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Si la tristesse est une maladie, alors...

8 Février 2008 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #InterCoPsychos

Entretien avec Jacques-Alain Miller
paru dans le Charlie Hebdo N°805, du mercredi 21 novembre.  
 « Si la tristesse est une maladie,
alors c'est l'humanité qui est une maladie »


Comment une campagne sur la dépression démontre l'incapacité présidentielle à appréhender le réel. Un entretien avec le philosophe et psychanalyste Jacques-Alain Miller.

 
" Je veux parler de la dépression, du regard que la société porte sur cette souffrance qui n'est pas matérielle. Je veux engager puissamment la recherche médicale française vers le soulagement de ce mal ", a déclaré Nicolas Sarkozy le 11 février dernier dans un discours à la Mutualité.
Il y a quelques semaines, le ministère de la Santé lançait une campagne sur la dépression. On a demandé à Jacques-Alain Miller ce qu'il en pensait.
Philosophe, psychanalyste, il est le responsable de la publication des Séminaires de Lacan. Jacques-Alain Miller a fondé l'Association mondiale de psychanalyse (AMP) et dirige la revue Le Nouvel Âne dont le dernier numéro est consacré à une critique virulente de la campagne contre la dépression initiée par le ministère de la Santé. Car s'il existe des formes graves de « maladies de l'âme » - qu'on l'appelle comme autrefois mélancolie ou qu’on la vulgarise aujourd’hui sous le terme de “dépression” - la tentation est grande de considérer la moindre fatigue, tristesse ou petit bobo existentiel en pathologie qu’il faut soigner d’urgence avant de repartir au combat...

 
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Melancholia de Dürer

CHARLIE HEBDO: Que pensez-vous du combat présidentiel contre la dépression?

Jacques-Alain Miller: Que le président est un homme de bonne volonté. Qu'il admet que la souffrance psychique n'est pas matérielle, pas objectivable. Mais, parce qu'il n'est pas bien conseillé sur le sujet, il met tous ses espoirs dans la médecine sans songer à la psychanalyse.

CH- Il est mal conseillé, ou il pense profondément que la recherche médicale peut guérir la dépression?

JAM- Qui veut éradiquer médicalement la dépression? La bureaucratie sanitaire internationale. Elle a réussi à mettre au service de cette idée loufoque les autorités politiques d'un nombre considérable de pays développés. Nicolas Sarkozy est influencé, comme l’est la majorité des Français, par l'intense lobbying d'une partie de l'establishment sanitaire national, qui s'exerce dans le sens cognitiviste et pharmaceutique.
 
“Si on ne veut pas déprimer, il faut assumer la vérité.”

CH- Mais comment expliquer cet Intérêt de l'État, du pouvoir pour notre santé?

JAM- Ce n'est pas d'aujourd'hui. La Sécurité sociale date de 1945. Bien avant, dès les débuts de l'époque moderne, le pouvoir va inéluctablement vers le biopouvoir, Michel Foucault l’a démontré. Actuellement, la santé est en France un problème aigu pour tous les gouvernements qui se succèdent, en raison du fameux « trou de la Sécu ». Tout un petit peuple d'experts cherche à « rationaliser » le système. [Institut national de la prévention et de la santé (INPES), créé en 2002, a brillamment remporté la palme avec sa campagne antitabac, et, sur la liste de ses prochaines victimes, il a inscrit la dépression. Mais si les méfaits du tabac ont une certaine objectivité, ce n'est pas le cas avec la dépression: tout dépend de la définition que vous en donnez. Avec l'une, vous pouvez démontrer que les 95 % de la population sont atteints.

CH- Quelle est cette définition?

JAM- 95 % des gens connaissent une moyenne annuelle de six épisodes de tristesse et de perte de l'estime de soi. Si l’on décide de médicaliser tout ça, alors la croissance exponentielle du nombre de dépressifs s'explique. Pas étonnant que l'OMS prédise que, en 2020, la dépression sera la seconde cause d'invalidité dans le monde après les maladies cardiovasculaires. Rions! Ce qui est grave pourtant, c'est que la consommation d'antidépresseurs, qui avait baissé, va exploser à nouveau. Or la France est déjà le pays qui consomme le plus de psychotropes au monde.

CH- La campagne dépression risque-t-elle d'accentuer ce phénomène?

JAM- C'est du Molière, Le Malade imaginaire, ou Knock: [INPES persuade les gens que s'ils sont tristes, c'est qu'ils sont malades, et les incitent à bouffer du médicament. Ce qui était considéré autrefois comme un mauvais moment à passer, un coup de pompe, un deuil difficile, est désormais « une maladie ». La brochure dépression, diffusée à r million d'exemplaires, est une tentative d'endoctrination massive, parfaitement irresponsable. [ambition est de remodeler vos émotions les plus intimes. C'est un « alien » qui s'insinue au plus profond de vous -même pour saboter tout ce que vous éprouvez. Il vous oblige à interpréter vos sentiments les plus humains dans le sens de la maladie.

CH- Vous mettez en cause l'Industrie pharmaceutique?

JAM- Dans tout le monde développé, l'influence idéologique des laboratoires est énorme. Ça ne m’indigne pas : c'est une industrie, elle doit faire face à la compétition internationale, maximiser ses parts de marché, et donc se battre auprès des pouvoirs publics, former l'opinion publique, convaincre tout un chacun qu'avaler ses produits, c'est nécessaire, ça fait du bien. Rien de plus normal, de plus logique. Mais alors, il faut pouvoir leur opposer des contre-pouvoirs, qui fassent barrage à leurs excès de zèle. Nous avons affaire à un phénomène de civilisation.

CH- De quel phénomène s'agit-il?

JAM- L’homme contemporain se pense lui-même comme une machine. Si ça ne va pas , c'est que ça dysfonctionne, et il doit y avoir un traitement hyper rapide. On croit que, normalement, on a droit à l'euphorie, à la pilule du bonheur. C'est de la science-fiction réalisée. On enseigne désormais la science du bonheur en Grande-Bretagne et en Allemagne. Lord Layard, économiste distingué, ex conseiller de Tony Blair, le pape de cette nouvelle science, considère que la dépression est l’un des freins principaux à la croissance économique.

CH- En finir avec la maladie, n'est-ce pas un moyen de relancer la croissance?

JAM- Mais, en l'occurrence, la tristesse est inhérente à l'espèce humaine. Si c'est une maladie, alors c'est l'humanité elle-même qui est une maladie! Il est très possible que nous soyons une infection de la planète. C'était d'ailleurs l'idée de Lacan. Depuis l'origine des temps, nous nous détruisons nous-mêmes, et notre environnement par-dessus le marché. Si on veut guérir ça, on entre dans la biotechnologie, on va essayer de produire une autre espèce, bien meilleure. Une espèce asexuée et muette. À ce moment-là, on se tiendra comme il faut!

CH- Quand on est dépressif, on se tient mal?

JAM- On déprime quand on est malade de la vérité. Si on ne veut pas déprimer, il faut assumer la vérité, sa vérité. J'ai été touché par la phrase de Cécilia qui faisait la une d'un magazine au moment de l'annonce du divorce: « Je veux vivre ma vie sans mentir. » Voilà l'antidépresseur le plus puissant.

Sarkozy a été victime du matraquage sur la dépression.

CH- Nicolas Sarkozy est-il dépressif?

JAM- Il a été au contraire la victime de cette atmosphère de matraquage autour de la dépression. Souvenez-vous de ces photos qui le montraient l'œil vitreux, mal rasé après l'annonce de la séparation... C'est de l'intoxication. Ce type, c'est une dynamo, qui prend à bras-le-corps la réalité, la secoue, cherche le problème et promet la solution. C'est une première. Avec Mitterrand, c'était la morale de la fin du Cid: « Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi. » Avec Chirac, c'était la Corrèze, le père Queuille: « Il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne saurait résoudre. » Et le sarkozysme, c'est un bel effort, mais ça ne va pas marcher: « Ensemble, tout devient possible »? D'abord, Sarkozy a dû constater que, dans son « ensemble» avec Cécilia, tout n'a pas été possible. Et puis, il va découvrir que, si la réalité est bonne fille, sa plasticité n'est pas infinie : elle ne se laisse faire que ce qui lui plaît. Le réel fait barrage. Soit on se fracasse dessus, soit on cherche la meilleure façon de faire avec. Et en ce mois de novembre, on voit les efforts prodigieux de notre Hercule politique achopper de toutes parts. Espérons qu'il se réveille...

 
Propos recueillis par Hélène Fresnel.

Pour bien rire, une comédie musicale.
Ce vidéo montage, mixte de guignol et d’air d’opérette – sur l’air le plus connu de  Gilbert & Sullivan, le Major-General’s Song de leur Pirates of Penzance –, nous présente le professeur Stephen M. Stahl, sommité de la psychopharmacologie états-uniennes, et donc mondiale, sous un jour méconnu.
On se rappelle qu’il a publié en France en janvier dernier son fameux Psychopharmacologie essentielle. Guide du prescripteur. Encore un guide...



