citoyen apparaît de plus en plus comme un refus du travail et du rapport salarié. Il signifie donc l’indépendance effective de l’autonomie des travailleurs par rapport au capital.
La question du revenu citoyen devrait être posée en même temps que de vastes luttes sur les salaires. Cela passe aussi par la définition d’un droit commun, au-delà du droit public et du droit privé , un  « droit qui ajoute à l’appropriation générale des moyens de production l’autovalorisation décisionnelle des sujets. »


On voit bien qu’Antonio Negri  se situe au-delà de revendications catégorielles ou corporatistes. Cela dépasse la condamnation devenue caduque de la dérégulation. Cela va au-delà de la distinction public/privé : Le public d’Etat n’est en effet pas le commun, même si la notion de service public prend en partie en compte  l’idée d’un vivre en commun décent. Le commun signifie « passer de l’idée de monopole public à celle de gestion commune du bien public ».  Le droit anglo-saxon peut permettre d’aller dans cette direction avec le droit d’agence, le droit d’action, mais  à condition que la société agisse pour que ces adaptations juridiques aient lieu.

Ce  sont là des fruits issus des réflexions altermondialistes. Elles ont contribué à mieux comprendre que la complexification de nos sociétés qui conduit à l’égoïsme entraîne aussi davantage de solidarité, ne serait-ce que parce que la société bourgeoise est segmentée et que le pouvoir est contraint de la diviser. On assiste aujourd’hui à l’essor de la cohésion, sous l’effet d’éléments communautaires. Les altermondialistes ont en effet rappelé l’importance d’une réponse collective à l’exploitation capitaliste, mais une action collective qui refuse de devenir l’homologue du pouvoir ( tandis que détruire une banque c’est au fond accepter cette homologie). « Il s’agit plutôt de réinventer la production autour de la libre participation du producteur. Il ne peut y avoir de producteur que libre et doté de compétences démocratiques. »

La question sociale débouche donc logiquement sur celle de la démocratie. Negri, sur ce plan, n’est pas tendre avec la gauche dont il constate « une absence de sensibilité à la démocratie » . Incapable de construire la question du « commun », elle s’accomode du thème fasciste de la sécurité  et  ne s’est pas saisi non plus de la question de la crise des régimes représentatifs  :  « la vie d’un parti ne dépend plus de la consistance de son groupe parlementaire, mais de sa capacité à se faire mouvement . »
La question qui se pose c’est la direction qu’il faut imprimer, dans les faits, à nos sociétés complexes. Or la gauche ne propose que  la direction capitaliste des affaires par les sociétés par actions et l’organisation du pouvoir par l’administration. Elle ne sait pas ouvrir l’administration aux expériences locales et démocratiques, aux besoins particuliers, et aux articulations entre les mouvements. Elle ne fait qu’évoquer des mécanismes participatifs inefficaces voire mystificateurs.
La gauche semble totalement incapable de  construire des outils démocratiques de gestion et d’autogestion, plus ou moins articulés et sophistiqués, permettant la préservation et le développemept des biens communs. Aujourd’hui les normes et les événements ne s’organisant plus de manière verticale, le pouvoir a de plus en plus de mal à fonctionner avec sa structure pyramidale ou verticale ; il n’est plus en mesure d’édicter une norme puis de la mettre en œuvre concrètement  sur le plan administratif. La norme n’est effective que si il y a consensus donc participation.

Il y a donc de la matière pour l’apparition d’une gauche nouvelle et démocratique s’appliquant  à la gestion du commun et à la construction égalitaire de réseaux de coopération toujours plus étendus.  « La raison d’être de la gauche, c’est de mettre sur pied de nouvelles formes d’organisation de la production. » Aujourd’hui cela passe par la prise en compte de plus de flexibilité et de mobilité, réalités communes au système économique et à une partie grandissante de la multitude. La composition et  la recomposition de la multitude doivent être au centre des préoccupations  de la gauche. C’est un concept comprenant celui d’exploitation;  il inclut le concept de classe; «  il concerne toute la société car le monde de la vie est subsumé par le capital. » Mais quel rapport entre la mobilité des migrants et la flexibilité des précaires ? Entre l’ancienne force de travail matérielle et la nouvelle, immatérielle ? Face à la nébuleuse des travailleurs précaires, la gauche devrait organiser la réflexion sur ce qu’il y a de commun entre eux. La multitude n’a pas de conscience de classe, mais est capable parfois de se mettre en réseau, de réorganiser des projets de façon multitudinaire, de se livrer à des démonstrations de force, de faire surgir des occasions de faire avancer des revendications politiques et sociales.

A partir de ces analyses, Antonio Negri reformule une définition du socialisme : Le développement technologique – donc l’accumulation et l’innovation – plus la démocratie – c’est-à-dire la capacité politique de la société à s’autodiriger. Des expériences ont lieu en Argentine, au Brésil, ailleurs en Amérique du Sud, mais aussi en Espagne qui lui paraissent aller dans ce sens : exemples de gouvernements  participatifs, mise en place de hautes autorités ayant pour objectif non le contrôle mais la participation ;  développement capitaliste ouvert et mondialisé pour briser les conservatismes, et engagement sur la question des mœurs; mobilisation de précaires  luttant pour un revenu citoyen.

En fin de compte, la pensée de Negri veut redonner une actualité  au communisme  entendu comme « transformation radicale des sujets mis au travail et comme la constitution d’un nouveau temps historique, de construction du « commun », comme capacité commune à produire et à reproduire le social dans la liberté. » Le socialisme,  du fait de son absorption par le marché unique, a de fait perdu toute capacité à se référer à la démocratie, et continue vainement à  croire à une gestion correcte et égalitaire du capitalisme,  et aux vertus de l’état de droit, réactionnaire car défendant la propriété privée, donc ne reconnaissant pas le commun. C’est une condamnation sans appel qui devrait nourrir finalement bien des espoirs pour celles et ceux qui ne se résignent pas à la fatalité d’une société de marché.