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Avec Isabelle Stengers et Jacques Testart

8 Octobre 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

Jacques Testart et Isabelle Stengers 
au Théâtre des Doms en Avignon,
le samedi 6 octobre 2007


14h   Jacques Testart          
Le scientifique, l’éthique et le pouvoir  

Directeur de recherches à l’inserm, pionnier de la procréation artificielle. “Critique de sciences”, il est président de l’association Sciences Citoyennes et partisan d’une maîtrise démocratique de la technoscience.

Depuis que la science, moyen de connaissance, s’est muée en technoscience, moyen de maîtrise, le savant, cet ancestral curieux, est devenu un chercheur, professionnel de l’innovation. La population est parfois inquiète mais demeure fascinée par ces magiciens d’essence ordinaire que sont les chercheurs, tandis que les puissants misent en bourse sur les promesses des plus audacieux. Alors les réussites de la recherche sont appréciées pour leur compétitivité économique plutôt que pour leur contribution au bonheur ou au savoir, et leurs défaillances sont compensées par le bluff ou même la fraude. Finalement, quand la recherche est guidée par la rentabilité immédiate, l’éthique du chercheur est, au mieux, conforme à un inventaire de bonnes pratiques, sans que soit interrogé le sens des actions.
Cette normalisation de la profession (chercheur devient un métier comme un autre) s’opère au moment où la recherche influe plus que jamais sur le monde (de la technoscience dépend notre façon de vivre) et où on la missionne pour des projets souvent utopiques (seule la technoscience pourrait inventer des parades aux désastres qu’elle a induits).
Il est possible et nécessaire que les savoirs comme les pouvoirs soient enfin partagés grâce à l’ouverture de la recherche à la société, et à la reconnaissance du droit des citoyens à choisir ce qu’ils en attendent et ce qu’ils sont disposés à en subir…
 
16h   Isabelle Stengers          
Nos démocraties ont les sciences qu'elles méritent

Philosophe, enseigne à l'Université Libre de Bruxelles. Depuis son premier livre avec Ilya Prigogine, La Nouvelle Alliance, elle n'a cessé d'explorer les questions posées par les sciences et leurs rôles dans nos sociétés. Dernier livre : La Vierge et le neutrino (Les Empêcheurs de penser en rond, 2006)

On nous annonce aujourd'hui que nous sommes entrés dans l'ère de l'économie de la connaissance. La recherche scientifique serait devenue trop importante pour être laissée aux mains des seuls scientifiques. Rien d'étonnant à ce que beaucoup parmi les scientifiques se réfèrent avec nostalgie, comme à un Age d'Or révolu, à l'époque où l'on respectait l'autonomie de la science, où l'on comprenait que seule une science libre peut servir de moteur au progrès humain.  
Cependant, il faut le remarquer, ce respect de la science a coïncidé avec un rôle fort peu démocratique conféré à l'argument scientifique. Affirmer "c'est scientifique" permettait d'accuser les contestataires d'irrationalité et de faire la différence entre les questions laissées au politique et celles dont le politique n'était pas censé se mêler.
Les scientifiques ont certes profité du rôle conféré à "la science", mais ce rôle doit d'abord nous faire penser à la faiblesse de ce que nous appelons démocratie. Et peut-être aussi au développement inégal des sciences, à la manière dont elles ont été marquées par leurs relations exclusives avec l'Etat et l'industrie. Aujourd'hui, alors que les chercheurs sont ramenés au lot commun (eux aussi doivent désormais être "flexibles"), il s'agit peut-être de les aider à se débarrasser de leur nostalgie pour le passé, et à chercher leurs alliés parmi ceux qui luttent pour une société démocratique.  
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Invités par la fondation belge Olam, fondation pour la recherche fondamentale, présidée par Edgard Gunzig, pour la 7° journée thématique organisée en partenariat avec le Théâtre des Doms en Avignon, Jacques Testart et Isabelle Stengers firent deux exposés remarquables sur la responsabilité politique des scientifiques.

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Le scientifique, biologiste célèbre, à la fois pour être le père du 1° bébé français in vitro et pour être celui qui a fait passer ses considérations éthiques avant sa passion scientifique en renonçant à ses recherches biologiques suite aux dérives possibles de la fécondation artificielle, Jacques Testart a dressé un état des lieux sans complaisance de la situation de la recherche à l’échelle de la planète dans le domaine de ce qu’on appelle aujourd’hui la techno-science, notion que l’on doit à Castoriadis entre autres.
Ce qui ressort de cet état des lieux, c’est comment le capital a mis la main sur la recherche et sur les chercheurs, particulièrement contrôlés, mis en compétition entre eux, entre laboratoires, entre pays ce qui a pour effet de réduire la recherche à un petit nombre d’objets, de projets dont le capital espère tirer le plus de profit à court terme. S’adaptant sans état d’âme particulier à cette situation de compétition internationale, les chercheurs, quémandeurs de fonds, vont dans le sens des désirs des gens car le profit suppose de la demande massive à laquelle on va répondre par le produit, l’innovation adaptée. On est dans l’ingénierie et le marketing. La connaissance est devenue le moindre des soucis de la recherche. Face à cette situation qui conduit des chercheurs à des trucages et à tout un tas de comportements cyniques, face aux menaces et aux mensonges organisés par les laboratoires, les industriels, les états même, comment faire pour que les citoyens prennent le contrôle de ce qui leur échappe et qui pourtant conditionne leur quotidien. La description faite par Jacques Testart des conférences citoyennes qui vont s’appeler conventions de citoyens avec leur protocole très précis, scientifique permettant l’évaluation de techniques est une des pistes ouvertes par ce chercheur engagé.


Avec la philosophe belge, ce fut à une pensée en mouvement, une pensée en construction que nous eûmes droit, avec ses hypothèses, ses doutes, ses choix. En tentant de répondre à la question : comment en est-on arrivé là, à savoir passer d’une sorte d’âge d’or de la science soucieuse de connaissance à l’âge de l’économie de la connaissance avec une recherche soucieuse avant tout d’efficacité et de profit. Avec en parallèle la montée citoyenne de la demande démocratique comme l’a montré le mouvement contre les OGM, mouvement qui a surpris les concepteurs, initiateurs, chercheurs, industriels engagés dans la fabrication de ces semences destinées à régler le grave problème de la famine pour le plus grand bien de l’humanité. D’ailleurs aujourd’hui, ce n’est plus cette finalité qui est mise en avant mais la fabrication massive des biocarburants pour pallier la disparition annoncée des ressources pétrolières toujours pour le plus grand bien de l’humanité ne pouvant renoncer à la bagnole.
On a pu suivre pas à pas comment une démarche critique met à jour des présupposés, ceux des chercheurs, ceux du public, ceux des pouvoirs publics et des industriels. On a pu suivre pas à pas comment s’est mise en place cette économie de la connaissance, cette montée en puissance de la mise en compétition, de la productivité attendue des chercheurs. Avec entre autres, la possibilité accordée aux universités américaines de breveter leurs recherches. Aujourd’hui, c’est la brevetabilité tous azimuts, la guerre des brevets, et les tentatives de préserver, de sauver de cette fièvre ce que l’on présente comme patrimoine mondial, biens communs… Comme le scientifique engagé, la philosophe engagée a ouvert des pistes pour permettre aux citoyens de s’approprier ce qui leur échappe souvent avec leur consentement, pris qu’ils sont dans la contradiction entre leurs désirs égoïstes de consommateurs et l’envie de se mêler de ce qui ne les regarde pas, à savoir l’intérêt général.

J'ai filmé les deux intervenants avec leur accord et les vidéos de leurs exposés sont mises en ligne également avec leur accord.

L'exposé d'Isabelle Stengers est en ligne sur ce blog.

L'exposé de Jacques Testart est en ligne sur le blog des 4 Saisons du Revest:

Les scientifiques, l'éthique et le pouvoir.

 

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Responsabilité politique des scientifiques ?

20 Septembre 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora


 
7ème JOURNEE THEMATIQUE DES DOMS:

QUELLE RESPONSABILITE POLITIQUE
POUR LES SCIENTIFIQUES ?
11/09/2007
 
 
Samedi 6 octobre de 14h à 18h
au Théâtre des Doms à Avignon

Pour le plaisir de l'esprit, nous continuons avec Olam, association pour la Recherche fondamentale, à creuser le thème des valeurs en croisant les points de vue de deux nouveaux invités: Jacques Testart, directeur de recherches de l'Insem, pionnier de la procréation artificielle et Isabelle Stengers, philosophe.

14h  Jacques Testart
Le scientifique, l’éthique et le pouvoir  


Depuis que la science, moyen de connaissance, s’est muée en technoscience, moyen de maîtrise, le savant, cet ancestral curieux, est devenu un chercheur, professionnel de l’innovation. Chercheur devient un métier comme un autre alors que la recherche influe plus que jamais sur le monde (de la technoscience dépend notre façon de vivre) et où on la missionne pour des projets souvent utopiques (seule la technoscience pourrait inventer des parades aux désastres qu’elle a induits).Il est possible et nécessaire que les savoirs comme les pouvoirs soient enfin partagés grâce à l’ouverture de la recherche à la société, et à la reconnaissance du droit des citoyens à choisir ce qu’ils en attendent et ce qu’ils sont disposés à en subir…

16h  Isabelle Stengers
Nos démocraties ont les sciences
qu'elles méritent


On nous annonce aujourd'hui que nous sommes entrés dans l'ère de l'économie de la connaissance. La recherche scientifique serait devenue trop importante pour être laissée aux mains des seuls scientifiques. Rien d'étonnant à ce que beaucoup parmi les scientifiques se réfèrent avec nostalgie, comme à un Age d'Or révolu, à l'époque où l'on respectait l'autonomie de la science, où l'on comprenait que seule une science libre peut servir de moteur au progrès humain.  Cependant, il faut le remarquer, ce respect de la science a coïncidé avec un rôle fort peu démocratique conféré à l'argument scientifique. Affirmer "c'est scientifique" permettait d'accuser les contestataires d'irrationalité et de faire la différence entre les questions laissées au politique et celles dont le politique n'était pas censé se mêler.Les scientifiques ont certes profité du rôle conféré à "la science", mais ce rôle doit d'abord nous faire penser à la faiblesse de ce que nous appelons démocratie.  

 
Avec la collaboration de Echange et Diffusion des Savoirs - Marseille
 
Tarif unique: 8€
Infos et réservations: 04 90 14 07 99 - info@lesdoms.eu


Théâtre des Doms
La Vitrine Sud de la Création en Belgique francophone
1 bis rue des Escaliers Sainte-Anne - F- 84000 Avignon
Tél +33 (0)4 90 14 07 99 - Fax -33 (0)4 90 85 53 95 -
info@lesdoms.eu

www.lesdoms.eu

 
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Goodbye mister socialism d'Antonio Negri

4 Septembre 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

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Les éditions du Seuil publient une série d’entretiens du philosophe italien Antonio Negri, sous un titre beaucoup moins provocateur qu’il n’y paraît de prime abord : good bye mister socialism.* C’est un titre en effet devenu presque banal après des années de crises de la gauche en Europe et ses derniers développements en France notamment : quasi disparition du PC, inconsistance de l’extrême gauche, dilution du PS dans une crise identitaire fondamentale. C’est ainsi que la droite la plus conservatrice, solidement installée au pouvoir, peut se permettre de proclamer qu’elle  incarne désormais le changement et la modernité. Antonio Negri consacre l’essentiel de ses entretiens à cet effondrement des gauches en Europe.

La gauche s’est partout mise hors jeu en continuant de défendre ce qui appartient au passé : la société industrielle et l’Etat nation. La gauche n’a pas non plus compris l’évolution des relations internationales, à savoir le rôle, tout d’abord, de la guerre, devenue consubstantielle de la politique car « la politique est devenue biopouvoir, contrôle et expropriation féroce de l’ensemble des activités humaines » mais aussi  le fait que la montée du Sud condamne la poursuite d’un modèle de développement européen  fondé sur l’exploitation pluriséculaire de ce monde dominé.

Le capitalisme est aujourd’hui en pleine transition : la mondialisation et les bouleversements technologiques ont entraîné des défis pour le système économique : comment réaliser un monde global en dépassant les réalités nationales ? Quelles institutions de régulation et de contrôle créer quand ONU FMI OMC montrent leurs limites? Comment contrôler des sociétés qui de plus en plus acquièrent liberté et autonomie par rapport au capital, par la promotion du travail cognitif et l’utilisation d’internet ? « le travail cognitif se situe en effet à l’extérieur du temps mesurable par le patron. » Lié intrinsèquement à la communication, au réseau, à la coopération, il ne concerne plus l’individu mais la multitude. L’exploitation du sujet par le travail salarial et la gestion de masse devient donc plus difficile.

Face à ces défis, le système a besoin de souplesse : toute fonction de gouvernance doit prendre en compte les contestations de la multitude, ce que l’on voit bien à Davos, où sont régulièrement invités des opposants afin de  conduire le système à s’adapter. En même temps, le capitalisme a développé, par la financiarisation, un moyen d’absorber activité productive, salaire, épargne. « La financiarisation doit permettre de subsumer la multitude, c'est-à-dire de refermer le dispositif global de la production par-dessus et par delà les singularités productives qui la composent et peuvent s’en affranchir aujourd’hui. » Financiarisation et appropriation de l’intelligence sont donc deux principes organisant maintenant  la coopération capitaliste. Le capitalisme cherche donc à contrôler réseaux et travail intellectuel, espaces de libertés.
L’enjeu fondamental du capital est  bien le contrôle social et politique. Et toute crise sociale où s’exprime une revendication de liberté et d’autonomie par rapport au capital ne peut que fragiliser économie et pays, fussent-ils les Etats-Unis eux-mêmes.

La gauche n’a pas pris en compte toutes ces évolutions. Elle demeure par exemple tributaire d’une vision corporatiste du marché du travail et défend des positions passéistes : blocages sur le CDI, sur l’insertion des migrants, pas de réponse face à l’allongement du temps de travail et de la durée de la vie active mis en œuvre par la droite, incapacité à sortir du fordisme et à la croyance dans le développement continu de la classe moyenne et du salariat de masse, aveuglement face à l’inéluctabilité de la mobilité et de la flexibilité.

La société a pourtant multiplié les signes montrant son désir de construire du neuf face au capitalisme mondialisé et la fin de l’Etat providence. La question sociale est ainsi revenue sur le devant de la scène avec Seattle , avec l’ « affirmation que le capitalisme n’est pas nécessaire et qu’il existe d’autres modes de vie, des alternatives politico-économiques au capitalisme ». Depuis s’est développée l’idée que le précariat et la mobilité peuvent être libres . La précarisation et l’essor du travail cognitif ont remis à l’ordre du jour le fait que  « la liberté  c’est de ne pas être contraint d’aller travailler et d’aimer à inventer, avec les autres »  

Pour Negri ces prises de conscience créent un espace immense pour reconstruire ce qu’il appelle « le commun » et de là refonder la démocratie.
Le commun c'est la communauté au sein de laquelle agissent les singularités ; le commun met en place un rapport productif entre ces singularités. Le commun c’est le réseau, c’est la série de biens qui nous permettent de nous reproduire, de produire, de nous déplacer, etc. C’est ce qui permet de construire un langage (bibliothèques, livres, technologies informatiques libres, outils de communication en tant que tels) ; le commun c’est  tout l’ensemble des outils d’échange entre les sujets, subsumé dans la liberté.

Aujourd’hui  s’est constituée une vaste nébuleuse porteuse d’un égalitarisme radical, et de cosmopolitisme, une sorte de  « pensée biopolitique des Lumières » traversant tous les champs de l’existence, utilisant  un réseau commun,  porteuse  de pratiques politiques anti autoritaires, et dynamique sociale se faisant sur le mode  de l’horizontalité communicationnelle.
La lutte contre le CPE, en 2006, en France, est un bon exemple de ce qui est en train de changer dans les sociétés : ce ne fut pas un mouvement de  résistance mais  une offensive, la révolte du prolétariat postfordiste et cognitif contre les nouvelles normes du capitalisme global. Les participants furent essentiellement des travailleurs scolarisés, des précaires, des jeunes en formation, des intérimaires, des intermittents, des travailleurs en free lance, des indépendants à cheval entre salariat et travail autonome,  c'est-à-dire  les secteurs non structurés de l’économie ; dans ces luttes, pas d’apologie du travail, des  actions quasi insurrectionnelles ( sur les réseaux de transports) et non pas seulement des manifestations. Et la revendication essentielle  était contenue dans des mots d’ordre aussi simples que suggestifs : vivre dignement ; la vie n’est pas négociable.

Au centre de ce questionnement s’impose l’idée du revenu citoyen, comme base permettant la reproduction sociale de tous les citoyens, et rendant sa dignité aux flexibles et mobiles. Le revenu citoyen c’est en effet d’abord la reconnaissance de droits liés à la reproduction de chacun : santé, culture, logement, éducation. La revendication d’un revenu citoyen apparaît de plus en plus comme un refus du travail et du rapport salarié. Il signifie donc l’indépendance effective de l’autonomie des travailleurs par rapport au capital.
La question du revenu citoyen devrait être posée en même temps que de vastes luttes sur les salaires. Cela passe aussi par la définition d’un droit commun, au-delà du droit public et du droit privé , un  « droit qui ajoute à l’appropriation générale des moyens de production l’autovalorisation décisionnelle des sujets. »


On voit bien qu’Antonio Negri  se situe au-delà de revendications catégorielles ou corporatistes. Cela dépasse la condamnation devenue caduque de la dérégulation. Cela va au-delà de la distinction public/privé : Le public d’Etat n’est en effet pas le commun, même si la notion de service public prend en partie en compte  l’idée d’un vivre en commun décent. Le commun signifie « passer de l’idée de monopole public à celle de gestion commune du bien public ».  Le droit anglo-saxon peut permettre d’aller dans cette direction avec le droit d’agence, le droit d’action, mais  à condition que la société agisse pour que ces adaptations juridiques aient lieu.