Gilles Desnots.

*Antonio Negri, Goodbye mister socialism, Milan 2006, mars 2007 pour la publication en France aux éditions du Seuil.

 
Toni Negri, théoricien du post-capitalisme ?

On avait laissé Toni Negri dans les geoles italiennes, accusé d’avoir été l’inspirateur des Brigades Rouges. Le philosophe n’est pas à un paradoxe près, puisque converti dans les années 50 au marxisme dans un kibboutz israélien, il théorisait l’action directe des années 80 tout en étant opposé à la violence.
Aujourd’hui il participe avec Slavoj Zizek, Daniel Bensaïd et quelques autres, au renouvellement de la réflexion politique à l’heure de l’alter mondialisation et de la faillite des états nations. Pour Toni Negri, la révolution est déjà passée, elle a eu lieu vers 1968, le nouveau prolétariat cognitif, nomade et précaire, détérritorialisé, combat un empire biopolitique mondialisé : la force de travail, c’est l’intellect, et le capitalisme est déjà mort : on a plus besoin du capital ! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation
A lire, l’entretien publié dans “Le Monde des Livres” d’aujourd’hui :

Antonio Negri : “Nous sommes déjà des hommes nouveaux”
LE MONDE DES LIVRES | 12.07.07 | 18h48 • Mis à jour le 12.07.07 | 18h57

Parmi les oeuvres exposées à Venise, ces jours-ci, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain, on croise cette Passion du XXe siècle : Jésus crucifié sur un avion de chasse, un bras fixé à chaque missile. Cette oeuvre, intitulée La Civilisation occidentale et chrétienne, se trouve suspendue aux plafonds de l’Arsenal, en plein coeur de la cité vénitienne.

A quelques kilomètres de là, au début des années 1970, des ouvriers de la pétrochimie avaient utilisé le même motif pour identifier leur calvaire moderne : révoltés par la multiplication des cas de cancer dans leurs rangs, ils avaient récupéré un mannequin féminin en plastique désarticulé, et l’avaient cloué sur une croix, le visage recouvert d’un masque à gaz militaire. “Vous vous rendez compte, il y a eu des milliers de cancers, beaucoup de morts, et tout cela vient seulement d’être jugé, en 2003…”, soupire Antonio Negri, tenant dans sa main une photo jaunie de la foule prolétarienne rassemblée autour de cette croix : c’est la Passion de Porto Marghera, du nom de l’immense zone industrielle qui se dresse à la lisière de Venise.

A leur manière, ces travailleurs étaient des habitués de la Biennale : en juin 1968, main dans la main avec les étudiants de la faculté d’architecture, n’avaient-ils pas bloqué la manifestation, appelant à un front unique des beaux-arts et de l’imagination ouvrière ? Negri en était. Il a alors 35 ans, habite Venise et enseigne la philosophie du droit public à l’université de Padoue ; mais c’est à Porto Marghera que le militant fait vraiment ses classes : “Je partais très tôt le matin, j’arrivais vers 6 heures pour les assemblées générales ouvrières, puis je mettais ma cravate pour aller tenir mon séminaire à la fac, et je revenais à 17 heures, histoire de préparer la suite du mouvement…”, se souvient-il.

Aller à la rencontre de Negri, c’est revenir à cette scène fondatrice, et mesurer la distance parcourue, depuis l’éducation politique de Porto Marghera jusqu’à la consécration “altermondialiste”, en passant par les “années de plomb”, la terreur, la prison (voir encadré). Rendez-vous fut donc pris dans l’un des innombrables “centres sociaux” qui forment l’armature des réseaux “alter” en Italie, et qui associent intérimaires, sans-papiers et intellectuels précaires autour d’un débat ou d’un concert.

“Nous voilà dans le Far West vénitien”, ironise Antonio Negri, tandis que la voiture s’enfonce dans la chaleur de Porto Marghera. Au bord de la route, des bâtiments industriels, des colonnes de fumée et, tous les 500 m, une prostituée. A droite, on aperçoit l’ancien local où Negri et ses camarades de l’Autonomie ouvrière défiaient le centre de police, situé juste en face. A gauche, devant une usine textile, coule un canal qui mène à la lagune, au travers duquel les “copains” tendaient des câbles pour empêcher les bateaux des “jaunes” (briseurs de grève) d’accoster.

Un peu plus loin, justement, on tombe sur un piquet de grève, tout à fait actuel celui-là : torses nus et bermudas estivaux, quatre métallos montent la garde devant leur entreprise pour protester contre les licenciements massifs. Un journal à la main, ils chassent les insectes qui s’accumulent sous leur parasol. La conversation s’engage à l’ombre des bannières syndicales, quelques blagues sont échangées. “C’est fou, on dirait un film de Fellini”, sourit Negri, comme si la scène avait à ses yeux quelque chose d’irrémédiablement dépassé.

Longtemps, pourtant, le philosophe et ses amis “ouvriéristes” ont considéré ces travailleurs comme l’avant-garde d’une libération universelle. La voie en était toute tracée, et elle partait, entre autres, de Porto Marghera. Les choses ont changé : “Dans les années 1970, il y avait ici 35 000 ouvriers, aujourd’hui ils sont 9 000. On est passé du fordisme au post-fordisme, il n’y a quasiment plus rien d’un point de vue industriel. Ce sont des entreprises de services, de transports, d’informatique”, précise Negri, dont l’effort théorique consiste à réviser les catégories marxistes en partant de la question sociale et de ses métamorphoses contemporaines.