Ce  sont là des fruits issus des réflexions altermondialistes. Elles ont contribué à mieux comprendre que la complexification de nos sociétés qui conduit à l’égoïsme entraîne aussi davantage de solidarité, ne serait-ce que parce que la société bourgeoise est segmentée et que le pouvoir est contraint de la diviser. On assiste aujourd’hui à l’essor de la cohésion, sous l’effet d’éléments communautaires. Les altermondialistes ont en effet rappelé l’importance d’une réponse collective à l’exploitation capitaliste, mais une action collective qui refuse de devenir l’homologue du pouvoir ( tandis que détruire une banque c’est au fond accepter cette homologie). « Il s’agit plutôt de réinventer la production autour de la libre participation du producteur. Il ne peut y avoir de producteur que libre et doté de compétences démocratiques. »

La question sociale débouche donc logiquement sur celle de la démocratie. Negri, sur ce plan, n’est pas tendre avec la gauche dont il constate « une absence de sensibilité à la démocratie » . Incapable de construire la question du « commun », elle s’accomode du thème fasciste de la sécurité  et  ne s’est pas saisi non plus de la question de la crise des régimes représentatifs  :  « la vie d’un parti ne dépend plus de la consistance de son groupe parlementaire, mais de sa capacité à se faire mouvement . »
La question qui se pose c’est la direction qu’il faut imprimer, dans les faits, à nos sociétés complexes. Or la gauche ne propose que  la direction capitaliste des affaires par les sociétés par actions et l’organisation du pouvoir par l’administration. Elle ne sait pas ouvrir l’administration aux expériences locales et démocratiques, aux besoins particuliers, et aux articulations entre les mouvements. Elle ne fait qu’évoquer des mécanismes participatifs inefficaces voire mystificateurs.
La gauche semble totalement incapable de  construire des outils démocratiques de gestion et d’autogestion, plus ou moins articulés et sophistiqués, permettant la préservation et le développemept des biens communs. Aujourd’hui les normes et les événements ne s’organisant plus de manière verticale, le pouvoir a de plus en plus de mal à fonctionner avec sa structure pyramidale ou verticale ; il n’est plus en mesure d’édicter une norme puis de la mettre en œuvre concrètement  sur le plan administratif. La norme n’est effective que si il y a consensus donc participation.

Il y a donc de la matière pour l’apparition d’une gauche nouvelle et démocratique s’appliquant  à la gestion du commun et à la construction égalitaire de réseaux de coopération toujours plus étendus.  « La raison d’être de la gauche, c’est de mettre sur pied de nouvelles formes d’organisation de la production. » Aujourd’hui cela passe par la prise en compte de plus de flexibilité et de mobilité, réalités communes au système économique et à une partie grandissante de la multitude. La composition et  la recomposition de la multitude doivent être au centre des préoccupations  de la gauche. C’est un concept comprenant celui d’exploitation;  il inclut le concept de classe; «  il concerne toute la société car le monde de la vie est subsumé par le capital. » Mais quel rapport entre la mobilité des migrants et la flexibilité des précaires ? Entre l’ancienne force de travail matérielle et la nouvelle, immatérielle ? Face à la nébuleuse des travailleurs précaires, la gauche devrait organiser la réflexion sur ce qu’il y a de commun entre eux. La multitude n’a pas de conscience de classe, mais est capable parfois de se mettre en réseau, de réorganiser des projets de façon multitudinaire, de se livrer à des démonstrations de force, de faire surgir des occasions de faire avancer des revendications politiques et sociales.

A partir de ces analyses, Antonio Negri reformule une définition du socialisme : Le développement technologique – donc l’accumulation et l’innovation – plus la démocratie – c’est-à-dire la capacité politique de la société à s’autodiriger. Des expériences ont lieu en Argentine, au Brésil, ailleurs en Amérique du Sud, mais aussi en Espagne qui lui paraissent aller dans ce sens : exemples de gouvernements  participatifs, mise en place de hautes autorités ayant pour objectif non le contrôle mais la participation ;  développement capitaliste ouvert et mondialisé pour briser les conservatismes, et engagement sur la question des mœurs; mobilisation de précaires  luttant pour un revenu citoyen.

En fin de compte, la pensée de Negri veut redonner une actualité  au communisme  entendu comme « transformation radicale des sujets mis au travail et comme la constitution d’un nouveau temps historique, de construction du « commun », comme capacité commune à produire et à reproduire le social dans la liberté. » Le socialisme,  du fait de son absorption par le marché unique, a de fait perdu toute capacité à se référer à la démocratie, et continue vainement à  croire à une gestion correcte et égalitaire du capitalisme,  et aux vertus de l’état de droit, réactionnaire car défendant la propriété privée, donc ne reconnaissant pas le commun. C’est une condamnation sans appel qui devrait nourrir finalement bien des espoirs pour celles et ceux qui ne se résignent pas à la fatalité d’une société de marché.

Gilles Desnots.

*Antonio Negri, Goodbye mister socialism, Milan 2006, mars 2007 pour la publication en France aux éditions du Seuil.

 
Toni Negri, théoricien du post-capitalisme ?

On avait laissé Toni Negri dans les geoles italiennes, accusé d’avoir été l’inspirateur des Brigades Rouges. Le philosophe n’est pas à un paradoxe près, puisque converti dans les années 50 au marxisme dans un kibboutz israélien, il théorisait l’action directe des années 80 tout en étant opposé à la violence.
Aujourd’hui il participe avec Slavoj Zizek, Daniel Bensaïd et quelques autres, au renouvellement de la réflexion politique à l’heure de l’alter mondialisation et de la faillite des états nations. Pour Toni Negri, la révolution est déjà passée, elle a eu lieu vers 1968, le nouveau prolétariat cognitif, nomade et précaire, détérritorialisé, combat un empire biopolitique mondialisé : la force de travail, c’est l’intellect, et le capitalisme est déjà mort : on a plus besoin du capital ! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation
A lire, l’entretien publié dans “Le Monde des Livres” d’aujourd’hui :

Antonio Negri : “Nous sommes déjà des hommes nouveaux”
LE MONDE DES LIVRES | 12.07.07 | 18h48 • Mis à jour le 12.07.07 | 18h57

Parmi les oeuvres exposées à Venise, ces jours-ci, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain, on croise cette Passion du XXe siècle : Jésus crucifié sur un avion de chasse, un bras fixé à chaque missile. Cette oeuvre, intitulée La Civilisation occidentale et chrétienne, se trouve suspendue aux plafonds de l’Arsenal, en plein coeur de la cité vénitienne.

A quelques kilomètres de là, au début des années 1970, des ouvriers de la pétrochimie avaient utilisé le même motif pour identifier leur calvaire moderne : révoltés par la multiplication des cas de cancer dans leurs rangs, ils avaient récupéré un mannequin féminin en plastique désarticulé, et l’avaient cloué sur une croix, le visage recouvert d’un masque à gaz militaire. “Vous vous rendez compte, il y a eu des milliers de cancers, beaucoup de morts, et tout cela vient seulement d’être jugé, en 2003…”, soupire Antonio Negri, tenant dans sa main une photo jaunie de la foule prolétarienne rassemblée autour de cette croix : c’est la Passion de Porto Marghera, du nom de l’immense zone industrielle qui se dresse à la lisière de Venise.

A leur manière, ces travailleurs étaient des habitués de la Biennale : en juin 1968, main dans la main avec les étudiants de la faculté d’architecture, n’avaient-ils pas bloqué la manifestation, appelant à un front unique des beaux-arts et de l’imagination ouvrière ? Negri en était. Il a alors 35 ans, habite Venise et enseigne la philosophie du droit public à l’université de Padoue ; mais c’est à Porto Marghera que le militant fait vraiment ses classes : “Je partais très tôt le matin, j’arrivais vers 6 heures pour les assemblées générales ouvrières, puis je mettais ma cravate pour aller tenir mon séminaire à la fac, et je revenais à 17 heures, histoire de préparer la suite du mouvement…”, se souvient-il.

Aller à la rencontre de Negri, c’est revenir à cette scène fondatrice, et mesurer la distance parcourue, depuis l’éducation politique de Porto Marghera jusqu’à la consécration “altermondialiste”, en passant par les “années de plomb”, la terreur, la prison (voir encadré). Rendez-vous fut donc pris dans l’un des innombrables “centres sociaux” qui forment l’armature des réseaux “alter” en Italie, et qui associent intérimaires, sans-papiers et intellectuels précaires autour d’un débat ou d’un concert.

“Nous voilà dans le Far West vénitien”, ironise Antonio Negri, tandis que la voiture s’enfonce dans la chaleur de Porto Marghera. Au bord de la route, des bâtiments industriels, des colonnes de fumée et, tous les 500 m, une prostituée. A droite, on aperçoit l’ancien local où Negri et ses camarades de l’Autonomie ouvrière défiaient le centre de police, situé juste en face. A gauche, devant une usine textile, coule un canal qui mène à la lagune, au travers duquel les “copains” tendaient des câbles pour empêcher les bateaux des “jaunes” (briseurs de grève) d’accoster.

Un peu plus loin, justement, on tombe sur un piquet de grève, tout à fait actuel celui-là : torses nus et bermudas estivaux, quatre métallos montent la garde devant leur entreprise pour protester contre les licenciements massifs. Un journal à la main, ils chassent les insectes qui s’accumulent sous leur parasol. La conversation s’engage à l’ombre des bannières syndicales, quelques blagues sont échangées. “C’est fou, on dirait un film de Fellini”, sourit Negri, comme si la scène avait à ses yeux quelque chose d’irrémédiablement dépassé.

Longtemps, pourtant, le philosophe et ses amis “ouvriéristes” ont considéré ces travailleurs comme l’avant-garde d’une libération universelle. La voie en était toute tracée, et elle partait, entre autres, de Porto Marghera. Les choses ont changé : “Dans les années 1970, il y avait ici 35 000 ouvriers, aujourd’hui ils sont 9 000. On est passé du fordisme au post-fordisme, il n’y a quasiment plus rien d’un point de vue industriel. Ce sont des entreprises de services, de transports, d’informatique”, précise Negri, dont l’effort théorique consiste à réviser les catégories marxistes en partant de la question sociale et de ses métamorphoses contemporaines.

A commencer par l’avènement d’un monde “postmoderne”, entièrement soumis à l’hégémonie de la marchandise. Cet espace de domination “déterritorialisé”, à la fois lisse et sans frontières, où la folle circulation du capital rend caduques les anciennes souverainetés étatiques, Negri et son ami américain Michael Hardt l’ont baptisé “Empire”. En son sein triomphe une forme de travail de plus en plus “cognitive”, c’est-à-dire immatérielle et communicationnelle. En prendre acte, affirment-ils, c’est accepter le fait que le prolétariat industriel tend à céder sa place à un autre sujet collectif, plus hybride, plus adapté aux formes globales de l’exploitation : les deux auteurs nomment “Multitude” cette nouvelle figure politique (1).

Toutefois, là où le prolétariat marxiste était appelé à monter “à l’assaut du ciel” en faisant la révolution, la Multitude “negriste” est censée garder les pieds sur terre, et endurer une interminable transition. Son destin n’est pas de préparer la rupture, assure Negri, mais de reconnaître qu’elle a déjà eu lieu : “Je suis convaincu que nous sommes déjà des hommes nouveaux : la rupture a déjà été donnée, et elle date des années 1968. 1968 n’est pas important parce que Cohn-Bendit a fait des pirouettes à la Sorbonne, non ! C’est important parce qu’alors le travail intellectuel est entré en scène. En réalité, je me demande si le capitalisme existe encore, aujourd’hui, et si la grande transformation que nous vivons n’est pas une transition extrêmement puissante vers une société plus libre, plus juste, plus démocratique.”

Relisant Spinoza et Machiavel, mais aussi Deleuze et Foucault, Negri s’efforce de proposer une grille de lecture originale à tous ceux qui veulent préserver une espérance d’émancipation. Si les deux livres qu’il a publiés avec Michael Hardt, Empire (Exils, 2000) et Multitude (La Découverte, 2004), sont lus et commentés aux quatre coins de la planète, c’est que les hypothèses et le vocabulaire qu’ils proposent sont venus répondre à une attente de renouvellement théorique, les jeunes générations altermondialistes ne pouvant se contenter du vieux corpus léniniste et/ou tiers-mondiste.

A ces militants du XXIe siècle, Negri n’annonce ni émeute ni grand soir. Cet ancien chef de l’extrême gauche italienne, qui fut jadis accusé d’être le cerveau des Brigades rouges, insiste souvent sur sa répugnance à l’égard de la violence et de ses théorisations ; du reste, on ne trouve guère, sous sa plume, la fascination que le volontarisme politique et la “décision” révolutionnaire inspirent à certains philosophes français : “Je déteste tous ceux qui parlent de “décision”, au sens de Carl Schmitt. Je pense que c’est vraiment le mot fasciste par excellence, c’est de la mystification pure. La décision, c’est quelque chose de difficile, une accumulation de raisonnements, d’états d’âme ; la décision, ce n’est pas couper, c’est construire…”, rectifie Negri.

Pour lui, face à un Empire “biopolitique” dont le pouvoir touche à chaque existence, et jusqu’à l’organisation de la vie même, la Multitude est tentée par l’exode, plutôt que par l’affrontement. C’est en désertant collectivement que les singularités en révolte pourront partager leurs expériences, échanger leurs idées, construire ce que Negri appelle le “commun” : “On n’a plus besoin du capital ! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation. La Multitude en a pris conscience, elle qui ne veut plus qu’on lui enlève le produit de son travail. Voyez le récent rassemblement altermondialiste de Rostock, en Allemagne. Ce n’était plus la vieille classe ouvrière, c’était le nouveau prolétariat cognitif : il fait tous les métiers précaires, il travaille dans les call centers ou dans les centres de recherche scientifique, il aime mettre en commun son intelligence, ses langages, sa musique… C’est ça la nouvelle jeunesse ! Il y a maintenant la possibilité d’une gestion démocratique absolue”, s’enthousiasme Negri.

Voeu pieux, tranchent les uns. Abstraction fumeuse, ricanent les autres, dénonçant l’illusion d’une justice immanente et globalisée, version généreuse de la propagande néolibérale. La notion de “Multitude” ne masque-t-elle pas la permanence de la lutte des classes ?, demande le philosophe slovène Slavoj Zizek. Et si l’Empire est sans limites ni dehors, comment pourrait-on s’en retirer, interroge pour sa part le philosophe allemand Peter Sloterdijk. “La scène mondiale devient alors un théâtre d’ombres où une abstraction de Multitude affronte une abstraction d’Empire”, écrit quant à lui le philosophe français Daniel Bensaïd, raillant une ” rhétorique de la béatitude” où “la foi du charbonnier tient lieu de projet stratégique” : dans ces conditions, tranche Bensaïd, comment s’étonner que Negri ait appelé à voter “oui” au projet de Constitution européenne ?

Face à ces critiques, Antonio Negri tient ferme. Il explique que ses concepts demeurent “à faire”, et qu’il souhaite seulement proposer quelques “hypothèses” : “Moi je crois que la révolution est déjà passée, et que la liberté vit dans la conscience des gens. Vous connaissez la formule de Gramsci, “pessimisme de la raison, optimisme de la volonté”. Pour moi, ce serait plutôt “optimisme de la raison, pessimisme de la volonté”, car le chemin est difficile…” Assis dans son bureau vénitien, entre une photo de son ami disparu, le psychanalyste Felix Guattari, et une statuette de Lénine, il pose la main sur un essai de Daniel Bensaïd traduit en italien (Marx l’intempestif) et repasse à l’offensive : “Bensaïd, qu’est-ce qu’il me propose ? De revenir à l’Etat-nation ? A la guerre ? A l’individu ? C’est impossible, c’est irréversible, les catégories de la modernité sont perdues.”

Et de conclure que si la gauche est en crise, c’est parce qu’elle n’a rien compris à la naissance de la Multitude et qu’elle s’accroche au vieux monde des “cols bleus” : “personne ne veut plus travailler en usine comme son père ! Il n’y a que les communistes français qui ne voient pas ça, et aussi Sarkozy ! Après tout, il a été élu sur quoi ? Sur le nationalisme, qui a été construit par la gauche dans la bataille contre l’Europe. Et sur l’apologie du travail, élaborée par la gauche dans sa lutte contre le contrat premier emploi (CPE). Je rêve d’une autre gauche, qui reconnaîtrait que le capital n’est plus la force qui unifie le travail, que l’Etat n’est plus la force qui fait les Constitutions, et que l’individu n’est plus le centre de tout. En bref, une gauche d’égalité, de liberté, de “démocratie absolue”, comme diraient Spinoza et Machiavel”

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(1) Pour une discussion stimulante de ces concepts, on lira le livre de Pierre Dardot, Christian Laval et El Mouhoub Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel (La Découverte, 264 p., 23 €).

Jean Birnbaum

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Références

Parmi les dernières parutions d’Antonio Negri : Goodbye mister socialism, entretiens avec Raf Valvola Scelsi (traduit de l’italien par Paola Bertilotti, Seuil, 318 p., 17 €), L’Anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza (traduit de l’italien par François Matheron, réed. Amsterdam, 352 p., 22 €), Fabrique de porcelaine. Pour une nouvelle grammaire du politique (traduit de l’italien par Judith Revel, Stock, 234 p., 19,50 €).

Article paru dans l’édition du 13.07.07

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Quelle histoire pour quelle nation ?

3 Avril 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

Quelle histoire pour quelle nation ?