A commencer par l’avènement d’un monde “postmoderne”, entièrement soumis à l’hégémonie de la marchandise. Cet espace de domination “déterritorialisé”, à la fois lisse et sans frontières, où la folle circulation du capital rend caduques les anciennes souverainetés étatiques, Negri et son ami américain Michael Hardt l’ont baptisé “Empire”. En son sein triomphe une forme de travail de plus en plus “cognitive”, c’est-à-dire immatérielle et communicationnelle. En prendre acte, affirment-ils, c’est accepter le fait que le prolétariat industriel tend à céder sa place à un autre sujet collectif, plus hybride, plus adapté aux formes globales de l’exploitation : les deux auteurs nomment “Multitude” cette nouvelle figure politique (1).

Toutefois, là où le prolétariat marxiste était appelé à monter “à l’assaut du ciel” en faisant la révolution, la Multitude “negriste” est censée garder les pieds sur terre, et endurer une interminable transition. Son destin n’est pas de préparer la rupture, assure Negri, mais de reconnaître qu’elle a déjà eu lieu : “Je suis convaincu que nous sommes déjà des hommes nouveaux : la rupture a déjà été donnée, et elle date des années 1968. 1968 n’est pas important parce que Cohn-Bendit a fait des pirouettes à la Sorbonne, non ! C’est important parce qu’alors le travail intellectuel est entré en scène. En réalité, je me demande si le capitalisme existe encore, aujourd’hui, et si la grande transformation que nous vivons n’est pas une transition extrêmement puissante vers une société plus libre, plus juste, plus démocratique.”

Relisant Spinoza et Machiavel, mais aussi Deleuze et Foucault, Negri s’efforce de proposer une grille de lecture originale à tous ceux qui veulent préserver une espérance d’émancipation. Si les deux livres qu’il a publiés avec Michael Hardt, Empire (Exils, 2000) et Multitude (La Découverte, 2004), sont lus et commentés aux quatre coins de la planète, c’est que les hypothèses et le vocabulaire qu’ils proposent sont venus répondre à une attente de renouvellement théorique, les jeunes générations altermondialistes ne pouvant se contenter du vieux corpus léniniste et/ou tiers-mondiste.

A ces militants du XXIe siècle, Negri n’annonce ni émeute ni grand soir. Cet ancien chef de l’extrême gauche italienne, qui fut jadis accusé d’être le cerveau des Brigades rouges, insiste souvent sur sa répugnance à l’égard de la violence et de ses théorisations ; du reste, on ne trouve guère, sous sa plume, la fascination que le volontarisme politique et la “décision” révolutionnaire inspirent à certains philosophes français : “Je déteste tous ceux qui parlent de “décision”, au sens de Carl Schmitt. Je pense que c’est vraiment le mot fasciste par excellence, c’est de la mystification pure. La décision, c’est quelque chose de difficile, une accumulation de raisonnements, d’états d’âme ; la décision, ce n’est pas couper, c’est construire…”, rectifie Negri.

Pour lui, face à un Empire “biopolitique” dont le pouvoir touche à chaque existence, et jusqu’à l’organisation de la vie même, la Multitude est tentée par l’exode, plutôt que par l’affrontement. C’est en désertant collectivement que les singularités en révolte pourront partager leurs expériences, échanger leurs idées, construire ce que Negri appelle le “commun” : “On n’a plus besoin du capital ! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation. La Multitude en a pris conscience, elle qui ne veut plus qu’on lui enlève le produit de son travail. Voyez le récent rassemblement altermondialiste de Rostock, en Allemagne. Ce n’était plus la vieille classe ouvrière, c’était le nouveau prolétariat cognitif : il fait tous les métiers précaires, il travaille dans les call centers ou dans les centres de recherche scientifique, il aime mettre en commun son intelligence, ses langages, sa musique… C’est ça la nouvelle jeunesse ! Il y a maintenant la possibilité d’une gestion démocratique absolue”, s’enthousiasme Negri.

Voeu pieux, tranchent les uns. Abstraction fumeuse, ricanent les autres, dénonçant l’illusion d’une justice immanente et globalisée, version généreuse de la propagande néolibérale. La notion de “Multitude” ne masque-t-elle pas la permanence de la lutte des classes ?, demande le philosophe slovène Slavoj Zizek. Et si l’Empire est sans limites ni dehors, comment pourrait-on s’en retirer, interroge pour sa part le philosophe allemand Peter Sloterdijk. “La scène mondiale devient alors un théâtre d’ombres où une abstraction de Multitude affronte une abstraction d’Empire”, écrit quant à lui le philosophe français Daniel Bensaïd, raillant une ” rhétorique de la béatitude” où “la foi du charbonnier tient lieu de projet stratégique” : dans ces conditions, tranche Bensaïd, comment s’étonner que Negri ait appelé à voter “oui” au projet de Constitution européenne ?

Face à ces critiques, Antonio Negri tient ferme. Il explique que ses concepts demeurent “à faire”, et qu’il souhaite seulement proposer quelques “hypothèses” : “Moi je crois que la révolution est déjà passée, et que la liberté vit dans la conscience des gens. Vous connaissez la formule de Gramsci, “pessimisme de la raison, optimisme de la volonté”. Pour moi, ce serait plutôt “optimisme de la raison, pessimisme de la volonté”, car le chemin est difficile…” Assis dans son bureau vénitien, entre une photo de son ami disparu, le psychanalyste Felix Guattari, et une statuette de Lénine, il pose la main sur un essai de Daniel Bensaïd traduit en italien (Marx l’intempestif) et repasse à l’offensive : “Bensaïd, qu’est-ce qu’il me propose ? De revenir à l’Etat-nation ? A la guerre ? A l’individu ? C’est impossible, c’est irréversible, les catégories de la modernité sont perdues.”