Les drapeaux de Léon Cogniet (1794-1880)

L'histoire doit être réécrite
pour une identité française ouverte et multicolore
dans l'Europe et le monde d'aujourd'hui.

par Suzanne Citron
Historienne

 

 

La nation nouvel enjeu de la campagne présidentielle ? Mais
quelle nation, et selon quelle Histoire? S'agit-il du « roman
national », qui survit en filigrane dans les manuels de l'école et en
bribes dans les souvenirs des aînés ? Pour se défendre contre le
tollé suscité par son inadmissible projet d'un "ministère de
l'immigration et de l'identité nationale", Nicolas Sarkozy a déclaré
(Caen, 9 mars) : "Celui qui arrive et qui aime la France devient
l'héritier de tout son passé ." Du côté de Ségolène Royal, "La gauche
et la droite ne mettent pas le même contenu dans la notion d'identité"
affirme Stéphane Rozes, tandis que Jean-Pierre Chevènement, très
présent auprès de la candidate, assure qu'avec la Marseillaise et le
drapeau, Ségolène Royal reprend le terrain trop souvent abandonné par
la gauche depuis des lustres à la droite et à l'extrême droite
(Libération, 27 mars.) Mais la question de l'Histoire n'est pas
posée.
L'Histoire scolaire, fabriquée dans le contexte des passions
nationalistes des années 1880 et de la culture raciale de la
supériorité blanche et européenne, faisait silence sur la traite des
noirs et sur l'esclavage. Elle exaltait la colonisation comme "la
grande œuvre de la République". Dans l'école devenue obligatoire, elle
devait bâtir l'unité patriotique et nationale. Les enfants de la
métropole, qu'ils soient corses ou basques, ont tous appris que leurs
ancêtres étaient gaulois. Aux petits indigènes scolarisés dans
l'Empire, aux Antilles, en Algérie, au Sénégal, l'Histoire a imputé
des grands-pères gaulois, qui n'avaient pas la couleur de leur peau.
Les héritiers d'une lointaine symbiose judéo-occitane ou judéo-arabe
ou les descendants d'une culture yiddish émigrée du shtetl ont adopté
sans broncher, comme "naturels", ces mêmes ancêtres gaulois. C'était
le temps où l'assimilation marchait.
Parce que, depuis la Révolution et l'Empire, l'État et la Nation
étaient confondus et que la République incarnait le Progrès humain,
cette Histoire a, jusqu'à très récemment, masqué les
exactions—notamment coloniales—imputables à l'État et à la
sacro-sainte Révolution elle-même. Après la 2ème guerre mondiale, les
massacres de Sétif du 8 mai 1945, la répression de 1947 à Madagascar
ont été occultés pendant des décennies. Jusqu'à sa condamnation par
Chirac, le 16 juillet 1995, les manuels ont ignoré la responsabilité
de l'État vichyssois dans la déportation des juifs. Ils sont
longtemps restés muets sur la torture en Algérie, sur le sort honteux
des Harkis, sur la mémoire meurtrie des Pieds Noirs. La présence
d'Indigènes dans l'armée de la Libération n'a été solennellement
reconnue qu'à la suite du film qui la racontait. L'Histoire
républicaine et nationale a refoulé dans le non dit les mémoires des
vaincus et des blessés de l'Histoire. Elle a ignoré, dans son récit,
les héritages spécifiques des Français alsaciens, bretons, corses,
occitans, basques, des descendants d'immigrés, de colonisés,
d'esclaves.
Lorsque Nicolas Sarkozy enjoint aux nouveaux arrivants d'être « les
héritiers de 2000 ans de christianisme », il méconnaît les quatorze
siècles d'Islam dont les Français musulmans sont porteurs. Mais, entre
les Hébreux et la Shoah, l'Histoire scolaire ignore, elle aussi, la
saga juive, millénaire, méditerranéenne et européenne. Chacun doit
enfin en prendre acte : la grande synthèse construite et léguée par
les historiens libéraux (1) et républicains du 19ème siècle, est
aujourd'hui caduque. Mise en cause par le réveil des mémoires, elle
l'est aussi par les travaux conjugués des historiens, des
archéologues, des anthropologues, des préhistoriens. Ils
re-problématisent le passé en fonction d'éclairages neufs. Les
nouveaux matériaux, les (re)lectures d'archives, l'interrogation sur
le sens différent d'un même mot selon les moments, les lieux et les
personnes, permettent de questionner le passé, de déconstruire les
postulats nationalistes et scientistes du 19ème siècle, de faire
tomber les cloisons artificielles qui emprisonnent les recherches et
brident les fulgurances. Ils amorcent le chantier d'une Histoire pour
demain, celle d'une France ouverte et multiple, dans une Europe à
repenser, dans un monde chahuté, dans une terre en danger.
L'Histoire dont les Français ont besoin comme support d'une identité
nationale aux mille couleurs doit être mondiale et européenne pour
être vraiment nationale, parce que les Français d'aujourd'hui ont des
racines dans la planète entière. Tissée de mémoires croisées et
d'identités plurielles, cette Histoire sera le support d'une
citoyenneté commune des droits et des devoirs, une citoyenneté de
combat contre toutes les inégalités, lucide sur les enjeux
écologiques, tournée vers l'avenir.
C'est l'histoire revendiquée par Christiane Taubira la Française de
Guyane, ce sera celle de la France métissée de Ségolène Royal.

(1) au sens du 19ème siècle !
Dernier livre paru : Mes lignes de démarcation, (Syllepse 2003).