Et de conclure que si la gauche est en crise, c’est parce qu’elle n’a rien compris à la naissance de la Multitude et qu’elle s’accroche au vieux monde des “cols bleus” : “personne ne veut plus travailler en usine comme son père ! Il n’y a que les communistes français qui ne voient pas ça, et aussi Sarkozy ! Après tout, il a été élu sur quoi ? Sur le nationalisme, qui a été construit par la gauche dans la bataille contre l’Europe. Et sur l’apologie du travail, élaborée par la gauche dans sa lutte contre le contrat premier emploi (CPE). Je rêve d’une autre gauche, qui reconnaîtrait que le capital n’est plus la force qui unifie le travail, que l’Etat n’est plus la force qui fait les Constitutions, et que l’individu n’est plus le centre de tout. En bref, une gauche d’égalité, de liberté, de “démocratie absolue”, comme diraient Spinoza et Machiavel”

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(1) Pour une discussion stimulante de ces concepts, on lira le livre de Pierre Dardot, Christian Laval et El Mouhoub Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel (La Découverte, 264 p., 23 €).

Jean Birnbaum

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Références

Parmi les dernières parutions d’Antonio Negri : Goodbye mister socialism, entretiens avec Raf Valvola Scelsi (traduit de l’italien par Paola Bertilotti, Seuil, 318 p., 17 €), L’Anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza (traduit de l’italien par François Matheron, réed. Amsterdam, 352 p., 22 €), Fabrique de porcelaine. Pour une nouvelle grammaire du politique (traduit de l’italien par Judith Revel, Stock, 234 p., 19,50 €).

Article paru dans l’édition du 13.07.07

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Quelle histoire pour quelle nation ?

3 Avril 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

Quelle histoire pour quelle nation ?

Les drapeaux de Léon Cogniet (1794-1880)

L'histoire doit être réécrite
pour une identité française ouverte et multicolore
dans l'Europe et le monde d'aujourd'hui.

par Suzanne Citron
Historienne

 

 

La nation nouvel enjeu de la campagne présidentielle ? Mais
quelle nation, et selon quelle Histoire? S'agit-il du « roman
national », qui survit en filigrane dans les manuels de l'école et en
bribes dans les souvenirs des aînés ? Pour se défendre contre le
tollé suscité par son inadmissible projet d'un "ministère de
l'immigration et de l'identité nationale", Nicolas Sarkozy a déclaré
(Caen, 9 mars) : "Celui qui arrive et qui aime la France devient
l'héritier de tout son passé ." Du côté de Ségolène Royal, "La gauche
et la droite ne mettent pas le même contenu dans la notion d'identité"
affirme Stéphane Rozes, tandis que Jean-Pierre Chevènement, très
présent auprès de la candidate, assure qu'avec la Marseillaise et le
drapeau, Ségolène Royal reprend le terrain trop souvent abandonné par
la gauche depuis des lustres à la droite et à l'extrême droite
(Libération, 27 mars.) Mais la question de l'Histoire n'est pas
posée.
L'Histoire scolaire, fabriquée dans le contexte des passions
nationalistes des années 1880 et de la culture raciale de la
supériorité blanche et européenne, faisait silence sur la traite des
noirs et sur l'esclavage. Elle exaltait la colonisation comme "la
grande œuvre de la République". Dans l'école devenue obligatoire, elle
devait bâtir l'unité patriotique et nationale. Les enfants de la
métropole, qu'ils soient corses ou basques, ont tous appris que leurs
ancêtres étaient gaulois. Aux petits indigènes scolarisés dans
l'Empire, aux Antilles, en Algérie, au Sénégal, l'Histoire a imputé
des grands-pères gaulois, qui n'avaient pas la couleur de leur peau.
Les héritiers d'une lointaine symbiose judéo-occitane ou judéo-arabe
ou les descendants d'une culture yiddish émigrée du shtetl ont adopté
sans broncher, comme "naturels", ces mêmes ancêtres gaulois. C'était
le temps où l'assimilation marchait.
Parce que, depuis la Révolution et l'Empire, l'État et la Nation
étaient confondus et que la République incarnait le Progrès humain,
cette Histoire a, jusqu'à très récemment, masqué les
exactions—notamment coloniales—imputables à l'État et à la
sacro-sainte Révolution elle-même. Après la 2ème guerre mondiale, les
massacres de Sétif du 8 mai 1945, la répression de 1947 à Madagascar
ont été occultés pendant des décennies. Jusqu'à sa condamnation par
Chirac, le 16 juillet 1995, les manuels ont ignoré la responsabilité
de l'État vichyssois dans la déportation des juifs. Ils sont
longtemps restés muets sur la torture en Algérie, sur le sort honteux
des Harkis, sur la mémoire meurtrie des Pieds Noirs. La présence
d'Indigènes dans l'armée de la Libération n'a été solennellement
reconnue qu'à la suite du film qui la racontait. L'Histoire
républicaine et nationale a refoulé dans le non dit les mémoires des
vaincus et des blessés de l'Histoire. Elle a ignoré, dans son récit,
les héritages spécifiques des Français alsaciens, bretons, corses,
occitans, basques, des descendants d'immigrés, de colonisés,
d'esclaves.
Lorsque Nicolas Sarkozy enjoint aux nouveaux arrivants d'être « les
héritiers de 2000 ans de christianisme », il méconnaît les quatorze
siècles d'Islam dont les Français musulmans sont porteurs. Mais, entre
les Hébreux et la Shoah, l'Histoire scolaire ignore, elle aussi, la
saga juive, millénaire, méditerranéenne et européenne. Chacun doit
enfin en prendre acte : la grande synthèse construite et léguée par
les historiens libéraux (1) et républicains du 19ème siècle, est
aujourd'hui caduque. Mise en cause par le réveil des mémoires, elle
l'est aussi par les travaux conjugués des historiens, des
archéologues, des anthropologues, des préhistoriens. Ils
re-problématisent le passé en fonction d'éclairages neufs. Les
nouveaux matériaux, les (re)lectures d'archives, l'interrogation sur
le sens différent d'un même mot selon les moments, les lieux et les
personnes, permettent de questionner le passé, de déconstruire les
postulats nationalistes et scientistes du 19ème siècle, de faire
tomber les cloisons artificielles qui emprisonnent les recherches et
brident les fulgurances. Ils amorcent le chantier d'une Histoire pour
demain, celle d'une France ouverte et multiple, dans une Europe à
repenser, dans un monde chahuté, dans une terre en danger.
L'Histoire dont les Français ont besoin comme support d'une identité
nationale aux mille couleurs doit être mondiale et européenne pour
être vraiment nationale, parce que les Français d'aujourd'hui ont des
racines dans la planète entière. Tissée de mémoires croisées et
d'identités plurielles, cette Histoire sera le support d'une
citoyenneté commune des droits et des devoirs, une citoyenneté de
combat contre toutes les inégalités, lucide sur les enjeux
écologiques, tournée vers l'avenir.
C'est l'histoire revendiquée par Christiane Taubira la Française de
Guyane, ce sera celle de la France métissée de Ségolène Royal.

(1) au sens du 19ème siècle !
Dernier livre paru : Mes lignes de démarcation, (Syllepse 2003).

 
LIBERATION.FR : vendredi 30 mars 2007
 
Réactions

esther des erreurs
Une fois de plus, Suzanne Citron a raison et tort et quand elle a tort, elle écrit absolument n'importe quoi ! J'ai étudié l'esclavage au collège à la fin des années 70, la colonisation et la décolnisation (guerre d'Algérie, la torture, mais oui !!) en 1985 alors que j'étais en prépa à Normale Sup et avec tous les détails !! Les manuels scolaires font état du rôle de Vichy depuis pas mal de temps et leurs auteurs n'ont pas attendu le discours de Jacques Chirac de 1997 ! Par contre, il est vrai qu'en 1982, c'était loin d'être le cas ! Mais on aimerait que la repentance ne soit pas toujours à sens unique ! Samedi 31 Mars 2007 - 22:02
décalé les démolisseurs
Les petits français ne savent déjà plus rien de leur histoire. Ce ne sont plus que de petits zombis sans racines et sans mémoire. Comment peut-on envisager dans ce cas de construire un avenir commun, alors que les fondations héritées de nos ancêtres ont disparu, sapées par des décennies pendant lesquelles se sont combinées l'oeuvre de démolition des pédagogues inspirées peu ou prou par le communisme ( dont Mmme Citron) et la politique de "benign neglect" de la Droite en place, qui ne croit (croyait?) pas à l'importance de la matière pour construire l'avenir? Pour moi, tout jeune sortant du système scolaire aujourd'hui devrait être capable de faire deux choses: d'abord être capable de dire et d'expliquer les principales caractéristiques le la formidable civilisation dont il est issue: la civilisation occidentale et cette fabuleuse lignée (Athènes, Rome, le judeo-christianisme, la réforme grégorienne, le libéralisme), ensuite de situer la trajectoire nationale et l'apport de la France dans cet ensemble. A partir de là, oui, on pourrait parler d'avenir commun. Les nouveaux arrivants sauraient dans quelle nouvelle dynamique ils doivent désormais opérer, les valeurs de base à assimiler pour se fondre dans la nouvelle entité qu'ils sont SUPPOSES avoir CHOISIE. Et la communication avec les français dits "de souche " ( des vagues antérieures d'immigration) seraient naturelles, car nous parlerions le même langage. Nous nous inscrivons dans une communauté historique. Libre à chacun, par lui-même, de faire son propre travail généalogique et archéologique. Mais, quand on choisit un pays, on choisit aussi d'épouser un destin et de contribuer à son futur propre en nous fondant dans l'effort national.Avec notre sensibilité. Mais, avec le respect et la révérence des ancêtres du pays qui nous a accueillis et avec l'amour de son histoire. Samedi 31 Mars 2007 - 20:05
Philippe Martel Le piège national
Content de voir que globalement, les intervenants aprouvent Suzanne Citron. Je regrette moi aussi que son regard critique sur l'histoire nationale ne soit pas mieux partagé (mais on a quand ^meme entendu cette semaine sur Fance culture, à propos d'identité, des propos tout à fait interessants. A l'intention de décalé, le bien nommé, deux remarques : je ne vois pas l'intérêt de vibrer au souvenir des capétiens; si on s'en est débarrassé en 93, et encore en 1848, il devait bien y avoir une raison, non? Ce n'est pas parce que Sarkozy tient ce discours sur l'histoire de France comme une totalité qu'il faut accepter en bloc qu'on doit le suivre. -Quant à la droite qui mieux que la gauche républicaine saurait faire sa place aux idenités locales, je n'y crois qu'à moitié. Et Sarkozy déjà nommé n'y croit pas du tout. Il y a bien Maurras (et encore, faudrait voir)mais il est mort, et on n'est pas forcé de le regretter. On ne fait pas de bonne histoire avec des sentiments, bons ou mauvais, mais avec la raison et le bon sens. Or, l'histoire "nationale" est le plus souvent aux antipodes. Mieux vaut donc avoir sur la question le regard le plus critique possible. Samedi 31 Mars 2007 - 20:05
huardj Enfermement national
C'est avec la révolution française que l'enfermement national a commencé depuis deux siècles, prétendant effacer les échelles régionale et européenne qui constituaient l'horizon identitaire des Français d'alors. Depuis peu, on redécouvre que l'identité est une construction, relative et multiple, à la fois dans ses territorialités (région, nation, europe...) et ses cultures. Il faut privilégier la production c'est-à-dire l'invention plutôt que la reproduction (traditions, racines) qui nous enferment. Des auteurs comme S. Citron sont malheureusement trop rares et trop peu entendus. Samedi 31 Mars 2007 - 18:12
DENZEL histoire
Très bon article! Et pour tous ceux qui vomissent leur haine, je n'ai qu'une chose à dire: Que vous le vouliez ou pas la Vérité reprend toujours ses Droits. On peut travestir les faits, inventer des héros, construire une identité nationale fictive ou idéaliste...bref, réécrire l' Histoire, la Vérité ressurgit toujours. Et nous devrions tous être fiers de cela. J'aime mon pays mais cela ne m'empêche pas de m'interroger sur le passé et de remettre en cause certains dogmes. Tel, " Nos ancêtre les ...". Même si je sais que l' idée était de conforter, par un symbole, l'idée d' un sentiment national unissant les Français d'origines diverses (Corses, Bretons,Vendéens, DOM...).Aujourd' hui nous faisons l' Histoire de demain. Alors faisons la bien. Pas autour d'un symbole, mais d'un projet commun, car nous sommes tous dans le même bateau France. Samedi 31 Mars 2007 - 16:34
Pierrot287 Bien d'accord !
Bien d'accord Suzanne. Le nationalisme est un voile qui masque mal les conceptions impériales, coloniales et surtout xénophobes, au point de vouloir exacerber une identité nationale pure à l'extrême. L'amalgame entre immigration et identité nationale dans un même ministère, reflète bien cette conception de vouloir concevoir un moule identitaire basé sur un soi disant passé pur. Comme s'il était besoin d'un ministère pour surveiller l'identité nationale. C'est refuser l'incroyable métissage qui existe depuis des siècles et qui continue, enrichissant ainsi toutes cultures. On peut et on doit être fier d'être basque ou breton, Français aussi, mais celà n'empêche d'être citoyen du monde et de respecter l'autre, sans l'obliger à accepter de vouloir croire qu'il descend des gaullois ! Samedi 31 Mars 2007 - 16:11
Gérard ELOI Bravo à Suzanne