 
LIBERATION.FR : vendredi 30 mars 2007
 
Réactions

esther des erreurs
Une fois de plus, Suzanne Citron a raison et tort et quand elle a tort, elle écrit absolument n'importe quoi ! J'ai étudié l'esclavage au collège à la fin des années 70, la colonisation et la décolnisation (guerre d'Algérie, la torture, mais oui !!) en 1985 alors que j'étais en prépa à Normale Sup et avec tous les détails !! Les manuels scolaires font état du rôle de Vichy depuis pas mal de temps et leurs auteurs n'ont pas attendu le discours de Jacques Chirac de 1997 ! Par contre, il est vrai qu'en 1982, c'était loin d'être le cas ! Mais on aimerait que la repentance ne soit pas toujours à sens unique ! Samedi 31 Mars 2007 - 22:02
décalé les démolisseurs
Les petits français ne savent déjà plus rien de leur histoire. Ce ne sont plus que de petits zombis sans racines et sans mémoire. Comment peut-on envisager dans ce cas de construire un avenir commun, alors que les fondations héritées de nos ancêtres ont disparu, sapées par des décennies pendant lesquelles se sont combinées l'oeuvre de démolition des pédagogues inspirées peu ou prou par le communisme ( dont Mmme Citron) et la politique de "benign neglect" de la Droite en place, qui ne croit (croyait?) pas à l'importance de la matière pour construire l'avenir? Pour moi, tout jeune sortant du système scolaire aujourd'hui devrait être capable de faire deux choses: d'abord être capable de dire et d'expliquer les principales caractéristiques le la formidable civilisation dont il est issue: la civilisation occidentale et cette fabuleuse lignée (Athènes, Rome, le judeo-christianisme, la réforme grégorienne, le libéralisme), ensuite de situer la trajectoire nationale et l'apport de la France dans cet ensemble. A partir de là, oui, on pourrait parler d'avenir commun. Les nouveaux arrivants sauraient dans quelle nouvelle dynamique ils doivent désormais opérer, les valeurs de base à assimiler pour se fondre dans la nouvelle entité qu'ils sont SUPPOSES avoir CHOISIE. Et la communication avec les français dits "de souche " ( des vagues antérieures d'immigration) seraient naturelles, car nous parlerions le même langage. Nous nous inscrivons dans une communauté historique. Libre à chacun, par lui-même, de faire son propre travail généalogique et archéologique. Mais, quand on choisit un pays, on choisit aussi d'épouser un destin et de contribuer à son futur propre en nous fondant dans l'effort national.Avec notre sensibilité. Mais, avec le respect et la révérence des ancêtres du pays qui nous a accueillis et avec l'amour de son histoire. Samedi 31 Mars 2007 - 20:05
Philippe Martel Le piège national
Content de voir que globalement, les intervenants aprouvent Suzanne Citron. Je regrette moi aussi que son regard critique sur l'histoire nationale ne soit pas mieux partagé (mais on a quand ^meme entendu cette semaine sur Fance culture, à propos d'identité, des propos tout à fait interessants. A l'intention de décalé, le bien nommé, deux remarques : je ne vois pas l'intérêt de vibrer au souvenir des capétiens; si on s'en est débarrassé en 93, et encore en 1848, il devait bien y avoir une raison, non? Ce n'est pas parce que Sarkozy tient ce discours sur l'histoire de France comme une totalité qu'il faut accepter en bloc qu'on doit le suivre. -Quant à la droite qui mieux que la gauche républicaine saurait faire sa place aux idenités locales, je n'y crois qu'à moitié. Et Sarkozy déjà nommé n'y croit pas du tout. Il y a bien Maurras (et encore, faudrait voir)mais il est mort, et on n'est pas forcé de le regretter. On ne fait pas de bonne histoire avec des sentiments, bons ou mauvais, mais avec la raison et le bon sens. Or, l'histoire "nationale" est le plus souvent aux antipodes. Mieux vaut donc avoir sur la question le regard le plus critique possible. Samedi 31 Mars 2007 - 20:05
huardj Enfermement national
C'est avec la révolution française que l'enfermement national a commencé depuis deux siècles, prétendant effacer les échelles régionale et européenne qui constituaient l'horizon identitaire des Français d'alors. Depuis peu, on redécouvre que l'identité est une construction, relative et multiple, à la fois dans ses territorialités (région, nation, europe...) et ses cultures. Il faut privilégier la production c'est-à-dire l'invention plutôt que la reproduction (traditions, racines) qui nous enferment. Des auteurs comme S. Citron sont malheureusement trop rares et trop peu entendus. Samedi 31 Mars 2007 - 18:12
DENZEL histoire
Très bon article! Et pour tous ceux qui vomissent leur haine, je n'ai qu'une chose à dire: Que vous le vouliez ou pas la Vérité reprend toujours ses Droits. On peut travestir les faits, inventer des héros, construire une identité nationale fictive ou idéaliste...bref, réécrire l' Histoire, la Vérité ressurgit toujours. Et nous devrions tous être fiers de cela. J'aime mon pays mais cela ne m'empêche pas de m'interroger sur le passé et de remettre en cause certains dogmes. Tel, " Nos ancêtre les ...". Même si je sais que l' idée était de conforter, par un symbole, l'idée d' un sentiment national unissant les Français d'origines diverses (Corses, Bretons,Vendéens, DOM...).Aujourd' hui nous faisons l' Histoire de demain. Alors faisons la bien. Pas autour d'un symbole, mais d'un projet commun, car nous sommes tous dans le même bateau France. Samedi 31 Mars 2007 - 16:34
Pierrot287 Bien d'accord !
Bien d'accord Suzanne. Le nationalisme est un voile qui masque mal les conceptions impériales, coloniales et surtout xénophobes, au point de vouloir exacerber une identité nationale pure à l'extrême. L'amalgame entre immigration et identité nationale dans un même ministère, reflète bien cette conception de vouloir concevoir un moule identitaire basé sur un soi disant passé pur. Comme s'il était besoin d'un ministère pour surveiller l'identité nationale. C'est refuser l'incroyable métissage qui existe depuis des siècles et qui continue, enrichissant ainsi toutes cultures. On peut et on doit être fier d'être basque ou breton, Français aussi, mais celà n'empêche d'être citoyen du monde et de respecter l'autre, sans l'obliger à accepter de vouloir croire qu'il descend des gaullois ! Samedi 31 Mars 2007 - 16:11
Gérard ELOI Bravo à Suzanne
Quand je lis dans le commentaire de "décalé" le mot "ânerie" qui qualifie un article de Suzanne Citron, je suis franchement outré ! J'invite ceux qui connaissent pas cette grande dame à découvrir sa vie et son oeuvre sur Google ou un autre moteur de recherche. Quant à moi, je suis fier de militer dans la même équipe que Suzanne ! Samedi 31 Mars 2007 - 16:10
Lubin Le "mythe national" en question
Sur un sujet où, comme d'habitude, les historiens à la mode occupent le devant de la scène médiatique, c'est toujours avec grand plaisir qu'on lit Suzanne Citron. Son "Mythe national, l'histoire de France en question", paru il y a vingt ans, en 1987, reste une référence obligée sur le thème de l'identité nationale et de l'enseignement de l'histoire à l'école. "Quelle histoire pour quelle nation ?" est effectivement la bonne question. Deux réserves, cependant : "l'histoire dont les Français ont besoin comme support d'une identité nationale aux mille couleurs...". Est-il vraiment indispensable de continuer à se référer à une "identité nationale" dont, par ailleurs, personne n'est en mesure de préciser les contours, alors qu'il s'agit manifestement d'un concept dépassé mais toujours dangereux ? Seconde réserve : "...la France métissée de S. Royal" : On y croira réellement quand Chevènement ne fera plus partie du staff électoral de S. Royal et quand celle-ci voudra bien revenir de ses égarements sur les symboles nationaux. Samedi 31 Mars 2007 - 09:45
décalé a peirevidal
Ne confondons pas tout. Les langues régionales d'une part et les histoires particulières des nouveaux arrivants qui rejoignent une nouvelle patrie, dans tous les sens du terme, d'autre part. On peut parfaitement concevoir l'identité nationale dans la diversité des régions (avec leurs spécificités) qui la composent. De ce point de vue, c'est la Gauche républicaine qui a été dans l'histoire l'élément niveleur. Au contraire, c'est un discours qui a longtemps été important pour une partie de la Droite. Si tu lis la biographie de Maurras qui vient de sortir, tu verras l'importance du fédéralisme et du maintien des cultures régionales dans sa pensée ( mouvement des félibres dans la ligne de F. Mistral). C'était donc parfaitement compatible avec la ligne du "nationalisme intégral". Nous sommes trés loin de l'émiettement de la mémoire nationale préconisée par mme Citron et la litanie des douleurs qu'elle propose en guise d'Histoire de France. PS: quand je disais que j'étais français depuis un siècle, je parlais de ma famille. Mais, étant amoureux de la Provence et de sa langue, je ne refuse pas complètement l'appellation de "lou pape", que je vais proposer à mon petit-fils. Pas encore centenaire, mais bien déjà la cinquantaine..... Samedi 31 Mars 2007 - 09:45
Pèire Vidal Perqué m'an pas dit...
Merci pour cet article Madame Citron. Je pense qu'i faut arrêter de confondre identité nationale et mise au moule unique et simplificateur. "Unifier, c'est nouer les diversités particulières et non les effacer par un ordre vain" écrivait Saint Exupéry. Mais je suis moins optimiste sur la France métissée de Ségolène Royal. Il me semble qu'elle nous dit en substance: "d'où que vous veniez, vous avez le droit de vous fondre dans le moule". Ce n'est pas tout-à-fait ce dont nous avons besoin pour répondre à la grande pluralité de la France. Il n'y a qu'à voir la grande timidité du PS sur la question des langues parlées en France. 20 000 manifestants a Béziers le 17 mars dernier pour demander la reconnaissance de l'occitan : prise en compte dans la campagne socialiste ? Non. Si vous soutenez Ségolène, essayez de lui expliquer que c'est la non-reconnaissance des identités multiples qui est le plus grand ennemi de l'identité nationale. Un petit mot pour décalé: "français depuis plus d'un siècle": ce n'est pas l'espagnol qu'il faut vous appeler, c'est "lou papé" ... Samedi 31 Mars 2007 - 08:56
décalé Al'espagnol
Mets d'abord de l'ordre dans tes pensées et nous pourrons peut-être discuter. Pour le moment, je ne vois qu'embrouillamini de la pensée et inculture manifeste. Le simple fait de m'appeler l'espagnol aprés ce que j'ai écrit, d'où tu aurais pu déduire que j'étais français depuis plus d'un siècle, montre dans tes propos un véritable racisme "biologique" de mauvais aloi. Vendredi 30 Mars 2007 - 21:50
A l'espagnol L' âne c'est toi
A-t-on déjà brûlé les drapeaux Français en terre d'afrique, monsieur l'espagnol? A-t-on fais la chasse aux blancs residents en Afrique au temps de l'apartheid? A -t-on déjà vu un noir faire sauter un avion ou un train pour la cause des noirs? Répoondez à ces questions avant de déblatter votre , vous nous haïssez parceque nous sommes noirs et non pas parceque ne nous saisissont pas pas la portée de la notion de République. Qui mieux que les Africains peuvent mieux vous parlez de ces identités meurtries; savez-vous Monsieur qu'il existe en Afrique des chrètiens (le christianisme venu avec les colons), des musulmans et autres courants de pensées. Arrêtez votre haine , qui mieux que nos pays avons donné le meilleur à la France , nos sous sols et toute notre économie vous appartiennent et arrêtez de nous parlons de repentance c'est le cadet des soucis des hommes et femmes de ce beau continent, si et seulement si , ils savaient toute la haine que vous portez contre eux. Vendredi 30 Mars 2007 - 18:48
décalé que d'âneries!
Et quand on aura rappelé à tous et à toutes toutes les raisons qu'ils ont d'haïr la France, quelle belle identité nationale nous aurons construite!!!!!! Quand on choisit un pays, on le prend tout entier, avec toute son histoire et cette histoire devient nôtre. C'est un pied-noir, d'origine espagnole qui parle. Faire partie d'une nation, c'est se couler dans un grand mouvement historique et faire corps avec lui. Pour moi, je vibre en pensant aux capétiens qui ont fait la France, aux Républicains qui ont poursuivi l'oeuvre... En relisant la citation à l'Ordre de l'Armée de mon grand-père, signée par Joffre, aprés qu'il eut perdu une jambe dans les batailles de la Somme, les larmes me montent aux yeux, car la France est désormais ma seule Patrie et le sacrifice de mon grand-père a plus lié encore notre destin à celui de la France. Comme en tant qu'occidental, je me sens le descendant d'Athènes, de Rome, de la civisation judeo- chrétienne...cela n'a rien à faire avec mon histoire "vraie" qui doit prendre sa source en Andalousie... Ce sont les grandes civilisations de l'Histoire qui nous façonnent totalement et que nous assumons à travers notre culture. Vendredi 30 Mars 2007 - 16:03



 

 

 

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Comment se construit l'identité nationale ?