Quand je lis dans le commentaire de "décalé" le mot "ânerie" qui qualifie un article de Suzanne Citron, je suis franchement outré ! J'invite ceux qui connaissent pas cette grande dame à découvrir sa vie et son oeuvre sur Google ou un autre moteur de recherche. Quant à moi, je suis fier de militer dans la même équipe que Suzanne ! Samedi 31 Mars 2007 - 16:10
Lubin Le "mythe national" en question
Sur un sujet où, comme d'habitude, les historiens à la mode occupent le devant de la scène médiatique, c'est toujours avec grand plaisir qu'on lit Suzanne Citron. Son "Mythe national, l'histoire de France en question", paru il y a vingt ans, en 1987, reste une référence obligée sur le thème de l'identité nationale et de l'enseignement de l'histoire à l'école. "Quelle histoire pour quelle nation ?" est effectivement la bonne question. Deux réserves, cependant : "l'histoire dont les Français ont besoin comme support d'une identité nationale aux mille couleurs...". Est-il vraiment indispensable de continuer à se référer à une "identité nationale" dont, par ailleurs, personne n'est en mesure de préciser les contours, alors qu'il s'agit manifestement d'un concept dépassé mais toujours dangereux ? Seconde réserve : "...la France métissée de S. Royal" : On y croira réellement quand Chevènement ne fera plus partie du staff électoral de S. Royal et quand celle-ci voudra bien revenir de ses égarements sur les symboles nationaux. Samedi 31 Mars 2007 - 09:45
décalé a peirevidal
Ne confondons pas tout. Les langues régionales d'une part et les histoires particulières des nouveaux arrivants qui rejoignent une nouvelle patrie, dans tous les sens du terme, d'autre part. On peut parfaitement concevoir l'identité nationale dans la diversité des régions (avec leurs spécificités) qui la composent. De ce point de vue, c'est la Gauche républicaine qui a été dans l'histoire l'élément niveleur. Au contraire, c'est un discours qui a longtemps été important pour une partie de la Droite. Si tu lis la biographie de Maurras qui vient de sortir, tu verras l'importance du fédéralisme et du maintien des cultures régionales dans sa pensée ( mouvement des félibres dans la ligne de F. Mistral). C'était donc parfaitement compatible avec la ligne du "nationalisme intégral". Nous sommes trés loin de l'émiettement de la mémoire nationale préconisée par mme Citron et la litanie des douleurs qu'elle propose en guise d'Histoire de France. PS: quand je disais que j'étais français depuis un siècle, je parlais de ma famille. Mais, étant amoureux de la Provence et de sa langue, je ne refuse pas complètement l'appellation de "lou pape", que je vais proposer à mon petit-fils. Pas encore centenaire, mais bien déjà la cinquantaine..... Samedi 31 Mars 2007 - 09:45
Pèire Vidal Perqué m'an pas dit...
Merci pour cet article Madame Citron. Je pense qu'i faut arrêter de confondre identité nationale et mise au moule unique et simplificateur. "Unifier, c'est nouer les diversités particulières et non les effacer par un ordre vain" écrivait Saint Exupéry. Mais je suis moins optimiste sur la France métissée de Ségolène Royal. Il me semble qu'elle nous dit en substance: "d'où que vous veniez, vous avez le droit de vous fondre dans le moule". Ce n'est pas tout-à-fait ce dont nous avons besoin pour répondre à la grande pluralité de la France. Il n'y a qu'à voir la grande timidité du PS sur la question des langues parlées en France. 20 000 manifestants a Béziers le 17 mars dernier pour demander la reconnaissance de l'occitan : prise en compte dans la campagne socialiste ? Non. Si vous soutenez Ségolène, essayez de lui expliquer que c'est la non-reconnaissance des identités multiples qui est le plus grand ennemi de l'identité nationale. Un petit mot pour décalé: "français depuis plus d'un siècle": ce n'est pas l'espagnol qu'il faut vous appeler, c'est "lou papé" ... Samedi 31 Mars 2007 - 08:56
décalé Al'espagnol
Mets d'abord de l'ordre dans tes pensées et nous pourrons peut-être discuter. Pour le moment, je ne vois qu'embrouillamini de la pensée et inculture manifeste. Le simple fait de m'appeler l'espagnol aprés ce que j'ai écrit, d'où tu aurais pu déduire que j'étais français depuis plus d'un siècle, montre dans tes propos un véritable racisme "biologique" de mauvais aloi. Vendredi 30 Mars 2007 - 21:50
A l'espagnol L' âne c'est toi
A-t-on déjà brûlé les drapeaux Français en terre d'afrique, monsieur l'espagnol? A-t-on fais la chasse aux blancs residents en Afrique au temps de l'apartheid? A -t-on déjà vu un noir faire sauter un avion ou un train pour la cause des noirs? Répoondez à ces questions avant de déblatter votre , vous nous haïssez parceque nous sommes noirs et non pas parceque ne nous saisissont pas pas la portée de la notion de République. Qui mieux que les Africains peuvent mieux vous parlez de ces identités meurtries; savez-vous Monsieur qu'il existe en Afrique des chrètiens (le christianisme venu avec les colons), des musulmans et autres courants de pensées. Arrêtez votre haine , qui mieux que nos pays avons donné le meilleur à la France , nos sous sols et toute notre économie vous appartiennent et arrêtez de nous parlons de repentance c'est le cadet des soucis des hommes et femmes de ce beau continent, si et seulement si , ils savaient toute la haine que vous portez contre eux. Vendredi 30 Mars 2007 - 18:48
décalé que d'âneries!
Et quand on aura rappelé à tous et à toutes toutes les raisons qu'ils ont d'haïr la France, quelle belle identité nationale nous aurons construite!!!!!! Quand on choisit un pays, on le prend tout entier, avec toute son histoire et cette histoire devient nôtre. C'est un pied-noir, d'origine espagnole qui parle. Faire partie d'une nation, c'est se couler dans un grand mouvement historique et faire corps avec lui. Pour moi, je vibre en pensant aux capétiens qui ont fait la France, aux Républicains qui ont poursuivi l'oeuvre... En relisant la citation à l'Ordre de l'Armée de mon grand-père, signée par Joffre, aprés qu'il eut perdu une jambe dans les batailles de la Somme, les larmes me montent aux yeux, car la France est désormais ma seule Patrie et le sacrifice de mon grand-père a plus lié encore notre destin à celui de la France. Comme en tant qu'occidental, je me sens le descendant d'Athènes, de Rome, de la civisation judeo- chrétienne...cela n'a rien à faire avec mon histoire "vraie" qui doit prendre sa source en Andalousie... Ce sont les grandes civilisations de l'Histoire qui nous façonnent totalement et que nous assumons à travers notre culture. Vendredi 30 Mars 2007 - 16:03