2 Avril 2007 , Rédigé par Jean-Claude Grosse Publié dans #agora

 

14/03/2007 20:45
Comment se construit l'identité nationale ?

 

Les drapeaux de Léon Cogniet (1794-1880)
 
Des historiens analysent, pour « La Croix », les défis auxquels l'identité nationale se trouve aujourd'hui confrontée et comment elle évolue au fil du temps

Alors que la question de l?identité nationale vient de faire son apparition dans la campagne électorale après des déclarations de Nicolas Sarkozy, Max Gallo est en convaincu : « Ce concept se trouve au c?ur de l??uvre de Michelet. Depuis, Ernest Renan, Marc Bloch et bien sûr Fernand Braudel en ont fait leur problématique centrale », souligne l?auteur de L?Âme de la France (1).

Quelle est, à ses yeux, la singularité de ce pays ? « Le droit du sol, par opposition au droit du sang. Le principe d?égalité, qui en découle. Celui de laïcité, aussi, pour que les individus puissent être égaux, quelles que soient leurs convictions religieuses », énumère l?historien. Pour lui, l?identité nationale française s?appuie aussi sur le rôle prééminent de l?État, tenu de réprimer les « tendances centripètes », ainsi que sur la langue, facteur d?unité, au même titre que l?école, qui « modèle » les futurs citoyens.

Autre élément constitutif, précisément, le rapport individuel de chaque homme à l?État. Et, pour finir, « même si l?évolution juridique n?a pas toujours suivi, même si elle n?a obtenu le droit de vote qu?en 1946 », la place de choix réservée à la femme.

"Identité française" plutôt que "nationale"
Nombre d?historiens se reconnaîtraient sans doute dans ce socle de valeurs et principes, même si certains comme Alain Bergounioux, par ailleurs secrétaire national du PS aux études, refusent d?employer le terme d?identité nationale, lui préférant celui d?« identité française », « beaucoup plus ouvert, bien moins lié à l?histoire de la droite et de l?extrême droite françaises depuis l?affaire Dreyfus ».

La plupart cependant assument pleinement ce concept d?« identité nationale » même s?ils considèrent qu?il n?a pas vocation à demeurer immuable. Ainsi, pour René Rémond, qui vient de quitter la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques, « l?identité n?est pas un musée, ni un conservatoire. La France a une capacité à créer et à innover. À condition de ne pas toucher aux principes généraux, son identité nationale est appelée à se développer. »

René Rémond établit un parallèle avec l?évolution de la langue : « À la commission du dictionnaire de l?Académie française, dont je suis membre, l?on introduit quantité de nouveaux mots empruntés à des langues étrangères. Ils enrichissent le français, mais n?affectent pas sa syntaxe, qui modèle la structure de l?esprit. »

De la même manière, poursuit René Rémond, l?influence de la religion sur l?identité nationale a évolué. « Longtemps, on n?était français que si l?on était catholique. Puis une rupture est intervenue, à la Révolution. Certaines valeurs du christianisme, comme la personne, la liberté, l?ouverture sur le monde, sont restées au c?ur de l?identité nationale, mais sous une forme sécularisée. Et aujourd?hui, le pluralisme et l?acceptation de la liberté religieuse font partie intégrante du corps de doctrine de l?identité nationale », explique l?historien.

L?identité nationale se doit d?être ouverte
Bien entendu, l?identité nationale se doit d?être ouverte, acquiesce Max Gallo. « Elle se modifie sous l?apport bénéfique de populations venues d?ailleurs. Mais il faut tout de même s?interroger sur la façon dont elle va évoluer, à chaque flux migratoire », soutient-il. Ce qui est en jeu, selon lui, ce n?est pas tant la culture ou l?origine spécifiques de certaines personnes, de certains groupes, qui, par exemple, ne reconnaîtraient pas pleinement les principes de laïcité et d?égalité des sexes.

C?est plutôt, dit-il, la « démission » des élites qui depuis les années 1920 « doutent de l?histoire nationale et considèrent la nation comme un concept obsolète ». « La France est le pays qui, à l?échelle de notre continent, compte le plus de couples mixtes entre Européens et non-Européens. Cela prouve bien la puissance assimilatrice des valeurs nationales. Mais comment voulez-vous que le nouvel entrant adhère à l?identité nationale si celle-ci est considérée dans le pays même comme nulle et non avenue ? », interroge Max Gallo, en déplorant l?abandon du concept d?assimilation, au profit de celui d?intégration, puis de multiculturalisme, une route dangereuse qui, selon lui, mène tout droit au communautarisme.

À en croire Michel Wieviorka, il est en tout cas indispensable de revenir aux fondements juridiques de l?identité nationale. « Il existe des critères objectifs pour déterminer qui en relève et qui n?en relève pas. On est Français ou on ne l?est pas? Mais si l?on veut définir qui est un ?bon national? et qui ne l?est pas sur des critères autres que juridiques, on ouvre la porte à des dérives extrêmement graves », met-il en garde, tout en affirmant qu?« on a le droit de ne pas aimer la France, même si l?on tient d?elle son identité nationale ».

Interpellée par l'identité européenne
Une fois posé ce préalable, l?enseignant de l?École des hautes études en sciences sociales reconnaît que l?identité nationale française doit faire face depuis plusieurs décennies à un vrai défi, lié en partie seulement aux vagues migratoires successives, à savoir la poussée dans l?espace public de particularismes culturels ou religieux nouveaux.

« Toutes sortes de groupes formulent des requêtes au titre d?une identité autre que l?identité nationale. Cela a commencé dans les années 1960 avec l?éclosion des mouvements régionalistes. Puis, les juifs de France se sont affirmés dans l?espace public, les Arméniens ont émis des revendications portant sur la reconnaissance du génocide? Plus récemment, une partie de la population noire s?est mise à militer pour une condamnation officielle de la colonisation. » « La grandeur d?un pays consiste à reconnaître les différentes identités qui se manifestent sur son sol », veut croire Michel Wieviorka.

« Mais reste à savoir si elles doivent rester confinées dans la sphère privée et se subordonner à l?identité nationale. C?est ce que veut le modèle français traditionnel, un modèle qui, de nos jours, n?est plus guère opérant. »

Il faut dire que l?identité nationale française se trouve également interpellée par l?identité européenne, quand bien même celle-ci demeure balbutiante. « Toute identité authentique est plurielle et non unique, estime le professeur de la Sorbonne Gérard-François Dumont. Elle est faite d?une dimension territoriale ? le lieu où l?on est né ?, nationale ? le pays où l?on vit ? et européenne, puisque la France appartient à l?Europe. »

Une aspiration à des valeurs idéales
D?après lui, avant 1989 et la chute du Mur, la question d?une identité européenne ne se posait pas. Elle apparaissait en creux, comme une défense par rapport à un monde sans liberté. « Aujourd?hui, elle s?exprime à travers une aspiration à des valeurs idéales, tension qui passe par des hauts et des bas, mais qui se nourrit de la différence des expériences et qui considère la pluralité linguistique et culturelle comme un facteur d?enrichissement », considère Gérard-François Dumont.

Il y a une quinzaine d?années, cette notion d?identité européenne a donné lieu à une multitude de débats et autres colloques, souvent à l?initiative de Bruxelles. « Il y avait alors une grande espérance dans tous les pays de l?Union », se souvient Pierre Milza, auteur d?une Histoire de l?Europe, États et identité européenne (2).

« Qu?en est-il ressorti ? Quelques parallèles, une histoire commune et une idée intéressante, celle que l?immigration favorisait l?identité européenne. On s?est aperçu par exemple que les familles italiennes ou polonaises établies en Lorraine avaient, lors de l?élection du Parlement européen, un vote plus pro-européen. Mais tout ceci est extrêmement fugitif. Qu?est-ce qui fait l?identité ? Une histoire commune ? Celle de l?Europe est en construction. Une religion commune ? Oui et non, car s?il y a eu une Europe chrétienne, l?Antiquité a connu une Europe païenne plus longue encore. Des éléments culturels ? C?est encore fragile car notre histoire est compliquée et surtout éclatée avec des ethnies différentes, des religions différentes et des langues différentes. Au risque de choquer, le meilleur facteur d?identité serait une langue commune. »

Des droits et des devoirs
Aux yeux de Florence Chaltiel, auteur de Naissance du peuple européen (3), il serait en tout cas « vraiment décalé, cinquante ans après la signature du traité de Rome, d?aborder l?identité nationale en faisant abstraction de la dimension européenne », et ce, même si le non français au référendum sur la Constitution révèle les limites du sentiment d?appartenance à l?Europe.

« Pour l?heure, cette identité se définit aujourd?hui avant tout à travers une citoyenneté européenne qui inclut des droits et des devoirs. C?est en tout cas la première fois que l?on voit ce décrochage entre nationalité et citoyenneté. »

Marie-Françoise MASSON et Denis PEIRON

(1) Fayard, 608 p., 23?.
(2) Hatier, 479 p., 12?.
(3) Odile Jacob, 225 p., 24,50 ?.

 
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