 

 

 

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Comment se construit l'identité nationale ?

2 Avril 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

 

14/03/2007 20:45
Comment se construit l'identité nationale ?

 

Les drapeaux de Léon Cogniet (1794-1880)
 
Des historiens analysent, pour « La Croix », les défis auxquels l'identité nationale se trouve aujourd'hui confrontée et comment elle évolue au fil du temps

Alors que la question de l?identité nationale vient de faire son apparition dans la campagne électorale après des déclarations de Nicolas Sarkozy, Max Gallo est en convaincu : « Ce concept se trouve au c?ur de l??uvre de Michelet. Depuis, Ernest Renan, Marc Bloch et bien sûr Fernand Braudel en ont fait leur problématique centrale », souligne l?auteur de L?Âme de la France (1).

Quelle est, à ses yeux, la singularité de ce pays ? « Le droit du sol, par opposition au droit du sang. Le principe d?égalité, qui en découle. Celui de laïcité, aussi, pour que les individus puissent être égaux, quelles que soient leurs convictions religieuses », énumère l?historien. Pour lui, l?identité nationale française s?appuie aussi sur le rôle prééminent de l?État, tenu de réprimer les « tendances centripètes », ainsi que sur la langue, facteur d?unité, au même titre que l?école, qui « modèle » les futurs citoyens.

Autre élément constitutif, précisément, le rapport individuel de chaque homme à l?État. Et, pour finir, « même si l?évolution juridique n?a pas toujours suivi, même si elle n?a obtenu le droit de vote qu?en 1946 », la place de choix réservée à la femme.

"Identité française" plutôt que "nationale"
Nombre d?historiens se reconnaîtraient sans doute dans ce socle de valeurs et principes, même si certains comme Alain Bergounioux, par ailleurs secrétaire national du PS aux études, refusent d?employer le terme d?identité nationale, lui préférant celui d?« identité française », « beaucoup plus ouvert, bien moins lié à l?histoire de la droite et de l?extrême droite françaises depuis l?affaire Dreyfus ».

La plupart cependant assument pleinement ce concept d?« identité nationale » même s?ils considèrent qu?il n?a pas vocation à demeurer immuable. Ainsi, pour René Rémond, qui vient de quitter la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques, « l?identité n?est pas un musée, ni un conservatoire. La France a une capacité à créer et à innover. À condition de ne pas toucher aux principes généraux, son identité nationale est appelée à se développer. »

René Rémond établit un parallèle avec l?évolution de la langue : « À la commission du dictionnaire de l?Académie française, dont je suis membre, l?on introduit quantité de nouveaux mots empruntés à des langues étrangères. Ils enrichissent le français, mais n?affectent pas sa syntaxe, qui modèle la structure de l?esprit. »

De la même manière, poursuit René Rémond, l?influence de la religion sur l?identité nationale a évolué. « Longtemps, on n?était français que si l?on était catholique. Puis une rupture est intervenue, à la Révolution. Certaines valeurs du christianisme, comme la personne, la liberté, l?ouverture sur le monde, sont restées au c?ur de l?identité nationale, mais sous une forme sécularisée. Et aujourd?hui, le pluralisme et l?acceptation de la liberté religieuse font partie intégrante du corps de doctrine de l?identité nationale », explique l?historien.

L?identité nationale se doit d?être ouverte
Bien entendu, l?identité nationale se doit d?être ouverte, acquiesce Max Gallo. « Elle se modifie sous l?apport bénéfique de populations venues d?ailleurs. Mais il faut tout de même s?interroger sur la façon dont elle va évoluer, à chaque flux migratoire », soutient-il. Ce qui est en jeu, selon lui, ce n?est pas tant la culture ou l?origine spécifiques de certaines personnes, de certains groupes, qui, par exemple, ne reconnaîtraient pas pleinement les principes de laïcité et d?égalité des sexes.

C?est plutôt, dit-il, la « démission » des élites qui depuis les années 1920 « doutent de l?histoire nationale et considèrent la nation comme un concept obsolète ». « La France est le pays qui, à l?échelle de notre continent, compte le plus de couples mixtes entre Européens et non-Européens. Cela prouve bien la puissance assimilatrice des valeurs nationales. Mais comment voulez-vous que le nouvel entrant adhère à l?identité nationale si celle-ci est considérée dans le pays même comme nulle et non avenue ? », interroge Max Gallo, en déplorant l?abandon du concept d?assimilation, au profit de celui d?intégration, puis de multiculturalisme, une route dangereuse qui, selon lui, mène tout droit au communautarisme.

À en croire Michel Wieviorka, il est en tout cas indispensable de revenir aux fondements juridiques de l?identité nationale. « Il existe des critères objectifs pour déterminer qui en relève et qui n?en relève pas. On est Français ou on ne l?est pas? Mais si l?on veut définir qui est un ?bon national? et qui ne l?est pas sur des critères autres que juridiques, on ouvre la porte à des dérives extrêmement graves », met-il en garde, tout en affirmant qu?« on a le droit de ne pas aimer la France, même si l?on tient d?elle son identité nationale ».

Interpellée par l'identité européenne
Une fois posé ce préalable, l?enseignant de l?École des hautes études en sciences sociales reconnaît que l?identité nationale française doit faire face depuis plusieurs décennies à un vrai défi, lié en partie seulement aux vagues migratoires successives, à savoir la poussée dans l?espace public de particularismes culturels ou religieux nouveaux.

« Toutes sortes de groupes formulent des requêtes au titre d?une identité autre que l?identité nationale. Cela a commencé dans les années 1960 avec l?éclosion des mouvements régionalistes. Puis, les juifs de France se sont affirmés dans l?espace public, les Arméniens ont émis des revendications portant sur la reconnaissance du génocide? Plus récemment, une partie de la population noire s?est mise à militer pour une condamnation officielle de la colonisation. » « La grandeur d?un pays consiste à reconnaître les différentes identités qui se manifestent sur son sol », veut croire Michel Wieviorka.

« Mais reste à savoir si elles doivent rester confinées dans la sphère privée et se subordonner à l?identité nationale. C?est ce que veut le modèle français traditionnel, un modèle qui, de nos jours, n?est plus guère opérant. »

Il faut dire que l?identité nationale française se trouve également interpellée par l?identité européenne, quand bien même celle-ci demeure balbutiante. « Toute identité authentique est plurielle et non unique, estime le professeur de la Sorbonne Gérard-François Dumont. Elle est faite d?une dimension territoriale ? le lieu où l?on est né ?, nationale ? le pays où l?on vit ? et européenne, puisque la France appartient à l?Europe. »

Une aspiration à des valeurs idéales
D?après lui, avant 1989 et la chute du Mur, la question d?une identité européenne ne se posait pas. Elle apparaissait en creux, comme une défense par rapport à un monde sans liberté. « Aujourd?hui, elle s?exprime à travers une aspiration à des valeurs idéales, tension qui passe par des hauts et des bas, mais qui se nourrit de la différence des expériences et qui considère la pluralité linguistique et culturelle comme un facteur d?enrichissement », considère Gérard-François Dumont.

Il y a une quinzaine d?années, cette notion d?identité européenne a donné lieu à une multitude de débats et autres colloques, souvent à l?initiative de Bruxelles. « Il y avait alors une grande espérance dans tous les pays de l?Union », se souvient Pierre Milza, auteur d?une Histoire de l?Europe, États et identité européenne (2).

« Qu?en est-il ressorti ? Quelques parallèles, une histoire commune et une idée intéressante, celle que l?immigration favorisait l?identité européenne. On s?est aperçu par exemple que les familles italiennes ou polonaises établies en Lorraine avaient, lors de l?élection du Parlement européen, un vote plus pro-européen. Mais tout ceci est extrêmement fugitif. Qu?est-ce qui fait l?identité ? Une histoire commune ? Celle de l?Europe est en construction. Une religion commune ? Oui et non, car s?il y a eu une Europe chrétienne, l?Antiquité a connu une Europe païenne plus longue encore. Des éléments culturels ? C?est encore fragile car notre histoire est compliquée et surtout éclatée avec des ethnies différentes, des religions différentes et des langues différentes. Au risque de choquer, le meilleur facteur d?identité serait une langue commune. »

Des droits et des devoirs
Aux yeux de Florence Chaltiel, auteur de Naissance du peuple européen (3), il serait en tout cas « vraiment décalé, cinquante ans après la signature du traité de Rome, d?aborder l?identité nationale en faisant abstraction de la dimension européenne », et ce, même si le non français au référendum sur la Constitution révèle les limites du sentiment d?appartenance à l?Europe.

« Pour l?heure, cette identité se définit aujourd?hui avant tout à travers une citoyenneté européenne qui inclut des droits et des devoirs. C?est en tout cas la première fois que l?on voit ce décrochage entre nationalité et citoyenneté. »

Marie-Françoise MASSON et Denis PEIRON

(1) Fayard, 608 p., 23?.
(2) Hatier, 479 p., 12?.
(3) Odile Jacob, 225 p., 24,50 ?.

 
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